dimanche 16 mars 2014

Présence de Dieu et force de l’humilité



Psaume 8
2 SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique
par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
3 Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse
contre tes adversaires,
pour réduire au silence l'ennemi revanchard.
4 Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu as fixées,
5 qu'est donc l'homme pour que tu penses à lui,
l'être humain pour que tu t'en soucies ?
6 Tu en as presque fait un dieu :
tu le couronnes de gloire et d'éclat ;
7 tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ;
tu as tout mis sous ses pieds :
8 tout bétail, gros ou petit,
et même les bêtes sauvages,
9 les oiseaux du ciel, les poissons de la mer,
tout ce qui court les sentiers des mers.
10 SEIGNEUR, notre Seigneur,
que ton nom est magnifique
par toute la terre !


Une tout autre cosmologie que celle d’aujourd’hui, mais déjà l’intuition des infinis…

Cf. au début de l’ère moderne, post-galiléenne, Pascal (Pensées, Fragment 72) — non sans rapport probable avec sa méditation du Psaume :

« Disproportion de l'homme. — Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.
Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L'auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire.
Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle. C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu'à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature. […] »



A fortiori dans le cadre de l’astrophysique actuelle…

On estime aujourd’hui que l'Univers observable compte quelques centaines de milliards de galaxies de « masse significative », c’est-à-dire contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Ce nombre n’est toutefois pas limitatif, puisque le nombre d’étoiles des galaxies dites « naines », c’est-à-dire ne comptant « que » quelques millions d'étoiles, est difficile à déterminer du fait de leur masse et de leur luminosité « très faibles », et qu’en outre d’autres, trop lointaines, échappent à notre observation. L’Univers dans son ensemble, dont l'extension réelle n'est pas connue, est susceptible de compter un nombre immensément plus grand de galaxies.

Bref, quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative sans compter les galaxies moins grandes, et donc plus difficilement observables, et les autres qui nous échappent !

Notre galaxie, la Voie lactée, est une des centaines de milliards de galaxies observables, et de masse dite « significative ». La Voie lactée a une extension de l'ordre de 100 000 années-lumière. C’est-à-dire que l’on perçoit les étoiles lointaines de notre seule galaxie comme elles étaient il y a 100 000 ans. Et notre galaxie est donc une seule de ces galaxies de quelques centaines de milliards d'étoiles.

Le soleil est une des centaines de milliards d’étoiles de cette galaxie, elle-même une parmi quelques centaines de milliards de galaxies semblables observables. Le soleil est donc l’étoile de notre système solaire, autour duquel tourne la terre — sur laquelle nous nous questionnons sur tout cela aujourd’hui.

Voilà qui met les choses en perspective, et qui est fondé à nous donner le sens du vertigineux en regard de nos préoccupations !

Troublant en un sens, car on pourrait se dire, en considérant les choses que je viens d’essayer de résumer très brièvement, que tout ça est le fait du hasard, un mini-bouillon de culture hasardeux dans l’Univers.

Qu’est-ce que l’homme… ? (Psaume 8)


Un « Laboratoire » ?

Tsimtsoum

- Le tsimtsoum ou retrait (plutôt contraction) : retrait partiel de Dieu pour laisser place à un vide où par l'intermédiaire d'un rayon Il procédera à la création en alimentant dix réceptacles appelés sefirot qui seront à l'origine de la vie et de la création.
- La chevirat hakelim ou brisure des vases : à cette création parfaite initiale fut ajouté un rayon en ligne droite appelé homme primordial que ne purent contenir les réceptacles de la lumière divine. Ils se brisèrent donc libérant la lumière divine sous forme d'étincelles, de copeaux qui se répartirent dans le monde.
- Le tiqoun ou réparation : c'est à l'homme qu'incombe la tâche de réparer les vases. Pour ce faire, l'homme doit agir à l'intérieur de lui même pour faire le tri, rassembler les étincelles, et que le peuple d'Israël répare la brisure originelle.


Extrait du livre "L'Arbre de Vie" du Cabaliste le ARI (Isaac Luria) - traduction Nelly Baron © (Cf. aussi) :

« Sache qu'avant la création, seule existait la lumière supérieure
qui, simple et infinie,
emplissait l'univers dans son moindre espace.
Il n'y avait ni premier ni dernier, ni commencement, ni fin,
Tout était douce lumière harmonieusement et uniformément équilibrée
En une apparence et une affinité parfaites,
Quand par Sa volonté furent créés le monde et Ses créatures,
Dévoilant ainsi Sa perfection,
- source de la création du monde -,
Voici qu'Il se contracta en Son point central,
Il y eut alors restriction et retrait de la lumière,
Laissant autour du point central entouré de lumière
Un espace vide formé de cercles.
Après cette restriction, d'En-haut vers En-bas
Un rayon s'est étiré de la lumière infinie
Puis est descendu graduellement par évolution dans l'espace vide.
Épousant le rayon, la lumière infinie dans l'espace vide est alors descendue,
Et tous les mondes parfaits furent émanés.
Avant les mondes, il n'y avait que Lui,
Dans une Unité d'une telle perfection,
Que les créatures ne peuvent pas en saisir la beauté,
- car aucune intelligence ne peut Le concevoir,
Car en aucun lieu Il ne réside, Il est infini, Il a été, Il est et Il sera.
Et le rayon de lumière est descendu
Dans les mondes, dans la noire vacuité,
Chacun de ces mondes étant d'autant plus important
Qu'il est proche de la lumière,
Jusqu'à notre monde de matière, au centre situé,
A l'intérieur de tous les cercles, au centre de la vacuité scintillante,
Bien loin de Celui qui est Un, bien plus loin que tous les autres mondes,
Alourdi à l'extrême par sa matière,
Car à l'intérieur des cercles il est,
Au centre même de la vacuité scintillante... »



Tsimtsoum – Chevirat – Tiqoun // Création – Chute – Rédemption

Tsimtsoum (retrait de Dieu en vue de la Création) :
humilité de Dieu & Prière du vide –> un projet / sephirot (vases)
Chevirat (brisement des vases) :
// imaginaire : big-bang / galaxies / etc.
Tiqoun (réparation) :
prière vers la vie –> laboratoire –> / humilité (contre la frénésie)


… Et en regard de la microphysique contemporaine

L’objet infime de notre observation est modifié par l’observateur…

« Lorsque nous observons un objet, nous le percevons à travers notre regard. Le regard n’est pas neutre. Il agit comme un filtre et sélectionne les éléments en fonction de sa sensibilité. Il ne retient que ce qu’il peut percevoir à la manière d’une pellicule photographique qui s’imprègne d’une image en fonction de sa propre capacité réceptive. Ainsi, le monde entier passe au crible de nos sens. Que voyons-nous vraiment ? En fait, nous ne percevons que ce qui correspond à notre façon de voir. Et inversement, de quelle nature sont les phénomènes que nous ne saisissons pas ? À cela, il ne peut y avoir de réponse, puisque, par définition, nous n’en avons aucune idée. […]

Quid de la science objective ? Selon les termes mêmes du physicien allemand Werner Carl Heisenberg (1901-1976) : « ce que nous observons n’est pas la nature elle-même, mais la nature exposée à notre méthode d’investigation (…) L’objet de la recherche n’est donc plus la nature en soi, mais la nature livrée à l’interrogation humaine et dans cette mesure, l’homme ne rencontre ici que lui-même » (Werner Heisenberg, La Nature dans la Physique contemporaine, Folio essais, p. 137). D’une certaine façon, on serait tenté de dire que dans ses derniers chapitres consacrés à la microphysique, le livre de la nature se referme sur son lecteur. » (
Henri-Marc Becquart, L’épopée de l’univers, p. 12 & 17)

Où la science contemporaine bouscule jusqu’à la logique aristotélicienne, qui continue pourtant de fonctionner au plan quotidien, au plan du sens commun, tout comme la gravitation continue d’être à l’ordre du jour, et comme l’expérience sensorielle nous maintient dans le géocentrisme : nous voyons bien que « le soleil et lève et se couche » — … nous concevons même toujours, à l’instar des hommes de l’époque de l’invention de l’Écriture, la terre comme un espace d’accueil de la vie ! Nous comptons toujours nos jours, sept jours, en regard des sept planètes du monde ancien géocentrique et nos mois en douze cycles que les anciens retrouvaient en symboles dans la sphère des étoiles fixes… L’humain reste un être de signes et de symboles…

*

Humilité

La pensée de l’homme apparaît comme signe de la présence de Dieu. Pensée et étonnement comme mystère et signe personnel de Dieu.

Apparaît alors le rapport entre la figure messianique idéale et l’Homme comme figure primordiale, expression du Fils de l’Homme des Apocalypses.

Nous voilà au point où la grandeur de l’homme apparaît en ce qu’il pense — roseau pensant — son humilité radicale d’être du temps, où il se révèle fondé en éternité.

Pascal à nouveau (Pensées, Fragment 397) :

« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable.
C'est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. […]
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. »



… Où pour ne pas basculer à nouveau dans l’orgueil face à l’univers, l’on est mis face à la nécessité de l’oubli — où l’humilité se rappelle comme racine du mot « homme » : l’homme concret, au plus concret l’enfant (Ps 8, 3) ancrant la louange du Dieu présent dans la distance entre lui-même (tout petit) et l’idée éternelle de lui-même pensé par Dieu (Ps 8, 5), face à laquelle il est fondé. Force hors mesure face à toute adversité !


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
6) Mardi 18 & jeudi 20 mars 2014 - Présence de Dieu et force de l’humilité (PDF)


lundi 10 mars 2014

Offrande unique




Offrande unique du Fils : ch. 10, 1-39


Hébreux 10, 1-18
1  Ne possédant que l’esquisse des biens à venir et non l’expression même des réalités, la loi est à jamais incapable, malgré les sacrifices, toujours les mêmes, offerts chaque année indéfiniment, de mener à l’accomplissement ceux qui viennent y prendre part.
2  Sinon, n’aurait-on pas cessé de les offrir pour la simple raison que, purifiés une bonne fois, ceux qui rendent ainsi leur culte n’auraient plus eu conscience d’aucun péché?
3  Mais, en fait, par ces sacrifices, on remet les péchés en mémoire chaque année.
4  Car il est impossible que du sang de taureaux et de boucs enlève les péchés.
5  Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit: De sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu, mais tu m’as façonné un corps.
6  Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t’ont pas plu.
7  Alors j’ai dit: Me voici, car c’est bien de moi qu’il est écrit dans le rouleau du livre: Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté.
8  Il déclare tout d’abord: Sacrifices, offrandes, holocaustes, sacrifices pour le péché, tu n’en as pas voulu, ils ne t’ont pas plu. Il s’agit là, notons-le, des offrandes prescrites par la loi.
9  Il dit alors: Voici, je suis venu pour faire ta volonté. Il supprime le premier culte pour établir le second.
10  C’est dans cette volonté que nous avons été sanctifiés par l’offrande du corps de Jésus Christ, faite une fois pour toutes.
11  Et tandis que chaque prêtre se tient chaque jour debout pour remplir ses fonctions et offre fréquemment les mêmes sacrifices, qui sont à jamais incapables d’enlever les péchés,
12  lui, par contre, après avoir offert pour les péchés un sacrifice unique, siège pour toujours à la droite de Dieu
13  et il attend désormais que ses ennemis en soient réduits à lui servir de marchepied.
14  Par une offrande unique, en effet, il a mené pour toujours à l’accomplissement ceux qu’il sanctifie.
15  C’est ce que l’Esprit Saint nous atteste, lui aussi. Car après avoir dit:
16  Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là, le Seigneur a déclaré: En donnant mes lois, c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai,
17  et de leurs péchés et de leurs iniquités je ne me souviendrai plus.
18  Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché.


Les cultes sont du temps, l’éternité est de l’éternité. Les rites, tous les rites, sont symboliques. Il s’agit d’en venir au cœur de la réalité, qui n’est pas soumise aux fluctuations du temps. À nouveau, la « suppression du premier culte » ne consiste pas à un remplacement par un autre rituel ! — mais à l’ouverture sur l’éternité céleste, sur la réalité dont tout rite est le symbole.

Selon l’auteur, c’est au cœur de la réalité que le Christ a conduit. C’est le sens de la citation de la Bible (prise dans les Psaumes et Jérémie) : « tu n’as pas voulu de sacrifice ou d’offrande, tu m’as façonné un corps ». Sacrifice et offrande ont valeur symbolique. Le Christ préexistant revêtant le corps que Dieu lui « a façonné », y dévoile la réalité éternelle. Il y dévoile ce que les sacrifices et rites symbolisent et ne font que symboliser, avant comme après sa venue.

Tel n’est pas le cœur du rite. Le cœur de la signification du rite est dans ce que le Christ accomplit et manifeste. « Par une offrande unique, en effet, il a mené pour toujours à l’accomplissement ceux qu’il sanctifie ». Il n’y a d’entrée dans la présence de Dieu que par le don total : là se réalise le projet de l’Alliance. C’est là ce que le Christ seul a accompli, et que dès lors il a accompli pour nous. Plus d’offrande pour le péché quand on accède à la réalité céleste, qui est au-delà du péché. Pâque définitive où se dévoile la vérité de l’Alliance et de sa promesse. On retrouve les prophètes : Jérémie, cité, Ézéchiel aussi (ch. 37). On entre dans le domaine central de l’Alliance, au cœur où elle se scelle : dans l’intériorité, en deçà du rite : la Loi inscrite dans les cœurs. Cela ne dispense pas du rite, de ses symboles. Mais cela les met à leur place : pour nous, pour notre enseignement, et non pas pour Dieu ! Le rite a fonction pédagogique, avant comme après la venue du Christ.

La vérité de l’Alliance elle, se scelle dans les cœurs et les pensées.

*

Allons un pas plus loin, pour percevoir plus précisément quel est le bouleversement qu’initie Jésus en matière de sacrifice qui met fin au cycle du péché et de la culpabilité. Je m’en référerai à ce qu’a écrit René Girard sur le sacrifice en rapport avec le mimétisme (l’imitation les uns des autres) et à son lien avec la violence, et le péché et la culpabilité qu'il nourrit.

Si deux individus désirent la même chose, dit René Girard, il y en aura bientôt un troisième, un quatrième. Le processus fait facilement boule de neige. Il suffit d’observer la naissance d’une querelle chez des enfants au sujet d’une queue de cerise, ou d’un jouet publicitaire dans une boîte de lessive, par exemple. Il suffit qu’il y en ait un pour deux, et que l’un des deux l’ait trouvé intéressant pour que s’amorce une querelle. Qu’est-ce d’autre que le fait d’être plusieurs à le convoiter tel métal jaune — ce désir partagé qui lui donne tant de valeur ? Et on reconnaît là le point de départ de toute querelle, ce que René Girard appelle le « mimétisme », l’imitation les uns des autres dans le désir — ce qui fait que le fautif n’est pas celui qui commence (en fait on ne sait jamais qui c’est), mais celui et ceux qui continuent.

L’objet de la querelle est vite oublié, tandis que les rivalités se propagent, et le conflit se transforme en antagonisme généralisé : le chaos, « la guerre de tous contre tous » (ce que Girard appelle la «crise mimétique») — fruit du péché, qui nous poursuit ensuite par la culpabilité.

Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l’idée » d’un « bouc émissaire » (le terme fait référence à l’animal expulsé au désert chargé symboliquement des fautes du peuple selon la Bible).

Où on retrouve bien sûr, l’idée de sacrifice. C’est ainsi, précisément, qu’au paroxysme de la crise de tous contre tous peut intervenir ce «mécanisme salvateur» du groupe : le tous contre tous violent peut se transformer en un tous contre un (ou une minorité), qui n’a d’ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si le report sur un «bouc émissaire» ne se déclenche pas, c’est la destruction du groupe. Pourquoi « mécanisme » ? C’est que sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même.

Plus les rivalités pour le même objet s’exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l’origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et c’est là qu’il se pourra qu’un individu (ou une minorité) polarise l’appétit de violence.

Que cette polarisation s’amorce, et par un effet boule de neige, elle s’emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).

Ainsi la violence à son paroxysme aura tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime fait tomber brutalement l’appétit de violence dont chacun était possédé l’instant d’avant et laisse le groupe subitement apaisé et hébété. La victime gît devant le groupe, apparaissant tout à la fois comme l’origine de la crise et la responsable de ce miracle de la paix retrouvée – par une sorte de « plus jamais ça ». Elle devient sacrée, c’est-à-dire porteuse du pouvoir prodigieux de déchaîner la crise comme de ramener la paix. C’est la genèse du religieux selon Girard, du sacrifice rituel comme répétition de l’événement violent fondateur.

Mais l’illégitimité de cette violence va déboucher sur une sorte de réhabilitation des victimes. Pour un « plus jamais ça ».

« Plus jamais ça » ! Eh bien c’est précisément ce cycle infernal vers un «plus jamais ça» que les sacrifices rituels mettent entre parenthèse tandis que Jésus y met fin en ne s’y prêtant pas, en ne répliquant pas, en mourant, donc.

Une seule solution contre le cycle sans fin de la violence : le pardon, déjà dans nos relations quotidiennes. Ce qui suppose l’acceptation de la violence contre soi — pour la stopper. Jésus acceptant la croix : c’est là sa mission. Peu dans l’histoire ont compris cela, même après Jésus.

Jésus est venu pour mettre fin à un cycle infernal qui est tout simplement ce qui empêche l’avènement du Royaume : il est venu stopper le cycle de la violence qui empêche la venue du Royaume.

Il se fait lui-même, qui est innocent, la victime qui met fin aux sacrifices par lesquels on détournait provisoirement la violence. Voilà ce que dit, en ses termes à elle, l’Épître aux Hébreux.

*

Hébreux 10, 19-31
19  Nous avons ainsi, frères, pleine assurance d’accéder au sanctuaire par le sang de Jésus.
20  Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire par son humanité.
21  Et nous avons un prêtre éminent établi sur la maison de Dieu.
22  Approchons-nous donc avec un cœur droit et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de toute faute de conscience et le corps lavé d’une eau pure;
23  sans fléchir, continuons à affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis.
24  Veillons les uns sur les autres, pour nous exciter à la charité et aux œuvres bonnes.
25  Ne désertons pas nos assemblées, comme certains en ont pris l’habitude, mais encourageons-nous et cela d’autant plus que vous voyez s’approcher le Jour.
26  Car si nous péchons délibérément après avoir reçu la pleine connaissance de la vérité, il ne reste plus pour les péchés aucun sacrifice,
27  mais seulement une attente terrible du jugement et l’ardeur d’un feu qui doit dévorer les rebelles.
28  Quelqu’un viole-t-il la loi de Moïse? Sans pitié, sur la déposition de deux ou trois témoins, c’est pour lui la mort.
29  Quelle peine plus sévère encore ne méritera-t-il pas, vous le pensez, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura profané le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l’Esprit de la grâce?
30  Nous le connaissons, en effet, celui qui a dit: A moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai! Et encore: Le Seigneur jugera son peuple.
31  Il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant.


Résistance à la tentation de tout abandonner quand apparemment, non seulement le salut promis par Jésus n’apparaît pas de façon ostensible, mais quand par-dessus le marché, tout semble au contraire partir à vau l’eau. La menace romaine sur le Temple, la persécution…

Alors face à la tentation de l’apostasie (c’est bien ainsi que l’auteur l’interprète), les arguments classiques reprennent du service. Arguments des plus sévères : du jugement à la Loi de Moïse sur la lapidation ! « Quelqu’un viole-t-il la loi de Moïse? Sans pitié, sur la déposition de deux ou trois témoins, c’est pour lui la mort » ! Qu’on se rassure, la menace est livresque.

La tradition rabbinique nous permet de savoir que les lapidations envisagées par la Torah n’ont pas à être appliquées ! Elles ont valeur pédagogique : dire la gravité de la faute, mettre en garde contre le péril que fait courir à la société de tels dérapages. C’est dans cette tradition que Jésus s’inscrit en dénonçant la proposition de lapidation de la femme adultère (Jean 8). Et il le fait avec les mêmes arguments que les rabbins talmudiques. « Pour qui se prend le lapidateur, au fond non moins suspect que sa victime, pour la mettre à mort ? » Et Jésus, qui lui, est présenté comme le saint par excellence, de conclure en disant à la femme : « moi non plus, je ne te condamne pas, va et ne pèche plus ».

On est dans ce genre de menace pédagogique contre la gravité de tout abandonner, au moment où de plus, la victoire est à portée de main, au cœur même de la menace romaine. Malgré la menace le Christ a triomphé et apporté le salut définitif. Quelle stupidité que d’abandonner l’espérance et sa parole proclamée dans les assemblées (avec en grec un mot qui parle de « Synagogues ») que certains sont tentés d’abandonner !


Hébreux 10, 32-39
32  Mais souvenez-vous de vos débuts: à peine aviez-vous reçu la lumière que vous avez enduré un lourd et douloureux combat,
33  ici, donnés en spectacle sous les injures et les persécutions; là, devenus solidaires de ceux qui subissaient de tels traitements.
34  Et, en effet, vous avez pris part à la souffrance des prisonniers et vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, vous sachant en possession d’une fortune meilleure et durable.
35  Ne perdez pas votre assurance, elle obtient une grande récompense.
36  C’est d’endurance, en effet, que vous avez besoin, pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir ainsi la réalisation de la promesse.
37  Car encore si peu, si peu de temps, et celui qui vient sera là, il ne tardera pas.
38  Mon juste par la foi vivra, mais s’il fait défection, mon âme ne trouve plus de satisfaction en lui.
39  Nous, nous ne sommes pas hommes à faire défection pour notre perte, mais hommes de foi pour le salut de nos âmes.


L’exhortation à la persévérance s’appuyant sur l’appel à l’endurance, sur le rappel des combats passés et l’inopportunité de perdre leur bénéfice, n’est pas sans péril par rapport au fondement du salut : « Mon juste par la foi vivra » — citation d’Habacuc 2, 4.

Telle est la nuance que l’auteur de l’Épître apporte lui-même à son propos antécédent, expliquant en ces termes ce qu’il a voulu dire à travers ses menaces d’un côté et sa mise en exergue de la récompense à saisir de l’autre : nous sommes hommes et femmes « de foi pour le salut de nos âmes ».

C’est cette foi, seul fondement du salut, qu’il s’agit de ne pas abandonner. (Il n’a pas voulu dire à travers l’alternance de menaces et de promesses de victoire proche qu’il s’agirait de mesurer les acquis précédents de la foi.) C’est bien le fondement qu’il s’agit de ne pas lâcher, la foi. Il s’agit de ne pas faire défection par rapport à la foi qui tient à portée, déjà là, le triomphe espéré…


RP
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
6) Mardi 11 & jeudi 13 mars 2014
V. Offrande unique du Fils : 10,1-39. (PDF)
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