vendredi 24 décembre 2010

La reconnaissance est un secret



Joyeux Noël !

Et ici : Message de Noël




Matthieu 1, 18-25
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous".
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.


*

On a vu dimanche le problème de Joseph par rapport à cette fiancée étrange… En regard de cela, et du conte que nous venons d’entendre, je vous propose de considérer aujourd’hui un aspect qui a de quoi nous sembler étrange : la spontanéité avec laquelle Joseph accueille ce qui lui arrive…

Tout porte à penser que l’ange a mis Joseph au bénéfice d’un secret, le secret de la reconnaissance…

Mais revenons au problème de Joseph pour bien nous mettre à sa place…

Le texte nous présente Joseph au moment où il envisage de prendre des résolutions : rompre secrètement — car « il était un homme juste », nous dit l'évangile. On imagine que le texte suggère qu'à un certain point de la grossesse, il commençait à se poser des questions au sujet du ventre de sa fiancée.

Ce pourquoi il envisage de rompre : rappelons qu'à l'époque, les fiançailles étaient un contrat que normalement on ne rompait pas. C'était déjà un mariage, en quelque sorte ; une rupture était donc comme un divorce. Et il était inconcevable qu'avant le mariage proprement dit, le fiancé s’approche de sa promise. On restait à une distance relative, on était simplement promis l’un à l’autre, et cela ne se rompait pas.

D'où le problème qui se pose à Joseph : s'il ne rompt pas, on va le soupçonner lui d’avoir manqué de respect à sa promise ; et naturellement, de plus, il n'était peut-être pas non plus forcément enthousiaste à l'idée d'épouser une femme qui apparemment l’avait trompé. Mais s'il rompt, il expose Marie à l'humiliation publique, et par là-même à un avenir des plus sombres : ce qu'il veut lui épargner. Joseph envisage donc une voie moyenne : la rupture secrète.

C'est un ange, perçu en songe, qui le retient de mettre son projet de rupture à exécution et le rassure sur la probité de Marie.

Mieux, C’est du Messie qu’il s’agit, selon la vision du rêve (v. 20-21) : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint, et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

Et Joseph, à son réveil, obéit à la vision angélique. Il adoptera donc Jésus.

*

Cette spontanéité n’est-elle pas troublante ? On imagine volontiers, tout de même, un Joseph gêné aux entournures ! Certes, c’est le Messie attendu que le messager de son rêve lui annonce.

Mais tout de même… Le lendemain au village, qu’est-ce qu’on va dire ?… Cette fiancée pour laquelle on va le montrer du doigt. « Oh oh, ils ont fait Pâques avant Carême », selon la belle formule du temps de nos grand-parents ou arrière-grands-parents. Cela dans la meilleure des hypothèses. Car on peut aussi envisager les murmures sur son passage, genre : « Oh, le brave homme ! »

Bref pour Joseph, même après la vision de son rêve, tout aurait pu n’être pas acquis ! Beaucoup auraient pu envisager la rouspétance : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? Messie, Messie ! Peut-être ; mais il aurait pu trouver quelqu’un d’autre ! Pourquoi moi, quand même ? Je suis un brave homme, qui ne demande que tranquillité ? Excusez-moi mais tout bien réfléchi, ange ou pas ange, moi je vais voir ailleurs, et lui il se débrouille avec sa mère du Messie ! »

Réaction normale quoi ! La rouspétance, qui n’est pas, semble-t-il, le fait du reste de la création, qui n’est pas le fait des animaux… Ce que le conte nous a rappelé. Avec la rouspétance on est dans l’humain, c’est-à-dire dans le religieux, puisque, on s’y accorde, une des caractéristiques de l’humain, c’est le religieux : les tombes intentionnelles disent les anthropologues, les premières tombes intentionnelles, précisent les paléontologues.

La rouspétance, ou l’humain, ou le religieux. La rouspétance comme début de la prière. Parce qu’après tout, qu’est ce que la rouspétance, sinon l’expression d’une plainte, d’une insatisfaction, adressée à qui au fond ? — sinon à Dieu : « qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » C’est la version mauvaise humeur de la prière de demande : « Seigneur, ne pourrais-tu pas faire que ma situation soit meilleure que cela ? » — demande tout à fait légitime tant il y a des situations qui sont épouvantables.

C’est la situation de Joseph ce jour-là, au fond, si l’on se met à sa place. La prière ! La prière non-dite, cachée, dans la rouspétance, et la prière formulée, qui demande un changement de situation. Situation de Joseph. 1°) Rouspétance : « mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » 2°) Demande : « ne peux-tu pas confier ton Messie à un autre ? »

Ce sont les deux premiers temps du déplacement de la prière : de la rouspétance à la demande exprimée, avant le troisième temps, ce temps dont Joseph montre à son réveil qu’il est le sien. Le temps de la reconnaissance : toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » en dira Paul, en écho au Psaume que Joseph, en lecteur de la Bible a dû méditer : « fais du Seigneur tes délices, et il te donnera ce que ton cœur désire »… Joseph était un homme juste…

Le reconnaissance est donc un secret, un secret qui fait ressortir la justice de ceux à qui il est dévoilé. Le secret de l’émerveillement spontané qui meut la création, mais qui semble-t-il, a échappé aux hommes. Un secret, qui est celui du bonheur le plus profond, et qui va être plus difficile à transmette aux hommes. C’est le secret de Noël, le cœur de son message.

Réentendons la fin du conte :

« Quand le soleil se coucha sur Bethléem, toute la création, hormis les hommes, savait que l'Éternel ne l'avait pas oubliée et qu'un grand jour s'annonçait.

Dans l'étable où Marie et Joseph avaient trouvé refuge, l'âne attendait, le cœur battant, l'accomplissement de la promesse. Le bœuf, avec qui il partageait la litière, guettait le premier cri.

Dehors, l'air de la nuit se fit plus chaud, la lune brilla avec ardeur. Les oiseaux chantèrent comme en plein jour et les moutons, là-haut sur les collines, bêlèrent la grande nouvelle. Dans les océans, les coraux rougirent d'allégresse et au pôle nord, la banquise éclata de joie. La nature entière et tous les arbres des champs battirent des mains.

Cependant, les hommes ne prêtèrent pas attention aux émois de la terre. Rares furent ceux qui comprirent ce qu'ils signifiaient. Seuls les mages, venus d'Orient, virent dans le ciel une étoile qu'ils n'avaient jamais vue auparavant, et la suivirent. »


(Et c’est ce que nous verrons demain…)

RP
Antibes, Veillée de Noël 24.12.2010