mardi 25 janvier 2011

Paul. Juifs et Grecs. La question de la loi





Une loi posant avant tout un mode de comportement communautaire et traditionnel dans une cité donnée, le message évangélique étant, y compris dans son expansion aux nations, issu de la tradition d’Israël... Que va-t-on en faire, avec la venue des "Grecs" à l’Évangile ? — ne serait que sous l’angle le plus élémentaire de la fonction de la loi, comme règle pour vivre ensemble — l’usage politique de la Loi…

Après quelques débats, l’Église a opté comme la synagogue, recommandant aux non-juifs qui la rejoignent cet aspect de la Loi juive qu’on appelle "la loi de Noé", du nom du personnage biblique qui fait ancêtre commun de toutes les nations. Un accord consensuel que l’on trouve dans Actes 15.

Si en effet l'on considère attentivement cet accord, scellé à Jérusalem en Actes 15 (cf. v. 21), on remarque qu'il ne fait que reprendre l'enseignement synagogal à l'égard des craignant-Dieu, sans donner de précision supplémentaire. Cela correspond donc à ce que l'on appelle "la loi de Noé", ou "noachique", dont la pratique seule est requise des craignant-Dieu, dont la conversion totale au judaïsme sera toutefois bien accueillie.

Car il n'est pas exclu pour les craignant-Dieu de devenir prosélytes à part entière. C'est là, dans le judaïsme, passage à une étape supérieure dans la vie religieuse.

Les partisans de l'intégration plénière des païens chrétiens à la communauté juive pouvaient probablement par là introduire une subtilité du genre : certes les païens ne sont pas obligés de se faire circoncire, mais s'ils le font, c'est mieux. En quelque sorte, ils durciraient en "conseil spirituel" ce que Jacques se contente de ne pas exclure.

Subtile façon de ré-avancer ce que Jacques rejetait, d'où la difficulté qu'a Paul à s'appuyer sur l'accord de Jérusalem. Qu'il revendique toutefois.

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On pourrait se demander si Paul ne chipote pas. En fait pour lui, l'enjeu est capital : il y va de l'avenir de la mission auprès des païens. Si, en effet, les païens chrétiens en viennent à considérer leur situation comme inférieure, et donc, préférablement provisoire, la large ouverture que permet la dispense du passage par les rites difficiles du judaïsme, et notamment la circoncision, est ruinée : devenir chrétien équivaut ultimement à devenir juif, avec toutes les difficultés rituelles traditionnelles pour les nouveaux venus. D'où l'ardeur de Paul à défendre sa cause.

D’autant que le risque est de voir conditionner le salut, gratuit, à quelque observance rituelle, légale, ou à une norme éthique donnée.

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Le combat de Paul a des conséquences théologiques considérables : il lui permet de développer dans toute sa rigueur son enseignement sur la justification par la foi. C'est là le cœur de l'alliance, déjà pour Abraham, souligne-t-il. C'est par la confiance aux promesses de Dieu que s'obtient la justice, indépendamment de la pratique légale. C’est si vrai que cela concerne aussi ceux qui observent le cérémonial mosaïque, les juifs, comme Paul lui-même. L'observance de la Loi n'ajoute rien à leur justice, semblable à celle d'Abraham et scellée dans le Messie.

Il faut préciser, comme l'a compris Martin Luther, que cela ne concerne pas seulement les dispositions cérémonielles de la Loi, mais la Loi sous tous ses aspects : chez Paul, n'apparaît pas la distinction qu'a faite la théologie chrétienne ultérieure entre aspect moral et aspect cérémoniel.

Le fait qu'il n'y ait pas d'indices permettant de dire que Paul faisait une distinction moral / cérémoniel quant à la Loi soulève une difficulté : Paul serait-il antinomien ? Ouvrirait-il à un relativisme moral ?

C'est là un des arguments des opposants de Paul : "Christ serait-il serviteur du péché ?" Et c'est vraisemblablement une des raisons des développements moraux qui terminent ses épîtres : c’est aussi une réponse anticipée à l'objection d'encouragement au laxisme.

Paul a, en fait, une approche de la Loi qui lui est propre, riche et nuancée. Il en retient surtout la valeur pédagogique, "pour conduire au Christ". La loi en effet comme instance de comportement idéal, conduit celui qui s’y applique à découvrir que cet idéal demeure, quant à sa perfection, hors de sa portée. Quant à cette visée la Loi est vouée à l’échec. Échec dévoilé par la mort et la résurrection du Christ, qui fait accéder ceux qui croient à la vie de résurrection, au-delà donc du domaine de compétence de la loi, qui vaut en-deçà de la mort.

Cela pourrait faire croire que pour Paul la Loi est reléguée dans le passé. Il n'en est rien. Cette fonction pédagogique n'est pas abolie dans l'histoire avec la venue du Messie, ni même pour l'individu avec sa conversion au Messie : le Christ ressuscité est toujours notre avenir, et notre péché persistant, que révèle toujours la Loi, est toujours notre passé à surmonter dans la foi en Dieu.

En outre, pour fonctionner, cette dimension pédagogique de la Loi doit supposer de la part du croyant une prise au sérieux de son enseignement, et donc une valeur normative de Loi. C'est ici que se place la difficulté majeure : comment reconnaître la valeur normative de la Loi, tout en enseignant que les chrétiens païens sont dispensés d'en pratiquer les dispositions ?

Ici prend place la distinction, délicate, de la lettre et de l'esprit : la lettre de la Loi porte un enseignement, moral, qu’il s’agit de discerner, en usant de raison. Enseignement qui n'est pas sans rapprocher de l'idée de loi naturelle et qui fondera la distinction ultérieure entre aspect moral et aspect cérémoniel.

Pour Paul, la Torah n'en demeure pas moins l'expression de la Vérité, qui norme notre comportement. Elle n'est nullement abolie. Dans la foi qui reçoit la justification, est abolie la condamnation que fait peser la Loi sur celui qui la transgresse. Paul invite les païens à user de la Loi pour dégager le cœur de son enseignement, l'amour du prochain, mais les dispense de sa pratique littérale.

C'est dans cette perspective qu'il faut considérer sa comparaison, qui autrement, serait incompréhensible, entre la Loi mosaïque et les rites du paganisme ! (Galates 4, 8-10.) Juifs comme Grecs dépendent, quant à leur filiation abrahamique, de la foi en la promesse de Dieu scellée dans le Christ, et non d'un héritage naturel (cf. Jean-Baptiste, ou Jésus).

C’est à travers cette riche pensée théologique que Paul, par la controverse, met en place son message : la justification par la foi seule, indépendamment de toute pratique légale, pour une libération en vue de la consécration au service de Dieu, pour le prochain. C'est là l'enseignement de la Loi et le seul Évangile, Évangile qui permet de proclamer en Christ l'égalité des juifs et des païens.



Paul (4) - Juifs et Grecs. La question de la loi
R.P., KT Adultes
Antibes 27.01.2011




jeudi 13 janvier 2011

De la parole de liberté à ses fruits. Entre Paul et Matthieu




Matthieu 7, 21-29

21 Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur ! Seigneur ! » qui entreront dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux.
22 Beaucoup me diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas par ton nom que nous avons parlé en prophètes, par ton nom que nous avons chassé des démons, par ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? »
23 Alors je leur déclarerai : « Je ne vous ai jamais connus ; éloignez-vous de moi, vous qui faites le mal ! »
24 Ainsi, quiconque entend de moi ces paroles et les met en pratique sera comme un homme avisé qui a construit sa maison sur le roc.
25 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison : elle n'est pas tombée, car elle était fondée sur le roc.
26 Mais quiconque entend de moi ces paroles et ne les met pas en pratique sera comme un fou qui a construit sa maison sur le sable.
27 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison : elle est tombée, et sa chute a été grande.
28 Lorsque Jésus eut achevé ces discours, les foules étaient ébahies de son enseignement,
29 car il les instruisait comme quelqu'un qui a de l'autorité, et non pas comme leurs scribes.


Romains 3, 13-24

23 Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ;
24 et c'est gratuitement qu'ils sont justifiés par sa grâce, au moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ.


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Matthieu semble s'opposer à ce que nous apprend Paul sur la parole qui libère, celle de la grâce seule reçue par la foi seule. Il n'est de fait pas rare d’opposer Matthieu à Paul.

Mais à y regarder de près...

Paul aux Romains, ch. 10, v. 8-10 : "Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur. Cette parole, c'est la parole de la foi que nous proclamons. Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. En effet, croire dans son cœur conduit à la justice et confesser de sa bouche conduit au salut."

Voilà qui induirait quelque chose de moins simple que l’opposition que l'on pose peut-être trop facilement entre Matthieu et Paul... Si l'on ajoute à cela les injonctions sur lesquelles Paul débouche invariablement en fin de ses épîtres, on se retrouve peut-être plus proche de Matthieu que prévu... Ex. Romains 12, 1-2 : "Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait."

Où l'on retrouve exactement ce que nous donne Matthieu, à savoir une parole reçue de façon intime : c'est bien le message central du Sermon sur la montagne (Mt 5-7) dont ce chapitre 7 donne l'issue.

La parole reçue dans l'intimité, "dans ton coeur", selon Ro 10, entre dans le concret tout d'abord en étant confessée (id. Ro 10). C'est aussi ce que dit Matthieu, parlant de ceux qui disent "Seigneur ! Seigneur !", tandis que - c'est déjà sous entendu dans la connotation négative de cette référence en Matthieu - cette confession est le premier temps d'une "incarnation" encore plus concrète de cette parole reçue et confessée.

Une "incarnation" qui en est le fruit. La parole reçue sauve seule. Et elle sauve concrètement, jusqu'au monde, à "la création entière qui en attend la délivrance" (Romains 8), en entrant concrètement dans le monde, en déployant ses aspect missionnaires, diaconaux, politiques...

En s'enracinant pour donner au salut appelé à emporter concrètement le monde, des fondations solides.

RP