lundi 20 mai 2013

La rémission des péchés



« Je crois [...] la rémission des péchés »

« Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. »


*

Les formules brèves des credo sur ce point s’axent sur le mot « remissio ». Au premier sens le mot latin désigne le relâchement d’un captif, la libération, le renvoi libre. Au plan juridique le mot connote remise de peine, non-application de la peine.

La rémission des péchés peut donc être comprise comme non-application de la peine due aux péchés, aux fautes commises (ce qui n’est pas acquittement : ici la faute est bien réelle) et aussi la libération à l’égard de puissance asservissante de la captivité au péché comme source de la pratique des péchés (cf. Jean 20, 23 et l’annonce de la parole libératrice par laquelle : « ceux à qui vous remettrez les péchés ils leur ont été remis, ceux pour qui vous les soumettrez ils leur ont été soumis »).

Il y a là quelque chose de l’ordre de l’extraction d’un état (le péché), source d’actes coupables (les péchés) : la mention du baptême par Nicée-Constantinople connote la dimension de la grâce : une parole de grâce, celle donnée au baptême, induit la rémission des péchés. Une parole donnée dans un geste qui répercute un don qui le précède : le baptême ecclésial est le signe d’un baptême octroyé par Dieu seul, le baptême en Christ, le baptême dans l’Esprit saint.

Voilà qui pose la rémission des péchés comme extraction d’une captivité, comme renvoi libre ; et (avec la connotation juridique du mot) comme fruit d’une justification : justifiés par la foi, selon le mot de Paul reprenant la Bible, notamment les Psaumes.

« Être justifié » ne signifie pas « être rendu juste », mais « être déclaré juste ». C’est Luther et la Réforme qui mettent en lumière tout le sens de la justification, en parlant de justification « forensique », « étrangère », « extérieure », de ce mot qui a donné en français « forain », c'est-à-dire, extérieur, étranger, venu d'ailleurs. De même, la justification selon la Bible, expliquaient Luther et les Réformateurs, nous est étrangère, elle nous vient d'ailleurs, elle ne nous est pas « grâce infuse » : nous ne sommes pas justes en nous-mêmes. Dieu nous déclare juste, par grâce, par faveur, c'est-à-dire gratuitement. Cette justice qui n'est pas nôtre, qui est celle du Christ seul, est donnée gratuitement à notre seule foi. Nous sommes donc déclarés justes (ce que nous ne sommes pas en nous-mêmes mais en Christ seul) — et non pas rendus justes en nous-mêmes, ce qui serait désespérant, puisqu'il nous faudrait sans cesse mesurer notre justification à nos œuvres de justice pour savoir si nous sommes réellement justifiés.

La justification, pour déclarative, n’est pas pour autant fictive ! La justice du Christ nous est réellement donnée, avec ce qu’elle induit de pouvoir de libération réelle. La source n’en est pas moins en permanence extérieure à nous-même, en Christ seul. Nous sommes déclarés justes par la seule grâce de Dieu, sa faveur, et nous recevons cette grâce gratuite, par notre seule foi.

La réalité de la justification déclarative a été la source du malentendu entre Rome et la Réforme, Rome ayant entendu « déclaratif » comme fictif ! Comme si Dieu nous regardant comme justes ne bouleversait pas par là tout notre être. Simplement, cela ne conditionne pas l’acte de Dieu. Cette conviction est celle que Luther présente au pape Léon X (auquel il dédicace son Traité de la Liberté du chrétien), comme pour un appel face aux prédicateurs d’indulgences. Car à ce point l’histoire des indulgences n’est pas une caricature. La vente d’indulgences est bien un effet pervers de l’idée de « grâce infuse » — à l’inverse de « forensique ». Effet pervers, dont Luther dans un premier temps, attend du pape qu’il le condamne.

Les adversaires de Luther vont s’attacher à voir une opposition indue, un dilemme — qui n’aurait pas lieu de d’être —, entre la foi et les œuvres !

C’est là ne pas entendre que pour l’Évangile reçu par Luther, la foi et les œuvres sont incommensurables. Si la grâce, la faveur de Dieu, que reçoit la foi produit des œuvres comme l’arbre produit du fruit (Traité de liberté du chrétien), le fruit se situe à un tout autre niveau que la grâce qui le produit ! La grâce donne le salut à la foi seule, les œuvres ne relèvent pas de la question du salut, mais de l’effet gratuit et de la reconnaissance. Les deux, foi et œuvres sont incommensurables — au point que, déjà juste en Christ, le chrétien que l’Esprit saint sanctifie n’en reste pas moins pécheur en lui-même — à la fois juste et pécheur, simul iustus et peccator.

La difficulté avec la « grâce infuse » est qu’elle risque concrètement de réduire à rien cette incommensurabilité ! De voir mesurer à la qualité des fruits la « quantité » de salut reçu ! Ce qui revient à ruiner la liberté de la foi (sans parler de la gratuité des œuvres). La liberté du chrétien se transforme alors en une inquiétude permanente, à la mesure des œuvres produites, avec un seul recours : l’octroi hiérarchique de la surabondance de mérites en possession de l’Église, seule détentrice de la grâce infusée via ses sacrements. La Réforme voit un autre sens au rôle des sacrements, comme au baptême mentionné dans le Credo de Nicée : le baptême est la répercussion ecclésiale d’une parole libératrice qui nous précède en Christ.

À ce point la libération qui est dans l’Évangile, celle de la grâce seule par la foi seule — sola gratia / sola fide —, proclamée au XVIe siècle par Luther, met en question l’édifice hiérarchique de l’Église romaine comme détentrice du salut.

Le système de canalisation de la grâce devient accessoire, voire superflu : la grâce est donnée immédiatement à la seule foi, à la seule confiance de celui qui se confie en Dieu.

Du chemin œcuménique a été fait depuis pour un déblocage sur la question de la justification, qui débouchera en 1999 sur l’accord d’Augsbourg, accord luthéro-catholique sur la justification, qui ouvre sur la possibilité d’une réception commune de la foi à la rémission des péchés.


R.P.
Une lecture protestante des Credo.

Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
7) 21 mai 2013 — La rémission des péchés


lundi 13 mai 2013

Cène et Pâque - du rite au rite




Exode 12
1 Le SEIGNEUR dit à Moïse et à Aaron, en Egypte :
2 Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l'année.
3 Dites à toute la communauté d'Israël : Le dixième jour de ce mois, on prendra un mouton ou une chèvre pour chaque famille, une bête par maison.
4 Si la famille est trop peu nombreuse pour une bête, elle la prendra avec le voisin le plus proche de la maison, selon le nombre de personnes à nourrir ; vous répartirez cette bête d'après ce que chacun peut manger.
[…]
11 Voici comment vous le mangerez : une ceinture à vos reins, vos sandales aux pieds et votre bâton à la main ; vous le mangerez à la hâte. C'est la Pâque du SEIGNEUR.
12 Cette nuit-là, je parcourrai l'Egypte et je frapperai tous les premiers-nés en Egypte, depuis les humains jusqu'aux bêtes ; ainsi j'exécuterai mes jugements contre tous les dieux de l'Egypte. Je suis le SEIGNEUR (YHWH) .
13 Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous serez : lorsque je verrai le sang, je passerai sur vous, et il n'y aura pas sur vous de fléau destructeur quand je frapperai l'Egypte.
14 Ce sera pour vous un jour d'évocation ; vous le célébrerez comme une fête pour le SEIGNEUR, vous le célébrerez comme une prescription perpétuelle, pour toutes vos générations.

15 Pendant sept jours, vous mangerez des pains sans levain. Dès le premier jour, vous supprimerez le levain de vos maisons ; quiconque mangera quelque chose de levé, du premier jour au septième jour, sera retranché d'Israël.
16 Le premier jour, il y aura convocation sacrée ; le septième jour, il y aura pour vous convocation sacrée. On ne fera aucun travail ces jours-là — si ce n'est de préparer la nourriture pour chacun.
17 Vous observerez la fête des Pains sans levain, car c'est en ce jour même que j'ai fait sortir vos armées d'Egypte ; vous observerez ce jour comme une prescription perpétuelle, pour toutes vos générations.
18 Le quatorzième jour du premier mois, au soir, vous mangerez des pains sans levain ; vous en mangerez jusqu'au soir du vingt et unième jour.
19 Pendant sept jours, on ne devra pas trouver de levain chez vous ; quiconque mangera quelque chose de levé sera retranché de la communauté d'Israël, que ce soit un immigré ou un autochtone du pays.
20 Vous ne mangerez rien de levé ; dans tous vos lieux d'habitation, vous mangerez des pains sans levain.

21 Moïse appela tous les anciens d'Israël et leur dit : Allez prendre du petit bétail pour vos clans, et immolez la Pâque.
22 Vous prendrez ensuite un bouquet d'hysope, vous le tremperez dans le sang qui est dans le bassin, et vous en mettrez sur le linteau et les deux montants de la porte. Aucun de vous ne sortira de sa maison jusqu'au matin.
23 Quand le SEIGNEUR parcourra l'Egypte pour la frapper du fléau et qu'il verra le sang sur le linteau et sur les deux montants de la porte, le SEIGNEUR passera ; il ne laissera pas le destructeur et son fléau entrer chez vous.
24 Vous observerez cela comme une prescription pour toi et pour tes fils, perpétuellement.
25 Quand vous serez entrés dans le pays que le SEIGNEUR vous donnera, selon sa parole, vous observerez ce rite.
26 Lorsque vos fils vous demanderont : « Que signifie pour vous ce rite ? »,
27 vous répondrez : C'est le sacrifice de la Pâque pour le SEIGNEUR, qui a passé sur les maisons des Israélites en Egypte ; lorsqu'il a frappé l'Egypte du fléau, il a délivré nos maisons. Le peuple s'inclina et se prosterna.
28 Les Israélites s'en allèrent ; ils firent exactement ce que le SEIGNEUR avait ordonné à Moïse et à Aaron. Ainsi firent-ils.
[…]
50 Tous les Israélites firent exactement ce que le SEIGNEURavait ordonné à Moïse et à Aaron. Ainsi firent-ils. 51Ce jour même, le SEIGNEUR fit sortir d'Egypte les Israélites, rangés en armées.


Matthieu 26
17 Le premier jour des Pains sans levain, les disciples vinrent dire à Jésus : Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque ?
18 Il répondit : Allez à la ville chez Untel, et dites-lui : Le maître dit : « Mon temps est proche, c'est chez toi que je célébrerai la Pâque avec mes disciples. »
19 Les disciples firent ce que Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent la Pâque.
20 Le soir venu, il était à table avec les Douze.
21 Pendant qu'ils mangeaient, il dit : Amen, je vous le dis, l'un de vous me livrera.
22 Ils furent profondément attristés, et chacun se mit à lui dire : Est-ce moi, Seigneur ?
23 Il répondit : Celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c'est lui qui me livrera.
24 Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais quel malheur pour cet homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Il aurait mieux valu pour cet homme ne pas être né.
25 Judas, qui le livrait, demanda : Est-ce moi, Rabbi ? Il lui répondit : C'est toi qui l'as dit.
26 Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain ; après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le donna aux disciples en disant : Prenez, mangez ; c'est mon corps.
27 Il prit ensuite une coupe ; après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : Buvez-en tous :
28 c'est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu en faveur d'une multitude, pour le pardon des péchés.
29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le royaume de mon Père.

*

De l’Égypte à Israël et au Christ…

Eugen Drewermann lit la religion égyptienne comme « double » :

« … dans sa contradiction intérieure, la religion égyptienne présente le visage d'un sphinx, et la question se pose de savoir comment on peut faire sienne l'inépuisable richesse de ses images et idées. Si l'on s'en tient à l'extériorité de son expression, on est conduit en droite ligne, d'un point de vue historique, des pharaons égyptiens du Nouvel Empire aux Assyriens et aux Babyloniens, avec leur adoration effrénée de la puissance guerrière, à la cour perse de Persépolis, aux téméraires expéditions de conquête du monde d'Alexandre "le Grand" et à la royauté divine des Césars romains ». (Eugen Drewermann, De la naissance des dieux à la naissance du Christ, éd. du Seuil, 1992, p. 103.)

C’est cet aspect-là dont l’Exode libère et que la Pâque, fête de la liberté, célèbre. Un tournant a lieu, avec un avant et un après : pour la première fois dans l’histoire, une loi n’a pas de donateur ni de dépositaire humain. Moïse ne remplace pas le Pharaon. Moïse n’est pas la source de la Loi contrairement au Pharaon (ou à Hammourabi). C’est la spécificité de ce tournant, signifié aussi dans la célébration de la Pâque. Être épargné d’un fléau qui n’a pas de source humaine, non plus que la grâce, signifiée à la foi par la manducation de l’agneau et par le don d’un pain d’humilité (sans levain), comme signe d’un don qui n’a pas de source humaine — déjà signe pain du ciel… Dans le souvenir que c’était à la recherche de pain que le peuple avait été exilé au pays de Pharaon, au temps de Joseph.


Deuxième aspect de la religion égyptienne, relevé par Drewermann, l’aspect intérieur :

« si l'on mise, en revanche, écrit-il, sur la signification intérieure du symbole religieux de la figure du fils de Dieu, les images de l'Égypte ancienne conduisent en droite ligne aux dogmes de l'Église primitive. Et, dès lors, le christianisme peut se prévaloir de l'exploit d'avoir pleinement saisi le symbolisme central de l'Égypte ancienne dans sa teneur spirituelle et de l'avoir élevé, dans sa pure intériorité, au rang d'expression centrale de sa propre foi. » (Eugen Drewermann, Ibid.)

Libéré de Mitsraïm — selon la signification symbolique donnée à la terre où il a été esclave, de ce mot, qui signifie exiguïté, par lequel les Égyptiens ne se désignent pas ! —, le peuple est au bénéfice d’une réforme de la religion égyptienne, qui si elle demande à être réformée, n’en est pas moins un vis-à-vis symbolique de la religion biblique…

« Ce qui a commencé dans l’Égypte ancienne sous la forme de la prétention à la liberté d’un seul s’accomplit dans le christianisme sous la forme d’une liberté qui brise tout joug de servitude (Ga 5,1). Ce qui a été établi dans l’Égypte ancienne comme filiation divine du ‘fils du soleil’ trouve son achèvement là où il est donné aux ‘enfants de lumière’ d’être ‘fils adoptifs de Dieu’ (Ga 4,5 ; Ep 5,8). » (Eugen Drewermann, Ibid., p. 106.)


Le christianisme est situé en vis-à-vis de la religion d’Israël — don du ciel, reçu dans le signe du pain — référé à une loi qui n’a pas de donateur humain ; une loi elle-même située selon la Bible en vis-à-vis, dans ses rites, de la religion égyptienne. Ses symboles, reçus via le vis-à-vis de la Bible juive, annoncent la vocation du christianisme à une ouverture universelle.


RP
Le pain dans la Bible.

Église réformée de Poitiers.
Étude biblique 2012-2013.
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30.
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30.
8) 14 & 16 mai 13 — Cène et Pâque / Exode 12 / Mt 26,
Mc 14, Lc 22 (du rite au rite)