dimanche 24 décembre 2017

Les trois pains et l’origine de la crèche de Bethléem




Vous savez tous que Jésus est né dans une crèche. Vous savez ce qu’est une crèche : c’est une mangeoire pour les animaux : bœufs, ânes, moutons… Une mangeoire dans une étable, avec de la paille : c’est le premier berceau de Jésus. Jésus a trouvé ce berceau-là parce qu’il n’y avait pas de meilleure place pour lui. Pas de maternité, pas de place à l’hôtel, rien… Mais que d’honneur pour les gens de la ferme qui ont ouvert cette étable !

Mais, connaissez-vous l’origine de cette ferme avec son étable et sa crèche ?…

*

Sous le règne du sage roi Salomon, vivait dans une petite maison au bord de la mer, une pauvre veuve. Son mari était mort depuis longtemps, ses enfants s’étaient dispersés dans le monde, elle vivait seule. Du matin au soir, pour vivre, elle réparait les filets des pêcheurs. Elle ne gagnait pas beaucoup, juste assez pour n’avoir pas faim et mettre de côté un peu de farine pour l’hiver, lorsque la pluie et le vent empêchaient les pêcheurs de prendre la mer.

Une année, l’hiver fut plus long que d’habitude. D’immenses vagues agitaient la mer et les pêcheurs ne pouvaient s’embarquer. Aucun n’ayant donc besoin de faire recoudre ses filets, la réserve de farine de la pauvre femme diminuait de jour en jour. Lorsqu’il ne lui resta même plus assez pour se faire une galette, elle alla chez l’homme le plus riche du village.

– Que veux-tu ? demanda-t-il.
– J’ai faim, répondit la femme. Donne-moi s’il te plaît un peu de farine, pour que je survive à ce rude hiver.
– J’aimerais t’aider, fit le riche, mais je viens de vendre tous mes sacs. J’ai gardé juste ce dont j’ai besoin pour moi et pour ma famille. Mais si la farine qui reste sur le plancher du grenier peut te contenter, prends-la sans te gêner…

La femme le remercia, balaya soigneusement le grenier et, tout heureuse, rapporta chez elle un petit sac de farine. Elle alluma tout de suite le feu dans le four, elle pétrit la pâte, qu’elle mit au four, et en ressortit bientôt trois belles miches de pain bien dorées. Le jour s’achevait et, comme la femme n’avait pas mangé depuis le matin, elle avait grand faim.

Elle prit un pain, et allait le bénir et s’en couper une bonne tranche, lorsqu’un inconnu frappa à sa porte. Il était habillé de vieux vêtements troués et parlait avec peine, semblant épuisé.
– Brave femme, dit-il, donne-moi quelque chose à manger. Je suis un marchand, mais des brigands m’ont attaqué sur la route et m’ont pris toute ma fortune ; ce n’est que de justesse que j’ai pu sauver ma vie. Je n’ai pas mangé depuis longtemps, je suis à bout de forces.
À peine l’étranger eut-il fini de parler que la femme lui offrit son premier pain :
– Prends cette miche, lui dit-elle, et que Dieu soit avec toi.
L’homme la remercia et sortit. « Il avait plus besoin de pain que moi », pensa la femme. « D’ailleurs, il m’en reste encore deux. »

Elle alla chercher la seconde miche, mais à ce moment, quelqu’un frappa à la porte de nouveau. En ouvrant, la femme aperçut sur le seuil un autre voyageur encore plus pitoyable.
– Brave femme, dit l’étranger avec difficulté, ma maison vient de brûler entièrement. En une nuit, je suis devenu pauvre. J’ai échappé aux flammes, mais je meurs de faim. Comme tu le vois, je peux à peine marcher. Je t’en prie, ne me laisse pas partir sans nourriture.
Cette fois encore, la femme n’hésita pas. Elle donna à l’étranger le second pain, en lui souhaitant bonne chance, et retourna à la table pour se mettre elle-même à manger. « Ce pauvre aussi était plus affamé que moi », pensa-t-elle. « Heureusement que j’ai cuit trois miches. »

Sans plus attendre, elle prit le dernier pain, mais n’eut pas le temps de le bénir, qu’un vent violent se levait derrière les fenêtres. Il fit le tour de la maison, renversa brusquement la porte et, avant que la femme ait pu réagir, lui arracha le pain des mains, et l’emporta vers le large dans un tourbillon.

La malheureuse fondit en larmes : – Pourquoi, vilain vent, es-tu si cruel ? fit-elle pleine d’amertume. J’ai donné deux pains aux pauvres, et quand je veux manger moi-même, tu me prends le dernier morceau. Que veux-tu que la mer fasse de mon pain ?

La femme ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle essayait de se rappeler si elle n’avait pas fait de tort à quelqu’un, mais sa conscience ne lui reprochait rien et, quoiqu’elle réfléchît, elle ne trouvait pas la raison de ce châtiment. Lorsqu’à l’aube le soleil se leva, elle décida d’aller porter plainte contre le vent auprès du roi Salomon. « Salomon est l’homme le plus sage au monde, se dit-elle, nul autre ne peut juger cette querelle avec le vent. »

Salomon écouta la femme attentivement, réfléchit, puis, se laissant la journée pour prononcer son jugement, lui dit :
– Si tu veux demander justice au vent, il te faut patienter jusqu’au soir, où je l’appellerai. Il doit être présent au tribunal et je ne peux le déranger en ce moment, quand il enfle les voiles des navires marchands. Reste ici en attendant son retour, je vous jugerai ensuite.

Trois commerçants virent alors s’agenouiller devant le trône royal:
– Roi d’Israël, dirent-ils, permets-nous de te demander un geste de miséricorde. Accepte de nous sept mille pièces d’or et donne-les à un pauvre.
– Qu’est-ce qui vous amène à une telle action ? demanda Salomon.
– L’amour de Dieu pour nous et notre reconnaissance pour Ses bienfaits, répondit le marchand le plus âgé. Un instant, mon roi. Je vais t’expliquer.

Il se tourna vers un coffre plein d’or et dit :
– Les sept mille pièces d’or que voici représentent exactement le dixième de la valeur de notre cargaison. Alors que nous approchions de la côte de ton royaume, une tempête se déchaîna. Les vagues jetaient notre bateau de tout côté comme un petit morceau de bois, et nous perdîmes notre cap. Puis une fissure se fit sur le flanc du navire. Bien qu’elle ne fût pas grande, celui-ci prenait l’eau de plus en plus, et c’est sans résultat que nous cherchâmes, au milieu de ce cataclysme, quelque chose pour boucher le trou. Dans notre désespoir, nous priâmes Dieu en faisant le serment de donner aux pauvres un dixième de la valeur de notre chargement, si nous sortions vivants du danger. Et bientôt l’orage s’apaisa. Les vagues se calmèrent et nous abordâmes en toute sécurité. Lorsque nous fîmes le calcul du dixième de la valeur de notre cargaison, nous trouvâmes exactement sept mille pièces d’or. Voilà cette somme : partage-la entre les pauvres, comme tu le jugeras bon.

– Je ferai volontiers ce que vous demandez, répondit Salomon ; mais une chose n’est pas claire. Vous avez dit qu’une fissure était apparue sur le flanc de votre bateau. Or un navire qui fait eau coule à pic, même sur la mer la plus calme, alors que vous, vous n’avez pas sombré. Quelle explication donnez-vous à cela ?

À ces mots, le marchand fouilla dans son manteau et en ressortit un pain déformé, tout gonflé d’eau.
– Cet objet fut soudain apporté par un tourbillon de vent qui, d’un coup violent, le colla sur le flanc du bateau, bouchant la fissure : c’est cela qui nous a sauvés, expliqua-t-il.
Salomon sourit :
– Il me semble que ce pain qui vous a tant aidés vient de retrouver son propriétaire, fit-il. Et, se tournant vers la femme, il ajouta :
– Reconnais-tu cette miche de pain ?
Étonnée, elle répondit :
– Mais oui, c’est justement la miche que le vent m’a arrachée.
– Dans ce cas, les sept mille pièces d’or t’appartiennent, reprit Salomon. Dieu n’a pas oublié sa servante et il a ordonné au vent de ne plus te laisser dans la misère. Tu voulais accuser le vent, parce qu’il t’avait fait du tort, mais ce qui te semblait être un malheur est à présent une joie. Désormais, tu ne manqueras plus de rien.
La nouvelle de cette histoire se répandit dans tout le royaume, et chacun loua la justice de Dieu et la sagesse de Salomon, roi d’Israël. (D’après Contes juifs, éditions Gründ)

*

Mais… savez-vous ce que fit cette femme de ses sept mille pièces d’or ? Elle ne resta pas dans sa cabane au bord de la mer. Enrichie du fait de la sagesse de Salomon, elle se souvint que le père de Salomon, le roi David, de qui viendrait le Messie, venait du village de Bethléem, ce qui veut dire « la maison du pain ». Elle décida donc d’y acheter une ferme, où elle puisse élever des animaux, cultiver du blé pour faire du pain, en faire une auberge où accueillir tous ceux qui en manqueraient… Cette ferme subsista avec son étable, jusqu’au jour où Joseph et Marie y trouvèrent abri, au chaud, de sorte que c’est là que naquit Jésus, arrière arrière arrière… petit fils de Salomon.


RP, Veillée de Noël, Poitiers 24/12/17


lundi 18 décembre 2017

Esclavage et promesse de liberté




L'Exode d’Israël s'ancre et débouche sur une conception inédite des relations avec le divin : le divin est irreprésentable (cf. Ex 3), sans garant humain de sa présence (il la garantit lui-même ! « Je serai ») comme l'est alors le monarque  ; le monarque n’est donc pas non plus source de la loi, ni les dieux représentés.

Voilà donc dès lors une loi, exprimée dans la Torah, qui n'a pas d'auteur qui en serait le garant connu, qui serait donc potentiellement ou actuellement supérieur à la loi. Moïse n'est pas donné comme un nouveau Pharaon ou un nouvel Hammourabi. La loi dont il témoigne ne procède pas de lui ni de dieux représentables : il est lui-même soumis à la loi ! Cela restera vrai même après l'institution de la monarchie, avec la dynastie davidique qui se caractérise par l'exigence de soumission du roi à la loi.

C'est à cette tradition que, bien plus tard, se référeront les révolutionnaires puritains anglais posant la supériorité de la loi par rapport à tous : personnes privées, rois, et même Églises ; la loi reçue dans une convention (Covenant) de tous, en analogie avec la loi biblique. C'est, mutatis mutandis, ce modèle que reprendront les révolutions américaine et française. Pour la révolution américaine, voir aussi l’anticipation décrite par Jean Baubérot (« Les protestants ont-ils inventé la laïcité ? », L’Obs, oct. 2017) dès les années 1630 au Rhode Island fondé par le pasteur baptiste Roger Williams.

En commun, un « plus jamais ça » – plus jamais l’esclavage dont libère « celui qui est et sera » –, que l'on retrouve en arrière-plan dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (« Être suprême »), ou plus tard dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Plus jamais l'esclavage, plus jamais l’arbitraire absolutiste, plus jamais les idéologies comme le racisme… Les rédacteurs des textes modernes sont conscients de cet enracinement (des droits « tenus pour acquis » – Déclaration d’Indépendance américaine, 1776) : la liberté est donnée après la captivité ou l'oppression quelle qu'elle soit. Elle met fin à une situation devenue insupportable, l’esclavage, l'oppression, l'arbitraire. La loi qui accompagne l’acquisition de la liberté a pour fonction d’éviter au peuple de retomber dans l’esclavage ou toute autre situation catastrophique. La liberté est garantie par le fait que la loi est donnée comme n’ayant pas d’auteur qui puisse en réclamer la paternité, pas de pouvoir qui en serait la source, comme celui qui s’est avéré esclavagiste.

Le peuple français de l'Ancien Régime connaissait une situation d’oppression et d’arbitraire sous une royauté absolue. En 1789, la situation devient insupportable. Un sursaut y met fin. Pour garantir la liberté reçue, une loi est proclamée, un fondement, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Proclamée « sous les auspices de l’Être suprême », elle est présentée sur l’image de tables semblables à celles qui représentent le Décalogue. Ce n’est pas par hasard : don de liberté, suivi d’une loi pour que l’acquis ne se perde pas. Là encore « sous les auspices de l’Être suprême », contre tout arbitraire comme celui auquel on vient d’échapper, celui d’une monarchie absolue.

Au XXe siècle, l’Europe, et, à travers elle, le monde, ont failli s’autodétruire. On a tenté d’exterminer des populations – principalement les juifs, et d'autres. Le chaos semble avoir atteint un point de non-retour. Mais comme dans un sursaut, le monde reçoit à nouveau la liberté. Une loi est proclamée, une nouvelle Déclaration de droits humains, universelle – c’est à dire valable pour tous les êtres humains. Même modèle que dans les deux cas précédents : chaos – libération – loi. Avec des éléments nouveaux soulignés face à de nouvelles menaces.


RP
Les choses de la fin

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3) 19 & 21 décembre — Esclavage et promesse de liberté (PDF ici)


dimanche 10 décembre 2017

Sortir d’Égypte




Alors que la Genèse se termine avec un récit d’exil à l’autre terme du récit de la création, le livre de l’Exode se présente comme récit de libération de cet exil, récit d’un exode dont le maître d’œuvre est Dieu, appelant pour cela Moïse – au ch. 3. Fin du monde de la captivité, de l’exiguïté (Mitsraïm). Promesse de liberté… Apparaît un Dieu qui rejoint le peuple, qui est avec le peuple au cœur de sa détresse, qui promet qu’il sera avec lui au cœur de l’épreuve – pour le conduire à la vie nouvelle, cachée en Lui. Cette présence inconditionnelle est révélée avec son Nom…

Ainsi dans le commentaire de Rachi :
« La montagne de ha-Eloqim. Le texte [Exode 3, 1] anticipe sur l’avenir (Deutéronome 22).
Dans une flamme (belavath) de feu. Dans le cœur (lév) du feu, comme dans : « au cœur du ciel » (Deutéronome 4, 11) ; « au cœur du chêne » (2 Samuel 18, 14).
Du milieu du buisson. Et non d’un autre arbre plus imposant, comme le suggère (Psaume 91, 15) : « Je suis avec lui dans la détresse [c’est-à-dire dans l’humiliation] » (Midrach tan‘houma 14).
Car j’ai su ses douleurs. Comme dans : « Eloqim sut » (supra 2, 25). C’est-à-dire : Car j’ai appliqué mon cœur à comprendre et à connaître ses souffrances. Je ne me suis pas caché les yeux, je ne me suis pas bouché les oreilles pour ne pas entendre leur cri.
Et maintenant, va, et je t’enverrai vers Pharaon. Et si tu m’objectes : « A quoi cela servira-t-il ? »… Et fais sortir mon peuple – Les paroles que tu prononceras produiront leur effet, et tu les feras sortir de là.
Qui suis-je. Quelle importance possédé-je, pour parler aux rois ?
Et que que je fasse sortir les fils d’Israël. Et même si je possédais de l’importance, en quoi Israël a-t-il mérité que Tu accomplisses pour lui un miracle et que je les fasse sortir de l’Égypte ?
Il dit : Parce que je serai avec toi. Il commence par répondre à la première question, puis à la seconde : « Pour ce que tu as dit : “ Qui suis-je, pour que j’aille chez Pharaon ?”, ce n’est pas de toi qu’il s’agit, mais de moi : “Parce que je serai avec toi”, et “ceci”, à savoir l’apparition à laquelle tu as assisté au buisson, “te sera le signe que c’est moi qui t’ai envoyé” que tu mèneras à bien la mission que je te confie. De même que tu as vu le buisson exécuter sans se consumer la mission que je lui ai confiée, de même rempliras-tu ma mission sans dommage pour toi. Quant à ta seconde question : “En quoi Israël a-t-il mérité de pouvoir sortir d’Égypte ?”, cette sortie a pour moi une grande importance, car ils recevront la Tora sur cette montagne trois mois après leur sortie d’Égypte ». Autre explication de : « parce que je serai avec toi, et ceci…” : « Ce fait même » que tu réussiras ta mission “sera pour toi le signe” annonciateur [de l’accomplissement] d’une autre promesse. Car je te promets que, lorsque tu les auras fait sortir d’Égypte, “vous adorerez Eloqim sur cette montagne-ci” et y recevrez la Tora. Voilà le mérite que possède Israël. » Nous trouvons un autre exemple du même style dans : « Et ceci “sera pour toi le signe” que vous mangerez cette année le regain… » (Ésaïe 37, 30), à savoir que la chute de Sénnachérib sera pour toi le signe [de l’accomplissement] d’une autre promesse : votre terre, actuellement stérile et improductive, j’en bénirai le regain.
Je serai qui serai. Moi qui suis avec eux dans la détresse présente, je serai avec eux dans leur asservissement par d’autres empires. Mochè a dit à Hachem : « Maître de l’univers ! Pourquoi faut-il que je leur parle d’une autre souffrance ? Ils ont bien assez de celle-ci ! » Hachem a répondu : « Tu as raison ! “Ainsi parleras-tu aux enfants d’Israël… « Je serai » [sans : « qui serai », allusion à leurs souffrances futures] m’a envoyé auprès de vous ” » (Berakhoth 9b).
Cela est mon Nom pour toujours (le‘olam). Le mot le‘olam [= pour toujours] est écrit sans la lettre waw, pour qu’on puisse le lire : le‘além [« tel est mon Nom destiné à être “caché” »], à ne pas prononcer comme il est écrit (Pessa‘him 50a ; Chemoth raba). »

*

Cf. Maimonide, Guide des Égarés I, 63 : « […] "Et s’ils me disent: Quel est son nom, que leur dirai-je ?" (Exode 3, 13). Jusqu'où cette question, anticipée par Moïse, était-elle appropriée, et jusqu'où était-il justifié de chercher à se préparer à la réponse ? Moïse avait raison de dire : "Mais voici, ils ne me croiront pas, car ils diront: Le Seigneur ne t'est pas apparu" (ibid., 1) ; car n'importe quel homme réclamant l'autorité d'un prophète doit s'attendre à rencontrer une telle objection tant qu'il n'a pas donné une preuve de sa mission. Encore une fois, si la question, à première vue, se rapportait seulement au nom, comme une simple expression des lèvres, le dilemme suivant se présenterait : soit les Israélites connaissaient le nom, soit ils ne l'avaient jamais entendu : si le nom leur était connu, ils n'y percevraient aucun argument en faveur de la mission de Moïse, sa connaissance et leur connaissance du nom divin étant les mêmes. Si, d'autre part, ils ne l'avaient jamais entendu mentionné, et si la connaissance de celle-ci devait prouver la mission de Moïse, quelle preuve auraient-ils que c'était vraiment le nom de Dieu ? De plus, après que Dieu eut fait connaître ce nom à Moïse et lui eut dit : "Va rassembler les anciens d'Israël... et ils écouteront ta voix" (ibid., 16-18) […]. La question "Quel est Son nom" signifie "Qui est cet Être qui, d'après ta croyance, t'a envoyé ?" La phrase, "Quel est son nom" […] veut dire, quelle idée doit être exprimée par le nom ? […] - Le nom Shadday signifie "celui qui suffit" ; c'est-à-dire qu'il n'a besoin d'aucun autre être pour effectuer l'existence de ce qu'il a créé, ou sa conservation: Son existence est suffisante pour cela. D'une manière similaire, le nom Hasin implique "force" […]. Il en va de même pour le «roc», qui est un homonyme […]. Il est donc clair que tous ces noms de Dieu sont des appellatifs, ou sont appliqués à Dieu par voie d'homonymie […], la seule exception étant le Tétragrammaton, le Shem ha-meforash (le nomen proprium de Dieu), qui n'est pas un appellatif ; il ne dénote aucun attribut de Dieu et n'implique rien sauf Son existence. L'existence absolue inclut l'idée de l'éternité, c'est-à-dire la nécessité de l'existence. »

*

Rachi :
« Ils écouteront ta voix. Dès lors que tu leur tiendras ce langage : « Je me suis souvenu de vous » [du verset 16, comportant la répétition (« souvenir, je me suis souvenu »)]. Car ils savent que c’est par ce signe, qui remonte à l’époque de Jacob et de Joseph, qu’ils seront délivrés (Chemoth raba). Jacob leur avait fait dire : « Eloqim vous visitera et vous fera monter de ce pays » (Genèse 50, 24), et Joseph leur avait dit : « Eloqim manifester se manifestera, et vous ferez monter mes ossements d’ici ! » (Gn 50, 25).
Le roi d’Égypte ne vous donnera pas la permission d’aller. Si je ne lui montre pas « une main forte », c’est-à-dire : aussi longtemps que je ne lui aurai pas fait connaître ma main puissante, il ne vous permettra pas de partir.
Il ne vous donnera pas. Comme le rend le Targoum Onqelos : « il ne laissera pas », comme dans : « c’est pourquoi je ne t’ai pas laissé approcher d’elle » (Genèse 20, 6) ; « mais Eloqim n’a pas permis qu’il me fît du tort » (Genèse 31, 7). Le verbe « donner », dans ces exemples, signifie : « procurer la possibilité ». Selon d’autres commentateurs, l’expression : « et pas d’une main forte » signifie : « ce n’est pas parce que Sa main est puissante ». Car dès que « j’aurai étendu ma main et frappé l’Égypte… après cela on vous renverra ». Le Targoum Onqelos le rend aussi par : « et non pas parce que Sa force est puissante ». Cette explication m’a été donnée par rabi Ya‘aqov fils de rabi Mena‘hem. »

S’annonce la fin de l’épreuve, la fin de la détresse, par la présence de celui qui est et qui sera (avec toi).


RP
Textes de fin du monde

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2017-2018
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3) 12 & 14 décembre - Sortir d’Égypte – Genèse 50, 15-21 / Exode 3 (PDF ici)


lundi 20 novembre 2017

Création bonne et acte de foi




« Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. » (Genèse 1, 31)

*

Genèse 4 :
3 Caïn fit à l’Éternel une offrande des fruits de la terre ;
4 et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. L’Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ;
5 mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu.
6 Et l’Éternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7 Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.
8 Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua.


*

René Girard : « L’œuvre de Clausewitz [1780-1831 – théoricien allemand de la guerre] est révélatrice de ce que j’appelle un conflit de type mimétique. La France et l’Allemagne veulent la même chose : dominer l’Europe. Après la mort de Charlemagne, ses deux petits-fils, Charles le Chauve et Louis Le Germanique, vont commencer la guerre de jumeaux qui va marquer l’histoire de l’Europe jusqu’à prendre une forme virulente après la victoire de Napoléon à Iéna en 1806 et le réarmement de la Prusse qui mènera aux trois guerres que nous connaissons. C’est pour cela que le geste de réconciliation entre de Gaulle et Adenauer, en 1963 à Reims, est si important. » Interview de René Girard, « L’apocalypse peut être douce » (dans Le Figaro, 8 nov. 2007), à propos de son livre Achever Clausewitz, Champs Flammarion, 2007.

*

2 Pierre 3, 3-9 : 3 […] dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries, marchant selon leurs propres convoitises,
4 et disant : Où est la promesse de son avènement ? Car, depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création.
5 Ils veulent ignorer, en effet, que des cieux existèrent autrefois par la parole de Dieu, de même qu’une terre tirée de l’eau et formée au moyen de l’eau,
6 et que par ces choses le monde d’alors périt, submergé par l’eau,
7 tandis que, par la même parole, les cieux et la terre d’à présent sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement et de la ruine des hommes impies.


René Girard : « Clausewitz a commencé son grand livre, De la guerre, à la fin du règne de Napoléon et il y a travaillé jusqu’à sa mort. En trente ans, il n’a pas réussi à le terminer. Achever Clausewitz, c’est donc essayer de penser le livre dans sa totalité. […] j’ai été frappé par le terme de « montée aux extrêmes » qu’il utilise concernant les rapports guerriers. Cette formule dément l’humanisme des Lumières qui suggère que les rapports normaux entre les hommes sont un peu comme ceux des boules de billard : leur action est prévisible, purement rationnelle. Or Clausewitz, qui est pourtant un homme des Lumières, va mettre en évidence ce qui est implicite dans les rapports humains quand ils deviennent hostiles. Il nous dit des choses fondamentales sur cette loi de l’imitation qui nourrit l’emballement guerrier et peut mener au pire.
[Étant] entrés dans une ère où les moyens de destruction [sont] démesurés, [sommes-nous] assez raisonnables pour ne pas nous en servir [ ? Cf.] l’échec de la politique de l’Occident qui n’a pas réussi à empêcher la prolifération des armes atomiques, comme on le voit avec l’Iran. Ce que Clausewitz a dit au fond sur la « montée aux extrêmes », où le pire peut se produire à travers une violence non maîtrisable, se poursuit donc à mes yeux. C’est la loi même de l’histoire. »
René Girard, « L’apocalypse peut être douce », ibid.

*

Parmi les autres conséquences du phénomène mimétique – lu en regard de « l’événement Déluge » comme extension cosmique du premier conflit mimétique (Caïn/Abel) – : exploitation illimitée, en concurrence mimétique, des ressources limitées de la planète, ou la montée en fictif financier qui débouche invariablement sur les crises financières toujours au bord de susciter des guerres menaçant notre survie, au regard des moyens techniques de destruction dont nous nous sommes dotés.

« De toute façon, lorsque la prochaine crise financière globale éclatera (et elle éclatera forcément si, d'ici là, les différents États de la planète ne se sont pas mis d'accord pour mettre définitivement hors d'état de nuire les 29 banques “systémiques” qui tiennent en otage l'économie du globe – et donc, par la même occasion, pour effacer inconditionnellement toutes les dettes qu'ils ont été contraints de contracter auprès de ces aventuriers sans foi ni loi), les effets de l'effondrement en chaîne seront tels – puisque, cette fois, les États surendettés n'auront plus les moyens de se précipiter à nouveau au chevet du système financier mondial – qu'il n'y aura plus guère d'autre possibilité raisonnable, pour l'humanité, de surmonter cette nouvelle catastrophe que de renoncer définitivement à l'utopie absurde d'une accumulation illimitée du capital dans un monde aux ressources naturelles par définition limitées. » Jean-Claude Michéa, dans Michéa-Julliard, La gauche et le peuple, Champs Flammarion, p. 172-173.

Ou Michéa ne fait-il pas preuve d’un trop grand optimisme, au vu de l’histoire passée ?

*

La création n’apparaîtrait-elle pas alors plutôt comme un inouï… et redoutable acte de foi ? C’est peut-être ce que suggère le récit biblique de la création tel qu’il s’étend des ch. 1 à 6 de la Genèse, où le monde confié à l’humain est donné comme pouvant, par sa violence, s’autodétruire. Cela via une relecture de cette auto-destruction comme acte de Dieu (Gn 6, 6-7), c’est-à-dire atteignant le point où les choses échappent totalement à notre maîtrise, ouvrant dès lors, via le regret de Dieu d’avoir crée et créant, re-créant quand même, sur la création comme acte de foi valant quand même et malgré tout promesse et alliance (Gn 6, 16 & Gn 9, 9-17).


RP
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2) 21 & 23 novembre - Création bonne et acte de foi (PDF ici)


samedi 11 novembre 2017

Déluge




Quelques questions et éléments de réflexion et méditation…

Genèse 6 – Déluge universel ? Ou, selon que le terme hébreu « ha’aretz » peut signifier la terre ou le pays, déluge local ? L’archéologie a pu renvoyer notamment aux débordements du Tigre et de l’Euphrate, soulignant le parallèle avec le récit babylonien (Épopée de Gilgamesh). À partir de quoi on peut constater aussi la quasi universalité, dans nombre de traditions et mythologies du monde, de récits de déluge.

Une configuration qui parle alors d’un monde radicalement autre que celui que nous connaissons, un monde irrémédiablement disparu, celui qui porte les dernières traces d’un paradis originel, où les espèces célestes cohabitent avec l’humain, qui y connaît alors sa propre dimension céleste, lui qui cohabite aussi avec les animaux. Où le déluge emporte tout un univers perdu, dont on devine aussi la proximité, dont garde la nostalgie, espérant quand même en Celui qui peut sauver « toute chair, toute race » (Ps 36).

Où, à partir des « fils de Élohim, peut-être simplement des enfants de princes et de juges (Beréchith raba 26, 5) », explication mentionnée par Rachi, apparaît une autre explication donnée aussi par Rachi : « Les fils de Élohim étaient des êtres célestes accomplissant une mission divine. Eux aussi s’étaient mélangés avec elles [les filles de hommes]. » Et en naissent « des géants » (néphilim).

Rachi : « Les nefilim. Du verbe nfl (« tomber »). Parce qu’ils sont tombés et ont fait tomber l’humanité (Beréchith raba 26). En hébreu, cela a le sens de : "géants" ».

Cf. aussi Paul, 1 Corinthiens 11, 10.

On rejoint la lecture faite par le livre d’Hénoch (non canonique, sauf pour l’Église éthiopienne), cité par Jude 14 — Hénoch 19, 1-2 : « Alors Uriel s’écria : Voici les anges qui ont cohabité avec les femmes, et se sont désignés des chefs ; 2 Qui ont souillé les hommes, multiplié parmi eux les erreurs, au point de leur faire faire des sacrifices aux démons, comme à des dieux. Mais au grand jour, ils seront jugés et ils périront, et leurs femmes avec eux, parce qu’elles se sont laissé séduire sans résistance. »

Jude 6 : Il a réservé pour le jugement du grand jour, enchaînés éternellement par les ténèbres, les anges qui n’ont pas gardé leur dignité, mais qui ont abandonné leur propre demeure.

Jude 14-15 : C’est aussi pour eux qu’Enoch, le septième depuis Adam, a prophétisé en ces termes : Voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, 15 pour exercer un jugement contre tous, et pour faire rendre compte à tous les impies parmi eux de tous les actes d’impiété qu’ils ont commis et de toutes les paroles injurieuses qu’ont proférées contre lui des pécheurs impies.

2 Pierre 2, 4-5 : Car, si Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais s’il les a précipités dans les abîmes de ténèbres et les réserve pour le jugement ; 5 s’il n’a pas épargné l’ancien monde, mais s’il a sauvé Noé, lui huitième, ce prédicateur de la justice, lorsqu’il fit venir le déluge sur un monde d’impies […].

Ici, le déluge préfigure une menace permanente, en-deçà de la promesse de grâce universelle signifiée par l’arc-en-ciel (Genèse 9, 16)…

2 Pierre 3, 3-9 : 3 […] dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries, marchant selon leurs propres convoitises,
4 et disant : Où est la promesse de son avènement ? Car, depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création.
5 Ils veulent ignorer, en effet, que des cieux existèrent autrefois par la parole de Dieu, de même qu’une terre tirée de l’eau et formée au moyen de l’eau,
6 et que par ces choses le monde d’alors périt, submergé par l’eau,
7 tandis que, par la même parole, les cieux et la terre d’à présent sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement et de la ruine des hommes impies.


*

Alors — commentaire de Rachi — :

Mon esprit ne plaidera plus pour l’homme. Mon esprit ne se tourmentera plus à défendre contre moi la cause de l’homme. Éternellement : Pendant longtemps. En ce moment, mon esprit se débat en moi-même : faut-il l’anéantir ? faut-il user de miséricorde ? Ce débat ne va pas se prolonger à perpétuité, c’est-à-dire pendant longtemps.
Puisque lui n’est que chair c’est-à-dire : « il n’est constitué que de chair », et pourtant il refuse de se soumettre à mon autorité ! Qu’en serait-il s’il était constitué de feu ou d’un élément fort ?
Ses jours seront… Je retiendrai ma colère pendant cent vingt ans, et s’ils ne se repentent pas, j’amènerai sur eux le déluge. […] Il existe de nombreux midrachim sur « mon esprit ne plaidera plus éternellement pour l’homme », mais tel est le sens littéral dans toute sa clarté.


2 Pierre 3, 9 : « Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. » Sous-entendu (?) : Jusqu’à quand ?

Rachi : Hachem se ravisa d’avoir créé. Le midrach rend wayinna‘hem (« se ravisa ») par : « se consola ». Dieu se consola de ce qu’au moins Il avait créé l’homme sur la terre. Car s’Il l’avait créé au ciel, il aurait entraîné dans sa rébellion les mondes supérieurs (Beréchith raba, fin du chapitre 26).
Autre explication de « Hachem se ravisa » (wayinna‘hem) : La pensée de Dieu s’est ravisée en passant de la miséricorde à la stricte justice.
Il s’affligea en Son cœur. Dieu se désola de l’échec de l’œuvre de Ses mains (Beréchith raba, fin du chapitre 26), comme dans : « Le roi est affligé à cause de son fils » (II Chemouel 15, 11).
Hachem dit : J’effacerai l’homme. Il n’est que poussière, j’amènerai sur lui les eaux et je l’effacerai (Beréchith raba 28, 2). D’où l’emploi du mot èm‘hè (« j’effacerai »).
Depuis l’homme jusqu’à la bête. Les bêtes aussi avaient « corrompu leur voie » (Beréchith raba 28, 2). Autre explication : Tout n’a été créé qu’en vue de l’homme, et puisqu’il va disparaître, en quoi a-t-on besoin du reste ? (Beréchith raba 28, 6).
Car je regrette de les avoir faits. Je me suis demandé quoi faire, du moment que je les ai créés.


*

Alors Dieu fait avec !... Une création qui semble décidément avoir mal tourné, dans un livre qui se termine quand même — comme en écho à la promesse d’alliance indéfectible signifiée par l’arc-en-ciel (Genèse 9, 16) —, par l’affirmation de Joseph à ses frères qui l’ont vendu en esclavage (Genèse 50, 20) : « Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux. »


RP
Textes de fin du monde

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2) 14 & 16 novembre | Déluge – Genèse 6 (PDF ici)


samedi 14 octobre 2017

Fin et histoire / fin et éternité




On admet souvent que l’accession au mal de l’homme et de la femme marque leur entrée dans l’Histoire. C’est en tout cas probablement l’affirmation qu’ils y sont bel et bien. Peut-être pas plus. En attendant d’en venir à cet aspect, il faut remarquer que la Genèse, avec son second chapitre, situe d’emblée la Création dans la géographie et dans l’histoire. Là où le premier chapitre nous parle d’une Création qui peut-être dite idéale (idéelle), comme un projet parfait, dont Dieu proclame « cela est bon » et finalement « très bon » – projet parfait ou plutôt idéal et inachevé, le second chapitre nous situe dans sa concrétisation terrestre et pour le coup imparfaite, loin de l’idéal. On y reconnaît, sans localisation très précise, toutes les conditions géographiques de la civilisation, de la culture, à commencer par celle de la terre, pour un jardin. Première de ces conditions, des fleuves. Et les principaux fleuves de la civilisation antique arrosent le jardin, deux parfaitement repérables, ceux de la condition du Croissant fertile mésopotamien, le Tigre et l’Euphrate ; les deux autres nous situent en cet autre lieu de la civilisation d’alors qu’est le complexe éthiopien-égyptien, sans que les fleuves soient nommés. Mais on pense bien sûr, au Nil, le fleuve d’Égypte. Et il est dès lors certes difficile de situer le jardin d’Éden. Il s’agit d’une géographie plus civilisationnelle que cartographique. Elle renvoie à la fois aux deux lieux d’exil et d’origine, croissant mésopotamien et matrice afro-égyptienne – et peut-être en même temps, la tradition juive y renvoie, au lieu devenu le carrefour de ces deux matrices, la terre de Canaan avec en son centre Jérusalem.

Autre lieu de repère, la mention de l’Orient, lieu de repère géographique et symbolique à la fois lui aussi. Ici, il ne s’agit plus de conditions climatiques et fluviales de civilisation, mais solaires et originaires. Solaires sans connotation religieuse mythologique. Au seul sens où l’on dit en français que l’on s’oriente, c’est-à-dire que l’on se repère d’après le côté où le soleil se lève. Le paradis est originaire. En même temps toutefois, comme le point d’où le soleil se lève, il est illuminant. Ici, apparaît la dimension symbolique. Comme il y a une lumière antécédente au soleil, lumière spirituelle, il peut être question d’Orient spirituel.

C’est dans cet espace civilisationnel, déjà situé géographiquement, quoiqu’en un sens non précisément localisant, que l’homme et la femme concrets prendront place. Ici la parole de Dieu qui les fonde en humanité au ch. 1, s’insère dans la matière, dans la glèbe. L’être humain participe de la minéralité. Et de l’animalité, dont il se distingue toutefois par sa capacité nominatrice – et donc dominatrice – sur les animaux. Dès lors l’être humain est un être de sens, pas un ange, pas un pur intellect. Il n’accède au réel que par le moyen de ses sens. Des sens qui limitent et ouvrent à la fois. Signe de finitude. Ici se pose aussi la question des relations de ce que l’on appelle l’âme et le corps, le corps et l’esprit, la dimension spirituelle ne fonctionnant de toute façon dans le corps qu’à l’occasion des sens, les fameux cinq sens. Les sens en cause jusqu’à l’intuition et à ce qui relève de l’inconscient personnel et collectif ; au fondement, au carrefour, du démoniaque, ce puits de l’idolâtrie. L’homme être confus, complexe, qui de sa dualité perçoit la dimension aberrante de sa propre mort. Les anthropologues contemporains y ont vu le lieu de rupture qui marque l’humain : le moment de l’apparition des premières tombes intentionnelles.

Symbole éloquent du fait qu’être au temps est être pour mourir, Voilà qui marque la limite des espérances temporelles, et donc en parallèle de l’espérance d’un Royaume de Dieu entrant dans le temps. Sans compter la limite que pose l’aspect éthique de la finitude : le péché, qui rend problématique l’idée de l’avènement d’un monde bon.

La notion d’un Royaume/Règne de Dieu entrant dans l’histoire, au terme de l’histoire, semble pourtant parcourir les Écritures bibliques et notamment prophétiques. Où l’on attend un Messie instaurant un Royaume… temporel, futur. C’est ce que semblent retenir nombre des eschatologies issues de la tradition biblique et se déployant en ce qui a été appelé « millénarisme » (ou « chiliasme » selon la racine grecque pour « mille »), en référence au ch. 20 du livre de l’Apocalypse parlant d’un règne de mille ans. Où plusieurs courants du christianisme lisant ce texte, en regard des livres prophétiques de la Bible hébraïque, se posent en outre la question du rapport chronologique entre la venue du Christ en gloire et l’instauration de ce Règne millénaire futur, pour ceux qui en admettent l’attente : une instauration postérieure à la venue du Messie, ici donc le retour du Christ, qui instaurerait ce Règne, ou une instauration qui précéderait et préparerait ce retour. Le retour du Christ devient alors le pivot d’un avant ou un après le Royaume millénaire – retour du Christ avant, d’où le vocable que l’on trouve parfois de « prémillanarisme » ; retour du Christ après le Royaume, d’où le vocable de « postmillénarisme ». Pour ceux, sans doute majoritaires parmi les chrétiens, qui n’attendent pas d’autre Royaume futur que céleste, on parle d’ « amillénaristes ».

Cette majorité de non-millénaristes… conscients, n’empêche pas la présence constante dans l’histoire d’une trace très importante de courants « postmillénaristes » qui semblent s’ignorer. Cela peut se dire des disciples médiévaux de l’abbé cistercien calabrais Joachim de Flore, qui annonçait l’imminence d’une ère de l’Esprit, qui succéderait à l’ère du Père dans l’Ancien Testament et à l’ère du Fils depuis le temps de la première venue du Christ.

Mais cela peut valoir aussi pour toute une lignée moderne, allant de Hegel, qui y voit l’avènement des démocraties libérales modernes, à Marx et ses successeurs, y compris chrétiens, espérant l’avènement d’une société de l’égalité de tous, et plus tard, aux théologies du Process. Dans tous les cas, on a une philosophie du progrès espérant une amélioration sensible des choses.

Dépassera-t-on ici la limite que marque le récit de la Genèse, limite concrétisée par la mort ? Dépassera-t-on la finitude qui au plan éthique se concrétise comme péché et qui limite terriblement les espérances ? Cf. le constat de Nietzsche concernant la mesquinerie foncière du « dernier homme » (Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5), celui de la fin de l’histoire, et sur lequel ce tenant contemporain remarquable de l’espérance libérale/hégélienne, le philosophe américain Francis Fukuyama (dans son livre La fin de l’Histoire et le dernier Homme), avoue rencontrer une limite redoutable.


RP
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1) 17 & 20 octobre (exceptionnellement vendredi) 2017 - Introduction – fin et histoire / fin et éternité (PDF ici)


vendredi 6 octobre 2017

Genèse 1,1 à 2,3 : achèvement et repos divin




« Quand le roi voulut émaner et créer les mondes, la dure étincelle grava une gravure dans la lumière supérieure. Elle grava une gravure – le départ et la restriction de la lumière, qui laisse un endroit vacant et vide de lumière. Elle est ainsi regardée comme une gravure parce qu’avant la création “la lumière supérieure remplissait toute la réalité”. Et quand Il voulut créer les mondes, Il fit une gravure dans la lumière supérieure, qui a restreint et rejeté la lumière […] » Premiers mots du Zohar, Berechit (le Zohar, commentaire “mystique” de la Torah)

*

Genèse 2, 1-3
1 Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée.
2 Le septième jour, Dieu avait achevé tout le travail qu'il avait fait ; le septième jour, il se reposa de tout le travail qu'il avait fait.
3 Dieu bénit le septième jour et en fit un jour sacré, car en ce jour Dieu se reposa de tout le travail qu'il avait fait en créant.


Shabbat, c’est-à-dire “cessation”. Question : quand ? Le texte vient de dire (ch. 1, v. 31) : “Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » Même question : quand ? Voit-on un monde bon, très bon ? Voilà qui pourrait bien inscrire la Genèse dans le “déjà” et le “pas encore”, faisant ipso facto du récit de la Création un récit de “fin du monde”, de l’ordre du projet, vers un “après” qui débouche sur l’ouverture vers celui qui est “avant” le monde.

*

Lisant la Genèse, le judaïsme remarque que le premier mot, “au commencement”, en hébreu bereshith, débute par la deuxième lettre de l’alphabet hébraïque : la création vient en second par rapport à Dieu, signifié par la première lettre absente. De plus, la forme grammaticale du mot en hébreu permet d’imaginer que le commencement en question, un commencement, n’est pas le premier : comme s’il y avait un “avant la création”, comme s’il y avait avant cette création, plusieurs essais, où les modernes imaginent parfois volontiers par exemple les dinosaures - façon imagée, et pas illégitime, de dire la concrétion de la matière posée pour la Création ; concrétion comme durée qui précède et accompagne l'Histoire, comme une pré-Histoire, ici pré-Histoire biblique. Concrétion signifiée depuis les concrétions fossiles des paléontologues, jusqu'au “rayonnement fossile” d'astres disparus depuis des milliards d'années, ce jusqu'à 13, 8 milliards d’années, des astrophysiciens.

Quant au commencement qui est prononcé dans la Genèse, il s’agit d’“un commencement de” quelque chose, qui donc pourrait être traduit par “à un moment donné”. Cela dit, les lecteurs ultérieurs de la Genèse - déjà S. Augustin (Ve siècle) - remarqueront, qu’au sens absolu, il n’y a pas d’”avant la Création”, parce qu’ultimement, “là commence le temps”. Si l’on recule dans le temps, il y a un point où il n’y a pas d’avant parce qu’il n’y a pas encore de temps. À moins d’admettre que Dieu ait créé un monde éternel, comme Moïse Maïmonide (XIIe siècle), puis Thomas d’Aquin (XIIIe s.), en reconnaissaient la possibilité. Cela, comme le disait déjà S. Augustin, à la manière d’un pied imprimant éternellement son empreinte dans la poussière. Alors il faudrait comprendre non pas “au commencement”, mais “en principe”, comme le permet la traduction grecque de bereshith, en arkhe. Si l’hypothèse leur paraissait possible, ils ne la faisaient pas leur, jugeant que la Genèse implique un commencement temporel, un début du temps.

“À un moment donné”, donc, Dieu crée un monde chaotique - tohu-bohu selon le terme hébraïque passé en français. Puis il l’ordonne. Tout cela en six jours, qui ne sont pas des jours solaires, puisque le soleil n’apparaît qu’au 4e jour. S. Augustin, remarquant que le septième jour ne se terminait pas, considérait ces jours comme des périodes : nous sommes dans le septième jour. Irénée de Lyon (IIe siècle) considérait chaque jour comme une période de mille ans (voir le Psaume 90 et la IIe Épître de Pierre, ch. 3). Les Pères sont ici dans la lignée du judaïsme lisant la Bible, “mille ans comme un jour”.

Dieu ordonne le monde par sa Parole (v.3, “Dieu dit”). L’Évangile de Jean (ch.1), en écho à cela, enseigne que la Parole est au commencement, en vis-à-vis de Dieu. En vis-à-vis comme l’image est en vis-à-vis dans le miroir qui réfléchit cette image. De même dans la Parole, Dieu réfléchit, la Parole est Dieu même réfléchissant : “la Parole était Dieu”. Le mot pour Parole qu’emploie l’Évangile de Jean est le même mot grec que pour “raison”, en grec logos, ce mot qui a donné “logique”. Dieu réfléchit, se réfléchit lui-même, Dieu raisonne, et il parle, exprimant ce raisonnement. L’expression par excellence de ce raisonnement est, dans la perspective chrétienne de l'Évangile de Jean, Jésus-Christ, la Parole de Dieu devenue chair (Jean 1, 14). Lorsqu’il l’exprime, le monde prend forme et s’éclaire (voir Colossiens ch. 1, concernant Jésus-Christ : “tout a été fait en lui, par lui et pour lui”). “En cette Parole est la lumière du monde” (Jean 1, 9-10). Lorsqu’elle s’exprime la lumière apparaît : “Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut” (Genèse 1, 3).

Revenons donc à la Genèse. Cette lumière originelle précède la lumière du soleil qui n’apparaît qu’au 4e jour. C’est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

Le déroulement ultérieur de la création est le développement de cette illumination du monde, de sa sortie du chaos. Les choses s’ordonnent en se distinguant, en se séparant : le jour d’avec la nuit ;  les eaux d’avec les eaux, séparées par une sorte de voûte, ferme comme le laisse bien apparaître la traduction en latin, puis en français : le firmament ; il sépare aussi le sec d’avec le mouillé, permettant la germination de cette terre féconde ; etc. - du 1er au 3e jour. Le monde ainsi créé est peuplé par Dieu d’astres (4e jour), de poissons, d’être marins, et d’oiseaux (5e jour) ; puis d’animaux terrestres. Il est ainsi apte à recevoir l’homme.

La réalité de l’homme comme image de Dieu, reflet de Dieu, apparaît dans la réflexion de Dieu, non mentionnée auparavant. Pour la création de l’homme, la Genèse emploie le même mot très fort, impliquant une radicale dépendance, que pour les origines et pour les monstres marins, le mot hébreu bara. Tout dépend de Dieu : l’univers entier, y compris les monstres marins, si effrayants, y compris l’homme si autonome. Jusque là il donne des ordres, mais ici, pour l’homme, apparaît un élément nouveau : Dieu réfléchit : “Faisons l’homme à notre image” (v.26). Dieu parle à la 2e personne. Le judaïsme, se demandant à qui Dieu parle-t-il ainsi, y a souvent vu les anges, ou encore, l'homme lui-même. Les anges ainsi présentés dans cette perspective comme littéralement “ses messagers”, ses interlocuteurs vis-à-vis du monde, entre lui et le monde, et finalement, en tant que tels représentants de sa Parole. Ou l'homme comme participant à sa propre création, à son achèvement.

Parole que l’Évangile de Jean présente comme éternelle et manifestée dans le Christ. Aussi dans une perspective chrétienne, au-delà des anges, ce “faisons” renvoie à une deuxième réalité en Dieu, sa Parole en vis-à-vis de lui, son image, parfaitement réalisée dans un homme, le Christ, selon le christianisme, mais présente en tout être humain. Ce vis-à-vis, fécond par lui-même, induit un troisième terme, expression de cette fécondité. En théologie chrétienne, on parle de l’Esprit, troisième terme de la Trinité - où l’on retrouve les deux premiers versets de la Genèse : l’Esprit planait au-dessus des eaux… Dieu dit. Avant même cet ordonnancement par sa Parole, l’Esprit de Dieu planait, comme couvant en vue de l’éclosion dans le vis-à-vis de Dieu avec lui-même. Ce vis-à-vis fécond est la condition même de toute fécondité. Dans la Création, il s’exprime dans le vis-à-vis de l’homme et de la femme, expression par excellence de l’image de Dieu : “il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il les créa” (v.27). Le vis-à-vis de Dieu et de sa Parole, cette autre lui-même où il réfléchit, se réfléchit, existe aussi en l’homme pour la femme et en la femme pour l’homme dans leur division en sexes. De plus, si les animaux ne participent pas de ce vis-à-vis dans la Parole du dialogue, il y a là la promesse de leur rachat par une réalité que les êtres humains partagent avec eux, la sexuation ; cette réalité qui pour les êtres humains est l’expression de l’image de Dieu, la différence qui permet le dialogue. Tel est le 6e jour qui rassemble les animaux et les êtres humains.

Pour revenir à nouveau à la Genèse, le second récit, qui entre dans le concret de la création de l’homme, le présente comme ne se satisfaisant pas du vis-à-vis des animaux, inaptes au dialogue, qui ne pourra s’effectuer pour l’homme que par un autre lui-même, autre mais semblable, semblable mais autre. Telle est la femme pour l’homme, l’homme pour la femme : en vis-à-vis. Les rabbins imaginent qu’avant la séparation en deux côtés (plutôt que côte, donc !) qui rend l’homme et la femme aptes à se situer en vis-à-vis, les deux existaient dos à dos. Cette séparation, préalable à toute rencontre, s’opère comme révélation prophétique. Le sommeil d’Adam est, selon le terme employé, sommeil prophétique, qui lui fait découvrir à son réveil cet autre semblable apte au dialogue, lieu de l’image de Dieu. Adam, l’homme, rencontrant Ève, la vie, est ainsi homme et femme, isch, et ischa - tirée de l’homme.

Cette faille, qui fait la différence et permet le dialogue, est aussi ce par quoi le mal peut s’introduire. Figuré par le serpent, souvent figure des divinités dans les religions environnant l’Israël ancien, le mal provient de la réalité chaotique, non encore ordonnée, qui entoure le jardin. En quelque sorte des premiers essais non satisfaisants de la création et de la mise en ordre.

Une difficulté terrible apparaît en même temps que cette figure du mal déjà présent quelque part. La difficulté de la question de sa provenance, précisément. Difficulté d’autant plus terrible que le mal est intense. Et l’Histoire ne cesse de le montrer chaque jour plus intense. D’où vient ce mal présent dans les champs qui entourent le jardin ? À cette question insoluble, on a avancé plusieurs esquisses de réponses. Depuis le dualisme le plus typé, qui place une réalité mauvaise faisant éternellement face à Dieu, jusqu’à la conception inverse qui en vient à placer le mal en Dieu. Entre les deux, des développements célèbres. En premier lieu le mythe de Lucifer remontant sans doute à Origène (IIIe siècle). Ce père de l’Église primitive, lisant Ésaïe 14 et Ézéchiel 28, y trouve, allégoriquement décrite, la chute du diable, astre brillant devenu prince des ténèbres pour s’être révolté contre Dieu en voulant s’égaler à lui. Origène rejoignait ainsi et dépassait les lectures juives de Genèse 6, y voyant la chute des anges (cf. Jude 6). Cet astre brillant d’Ésaïe 14:12, à l’origine roi de Tyr en Ézéchiel et de Babylone en Ésaïe, “étoile du matin”, sera traduit, selon l’équivalent latin “Lucifer” dans la Vulgate la version de la Bible de S. Jérôme (Ve siècle). On sait la fortune de ce terme transmis jusqu’aujourd’hui via le romantisme. Une autre approche célèbre est celle proposée par le judaïsme dans la Cabale d’Isaac Luria (XVIe siècle) – déjà présente dans le Zohar (XIIe siècle) : cf. supra, la citation des premiers mots. Il s’agit de l’idée du tsimtsoum, en français “contraction”, en l’occurrence contraction de Dieu mettant l’univers au monde : Dieu emplit tout. Pour que quelque chose d’autre que lui puisse être, il faut que Dieu se contracte, fasse un espace en lui-même. Dès lors, le monde peut advenir, être créé, mais il l’est dans une absence de Dieu. Mais dans ce creux, ce vide, le mal aussi peut s’infiltrer.

Dans la Genèse, le mal s’infiltre entre Adam et Ève, séparés pour se rencontrer. Avant la séparation, l’ordre de l’interdit est donné, l’interdit qui toujours structure, fait grandir. Mais l’ordre est donné au moment de l’unité, avant la séparation entre homme et femme. Une fois la séparation intervenue, ce mal venu d’on ne sait où, trouve à s’infiltrer. La femme étant le signe de cette séparation de l’être humain, celle par qui l’homme se trouve, c’est elle aussi du coup, qui est présentée comme l’origine de la possibilité de cette infiltration entre les deux, qui avant, étaient un. D’où sans doute, la tentation qui s’adresse à elle pour atteindre l’homme en son entier. Autre moitié de lui-même, tout homme est mâle et femelle avant d’être mâle ou femelle. Le mal l’atteint en son entier, en ce qu’il est divisé d’avec lui-même, en cela qu’il refuse cette division qui marque qu’il est un être fini. Refuser d’être fini, prétendre être tout par soi, c’est là la porte du mal qui nous atteint tous.


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vendredi 16 juin 2017

Reprise de Matthieu 6, 14-15 sur le pardon



Matthieu 6, 14-15
14 Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ;
15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.


Cf. Marc 11, 25-26
25 Et, lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses.
26 Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.


Matthieu 5, 21-26
21 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; celui qui tuera mérite d’être puni par les juges.
22 Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par les juges ; que celui qui dira à son frère: Raca ! mérite d’être puni par le sanhédrin ; et que celui qui lui dira: Insensé ! mérite d’être puni par le feu de la géhenne.
23 Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande.
25 Accorde-toi promptement avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur qu’il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l’officier de justice, et que tu ne sois mis en prison.
26 Je te le dis en vérité, tu ne sortiras pas de là que tu n’aies payé le dernier quadrant.


L’idée d’un rapport entre notre pardon des offenses et le pardon de Dieu est commune à Matthieu et à Marc, et correspond à un enseignement juif concernant Yom Kippour / Yom HaKippourim (pluriel originel – Lévitique 16).


Pardon des offenses et Yom Kippour

À Yom Kippour, on demande à Dieu de pardonner ses propres fautes et celles de la communauté, mais seulement celles commises à l’encontre de Dieu Lui-même – cela en rapport avec la remise des dettes diverses (cf. années sabbatiques et Jubilé) : cf. la prière appelée Kol Nidre (judéo-araméen: כָּל נִדְרֵי « Tous les vœux »), qui est une prière d’annulation publique des vœux. Déclamée trois fois en présence de trois notables à la synagogue, elle ouvre l’office du soir de Yom Kippour et a, pour beaucoup, fini par le désigner.

Si à Kippour, l’on demande à Dieu de pardonner ses propres fautes et celles de la communauté commises à l’encontre de Dieu, les offenses commises à l’encontre du prochain (considérées comme plus graves que celles commises envers Dieu) doivent être individuellement réparées, de préférence avant Yom Kippour.

Car « Yom HaKippourim absout des péchés envers Dieu, mais pas des péchés envers son prochain à moins que le pardon de l’offensé ne soit obtenu. » (Mishna Yoma 8:9)

Pour cette raison, il est de coutume de résoudre les conflits et disputes au plus tard la veille du jeûne. Le processus commence lors de la période de dix jours entre Rosh Hashana et Yom Kippour. Les âmes des disparus sont comprises dans la communauté de ceux auxquels on pardonne à Yom Kippour.

Or quelques manuscrits de Matthieu disent : « pardonne-nous comme nous avons pardonné ». Le passé est attesté dans peu de manuscrits, parmi lesquels tout de même le Vaticanus, qui est la base du texte imprimé du Nouveau Testament, depuis la fin du 19e siècle (1881).

On a donc, dans ce qui se vit à Kippour – cf. les idées similaires que l’on retrouve dans Matthieu et Marc –, un enracinement de la relation directe entre le pardon accordé par Dieu et notre comportement concernant le pardon et les dettes.

Ce rapport entre notre pardon d’autrui et celui que Dieu donne parle aussi de la non-évidence du pardon, du prix du pardon et de la grâce. Exprimé dans le pardon de Joseph à ses frères (dans la Genèse), ou dans la question du pardon par Jésus au paralytique (Mt 9 ; Mc 2 ; Lc 5) : « afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés » (Mt 9, 6 ; Mc 2, 10 ; Lc 5, 24). Tout est-il pardonnable ?…

Non plus qu’il faille lire ce rapport comme un rapport conditionnel, où notre pardon conditionnerait celui de Dieu, mais comme signifiant que la question du pardon n’est pas seulement théorique. Le pardon fonde un vivre ensemble qui ouvre sur l’éternité – les cieux – où se source le Règne de Dieu.


RP
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9) 20 & 22 juin — Reprise de Matthieu 6, 14-15 sur le pardon (PDF ici)


samedi 10 juin 2017

1 Corinthiens ch. 16 - derniers mots




Pour ce qui concerne la collecte en faveur des saints, agissez, vous aussi, comme je l’ai ordonné aux Églises de la Galatie. (1 Corinthiens 16, 1) Etc.
Cf. 2 Corinthiens 8, 20 : Nous agissons ainsi, afin que personne ne nous blâme au sujet de cette abondante collecte, à laquelle nous donnons nos soins.

Cf. Romains 15, 25 sq. :
25 Présentement je vais à Jérusalem, pour le service des saints.
26 Car la Macédoine et l’Achaïe ont bien voulu s’imposer une contribution en faveur des pauvres parmi les saints de Jérusalem.
27 Elles l’ont bien voulu, et elles le leur devaient ; car si les païens ont eu part à leurs avantages spirituels, ils doivent aussi les assister dans les choses temporelles.
28 Dès que j’aurai terminé cette affaire et que je leur aurai remis ces dons, je partirai pour l’Espagne et passerai chez vous.
29 Je sais qu’en allant vers vous, c’est avec une pleine bénédiction de Christ que j’irai.



Remarques en forme de questions :

L’universalité de la collecte en faveur des saints, les disciples à Jérusalem, qui ouvre les derniers mots de l’épître, est frappante. Cela dit sans doute beaucoup quant à la perception qu’a Paul de l’Église répandue dans l’espace méditerranéen et la centralité symbolique de l’Église mère, à Jérusalem.

Faut-il remarquer l’analogie via l’étymologie entre collecte (logias) et parole, dans l’entre-deux de « recueillir », qui est aussi dans l’étymologie de « religion » ? N’en reste par moins, quoi qu’il en soit, quelque chose de l’ordre de l’universalité d’une parole concrétisée par la collecte dans son lien de communion…

Ramener à Jérusalem, Église première, cette collecte, semble, dans les Églises où Paul l’évoque, être pour lui prioritaire, avant même qu’il ne puisse venir chez elles comme il le souhaite.

Il est possible aussi d’y voir un parallèle avec la structure d’évocation du pacte de Jérusalem (cf. Actes 15), concernant le rapport à la Loi de Moïse (via la relation loi mosaïque / loi noachide), structure d’évocation qui traverse la 1ère épître aux Corinthiens (de la relation à la loi civile, aux cultes traditionnels et à la cacherout, en passant par la question de la sexualité), mais aussi l’épître aux Romains.

Mention de figures connues par ailleurs, déjà célèbres dans l’Église d’alors à travers plusieurs de ses communautés – Timothée, Apollos, Priscille et Aquilas, Stéphanas… Autant de noms qui font prémisses d’une structure ecclésiale en gestation outre sa dimension charismatique (1 Co 12-14) ; cela dans une perspective provisoire, tout orientée vers la venue du Règne, dejà là dans l’invocation / déclaration de foi : Maranatha – « le Seigneur vient », ou « Seigneur, viens ».


RP
Première épître de Paul aux Corinthiens

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9. 13 & 15 juin | Chapitre 16: Conclusion de l’Épître. Conclusion générale (PDF ici)


vendredi 12 mai 2017

Notre Père - doxologie




Doxologie (Matthieu 6, 13) : « Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen. »

Avec la doxologie finale, on sort de la prière proprement dite, pour la clore par une déclaration de foi : il n’y a pas de demande dans la doxologie, mais la confession croyante de la réalité de que l’on vient de demander, à savoir la venue du règne de Dieu.

Apparemment en porte-à-faux avec la deuxième demande — « que ton règne vienne » — la doxologie finale peut apparaître aussi comme répondant à l’esprit de la deuxième partie de cette deuxième demande — « que ta volonté soit faite, comme au ciel aussi sur la terre » : la doxologie peut alors se recevoir comme affirmation de la foi à la venue espérée du règne de Dieu sur la terre.

Un combat, la prière, dont le résumé, le Notre Père, nous conduit au cœur de la prière d’Israël dans la traversée du désert, en lutte pour la fin de l’exil et de l’adversité, combat de prière exprimé aux cinq livres des Psaumes, priant les cinq livres de la libération, la Torah. Cette libération se trouve dans l’observance de la volonté de Dieu exprimée dans cette même Torah. Un combat dont la victoire est confessée dans la foi exprimée dans la doxologie qui suit la demande de la délivrance du malin : « c'est à toi qu'appartiennent le règne (que l’on demande), la puissance et la gloire aux siècles des siècles. »

*

Selon les historiens des textes, on trouve la doxologie pour la première fois dans la Didachè (dans une formulation plus courte — « car à toi sont la puissance et la gloire, pour les siècles » — que celle donnée par ceux des manuscrits de Matthieu qui la retiennent).

Un développement récent d’un de ces historiens des textes — C.-B. Amphoux. Cf. son développement —, parcourant l’histoire du Notre Père à travers les trois livres où on le trouve : la Didachè, Matthieu, Luc, donne un éclairage intéressant. La Didachè, qu’il considère en premier, découpe, selon sa démonstration, le Notre Père en dix termes (sept demandes et trois formules dont la doxologie), en référence au Décalogue (outre un parallèle avec la symbolique pythagoricienne — remarque : 10 égale aussi 2 x 5 / 5 livres de la Torah + 5 livres des Psaumes) : la version longue (les sept demandes de la formule liturgique commune et de Matthieu) correspond alors à ce cadre symbolique voulu dans la Didachè, et déployé aussi (sans la doxologie) dans les plus anciens manuscrits de Matthieu et Luc.

La version courte (les cinq demandes sans le redoublement de la seconde et de la cinquième) serait due, à l’appui d’une affirmation de Tertullien, à Marcion (IIe siècle), avant d’être retenue pour Luc par l’Église égyptienne puis par nos Bibles. Des remarques intéressantes quand on sait que Marcion rejetait le Dieu de la Bible hébraïque, et donc sa loi — « que ta volonté soit faite » n’est pas retenu — ; ainsi que son pouvoir sur la terre — « mais délivre-nous du malin » n’est pas retenu, tandis que « ne nous induis pas en épreuve » devient : « ne nous laisse pas être conduits à l’épreuve » ! Luc, version courte retenue suite à l’Église égyptienne, n’a pas fait sienne cette version de la cinquième demande. Il a repris : « ne nous induis pas en épreuve », où l’on retrouve le Dieu qui règne, que Luc reçoit donc, et que souligne la deuxième partie, retenue par Matthieu, de la dernière demande : « mais délivre-nous du malin », qui donc se complète par la confession de la foi au règne de Dieu dans tous les mondes/siècles (éons), y compris le siècle présent ! Où son règne se réalise sur la terre par l’accomplissement de sa volonté/loi.

Où l’on voit que la nouvelle traduction liturgique de la demande du Notre Père sur la tentation choisit de suivre Marcion !

… Sauf que non seulement la demande de délivrance qui suit, à savoir la deuxième partie de cette demande, mais surtout la doxologie qui vient à la suite de la prière, confessent nettement la puissance de Dieu et son règne, mystère caché — la doxologie est bien une affirmation de foi ! — ; règne, puissance et gloire dans le siècle/monde (éon) à venir, dans les siècles supérieurs, mais aussi, et déjà, en ce siècle/monde-ci. Où le Dieu confessé après avoir été prié est bien le Dieu de la Bible hébraïque, de la Torah et de ses cinq livres, et donc des Psaumes, dont les cinq livres sont l’expression priante et liturgique.


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8) 16 mai — Doxologie :
« Car c'est à toi qu'appartiennent Le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen » (PDF ici)



vendredi 5 mai 2017

La résurrection - 1 Corinthiens 15




« S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi. » (1 Co 15, 13-14)

Ce texte (dans une des épîtres les plus anciennes parlant de la résurrection dans le NT, outre 1 Thessaloniciens – selon ce qu’en disent les exégètes), affirme un enseignement sur la résurrection qui précède l’événement du dimanche de Pâques, et pas l’inverse ! Ce n’est pas la résurrection du Christ qui induit la réalité de la résurrection, c’est l’inverse : « s’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité ». Cela est essentiel pour la compréhension de la deuxième partie de la phrase (« si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide »), que l’on retient en général seule.

La notion de résurrection est admise au préalable dans un pan du judaïsme de l’époque que le christianisme naissant rallie sur ce point. L’argumentation est philosophique, notamment dans notre chapitre, 1 Co 15. L’événement du dimanche de Pâques vient alors corroborer cette conviction argumentée au préalable (cf. aussi Luc 20, 27-38 et l’argumentation pharisienne de Jésus contre le point de vue différent des Sadducéens).

L’argumentation rejoint celle des mazdéens de Perse, avec lesquels le judaïsme est en dialogue, argumentation qui se sépare de celle des Grecs, qui contre la notion de résurrection parlent seulement d’immortalité de l’âme. Si l’on comprend cela, on comprend mieux le débat d’Actes 17, 16-34, véritable dialogue philosophique de Paul avec les Athéniens et non pas postulat de foi contre réflexion rationnelle.

Un philosophe du XXe siècle, Henry Corbin, décrit très bien la différence de ces deux approches, philosophiques l’une comme l’autre : « Il faut se garder de réduire le contraste [du mazdéisme zoroastrien entre monde céleste (pehlevi : mênôk) et monde terrestre (pehlevi : gêtîk)] à un schéma platonicien tout court. Il ne s'agit exactement ni d'une opposition entre Idée et Matière, ni entre universel et sensible [mais entre un] état céleste, invisible, subtil, spirituel, mais parfaitement concret [et] un état terrestre, visible, matériel certes, mais d'une matière qui en soi est toute lumineuse, matière immatérielle par rapport à ce que nous connaissons en fait. Car […] le transfert à [cet état terrestre] ne signifie nullement par soi-même une déchéance, mais achèvement et plénitude. L'état d'infirmité, de moins d'être et de ténèbres que représente la condition actuelle du monde matériel, tient non pas à sa condition matérielle comme telle, mais au fait qu'il soit la zone d'invasion des Contre-Puissances démoniaques, le théâtre et l'enjeu de la lutte. L’étranger à cette Création n'est pas ici le Dieu de Lumière, mais le Principe de Ténèbres. La rédemption fera éclore […] le "corps à venir", corpus resurrectionis […]. » (Henry Corbin, Temps cyclique et gnose ismaélienne, Berg, p. 12-13.)

On ne peut que reconnaître là l’argumentation de Paul, qui se poursuit dans la distinction qu’il fait entre corps psychique et corps spirituel, corps terrestres et corps stellaires, etc. (1 Co 15, 35-47), que l’on retrouve aussi dans la philosophie perse.

Aussi, il est insuffisant de dire que le dimanche de Pâques est une réponse au vendredi saint. Il est plus insuffisant encore de réduire l’événement du dimanche de Pâques à une façon imagée de dire l’espérance plus forte que la mort ! Bien plus que cela, l’événement du dimanche de Pâques est la manifestation dans le temps de cet aspect essentiel de la structure de l’univers, et l’avènement de la résolution de la fracture de l’univers, qui passe au cœur de nos vies scindées en un corps terrestre qui se corrompt (1 Co 15, 43-44) et un corps tout aussi réel, mais qui fonde le premier, réalité incorruptible et éternelle manifestée dans le temps par la résurrection du Christ (1 Co 15, 47-54) !

Fondement de l’univers dont la manifestation à venir, la Parousie, se symbolise comme éclat de trompette, shofar, où 1 Co (v. 52) ne dit rien d’autre que 1 Thess. 4, 13-18, et enchaîne sur 1 Co 14 (c’est là le lien d’enchaînement nécessaire des chapitres 14 et 15 de 1 Co), référant à la trompette (1 Co 14, 8) et à sa nécessaire clarté ; enchaînement où la musique (1 Co 14, 7-8) renvoie au fondement infra-verbal de la parole exprimée dont témoignent et le silence et la glossolalie, semblables à la musique, signe sonore du fondement de l’univers déployé comme résurrection à venir ! Où la musique, comme liturgie, témoigne de l’avènement de la résurrection ! Ici aussi, on retrouve le parallèle dans l’enseignement perse sur la résurrection : « Alors Ohrmazd [Dieu] chante […] l'incantation sonore […]. L'œuvre de la Création et l'œuvre de la Rédemption constituent d'un terme à l'autre une Liturgie cosmique. C'est en célébrant la liturgie céleste qu'Ohrmazd et ses Archanges instaurent la Création tout entière, et notamment éveillent à l'individualité, à la conscience différenciée de leur moi perdurable, les Fravartis, à la fois prototypes célestes et Anges tutélaires des humains. Et c'est par la célébration des […] liturgies […] que le dernier Saoshyant [Sauveur] accomplira la Résurrection. » (Henry Corbin, Temps cyclique et gnose ismaélienne, p. 18-19.)

La notion de résurrection relève bien de la réflexion philosophique, la réception de l’événement du dimanche de Pâques relève de la foi en ce que proclament les Apôtres : « Christ est ressuscité ». C’est ainsi que (v. 13-14) si les morts ne ressuscitent pas, Christ n’étant donc pas non plus ressuscité !, les Apôtres parlent pour ne rien dire, et notre foi est vide, vaine, porte sur rien !

En revanche, dans l’avènement du monde de la résurrection déjà advenu par la résurrection du Christ et reçu par la foi, pointe le jour de la promesse (1 Co 15, 54-55) : « Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture (cf. Osée 13, 14) : La mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? »


RP
Première épître de Paul aux Corinthiens

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8. 9 & 11 mai – Chapitre 15 | La résurrection (PDF ici)


lundi 17 avril 2017

"Ne nous induis pas en tentation, mais délivre nous du Malin"




Essai de littéralité :
Et ne nous amène pas pour l'épreuve (Mt 6, 13a ; Lc 11, 4) / mais (pour) que tu nous délivres du mauvais — mauvais litt. plutôt que mal (Mt 6, 13b). Ou : Et ne nous expose pas dans l'épreuve / mais délivre nous du mauvais.

La nouvelle traduction française est désormais adoptée par plusieurs Églises francophones, à l’ordre du jour comme traduction liturgique œcuménique pour le prochain premier dimanche de l’Avent : « ne nous soumets pas à la tentation » devient : « ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Un choix de traduction qui cependant ne convainc pas tout le monde : voir par exemple Hans-Christoph Askani : « Une tentation demi-écrémée ». À propos de la nouvelle traduction du Notre Père, ETR 2014/02).

Parmi les difficultés, le choix de traduire l’ex « ne nous induis pas » (conformément à la Vulgate latine) par « ne nous laisse pas » à la place de « ne nous soumets pas » quand le mot grec signifie littéralement « amener », « apporter », « présenter »… (difficile à traduire donc ; cf. l’article de H.-C. Askani) ; et le choix de traduire par « tentation », là où le mot signifie aussi « épreuve ».

Une épreuve, comme tentation de succomber, de sombrer que, du Gethsémané à la croix, Jésus a traversée pour nous — cf. 1 Corinthiens 5, 21 : « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu. »

Où l’on retrouve le cri de Jésus sur la croix (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46), reprenant le Ps 22.

Psaume 22 (21) / TOB 2010 :

[1 Du chef de chœur, sur « Biche de l’aurore ».
Psaume de David.]
2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai beau rugir, mon salut reste loin.
3 Le jour, j’appelle, et tu ne réponds pas, mon Dieu ; la nuit, et je ne trouve pas le repos.
4 Pourtant tu es le Saint : tu trônes, toi la louange d’Israël !
5 Nos pères comptaient sur toi ; ils comptaient sur toi, et tu les libérais.
6 Ils criaient vers toi, et ils étaient délivrés ; ils comptaient sur toi, et ils n’étaient pas déçus.
7 Mais moi, je suis un ver et non plus un homme, injurié par les gens, rejeté par le peuple.
8 Tous ceux qui me voient me raillent ; ils ricanent et hochent la tête :
9 « Tourne-toi vers le SEIGNEUR ! Qu’il le libère, qu’il le délivre, puisqu’il l’aime ! »
10 Toi, tu m’as fait surgir du ventre de ma mère et tu m’as mis en sécurité sur sa poitrine.
11 Dès la sortie du sein, je fus remis à toi ; dès le ventre de ma mère, mon Dieu, c’est toi !
12 Ne reste pas si loin, car le danger est proche et il n’y a pas d’aide.
13 De nombreux taureaux me cernent, des bêtes du Bashân m’encerclent.
14 Ils ouvrent la gueule contre moi, ces lions déchirant et rugissant.
15 Comme l’eau je m’écoule ; tous mes membres se disloquent.
Mon cœur est pareil à la cire, il fond dans mes entrailles.
16 Ma vigueur est devenue sèche comme un tesson, la langue me colle aux mâchoires.
Tu me déposes dans la poussière de la mort.
17 Des chiens me cernent ; une bande de malfaiteurs m’entoure :
ils m’ont percé les mains et les pieds.
18 Je peux compter tous mes os ; des gens me voient, ils me regardent.
19 Ils se partagent mes vêtements et tirent au sort mes habits.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne reste pas si loin ! O ma force, à l’aide ! Fais vite !
21 Sauve ma vie de l’épée et ma personne des pattes du chien ;
22 arrache-moi à la gueule du lion, et aux cornes des buffles… Tu m’as répondu !
23 je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée :
24 Vous qui craignez le SEIGNEUR, louez-le ! Vous tous, race de Jacob, glorifiez-le !
Vous tous, race d’Israël, redoutez-le !
25 Il n’a pas rejeté ni réprouvé un malheureux dans la misère ;
il ne lui a pas caché sa face ; il a écouté quand il criait vers lui.
26 De toi vient ma louange ! Dans la grande assemblée,
j’accomplis mes vœux devant ceux qui le craignent :
27 Les humbles mangent à satiété ; ils louent le SEIGNEUR, ceux qui cherchent le SEIGNEUR :
« A vous, longue et heureuse vie ! »
28 La terre tout entière se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR ;
toutes les familles des nations se prosterneront devant sa face :
29 Au SEIGNEUR, la royauté ! Il domine les nations.
30 Tous les heureux de la terre ont mangé : les voici prosternés !
Devant sa face, se courbent tous les moribonds : il ne les a pas laissé vivre.
31 Une descendance servira le SEIGNEUR ; on parlera de lui à cette génération ;
32 elle viendra proclamer sa justice, et dire au peuple qui va naître ce que Dieu a fait.



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7) 18 & 20 avril — cinquième demande — « Et ne nous laisse pas entrer en / ne nous soumets pas à la / tentation mais délivre nous du mal. » (PDF ici)


vendredi 14 avril 2017

"La foi unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux"



« La foi unit l’âme à Christ comme l’épouse est unie à l’époux. Par ce mystère, dit l’apôtre Paul, Christ et l’âme deviennent une seule chair. Une seule chair : s’il en est ainsi et s’il s’agit entre eux d’un vrai mariage, et, plus encore, d’un mariage consommé infiniment plus parfait que tous les autres – les mariages entre humains ne sont que de pâles images de cet exemple unique – il s’ensuit que tout ce qui leur appartient constitue désormais une possession commune, tant les biens que les maux. Ainsi, tout ce que Christ possède, l’âme fidèle peut s’en prévaloir et s’en glorifier comme de son bien propre, et tout ce qui est à l’âme, Christ se l’arroge et le fait sien. Christ est plénitude de grâce, de vie et de salut : l’âme ne possède que ses péchés, la mort et la condamnation. Qu’intervienne la foi et, voici, Christ prend à lui les péchés, la mort et l’enfer ; à l’âme en revanche sont donnés la grâce, la vie et le salut. Car il faut bien que Christ, s’il est l’époux, accepte tout ce qui appartient à l’épouse et, tout à la fois, qu’il fasse part à l’épouse de tout ce qu’il possède lui-même. Qui donne son propre corps et se donne lui-même, comment ne donnerait-il pas en même temps tout ce qui lui appartient ? Et comment celui qui prend le corps de l’épouse ne prendrait-il pas tout ce qui appartient à l’épouse ?

Mais voici déjà que se présente à nous le plus émouvant des spectacles. Il ne s’agit plus seulement de communion mais d’un combat salutaire, de victoire, de salut et de rédemption. Dieu et homme tout à la fois et, comme tel, au-dessus du péché, de la mort et de la damnation, Christ est invincible, éternel et tout-puissant, et, avec lui, sa justice, sa vie et son pouvoir de salut. Or, c’est lui qui, en vertu des noces de la foi, prend sa part des péchés, de la mort et de l’enfer de l’épouse. Que dis-je ? Il les fait entièrement siens, comme s’ils étaient vraiment à lui et qu’il avait péché. Il souffre, il meurt, il descend en enfer : mais c’est pour tout surmonter. Car ni le péché, ni la mort ni l’enfer ne pouvaient l’engloutir et c’est lui qui, dans un prodigieux combat, devait les anéantir. Car sa justice est plus haute que les péchés du monde entier, sa vie est plus puissante que toute la mort et son salut est plus invincible que les profondeurs de l’enfer. Ainsi, par les arrhes de la foi en Christ, son époux, l’âme fidèle est affranchie de tout péché, à l’abri de la mort et assurée contre l’enfer, gratifiée de la justice éternelle, de la vie et du salut de Christ, son époux. »


Martin Luther, Traité de la liberté chrétienne

mardi 4 avril 2017

Charismes et agapè - 1 Corinthiens 12-14




Ces chapitres (12 à 14) de 1 Corinthiens suivent un constat d'échec concernant… au fond… la charité, qui ne trouve pas sa place lors des repas d’Église (cf. 1 Co 11, 20 sq.), où les différences, notamment sociales, éclatent au point que l'Apôtre requiert de ses destinataires qu'ils cessent la pratique de ces repas, puisque l'utopie de la mise en commun (dont témoignera le livre des Actes — cf. Ac 4, 34), est un échec (cf. Ac 5 // 1 Co 11, 30). La Cène se réduira à un rite d'espérance eschatologique, annonçant, jusqu'à ce qu'il vienne, la mort du Seigneur (1 Co 11, 26) !

Suit ce passage sur les charismes, dans lequel s'insère le ch. 13 sur la charité, qui fait manifestement défaut aussi dans l'exercice des charismes !… et notamment concernant le lien entre l'usage de la glossolalie, connue avant même le christianisme en Grèce (pouvant éventuellement recouper la lecture qu'en fera Actes 2), et une parole qui ait souci d’autrui (d'édifier autrui — cf. 1 Co 14, 4 & 17). Paul, alors, recadre l'usage des « choses de l'esprit » (1 Co 12, 1), d’opérations en charismes, non sans appliquer à l’Église la métaphore stoïcienne des membres du corps qu'est, pour le stoïcisme, le monde.

Apparaît en priorité une structure fondée sur la parole énoncée — apôtres, prophètes, docteurs (cf. Ep 4, 11) —, parole prioritairement intelligible… Même si, comme toute parole, son fondement précède l'intelligibilité et la rationalité (cf. ch. 14)… Fondement antécédent à tout, qui s'enracine et qui est appelé à s'enraciner dans la charité — l'agapè — en laquelle s'origine le monde et qui subsiste au-delà du monde (1 Co 13, 8).

Problème du mot amour/charité — agapè : le mot français amour est la transcription d’un mot latin, amor, qui traduit le désir, en grec « éros », non pas tant au seul sens littéraire moderne, comme fondement d’une « érotique », mais en un sens plus vaste, disons religieux, voire mystique ; pouvant concerner le désir de Dieu, le désir de la perfection — qui me manque.

C’est cette notion-là que rend le mot amour ; bien plus passionnante que la froide « charité » en son sens usé. Or cette usure est sans doute fatale dans la confusion/opposition que l’on entretient entre désir de ce qui manque d’un côté — éros — et don de soi de l’autre — agapè.

Si les choses sont bien ainsi — prendre opposé à donner — l’usure de « charité », c’est-à-dire, ne nous y trompons pas, l’usure d’agapè, est fatale. Rien de plus triste que ce devoir du don face à la passion de ce qui est — au moins momentanément — infiniment désirable.

« La charité, M’sieur dames ! » Ou, en d’autres termes : « vous devez me donner ». L’amour, le vrai, est don ! Et tant va le don à l’eau qu’à la fin il s’use et devient plus ou moins synonyme de pitié ! On sait qu’on en est là. La cause n’est pas à chercher ailleurs que dans cette opposition entre le désir d’un côté, dont on perçoit bien qu’il est passionnant, ayant sa source dans l’infiniment désirable et le don de soi de l’autre côté, dont on ne voit pas la raison…

D'où on perçoit une certaine légitimité du glissement vers « pitié » du sens du mot « charité », en lien avec l'impossibilité, l'inaccessibilité d'une telle exigence d'amour du prochain — sauf à s'exercer à ce que le romancier Albert Cohen a appelé « tendresse de pitié » : « si tu sais que l'autre ne peut être que ce qu'il est, comment lui en vouloir, comment ne pas lui pardonner ? […] Tu considéreras alors cet innocent avec une tendresse de pitié, et tu n'y auras nul mérite » (Albert Cohen, Carnets 1978, p. 174).

Ce qui permet évidemment de mettre en doute la pertinence de la traduction « moderne », par « amour » donc, de ce mot qui était antan traduit par « charité », devenu insupportable.

… Sauf à découvrir que l’agapè n’est pas tant le « don de soi » que le fondement qui le permet : ce n’est rien d’autre que ce qu’écrit Paul : si je me donne et que je n’ai pas la charité, l’agapè, je ne suis rien… L’agapè est donc autre chose, ou plutôt quelque chose en dessous — quelque chose qui est « invisible pour les yeux » mais qui donne son prix, qui ouvre sur le don, qui sinon est non seulement triste, mais, en termes modernes, psychanalytiquement douteux. Quel est en effet le moteur de ce « don de soi », prétendu gratuit, que serait l’agapè ? Ce qui est en dessous est décisif.

Eh bien, en fait, l’agapè est quelque chose en dessous. C’est là ce qui explique que le mot est aussi employé pour Dieu : tu aimeras le Seigneur ton Dieu. A-t-on quelque chose à donner à Dieu de qui viennent toutes choses ?

La réponse est dans la question ! C’est même carrément la trace de Dieu en laquelle se source le chérissement qui ne périt jamais. Et qui permet d’approcher le paradoxe qui veut que « Dieu est amour — agapè ».

Signe d’infini que cet agapè. Il n’est donc pas si étranger que cela à l’éros de Platon auquel il est peut-être mal venu de l’opposer tout comme il est mal venu d’y opposer la philia d’Aristote. Pour Aristote (voir son Éthique à Nicomaque), la philia, l’amitié, trouve plusieurs fondements pour être ce qu’elle est, partage : partage de ce que j’ai, mais que l’autre n’a pas, dans un échange avec ce qu’il a, mais que je n’ai pas (ici on rejoint l’éros). Ou partage de goûts communs, de ce que l’on a en commun, et qui ne manque donc pas. Le mot philia est, dans le Nouveau Testament, employé par Jésus pour parler du cœur de sa relation avec ses disciples. Il y a là quelque chose qui relève de l’accomplissement de l’agapè en partage (Jean 20 et les trois questions de Jésus à Pierre : m’aimes-tu — deux agapè et un philia — pour une réciprocité octroyée par Jésus pour la confiance de Pierre).

Il n’y a pas lieu d’opposer tous ces termes, mais de se demander pourquoi ces deux derniers, et plus souvent agapè, ont été choisis par les auteurs du Nouveau Testament pour traduire l’amour de Dieu selon la Torah. « Tu aimeras Dieu et ton prochain ». Le choix de agapè en grec du Nouveau Testament n’est pas indifférent pour rendre cette notion, qui signifie au plus près « chérir ». Cela en un sens qui est très englobant, puisqu’il inclut jusqu’à l’amour au sens de éros : agapè en effet est utilisé par la traduction grecque des LXX du Cantique des Cantiques.

Paul aux Corinthiens, 1 Co 13, nous donne sans doute un élément de la raison du choix de ce mot grec. Ce chérissement est comme le frémissement qui est dans la matricialité originelle de Dieu préparant la venue de la création tandis que l’Esprit, matriciel, planait à la face des eaux.

Agapè, chérissement, comme fondement, sous-jacent, avant même éros, le désir, ou l’amour, qu’il suscite, et qui se rencontre dans l’amitié, philia, qui en est le partage. Mais l’agapè est avant tout, qui ne périra jamais, comme la substance qui sous-tend le monde : « l’essentiel est invisible pour les yeux » !

Alors apparaît pourquoi ce développement sur la charité est donnée au cœur d'un enseignement de Paul sur les « charismes » et sur le mystère de la langue, du langage, comme phénomène infra-rationnel — comme l'agapè — ; langage dont pourtant l'usage est relationnel, parlant à la raison, l'intelligence commune.


RP
Première épître de Paul aux Corinthiens

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2016-2017
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
7. 11 & 6 avril (exceptionnellement le 6 avril, le 13 étant le jeudi saint) Chapitres 12-14 | Charismes et agapè (PDF ici)