lundi 7 décembre 2015

Le temps




Ecclésiaste 3, 1-13 (trad. Segond) :

1 Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux :
2 un temps pour naître, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
3 un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ;
4 un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser ;
5 un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres ; un temps pour embrasser, et un temps pour s’éloigner des embrassements ;
6 un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter ;
7 un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler ;
8 un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.
9 Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de sa peine ?
10 J’ai vu à quelle occupation Dieu soumet les fils de l’homme.
11 Il fait toute chose bonne en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin.
12 J’ai reconnu qu’il n’y a de bonheur pour eux qu’à se réjouir et à se donner du bien-être pendant leur vie ;
13 mais que, si un homme mange et boit et jouit du bien-être au milieu de tout son travail, c’est là un don de Dieu.


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Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité, 250 :

Sans passé heureux, dont le souvenir pourrait me rendre le bonheur ; et sans vie présente qui me réjouisse ou m'intéresse ; sans aucun rêve ou possibilité d'un avenir qui soit différent de ce présent, ou qui possède un passé différent de ce passé – je gis ma vie, spectre conscient d'un paradis où je n'ai jamais vécu, cadavre-né d'espérances à naître.


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Augustin d'Hippone, Les Confessions (trad. M. Moreau – 1864), Livre 11, chapitres 14 & 20 :

XIV. Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?

XX. Or, ce qui devient évident et clair, c’est que le futur et le passé ne sont point ; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps : passé, présent et futur ; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. Si l’on m’accorde de l’entendre ainsi, je vois et je confesse trois temps ; et que l’on dise encore, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir ; qu’on le dise, peu m’importe ; je ne m’y oppose pas : j’y consens, pourvu qu’on entende ce qu’on dit, et que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention.



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Petite réflexion sur Ecc 3, 11 & 12 :

Si notre temps, nos moments ('eth / kairos) qui se succèdent (au rythme des saisons – zeman / chronos), sont signe de perte, de manquement, de déficience, ils sont cependant « rachetables » comme tels, comme instants éternels, en bonheur (Ecc 3, 12) : cf. « rachetez le temps », le moment ('eth / kairos) – dans les termes de Paul (aux Ep 5, 16 ; ou aux Col 4, 5), termes qu'il accompagne d’une citation d’Amos (5, 13) – « car les jours sont mauvais » – où le prophète recommande au peuple une conduite intelligente de silence et de recherche de Dieu, pour détourner la menace qui pèse la corruption d’un mauvais temps. Il s’agit d’imprégner ce temps, cet instant (kairos) de la plénitude du temps céleste, du monde éternel ('olam, aïon/éon).

Il s’agit de racheter le moment ('eth / kairos) en vivant selon le temps éternel ('olam / aïon/éon), dans le repos de Dieu. Dans l'alternance des temps des versets 1-8, adviennent des moments difficiles, voire terribles, et des moments favorables. C’est la brèche de l’irruption du salut du temps, de l'instant ('eth / kairos) : ici se rachète le temps, l'instant, qui sans cela est la mesure de notre déperdition (zeman / chronos), mesure de ce qui passe.

Dans la perception du cœur (Ecc 3, 11) qu’il est un temps éternel, 'olam / aïon, une plénitude conçue intuitivement comme donnée dans notre seul rapport vrai au temps, c'est-à-dire comme instant ('eth / kairos) – dans cette perception d'une plénitude qui n’est pas marquée par le manque, une saisie vraie de nos instants reçus comme temps total nous les donne comme possibilité de bonheur.

Ainsi apparaît ce qu’il faut faire dans le présent pour « racheter le temps » : ne pas se soumettre à une vision de ses fluctuations qui le ferait percevoir comme perte, ne pas se conformer au siècle présent (cf. Ro 11), mais se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle éternel, incorruptible, pour racheter chaque instant de ce temps-ci. Emplir chaque instant de gratuité...

Vivre dans le siècle éternel se manifeste ainsi en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant, don de gratuité, comme présence du siècle éternel.


RP
L'Ecclésiaste

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2015-2016
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3. 8 & 10 décembre (ch. 3) Le temps - (PDF ici)


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