lundi 17 février 2014

Les prières bibliques et Jésus Christ



(Image ici)


I. Jésus priant les Psaumes récapitule l'humanité devant Dieu et ipso facto pose Israël peuple des Psaumes comme archétype de l’humanité réconciliée.
Le Christ priant les Psaumes nous rejoint au point que, lui qui n'a pas commis de péché, Paul en dira qu' « il a été fait péché pour nous » (1 Corinthiens 5, 21) ! Il nous rejoint jusqu'en ce que nous — voire nos prières — avons de plus trouble, il se repent de nos péchés ! Il se solidarise avec nous à ce point !

Voilà qui nous dit pourquoi des prières comme les Psaumes, emplies de paroles de repentance, sont vraiment et sérieusement les prières de Jésus : avec les Psaumes, Jésus, qui n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous : il a pris nos péchés à ce point-là !


II. Le Christ devient ainsi pour nous l'expression, le « visage » de Dieu comme Dieu personnel.

Hébreux 1 :
1 Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, 2 en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu'il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. 3 Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l'univers par la puissance de sa parole. Après avoir accompli la purification des péchés, il s'est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, 4 devenu d'autant supérieur aux anges qu'il a hérité d'un nom bien différent du leur.
5 Auquel des anges, en effet, a-t-il jamais dit :
Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré ? (Ps 2, 7)
et encore :
Moi, je serai pour lui un père et lui sera pour moi un fils ? (2 S 7, 14 ; 1 Ch 7, 13 //)
6 Par contre, lorsqu'il introduit le premier-né dans le monde, il dit :
Et que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. (LXX : Ps 96, 7 — cf. Ps 97, 7)
7 Pour les anges, il a cette parole :
Celui qui fait de ses anges des esprits et de ses serviteurs une flamme de feu. (Ps 104, 4 — LXX 103, 4)
8 Mais pour le Fils, celle-ci :
Ton trône, Dieu, est établi à tout jamais ! Et : Le sceptre de la droiture est sceptre de ton règne. (Ps 45, 6 — LXX 44, 7)
9 Tu aimas la justice et détestas l'iniquité, c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu te donna l'onction d'une huile d'allégresse, de préférence à tes compagnons. (Ps 45, 7 — LXX 44, 8)
10 Et encore :
C'est toi qui, aux origines, Seigneur, fondas la terre, et les cieux sont l'œuvre de tes mains.
11 Eux périront, mais toi, tu demeures.Oui, tous comme un vêtement vieilliront
12 et comme on fait d'un manteau, tu les enrouleras, comme un vêtement, oui, ils seront changés, mais toi, tu es le même et tes années ne tourneront pas court. (Ps 102, 25-27 — LXX 101, 25-27)
13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit :
Siège à ma droite, de tes ennemis, je vais faire ton marchepied ?" (Ps 110, 1 — LXX 109, 1)


De même dans les évangiles, citant le Psaume 110, v. 1. Marc 12, 36 :
Le Seigneur a dit à mon Seigneur Siège à ma droite, de tes ennemis, je vais faire ton marchepied.

*

Que dire d’un Dieu infini — et qui pourtant existe ?!

La théologie classique posait le questionnement de son propre discours. Son discours théologique s'articulait en termes de théologie affirmative d'une part et de théologie négative (ou "apophatique") d'autre part. La théologie affirmative, donnait une série de propositions sur Dieu, le dotait d'attributs (Dieu est sage, fort, miséricordieux, etc.). Ce faisant, la théologie mettait aussi en question ses propres affirmations, elle s'obligeait à se déposséder — voire contre ses propres tendances — de ses propres affirmations. C'était le moment négatif de sa parole sur le divin. Chacune de ses affirmations n'avait de sens qu'en relation avec la négation qui l'accompagnait (que veut-on dire quand on dit que Dieu est sage, fort, miséricordieux ? Quel sens ont de telles affirmations ?).

Ce questionnement qui vaut depuis l’Antiquité est très connu chez le moine du VIe siècle Denys l’Aréopagite ; il se retrouve dans la mystique de l’islam comme du Moyen Âge chrétien, et s’enracine dans la tradition juive. Dieu personnel et Dieu caché :

Ibn ‘Arabi (soufi musulman du XIIe-XIIe siècle), selon Henry Corbin, dans Le paradoxe du monothéisme : Sa pensée « est axée sur cette différenciation entre l’Absolu indéterminé et inconnaissable, l’Absconditum, et […] le seigneur personnel, le Deus revelatus, le seul dont l’homme puisse parler, parce qu’il en est le terme corrélatif. »

Ou, toujours selon Corbin, Maître Eckhart (dominicain du XIVe siècle) : « Pour un Maître Eckhart, la Deitas transcende le Dieu personnel, et c’est celui-ci qu’il faut dépasser, parce qu’il est corrélatif de l’âme humaine, du monde, de la créature. […] L’âme eckhartienne cherche donc à… s’échapper à elle-même pour se plonger dans l’abîme de la divinité, un Abgrund dont par essence elle ne pourra jamais atteindre le fond. »

Cf. Matthieu 18, 10-11 : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux. Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu. »

Cf. M.-A. Ouaknin, Tsimtsoum – Introduction à la méditation hébraïque : « Tsimtsoum signifie originellement « concentration » ou « contraction ». Dans le langage cabaliste, il est mieux traduit par « retrait » ou « rétraction ». Rabbi Isaac Louria [XVIe siècle] se posa les questions suivantes : Comment peut-il y avoir un monde si Dieu est partout ? Si Dieu est « tout en tout », comment peut-il y avoir des choses qui ne soient pas Dieu ? Comment Dieu peut-il créer le monde, s’il n’y a pas de néant ? Rabbi Isaac Louria répondit en formulant la théorie du Tsimtsoum ou « retrait ». Selon cette théorie, le premier acte du Créateur ne fut pas de se révéler lui-même à quelque chose d’extérieur. Loin d’être un mouvement sur le dehors ou une sortie de son identité cachée, la première étape fut un repli, un retrait ; Dieu « se retira de Lui-même en lui-même » et, par cet acte, abandonna au vide une place en son sein, créa un espace pour le monde à venir. (…) Dieu ne put se manifester que parce qu’au préalable il se retira. » (p. 32.)

On peut rappeler ici les paraboles évangéliques du maître absent (le Dieu caché) :

Marc 13, 34-36 : « 34 Il en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, laisse sa maison, remet l’autorité à ses serviteurs, indique à chacun sa tâche, et ordonne au portier de veiller. 35 Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, ou le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin ; 36 craignez qu’il ne vous trouve endormis, à son arrivée soudaine. »

Autant de mises à distance qui renvoient au Dieu caché, inaccessible.


III. Or les Psaumes parlent aussi d’un Dieu personnel, on y prie un Dieu personnel, qui se dessine pour David comme « archétype » parfait (cf. Psaume 110, 1) de sa propre figure messianique, imparfaite, elle, à ses propres yeux — combien de fois ne se repend-il pas ?

Apparaît donc un figure archétypique, l’image éternelle et divine de lui-même, le Seigneur personnel de sa propre existence, et de là, de toute existence, l’Ange de l’Éternel, manifestation personnelle du Dieu qui est au-delà de toute compréhension. C’est là l’image éternelle de Dieu dont les premiers disciples du Ressuscité ont reconnu l’Incarnation et l’avènement en Jésus. D’où la lecture donnée par l’Épître aux Hébreux, qui permet de reprendre non seulement toutes les applications christologiques des Psaumes, — comme le Psaume 22 (entre autres) prononcé du haut de la croix —, mais d’autres textes prophétiques où Jésus ratifie lui-même cette lecture christologique.

Avec comme débouché une piété annoncée par ex. dans Actes 7, 55-59 : « Étienne, rempli du Saint-Esprit, et fixant les regards vers le ciel, vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Et il dit : Voici, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. […] Et ils lapidaient Étienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! »

On a là une prière à Jésus, où le « Dieu personnel » prend la figure concrète de celui qui est reçu comme son Incarnation, fondement des lectures christologiques des prières bibliques, notamment les Psaumes.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
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5) Mardi 18 & jeudi 20 février 2014 - Les prières bibliques et Jésus Christ (PDF)


jeudi 13 février 2014

Dans le Tabernacle céleste




Jésus, grand desservant par sa vie : ch. 8 & 9


Hébreux 8
1  Or voici le point capital de ce que nous disons: nous avons un souverain desservant qui s’est assis à la droite du trône de la majesté divine dans les cieux;
2  il est ministre du sanctuaire et du véritable tabernacle, dressé par le Seigneur et non par un homme.
3  Tout souverain desservant, en effet, est établi pour présenter des offrandes et des sacrifices; d’où la nécessité, pour lui aussi, d’avoir quelque chose à présenter.
4  Or, s’il était sur la terre, il ne serait pas même desservant, étant donné qu’il y en a d’autres qui présentent des offrandes selon la loi.
5  Ceux-ci célèbrent un culte qui est une image et une ombre des réalités célestes, ainsi que Moïse en fut divinement averti, quand il allait construire le tabernacle: Regarde, lui dit (Dieu), tu feras tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne.
6  Mais maintenant, Christ a obtenu un ministère d’autant supérieur qu’il est médiateur d’une alliance meilleure, fondée sur de meilleures promesses.
7  Si, en effet, la première alliance avait été irréprochable, il n’y aurait pas lieu d’en chercher une seconde.
8  C’est bien en effet sous la forme d’un reproche que (Dieu) dit: Voici que les jours viennent, dit le Seigneur, Où je conclurai une alliance nouvelle avec la maison d’Israël, et la maison de Juda.
9  Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai traitée avec leurs pères, Le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte. Puisqu’eux-mêmes n’ont pas persévéré dans mon alliance, Moi aussi je ne me suis pas soucié d’eux, dit le Seigneur.
10  Or voici l’alliance que j’établirai avec la maison d’Israël, Après ces jours-là, dit le Seigneur: Je mettrai mes lois dans leur intelligence, Je les inscrirai aussi dans leur cœur; Je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple.
11  Personne n’enseignera plus son concitoyen, Ni personne son frère, en disant: Connais le Seigneur! En effet, tous me connaîtront, Depuis le plus petit jusqu’au plus grand d’entre eux.
12  Car je leur ferai grâce de leurs injustices, Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés.
13  En appelant nouvelle cette alliance, il a rendu ancienne la première. Or ce qui est ancien et vieilli, est sur le point de disparaître.


Nous voilà entre l’usure du temps et l’éternité de la parole de Dieu. L’usure du temps n’épargne pas même le Tabernacle construit sur l’ordre de Moïse. C’est qu’il a été construit dans le temps, avec des matériaux périssables.

Mais il l’a été sur le modèle céleste contemplé par Moïse, selon la Torah, au mont Sinaï. On reconnaît la lecture judéo-hellénistique que fait de ce texte l’auteur de l’Épître : le modèle céleste correspond au Tabernacle idéel et éternel, au monde des Idées préexistantes, en Dieu-même. Réalité éternelle, qui ne passe pas, qui n’est pas soumise au temps.

Le culte céleste est une image du culte éternel (où, selon l’Épître, autre figure : le Christ officie). (Figure d’un culte éternel et non pas culte à une image !)

Un office céleste du Christ, au cœur d’une réalité éternelle, distinct de l’office qui se déroule dans le tabernacle, ou le Temple — construits sur ce modèle céleste — où Jésus, non-lévite, ne pourrait pas, selon la Torah, officier.

L’Alliance dont il est question est donc l’Alliance éternelle. Non pas une autre Alliance, comme on a pris l’habitude de le croire (« nouvelle alliance » — « ancienne alliance »). Il s’agit l’Alliance scellée par Dieu, déjà avec Abraham, dont le fondement éternel est céleste, et dont les rites successifs sont autant d’expressions.

Cela correspond à la promesse donnée au Livre de Jérémie, cité ici (31, 31-34) : l’inscription « dans les cœurs » de l’Alliance dont les rites sont le symbole. L’auteur de l’Épître aux Hébreux se saisit de cet enseignement prophétique et en voit la manifestation en Jésus-Christ : prêtre préexistant dans le tabernacle éternel contemplé par Moïse, cœur de l’Alliance. Cette Alliance a été proclamée à plusieurs reprises comme étant éternelle, au-delà de ses manifestations temporelles rituelles, soumises au vieillissement et à l’usure comme la destruction du Temple n’en laisse point de doute. Mais que l’on se console, l’Alliance elle-même est indestructible. La manifestation, selon la foi de l’Auteur, en Jésus ressuscité, son témoin éternel, en est la garantie : telle est la consolation proposée par l’Épître aux Hébreux en ces temps de détresse.


Hébreux 9, 1-15
1  La première alliance avait donc un rituel pour le culte et un temple terrestre.
2  En effet, une tente fut installée, une première tente appelée le Saint, où étaient le chandelier, la table et les pains d’offrande.
3  Puis, derrière le second voile, se trouvait une tente, appelée Saint des Saints,
4  avec un brûle-parfum en or et l’arche de l’alliance toute recouverte d’or; dans celle-ci un vase d’or qui contenait la manne, le bâton d’Aaron qui avait fleuri et les tables de l’alliance.
5  Au-dessus de l’arche, les chérubins de gloire couvraient de leur ombre le propitiatoire. Mais il n’y a pas lieu d’entrer ici dans les détails.
6  L’ensemble étant ainsi installé, les prêtres, pour accomplir leur service, rentrent en tout temps dans la première tente.
7  Mais, dans la seconde, une seule fois par an, seul entre le grand prêtre, et encore, ce n’est pas sans offrir du sang pour ses manquements et pour ceux du peuple.
8  Le Saint Esprit a voulu montrer ainsi que le chemin du sanctuaire n’est pas encore manifesté, tant que subsiste la première tente.
9  C’est là un symbole pour le temps présent: des offrandes et des sacrifices y sont offerts, incapables de mener à l’accomplissement, en sa conscience, celui qui rend le culte.
10  Fondés sur des aliments, des boissons et des ablutions diverses, ce ne sont que rites humains, admis jusqu’au temps du relèvement.
11  Mais Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C’est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n’est pas œuvre des mains-c’est-à-dire qui n’appartient pas à cette création-ci,
12  et par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu’il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu’il a obtenu une libération définitive.
13  Car si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps,
14  combien plus le sang du Christ, qui, par l’esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant.
15  Voilà pourquoi il est médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau; sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel déjà promis.


L’Épître renvoie au Tabernacle, la Tente, nécessairement provisoire comme tente, où se célébrait le culte de l’Exode, plus précisément qu’au Temple. Description livresque donc, empruntée à la Torah, dans sa version grecque, celle des LXX, comme toutes les citations bibliques de l’Épître.

Le passé rendu nécessaire par le renvoi à un sanctuaire (c’est le mot employé, traduit ici par « temple » – v. 1), en l’occurrence une Tente (v. 2) du passé (le Tabernacle du désert) permet à l’auteur de souligner la dimension passagère, comme pour toute chose, du culte qu’il décrit. Culte « cosmique » (terme grec littéral traduit ici par « terrestre »), remarquable donc, mais nécessairement provisoire — tant que dure le monde (« cosmos »), mais seulement tant que dure le monde. Or, l’ancien monde est en train de passer.

Ayant décrit le Sanctuaire au passé, l’auteur passe ensuite au présent, pour parler de l’office. Il laisse ainsi à penser que le Sanctuaire, devenu le Temple de Jérusalem, n’a alors pas encore été détruit. Il n’en emploie pas moins toujours le terme « Tente » : provisoire, donc, comme le monde.

Provisoire qui est encore souligné par le fait, connu de tous, que le rituel des offrandes d’animaux est un rituel qui doit se répéter, y compris celui du Yom Kippour qui a lieu une fois l’an, célébré, celui-ci, dans le lieu très-saint, par le grand-prêtre uniquement, qui doit requérir ainsi le pardon des péchés, des siens y compris.

On retrouve ici la distinction des choses terrestres et des réalités célestes, ou de ce qui se voit et de ce qui existe en profondeur. Ou encore, peut-être plus éloquent ici, de notre présent et des enfouissements de notre mémoire. Cet « étagement » des enfouissements du passé peut, sous un certain angle, recouper la conception antique des cieux, considérés alors comme étagés. Au ch. 1, l’Épître aux Hébreux parle de même des « mondes », ou mieux des « temps », littéralement les « éons » — (le mot « éon » ne fait que transcrire le mot grec « aïon »), traduit, on l'a dit, par « les siècles » dans le « Notre Père », par exemple : « aux siècles des siècles ». Étagement mémoriel.

La mémoire ainsi étagée, comme les cieux, est aussi l’étagement des blessures, l’entassement d’un passé qui blesse et qui assaille le souvenir par le rappel des fautes, des péchés. Or c’est bien ce dont le rituel veut signifier le pardon. Et face aux blessures du passé, à la douleur récurrente, le signe du pardon se fera dans un rituel évoquant douleur et sang : le rituel sacrificiel. Rituel certes, chargé de cette faiblesse : la transposition, seulement symbolique, de la douleur dans la mort d’un animal. Et on sait très bien, l’auteur de l’Épître le rappelle, que cela est symbolique, que l’octroi du pardon est au-delà du rite, au-delà du sang des boucs et des taureaux, au-delà de la cendre de la génisse requise pour le rituel.

En bref, le Tabernacle céleste, le vrai Tabernacle qu’a contemplé Moïse et sur le modèle duquel il a fait construire le Tabernacle historique, est au-delà de ce qui se signifie par le rituel accompli dans le Tabernacle, ou le Temple, historiques.

Ce « lieu » céleste-là, cette « profondeur »-là, au-delà, ou en deçà, des abîmes de notre mémoire, lieu de notre vrai fondement, au cœur de Dieu, lieu d’en deçà, ou d’au-delà des blessures du temps, du péché et de la culpabilité, est le vrai cœur du vrai Sanctuaire. C’est là qu’officie le Christ éternellement, c’est là qu’il s’est offert lui-même éternellement (« par l’Esprit éternel ») une seule fois. Et cela, comme grand-prêtre, donc, mais puisque non lévite, selon l’ordre — éternel — de Melkisédeq.

S’étant « offert lui-même par l’Esprit éternel » : mourir à tout ce qui blesse est le passage, la traversée des cieux, des profondeurs de la mémoire, pour l’obtention de la paix. C’est là ce qu’a effectué le Christ, dévoilant le cœur de l’Alliance éternelle, le cœur de l’Alliance avec Abraham, et de la promesse faite à Abraham. C’est en ce sens que la mort du Christ est « intervenue pour le rachat des transgressions » en vue de « l’héritage éternel déjà promis ».


Hébreux 9, 16-28
16  Car là où il y a testament, il est nécessaire que soit constatée la mort du testateur.
17  Un testament ne devient valide qu’en cas de décès; il n’a pas d’effet tant que le testateur est en vie.
18  Aussi la première alliance elle-même n’a-t-elle pas été inaugurée sans effusion de sang.
19  Lorsque Moïse eut proclamé à tout le peuple chaque commandement conformément à la loi, il prit le sang des veaux et des boucs, puis de l’eau, de la laine écarlate et de l’hysope, et il en aspergea le livre lui-même et tout le peuple,
20  en disant: Ceci est le sang de l’alliance que Dieu a ordonnée pour vous;
21  puis il aspergea aussi avec le sang la tente et tous les ustensiles du culte,
22  et c’est avec du sang que, d’après la loi, on purifie presque tout, et sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon.
23  Si donc les images de ce qui est dans les cieux sont purifiées par ces rites, il est nécessaire que les réalités célestes elles-mêmes le soient par des sacrifices bien meilleurs.
24  Ce n’est pas, en effet, dans un sanctuaire fait de main d’homme, simple copie du véritable, que Christ est entré, mais dans le ciel même, afin de paraître maintenant pour nous devant la face de Dieu.
25  Et ce n’est pas afin de s’offrir lui-même à plusieurs reprises, comme le grand prêtre qui entre chaque année dans le sanctuaire avec du sang étranger.
26  Car alors il aurait dû souffrir à plusieurs reprises depuis la fondation du monde. En fait, c’est une seule fois, à la fin des temps, qu’il a été manifesté pour abolir le péché par son propre sacrifice.
27  Et comme le sort des hommes est de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement,
28  ainsi le Christ fut offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude et il apparaîtra une seconde fois, sans plus de rapport avec le péché, à ceux qui l’attendent pour le salut.


À partir de la connotation d’Alliance avec Testament, l’Épître poursuit sa réflexion autour de la question de la mort.

Il est depuis quelque temps question, dans son développement, des sacrifices, du sang qu’évoque leur pratique — bref, de la mort ; pour la vie. L’auteur vient de mettre ces sacrifices en rapport avec la mort du Christ, don de sa vie. Voilà qui évoque naturellement des références comme l’agneau de Dieu, signifiant pascal : la sortie d’Égypte — mais aussi référence au serviteur du livre d’Ésaïe, fréquemment évoqué dans la prédication du Nouveau Testament pour rattacher la mort de Jésus à la Pâque.

C’est autour de cette thématique que tourne le passage d’aujourd’hui. Mort comme lieu de scellement d’Alliance, Alliance comme Testament, donc. Le tout rappelé dans les sacrifices et notamment ceux du Yom Kippour, cela en regard de la question du pardon. Passage par delà la culpabilité, purification de la conscience. Passage de la culpabilité à la grâce. Passage : « Pessah » en hébreu : c’est la Pâque ! Passage du Christ de la mort à la vie. Passage unique par la mort, de celui qui demeure dans la préexistence divine, pour nous amener nous aussi « devant la face de Dieu ».

Le tout dans une évocation du rituel pascal, de Pessah, « ceci est le sang de l’alliance que Dieu a ordonnée pour vous », qui est aussi une évocation du rituel de la Cène, et qui renvoie au Christ.

« Le sort des hommes est de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement », rappelle l’auteur. « Ainsi le Christ fut offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » : texte décisif au temps de la Réforme pour contester le sacrifice de la messe, comme réactualisation du sacrifice du Christ, nécessairement unique. La Pâque éternelle est unique, le passage de la mort à la vie est unique.

Unicité décisive aussi, pour contrer ce qui a été appelé la théologie de la substitution par laquelle un certain christianisme a prétendu se substituer au judaïsme en portant un rite de remplacement. Rien de cela ici, point question de rite temporel en lieu et place du seul rite temporel dont il soit question dans la Bible : le rite mosaïque.

Le rite chrétien ne fait que s’y appuyer, comme rite d’un temps d’absence de Temple, simple alternative chrétienne à l’option synagogale pour la même absence de Temple.

Ce qui deviendra le rite chrétien naît de là, mais en aucun cas comme rite éternel. Le seul rite éternel que connaisse le christianisme est le rite céleste, sur le modèle duquel Moïse a établi le rite lévitique. Le christianisme reçoit la vie — et la mort — du Christ comme expression, et point de contact de cette réalité supra-historique avec l’Histoire. Le rite chrétien (les rites chrétiens) est (sont) moment d’expression symbolique, comme l’est (le sont) le rite juif (les rites juifs). Le rite chrétien n’est en aucun cas le dépassement a-temporel d’un précédent auquel il se substituerait. Le rite chrétien est lui aussi expression symbolique et historique — passagère — d’une réalité éternelle dont il perçoit pour sa part la manifestation dans un moment unique. La venue dans l’Histoire jusqu’à la mort, du Christ perçu, dans la foi à sa résurrection, comme préexistant, est reçu dès lors comme manifestation — unique — de cette réalité éternelle, exprimée dans l’Histoire par des rites. Une seule Alliance éternelle, un seul Testament, qui est passage — Pessah — de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie.


RP
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
5) Mardi 11 & jeudi 13 février 2014
IV. Jésus, grand prêtre/desservant par son sang (= sa vie) : 8,1 – 9,28. (PDF)
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