vendredi 7 décembre 2018

Paul, apôtre de l’Évangile pour les nations




Galates 1, 11-24

11 Car, je vous le déclare, frères : cet Évangile que je vous ai annoncé n’est pas de l’homme ;
12 et d’ailleurs, ce n’est pas par un homme qu’il m’a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ.
13 Car vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme (1) : avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire ;
14 je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma nation par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères.
15 Mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon (2)
16 de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens (3), aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain (4)
17 ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi (5), je suis parti pour l’Arabie, puis je suis revenu à Damas.
18 Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je suis resté quinze jours auprès de lui
19 sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur (6).
20 Ce que je vous écris, je le dis devant Dieu, ce n’est pas un mensonge (7).
21 Ensuite, je me suis rendu dans les régions de Syrie et de Cilicie.
22 Mais mon visage était inconnu aux Églises du Christ en Judée ;
23 simplement, elles avaient entendu dire : « celui qui nous persécutait naguère annonce maintenant la foi qu’il détruisait alors »,
24 et elles glorifiaient Dieu à mon sujet (8).


***


Quelques questions :

(1) – v. 13-14. Cf. le récit parallèle des Actes des Apôtres (ch. 9) ; v. 14 : Paul « zélote ».
        Cf. http://rolpoup.blogspot.com/2018/10/a-propos-de-paul.html ;

(2) – v. 15. Cf. Jérémie 1, 5.

(3) – v. 16. Cf. ibid. Annonce aux païens et eschatologie de la venue du Royaume.

(4) – v. 16b-17a. L’urgence eschatologique.

(5) – v. 17. Relation « mystique » avec le Ressuscité /
        aucun besoin de consulter ceux qui l’ont connu avant la croix.

(6) – v. 18-19, « trois ans après » ; « faire connaissance » :
        soulignement de l’égalité de Paul avec les douze dans la mission eschatologique.

(7) – v. 20. Indice d’un débat/dissension avec ses adversaires sur son rapport aux douze
        et aux autorités apostoliques de Jérusalem / Judée.

(8) – v. 21-24. Raisons pour lesquelles Paul, bien qu’envoyé ailleurs (Syrie et Cilicie), est connu,
        (favorablement) en Judée.



RP
Épître de Paul aux Galates

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2018-2019
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3) 11 & 13 décembre — Paul, apôtre de l’Évangile pour les nations. Ch. 1, 11-24


samedi 24 novembre 2018

Cathares. Indices convergents - lire les traces


https://drive.google.com/file/d/1jU03083ZsguXqrk_dNkWHGJ1W9_Sn31U/view?usp=sharing


1. Introduction : premières mentions médiévales du terme « cathares »
(ordre de « préséance », non-chronologique : concile/pape/consultant conciliaire/abbé)


1) Concile de Latran III. Il réunit environ 200 pères conciliaires. Il se tient en trois sessions, en mars 1179. Convoqué par le pape Alexandre III. Pour Rome, XIe concile œcuménique : les 200 pères viennent de toute la chrétienté occidentale (plus l’un d’eux qui est Grec) et sont co-auteurs des canons, témoins donc d’une large connaissance de ce qui y est affirmé sur l’hérésie que le concile (c. 27) nomme, entre autres, « cathare ».

Canon 27 :
« Comme dit saint Léon, bien que la discipline de l’Église devrait se suffire du jugement du prêtre et ne devrait pas causer d’effusion de sang, elle est cependant aidée par les lois des princes catholiques afin que les hommes cherchent un remède salutaire, craignant les châtiments corporels. Pour cette raison, puisque dans la Gascogne et les régions d’Albi et Toulouse et dans d’autres endroits l’infâme hérésie de ceux que certains appellent cathares, d’autres patarins, d’autres publicains et d’autres par des noms différents, a connu une croissance si forte qu’ils ne pratiquent plus leur perversité en secret, comme les autres, mais proclament publiquement leur erreur et en attirent les simples et faibles pour se joindre à eux, nous déclarons que eux et leurs défenseurs et ceux qui les reçoivent encourent la peine d'anathème, et nous interdisons, sous peine d'anathème que quiconque les protège ou les soutienne dans leurs maisons ou terres ou fasse commerce avec eux. […]
En ce qui concerne les Brabançons, les Aragonais, Navarrais, Basques, Coterelli et Triaverdini, qui pratiquent une telle cruauté sur les chrétiens qu'ils respectent ni églises, ni monastères […]. »


Mentionnant des termes privilégiés dans d'autres régions (patarins en Italie ; publicains dans le Nord ; voire cathares d'abord en Rhénanie), le concile, à vocation universelle mais visant les terres d'Oc, laisse percevoir que l'hérésie, si elle infeste particulièrement les régions d'Oc, a bien une dimension plus large.

* * *

2) Le 21 avril 1198, le pape Innocent III écrit aux archevêques d’Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone, Lyon, et à leurs suffragants : « Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares (catari), patarins… ». Texte dans Migne, Patrologie latine, t. 214, col. 82, et dans O. Hageneder et A. Haidacher, Die Register Innozens’III, vol. I, Graz/Cologne, 1964, bulle n° 94, p. 135-138. (Cit. Roquebert)
(L’historienne anglaise Rebecca Rist, relevant que les papes dénoncent en conciles et synodes clairement les cathares comme infestant la région de Toulouse, Carcassonne et Albi sans instrumentaliser cette menace dans leurs autres courriers, note que s'ils avaient inventé ce groupe comme une menace, ils auraient utilisé plus fréquemment et plus grossièrement la peur de cette hérésie.)

* * *

3) Alain de Lille, ou de L'Isle (en latin : Alanus ab Insulis), ou de Montpellier (Alanus de Montepessulano), né probablement en 1116 ou 1117 à Lille et mort entre le 14 avril 1202 et le 5 avril 1203 à l'abbaye de Cîteaux, est un théologien français, aussi connu comme poète.
Il assista au IIIe Concile du Latran en 1179. Il habita ensuite Montpellier, vécut quelque temps hors de la clôture monacale et prit finalement sa retraite à Cîteaux, où il mourut en 1202.

De fide catholica contra hereticos (1198-1202) et Liber Pœnitentialis (1184-1200)
« Au livre III du Liber Pœnitentialis paragraphe 29, allusion est faite à ceux qui favorisaient l'hérésie. C'est une reprise des prescriptions du 3e Concile de Latran (1179), c. 27 qui visait explicitement les Cathares, Patarins ou Poplicains, de la Gascogne, des environs d'Albi, de Toulouse, et «autres lieux ». Sous les noms divers que prennent les tenants de la secte, suivant les régions semble-t-il, se cache la même hérésie : le catharisme. Qu'Alain ait jugé bon de reprendre cette prescription du concile de 1179 laisse supposer qu'il se trouvait dans une province telle que la Narbonnaise où il pouvait constater les ravages causés par l'hérésie comme aussi les complicités qu'elle rencontrait.
Alain insère aussi la condamnation des Aragonais, Navarrais. Gascons et Brabançons. formulée par le même canon du Concile de Latran […] »
(Jean Longère, Le Liber Pœnitentialis d’Alain de Lille, p. 217-218).

Cf. sa Somme quadripartite, Contre les hérétiques [(* cf. infra) i.e. pour Alain comme pour les autres polémistes, les cathares, distingués des vaudois], contre les vaudois, contre les juifs, contre les payens – in Patrologie latine t. 195. Cathares = « chatistes » (Jean Duvernoy) – Alain : « on les dit "cathares" de "catus", parce qu'ils embrassent le postérieur d'un chat en qui leur apparaît Lucifer ». (P. L., t. 210, c. 366).

* * *

4) De même en Rhénanie où l’on parle d’ « hérétiques » = Ketter // Ketzer / Katze = chat (Duvernoy). Rhénanie où l’abbé bénédictin Eckbert de Schönau écrit ses Sermones contra catharos (1163) — in Patrologie latine, 195, col. 13-106. « Ce sont ceux qu'en langue vulgaire on appelle cathares »… écrit Eckbert, qui est le premier connu à mentionner le vocable « cathares ».

… Sauf si l’on en croit Christine Thouzellier qui faisait remonter le terme une dizaine d’années avant : « En l'état actuel de la documentation et jusqu'à preuve du contraire, un jugement tenu à Cologne par l'évêque Arnoul vers 1151/52-1156 et dont fait état une charte rédigée par Nicolas de Cambrai (1164/65-1167) condamne sous le nom de "Cathares" les tenants de l'erreur dualiste. Ainsi attribuée pour la première fois, l'expression réapparaît dans les actes conciliaires du Latran (1179) et sera souvent confondue avec le terme Pathare. » (In Annales du Midi, 87, n° 123, 1975, p. 347-348.)

Eckbert rattache le vocable aux « catharistes » de saint Augustin polémiquant en employant ce nom là contre une des mouvances du manichéisme (plutôt qu’aux « cathares » de l’époque du même Augustin qui renvoient plutôt aux « novatianistes »). Cathares i.e. ici, donc, « manichéens ». Selon Eckbert, ils ont « eux-mêmes assumé cette appellation de purs », selon le sens grec de catharos. Mais peut-être est-ce là aussi une reprise d’Augustin écrivant : « cathari, qui se ipsos isto nomine nominant » (De haeresibus, XXXVIII).

* * *

5) Apparaît ainsi au milieu du XIIe siècle, un terme qui revient à classer l’hérésie dans le « manichéisme » – où l’on peut noter que des hérétiques sont remarqués sous ce nom, « manichéens », dès l’an mil (chroniqueurs Raoul Glaber, Adhémar de Chabannes, Albéric des Trois Fontaines…). Depuis Arno Borst (cf. infra), on parle le plus souvent pour les hérétiques de l’an mil de pré-catharisme, et l’on fait débuter le catharisme proprement dit au milieu du XIIe siècle.

… Cela jusqu’aux mises en doute récentes de la réalité d’une entité cathare, notamment dans le Midi, suite à un développement des réflexions de Robert Moore sur la psychologie des sociétés persécutrices – où l’hérésie finit par être considérée comme inventée en tant que telle, se résumant à une simple pluralité de dissidences (Biget, Pegg, Théry, Trivellone / Moore 2). Cela au prix d’une forte « déconstruction » des sources, considérée par plusieurs comme « hypercritique ». Trois points/degrés de mise en question : la nature de la / des « dissidence(s) » (dualisme ?), son organisation (inventée ?), son existence et sa désignation (inventées ?).

Il semble que depuis octobre 2018, avec le colloque Aux sources du catharisme de Carcassonne-Mazamet présidé par l’historien Peter Biller, un retour aux sources s’opère, qui débouche sur un accord pour considérer qu’un catharisme existe bien, au moins au XIIIe siècle pour l’Occitanie (cf. par ex. le terme utilisé en équivalent de « manichéens » par le Contra manicheos, début XIIIe : « les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne » – cf. infra).

De là, et en introduction du point suivant (une bibliographie sélective – non-exhaustive ! – d’ouvrages modernes), on peut constater que sont apparus depuis longtemps plusieurs courants de lecture du catharisme – nous lirons cela à travers le parcours bibliographique ci-après, du XVIe siècle à nos jours.

Ce faisant, on notera l’évolution terminologique : l’apologétique protestante, à partir du XVIe siècle, préfère le terme régional « albigeois », pour éviter la connotation manichéenne de « cathares » ; puis contre les protestants revendiquant cette ascendance, l’apologétique catholique (Bossuet, 1688) reprend le médiéval « cathares » en synonyme de l’équivalent « manichéens » ; puis l’historien protestant strasbourgeois Charles Schmidt concède la réalité dualiste de l’hérésie et emploie pour sa part comme synonymes les termes « cathares ou albigeois » (1849) – le fait qu’il enseigne à Strasbourg (à la faculté de théologie protestante) a induit depuis quelques années, de façon un peu rapide, l’idée que le terme « cathares » aurait été au Moyen Âge exclusivement rhénan. Le pasteur Napoléon Peyrat reprend le terme « albigeois » (1870).
Au XXe siècle, alors que la norme universitaire incontestée jusqu'à Nelli et Duvernoy (années 1960-1970) est que les cathares sont une secte importée d'Orient, remontant aux manichéens, ou à la gnose, ou au marcionisme, via une généalogie précise, passant par les pauliciens d'Arménie, etc., s’imposent les termes « cathares », voire parfois simplement « manichéens » (ces termes sont par ailleurs revendiqués par les néo-cathares) ; cela jusque dans les années 1980-1990, où réapparaît le terme désignant souvent les cathares au Moyen Âge : « hérésie », qui tend à s’imposer en parallèle avec un retour d’ « albigeois ». Les deux dernières décennies renouent avec le mot cathares, fût-ce, mettant en cause leur existence, en usant de guillemets.



2. Bibliographie
non-exhaustive d’ouvrages modernes en français

(par ordre chronologique de publication du premier
ouvrage de chaque auteur mentionné sur le sujet)


Jean CHASSANION, Histoire des Albigeois, 1595 (rééd. aux éditions Ampelos [2019] avec préface
   d’Anne BRENON et introductions de Michel JAS et Roland POUPIN)

Jacques-Bénigne BOSSUET, Histoire des variations du protestantisme, Paris, 1688,
   t. XXXIV, livre XI (« cathares »)

Charles SCHMIDT, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, 2 vol.,
   Paris-Genève, 1849

Napoléon PEYRAT, Histoire des albigeois. Les albigeois et l'Inquisition, 3 vol., Paris, 1870-1872

__________________________ (Sources découvertes / éditées – cf. infra bibliographie des sources)

Steven RUNCIMAN, The Medieval Manichee, Cambridge, 1947 (trad. française, Le manichéisme
   médiéval, l'hérésie dualiste dans le christianisme
, Paris, Payot, 1949)

Hans SÖDERBERG (mouvance histoire des religions), La religion des cathares, Uppsala, 1949

Cahiers d'Études Cathares, revue (mouvance néo-cathare accueillant aussi historiens,
   philosophes… divers), 1949-1999

Antoine DONDAINE, "La hiérarchie cathare en Italie", Archivum Fratrum Praedicatorum,
   n° 17, 1949 et n° 20, 1950

[Rafaello MORGHEN, Medioevo christiano, Bari, Laterza, 1951 – pas traduit]

Déodat ROCHÉ (néo-cathare / de type steinerien), Études manichéennes et cathares, Arques (Aude),
   éd. des Cahiers d'Études Cathares, 1952

Arno BORST, Die Katharer, Stuttgart, 1953 (trad. française, Les cathares, Paris, Payot, 1978)

__________________________ (Sources découvertes / éditées – cf. infra bibliographie des sources)

René NELLI, Écritures cathares.
   La Cène secrète : Le Livre des deux principes : Traité cathare : Le Rituel occitan :
   Le Rituel latin
 : textes pré-cathares et cathares présentés, traduits et commentés
   avec une introduction sur les origines et l'esprit du catharisme (1959)
   (réédité, augmenté et annoté par Anne BRENON : Monaco, éd. du Rocher, 1994)
   La Philosophie du catharisme : Le Dualisme radical au XIIIe siècle, Paris, Payot, 1975

Jacques LE GOFF, Hérésies et sociétés dans l'Europe pré-industrielle XIe-XVIIIe siècles.
   Communications et débats du colloque de Royaumont (1962), Paris-La Haye, Mouton, 1968

Cahiers de Fanjeaux, publication consacrée, depuis 1966, à l'histoire religieuse du Midi de la France
   au Moyen Âge

Marcel DANDO, Les origines du catharisme, Paris, Pavillon, 1967

Jean DUVERNOY, Registre d’inquisition de Jacques Fournier (1318-1325), trois vol. – 1965
   (transcription latine) et 1968 (traduction), Toulouse, Privat, 1968
   (Ré-édition 2006, avec préface d’Emmanuel LE ROY LADURIE)
   Le catharisme. 1. La religion des cathares, Toulouse, Privat, 1976, 2. L’histoire des cathares, 1978

Michel ROQUEBERT, L’Épopée cathare en 5 vol. (1970-2007), Paris, Perrin, coll. « Tempus »,
   2007-2008, 1. L’Invasion, 2. Muret ou la dépossession, 3. Le lys et la croix, 4. Mourir à Montségur,
   5. La fin des Amis de Dieu

   Histoire des Cathares, Paris, Perrin, 1999
   La religion cathare : le bien, le mal et le salut dans l’hérésie médiévale, Paris, Perrin, 2001

Emmanuel LE ROY LADURIE, Montaillou village occitan, de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975

Emmanuel LE ROY LADURIE (dir.), Autour de Montaillou, village occitan,
   Actes du Colloque de Montaillou d’août 2000, Cahors, L’Hydre, 2001

Heresis, revue du Centre d’Études Cathares René Nelli, Carcassonne, 1982-2011

Robert I. MOORE, The Formation of a Persecuting Society : Power and Deviance in Western Europe,
   950-1250, 1987 (trad. française : La persécution : sa formation en Europe, Xe-XIIIe siècle, 1991)

Robert I. MOORE (dir.) La persécution du catharisme - XIIe-XIVe siècles,
   Actes de la 6e session d'Histoire médiévale, Heresis collection n° 6, 1993

Anne BRENON, Le vrai visage du catharisme, Toulouse, Loubatières, 1988, 1995
   Les Archipels cathares, Cahors, Dire, 2000

Michel JAS, Braises cathares, Toulouse, Loubatières, 1992

Roland POUPIN, La Papauté, les cathares et Thomas d’Aquin (USH Strasbourg, thèse 1988),
   Toulouse, Loubatières, 2000

Jacques BERLIOZ et Jean-Claude HÉLAS (dir.), Catharisme : l'édifice imaginaire,
   Actes de la 7e session d'Histoire médiévale, Heresis collection n°7, 1994

Monique ZERNER (dir.), Inventer l'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'Inquisition,
   Nice, C.E.M, 1998

Martin AURELL (dir.), Les cathares devant l’histoire : Mélanges offerts à Jean Duvernoy,
   Actes du colloque de Foix, 2003, Cahors, L’hydre, 2005

Michel GRANDJEAN (dir.), Écrire l’histoire d’une hérésie, Actes du colloque Mémoire du catharisme,
   Mazamet, AVPM, 2007

Jean-Louis BIGET, Hérésie et inquisition dans le midi de la France, Paris, Picard, 2007

Yves Maris, Résurgence cathare - Le Manifeste (néo-cathare / de type néo-marcionite),
   Le Mercure dauphinois, 2007

Pilar JIMENEZ-SANCHEZ, Les catharismes, Presses Universitaires de Rennes, 2008

Jean-Claude HÉLAS (dir.), 1209-2009, Cathares ; une histoire à pacifier ? Actes du colloque
   international tenu à Mazamet les 15, 16 et 17 mai 2009, Toulouse, Loubatières, 2010

[Antonio Sennis (dir.), Cathars in Question, York, Boydell and Brewer, 2016 – pas traduit]

Peter BILLER, Aux sources du Catharisme, Colloque Carcassonne-Mazamet 25-27 octobre 2018
   (actes à paraître).



3. Bibliographie commentée de sources cathares


Une traduction en langue d’Oc du Nouveau Testament (conservée à Lyon – début XIVe ; connue à Alès dès 1875, redécouverte en 1883 et éditée en 1887 par Léon Clédat) ; texte si évidemment chrétien qu’on pourrait hésiter à le considérer comme cathare, si ce n’était le Rituel occitan (dit de Lyon) qui l’accompagne, lui-même semblant si peu « dualiste » qu’on pourrait aussi s’interroger, si son équivalent liturgique en latin (Rituel dit de Florence, où il a été redécouvert) n’accompagnait un traité intitulé éloquemment Livre des deux Principes (on reviendra sur les Rituels).


Deux traités de théologie

- Le Livre des deux Principes
(XIIIe s. ; redécouvert et édité en 1939 par Antoine DONDAINE, o.p., à Florence ; publié et traduit en Sources chrétiennes) (texte en latin, accompagné d’un rituel) ;

- Un « traité anonyme », reproduit pour réfutation (traité latin attribué à Barthélémy de Carcassonne, daté du début XIIIe ; édité en 1961 par Christine THOUZELLIER) cité en vue de cette réfutation dans un texte attribué à Durand de Huesca (attribution contestée notamment par Annie CAZENAVE). Le traité anonyme est cité (comme « cathare ») avant d'être réfuté : cela se pratique depuis haute époque – pour ne donner qu'un seul autre exemple : on ne connaît Celse que par ses citations par Origène.

Michel ROQUEBERT : « le Liber contra Manicheos, le "Livre contre les Manichéens" attribué à Durand de Huesca. Chef de file des disciples de Valdès qui étaient venus en Languedoc y répandre l’hérésie des "Pauvres de Lyon", Durand revint au catholicisme romain à la faveur de la conférence contradictoire tenue à Pamiers en 1207 et se mit, dès lors, à écrire contre les autres hérétiques languedociens. Son ouvrage est peu ordinaire : c’est la réfutation d’un ouvrage hérétique que l’auteur du Liber prend soin de recopier et de réfuter chapitre après chapitre ; l’exposé, point par point, de la thèse hérétique est donc présenté, et immédiatement suivi de la responsio de Durand. Or le treizième chapitre du Liber est tout entier consacré à la façon dont les hérétiques traduisent, dans les Écritures, le mot latin nichil (nihil en latin classique) ; les catholiques y voient une simple négation : rien ne… Ainsi le prologue de l’évangile de Jean : Sine ipso factum est nichil, "sans lui [le Verbe], rien n’a été fait". Les hérétiques, en revanche, en font un substantif et traduisent : "Sans lui a été fait le néant", c’est-à-dire la création visible, matérielle et donc périssable. Preuve, au passage, de leur dualisme. Mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Laissons la parole à Durand : "Certains estiment que ce mot ‘nichil’ signifie quelque chose, à savoir quelque substance corporelle et incorporelle et toutes les créatures visibles ; ainsi les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… ["Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.]" Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare: le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217. »

Voilà un document, le Liber contra Manicheos, où se croisent les cathares, manichéens, etc., des polémistes qui les nomment ainsi, et les hérétiques du traité anonyme que le Liber contra Manicheos présente comme traité cathare à réfuter, et dont la théologie correspond à celle d'un autre texte hérétique connu comme le Livre des deux Principes ! Où le Liber contra Manicheos devient comme un pont entre leurs ennemis, qui seuls les nomment cathares, et les hérétiques, cathares, qui eux ne se nomment jamais ainsi mais développent dans le Livre des deux Principes la même théologie que les polémistes catholiques nomment donc « cathare », ou (c’est ce que signifie pour eux « cathare ») « manichéenne ».


Trois Rituels, dits :

- de Lyon (occitan), annexé au Nouveau Testament occitan ;
- de Florence (latin), annexé au Livre des deux Principes ;
- de Dublin (occitan, conservé à Dublin, redécouvert et édité en 1960 par Théo VANCKELER) — avec éléments d’accompagnement, ou de préparation, en l’occurrence une glose du Pater, et une Apologie de la vraie Église de Dieu.

Ces textes émanent, depuis différents lieux, de ceux que les sources catholiques appellent cathares : des rituels équivalents suite à un Nouveau Testament et suite à un traité soutenant le dualisme ontologique, tout comme le soutient aussi le traité cathare anonyme donné dans un texte catholique contre les cathares !… Textes suffisamment éloignés dans leur provenance (Occitanie, Italie), et dont la profondeur de l’élaboration implique un débat déjà nourri avant le début XIIIe où apparaît le « traité anonyme ».


À quoi on pourrait ajouter :

— Deux versions latines de l’Interrogatio Iohannis, (XIIIe s.) texte bogomile présent dans les registres occidentaux de l’inquisition concernant les cathares (avec fragments bulgares du XIIe s. / et les cathares sont aussi parfois appelés « bougres », i.e. « bulgares »),
- une conservée à Vienne (témoin le plus ancien, édité depuis 1890) annexée à un Nouveau Testament en latin,
- l’autre trouvée à Carcassonne (éditée dès 1691).
Pour l’Interrogatio Iohannis, cf. les travaux d’Edina BOZOKY, Le Livre secret des Cathares, Beauchesne, 1997 ; rééd. Le livre secret des cathares : Interrogatio Iohannis, préface d’Émile TURDEANU, Beauchesne, 2009.
Voir aussi les travaux récents du chercheur tchèque David ZBIRAL sur le contact bogomilo-cathare, outre ses recherches notamment sur le Livre de deux Principes.

Tous ces textes sont été traduits et publiés en français, et rassemblés en un volume en 1959 par René NELLI, in Écritures cathares, rééd. annotée et augmentée par Anne BRENON, éd. du Rocher, 1994.

* * *

À quoi s’ajoutent, outre les textes des chroniqueurs médiévaux, de très nombreuses sources inquisitoriales et polémiques traduites et publiées notamment par Jean DUVERNOY, parmi lesquelles notamment le Registre d’inquisition de Jacques Fournier, rendu célèbre par Emmanuel LE ROY LADURIE : c’est à partir du travail de Duvernoy qu’il a écrit son fameux Montaillou village occitan. Mentionnons aussi parmi les éditeurs modernes de textes médiévaux les dominicains Antoine DONDAINE (cf. supra) et Franjo SANJEK, éditeur in Archivum Fratrum Praedicatorum de la Summa de Catharis de Rainier Sacconi, ancien dignitaire cathare repenti entré chez les Frères Prêcheurs, parlant, entre autres « Des Cathares toulousains, albigeois et carcassonnais ».

* * *


Résumé sous forme de schéma :



Deux remarques :

— Le mot « cathares »n’apparaît dans aucune des sources hérétiques… sauf, sous la plume du polémiste, dans le Liber contra Manicheos, reproduisant comme cathare un traité équivalent en théologie au Livre des deux Principes (LDP), qui ne se nomme pas « cathare » ! Où se confirme ce que l’on sait déjà (définitivement depuis la fin des années 70 – par les travaux de Jean Duvernoy) : les cathares ne se nomment pas ainsi, pas plus que « manichéens » ; leurs adversaires les « traitent » (péjorativement) de cathares, i.e. « manichéens ».

— Le dualisme n’apparaît explicitement que dans les traités dogmatiques et exégétiques, et n’est que sous-jacent dans la théologie pratique et les Rituels, y compris dans le Rituel de Florence où il accompagne un traité très explicitement dualiste.
Pour donner une analogie de ce phénomène : que ce soit à l’époque orthodoxe (XVIe-XVIIe siècles) des Églises réformées ou à leur époque néo-orthodoxe (XXe siècle), la doctrine de la prédestination est professée (elle est même parfois considérée – à tort – comme clé de voûte) ; elle apparaît évidemment dans les traités de théologie, mais jamais dans les liturgies. Un historien de l’avenir qui considérerait de là qu’il ne s’agit pas de la même Église dans les traductions de la Bible, les liturgies et textes pédagogiques d’un côté (équivalent côté cathare à Lyon et Dublin plus rituel de Florence) et les textes théologiques de l’autre (équivalent côté cathare aux traités théologiques, de Florence et de Carcassonne) se tromperait lourdement. D’où l’utilité de connaître un minimum de théologie et de pratique théologique pour étudier des textes religieux (et ceux des cathares en font partie !).
Ajoutons que les textes des Églises réformées, qu’ils soient liturgiques ou théologiques, ne se donnent jamais à eux-mêmes (sauf parfois récemment à titre de précision identitaire) les appellations par lesquelles les désignent les textes catholiques d’avant Vatican II, comme « hérétiques calvinistes ». On ne trouve chez ceux-ci jamais ce « titre », comme on ne trouve pas ceux de « manichéens » ou « cathares » chez les cathares !

* * *

* Apparaît sous la plume des controversistes, une distinction entre catégories de non-catholiques à combattre : cf. Alain de Lille et sa Somme quadripartite, Contre les hérétiques, contre les vaudois, contre les juifs, contre les payens – quatre catégories, donc, les cathares étant distingués, comme hérétiques, des dissidents notamment vaudois, les païens désignant les musulmans, comme entre autres chez Thomas d’Aquin, qui, dans sa Somme contre les Gentils, annonce sa méthode : contre les juifs par l’Ancien Testament (AT), contre les hérétiques par le Nouveau Testament (NT), contre les païens par la philosophie naturelle, i.e. celle d’Aristote. Chacun est combattu au moyen de ce qu’il reconnaît et qui est commun avec les catholiques : Aristote, comme on sait, pour les musulmans – et Thomas polémique avec Averroès –, contre les juifs par l’AT, naturellement, et contre les hérétiques, ce qui permet de reconnaître les cathares (et n’oublions pas qu’il a rejoint un ordre fondé deux décennies avant pour lutter contre l’hérésie languedocienne, les dominicains), par le NT – et on a retrouvé (cf. supra) un NT occitan, traduction cathare, accompagné d’un Rituel, équivalent du Rituel latin de Florence accompagnant le LDP, et du Rituel occitan de Dublin, accompagnant des traités cathares au dualisme moins prononcé que celui du LDP ou du traité anonyme.

Les rituels et les corpus où on les trouve permettent de noter que le catharisme, certes dualiste, est en cela relativement souple doctrinalement : le LDP soutient vigoureusement l’éternité du mal – et, entre autres, la prédestination – contre d’autres cathares. Tous les textes font apparaître un dualisme de créations (au pluriel) : création mauvaise, celle de la matière que nous connaissons, et création divine préexistante, ce qui connote un christianisme au platonisme origénien (qui connaît son équivalent juif dès l’époque du NT, voire avant). On a vraisemblablement affaire à une forme archaïque du christianisme, à une époque où l’Occident accentue le naturalisme chrétien, en regard de sa lutte anti dualiste et à l’aune de philosophie arabe (c’est largement l’œuvre de Thomas d’Aquin).

La dimension de christianisme archaïque et monastique est confirmée par les Rituels, au dualisme si peu apparent qu’ils ont pu être considérés comme témoins d’une simple dissidence d’un christianisme au fond catholique. Mais on ne trouve pas le rite essentiel du consolament/um dans les dissidences en dehors des Rituels cathares, où se rejoignent et les textes cathares et les dépositions inquisitoriales, qui permettent de voir se dessiner une pratique particulière confirmant la conviction d’une réelle dualité des mondes : le consolament/um, rite central, signifiant via une imposition des mains le don de l’Esprit saint, et donc la rejonction de l’être spirituel et de son origine céleste, tous les autres rites cathares étant liés à ce rite central.

* * *

Témoignage devant l’Inquisition : « Le parfait ** Jacques Authié lisait dans un livre, et Pierre Authié, son père, le parfait expliquait en langue vulgaire, disant : "Mais ces esprits, après être descendus du ciel sur la terre, se rappelèrent le bien qu'ils avaient perdu, et s'affligèrent du mal qu'ils avaient trouvé. Le diable, les voyant tristes, leur dit de chanter, comme ils avaient l'habitude de le faire, le cantique du Seigneur. Ils répondirent : ‘Comment chanterons-nous le cantique du Seigneur sur une terre étrangère ?’ (Ps 137 / 136, 4). L'un de ces esprits dit même au diable : ‘Pourquoi nous as-tu trompés pour que nous te suivions et quittions le ciel ? Tu n'y as rien gagné, car nous y retournerons tous’. Le diable lui répondit qu'ils ne retourneraient pas au ciel, car il ferait à ces esprits, à ces âmes, des tuniques telles qu'ils n'en pourraient sortir, dans lesquelles ils oublieraient les biens et les joies qu'ils avaient eus au ciel" ».

Dualité des mondes, c'est ce qu'enseignait déjà Origène, au IIIe s. Une citation d’Origène, Traité des Principes III, 4, 4-5 : « […] l'âme, lorsqu'elle a acquis une sensibilité plus grossière, parce qu'elle se soumet aux passions du corps, est opprimée sous la masse des vices et elle ne sent plus rien de subtil et de spirituel ; on dit alors qu'elle est devenue chair et elle tire son nom de cette chair qui est davantage l'objet de son zèle et de sa volonté. Ceux qui se posent ces questions ajoutent : Peut-on trouver un créateur de ces pensées mauvaises qui sont dites la pensée de la chair ou peut-on appeler quelqu'un ainsi ? En effet ils soutiendront qu'il faut croire qu'il n'y a pas d'autre créateur de l'âme et de la chair que Dieu. Si nous disons que c'est le Dieu bon qui, dans sa création elle-même, a créé quelque chose qui lui soit ennemi, cela paraîtra tout à fait absurde. Si donc il est écrit : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu et si on dit que cela s'est fait à partir de la création, il semblera que Dieu ait créé une nature qui lui soit ennemie, qui ne puisse être soumise ni à lui ni à sa loi, car on se sera représenté comme un être doué d'âme cette chair dont on parle. Si on accepte cette opinion, en quoi paraît-elle différer de la doctrine de ceux qui se prononcent pour la création de natures différentes d'âmes, destinées par leur nature au salut ou à la perdition ? Seuls des hérétiques pensent ainsi et, parce qu'ils n'arrivent pas à soutenir par des raisonnements conformes à la piété la justice de Dieu, ils inventent des imaginations aussi impies.
Nous avons exposé dans la mesure de nos forces, d'après les tenants des diverses opinions, ce qui peut être dit par manière de discussion sur chacune de ces doctrines : que le lecteur choisisse de cela ce qu'il trouvera plus raisonnable d'accepter. »


Ce qu'Origène, qui n'ose donc pas attribuer la malignité de ce monde à Dieu, ce qu'Origène ne dit pas explicitement !, les cathares le diront sans ambiguïté, radicalement en certains de leurs courants : le monde naturel, le monde du temps et de l’histoire, avec ce qu'il véhicule de mauvais, relève du Mal.

** Le terme « parfaits » est considéré généralement de nos jours comme à visée insultante (= « hérétiques parfaits »). On lui préfère le terme par lequel les nomment leur croyants : bons hommes et bonnes femmes. Je m’interroge sur ce point en regard du NT (et en accord avec Chassanion qui faisait déjà la même remarque) : « nous qui sommes parfaits » (Ph 3, 15), « c’est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits (1 Co 2, 6)… Ordre religieux (ordre d’hommes et ordre de femmes), pour ceux qui admettent par leur recoupement une certaine fiabilité des témoignages inquisitoraux (pour ceux qui ne les déconstruisent pas jusqu’à leur ôter tout crédit), il s’institue en son sein une hiérarchie épiscopale : des évêques assistés d’un « fils majeur » et d’un « fils mineur », appelés à leur succéder, et des diacres. Les « parfaits », bons hommes ou bonnes femmes, ont seuls le pouvoir d’administrer le consolament/um par imposition des mains pour le don de l’Esprit saint, pour le salut et/ou l’ordination comme « parfait ». Où l’on retrouve les Rituels sur lesquels tous aujourd’hui semblent s’accorder pour les considérer comme témoins d’une forme de christianisme ancien, de type monastique. Où les analogies avec un certain monachisme origénien, mentionnées ci-dessus, pourraient se retrouver.




Cf. articles sur les cathares ici.


vendredi 9 novembre 2018

Un Évangile venant de Dieu seul




Galates 1, 1-10

1 Paul, apôtre, non de la part des hommes (1), ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts (2),
2 et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie :
3 à vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ,
4 qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde du mal (3), conformément à la volonté de Dieu, qui est notre Père.
5 A lui soit la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
6 J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un évangile différent.
7 Non pas qu’il y en ait un autre (4) ; il y a seulement des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Évangile du Christ.
8 Mais si quelqu’un, même nous ou un ange du ciel, vous annonçait un Évangile contraire à celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème (5) !
9 Nous l’avons déjà dit, et je le redis maintenant : si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !
10 Car, maintenant, est-ce que je cherche la faveur des hommes ou celle de Dieu ? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes ? Si j’en étais encore à plaire aux hommes, je ne serais plus serviteur du Christ (6).


***


Quelques questions :

(1) Implications quant à la légitimation d'un ministère — entre appel interne ("non de la part des hommes") et appel externe (reconnaissance par l'institution). (Cf. Jérémie, Luther, Jeanne d'Arc, etc.)

(2) De l'humanité ("ni par un homme") du Christ à la proclamation par le Père de sa divinité (sa filialité divine) par sa résurrection (cf. Romains 1, 4 : "déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur"). Cf. 2 Corinthiens 5, 16 : "Ainsi, dès maintenant, nous ne connaissons personne selon la chair ; et si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière."

(3) Paul et les "deux" mondes : ce "monde du mal", qui a crucifié le Fils de Dieu et le monde à venir, déjà paru "selon la volonté de Dieu", dans la résurrection du Christ.

(4) Quel "autre évangile" ?

(5) Quelle légitimation de la vérité de la parole annoncée et reçue ?

(6) Le coût de la fidélité à la vérité reçue. (Cf. Bonhöffer, Martin Luther King, etc.)



RP
Épître de Paul aux Galates

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2018-2019
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
2) 13 & 15 novembre — Salutation / Objet de l’Épître. Ch. 1, 1-10


jeudi 11 octobre 2018

Sur l’Épître de Paul aux Galates




La Galatie et l’Épître aux Galates

L'essentiel de nos renseignements sur la Galatie est dû à Strabon (Géographie XII, 5 sq.) : territoire au centre de l'Asie mineure, et, depuis 25 av. J.C., province romaine — plus large que le territoire galate proprement dit — incluant notamment la Pisidie, la Lycaonie, et une partie de la Pamphylie au Sud ; et une partie du Pont au Nord.

La date de 25 av. J.C. à laquelle la Galatie devient province romaine, est celle de la mort de son dernier roi, Amyntas. À cette date, les Galates avaient conquis de larges territoires sur leurs voisins, certains repris aux anciens conquérants phrygiens.

La présence de Galates en Asie mineure remonte à 278-277 av. J.C., lors des invasions celtiques (Galates = Galataï ou Galloï, Gaulois).

Jusqu'à leur unification, sous Dejoratus, en 63 av. J.C., les Galates étaient divisés en trois tribus : Trocmes, Tectosages, Tolistobogii, y compris après avoir été défaits par les Romains en 189, puis être devenus leurs alliés.

À l'époque du Nouveau Testament, la Galatie est cette province romaine avec Ancyre pour capitale, comprenant en outre les territoires conquis auparavant.

Cette distinction dès lors possible entre territoire galate et province de Galatie a entraîné des débats entre critiques sur la question de savoir où étaient les Églises de Galatie auxquelles écrivait Paul.

Dès l'époque des Pères et jusqu'au XIXe siècle, on s'accordait à les situer en territoire galate proprement dit. Mais l'évêque danois Mynster, au XIXe siècle, avait proposé d'y voir des Pisidiens et des Lycaoniens, ces habitants du Sud de l'Asie mineure rattachés administrativement à la province de Galatie. On en est venu à parler depuis de "Sud-Galatie", que l'on distingue du territoire galate proprement dit, désigné ainsi comme "Nord-Galatie" ou "Galatie ethnique".

Pour cette hypothèse, dite "sud-galatique", la Galatie proprement dite pourrait ne pas intéresser le Nouveau Testament plus que par ses brèves mentions d'Actes 16:6 et 18:23.

W. R. Ramsay, au tournant du XXe s., en est même venu à nier qu'il soit question en ces textes de la région de Galatie, arguant que l'on peut lire en Actes 16:6 "Phrygie galate" au lieu de "Phrygie et Galatie". Mais cette lecture est plus difficile à soutenir pour Actes 18:23. En outre ce territoire, peut-être toutefois en partie arraché aux Phrygiens par les Galates, est plutôt appelé Pisidie par les Actes, avec Antioche de Pisidie pour capitale.

L'argument qui consiste à dire que le Nouveau Testament emploie les dénominations provinciales de l'administration romaine plutôt que des désignations territoriales ne vaut pas pour Luc : le même passage d'Actes 16, celui cité par Ramsay, parle de la Mysie où Paul se rend, et qui, comme la Phrygie, n'est pas une province romaine, mais un territoire de la province d'Asie, dans laquelle Asie (donc le territoire) Paul ne se rendra pas !

Quant au fait que la première mention d'une Église galate hors Nouveau Testament — relevée par Eusèbe de Césarée relatant l'histoire de la crise montaniste (Hist. Eccl. V, xvi) —, date des années 190 env., ce qui trouble les "sudistes", il demeure peu probant : le cas est loin d'être unique.

Ce texte d'Eusèbe suscite d'ailleurs une autre question : y a-il eu une Phrygie galate ? Eusèbe y parle bien (ibid.) de Phrygiens en Galatie, mais au Nord, à Ancyre !

Si elle n'est pas sans faille, l'hypothèse "sud-galatique" garde toutefois son intérêt. Elle a même connu un accroissement de son succès en ce qu'elle a été reprise par les tenants d'une haute date pour la rédaction de l'Épître aux Galates (Ga), avant la venue de Paul en Galatie proprement dite selon Actes 16 et 18 ; c'est ainsi que l'exégète catholique Valentin weber, qui, au tournant du XXe siècle, était sensible aux conclusions de l'école de Tübingen jugeait Actes 15 et Ga 2 inconciliables. Peu enclin à suivre l'école de Tübingen pour remettre en question la fiabilité historique d'Actes, Weber, dans cette perspective, situait donc Ga 2 avant Actes 15, considérant les voyages de Paul en Galatie comme correspondant à ses voyages dans les régions du Sud de l'Asie mineure mentionnés dans le livre des Actes. L'hypothèse — et la controverse en son entier — reste largement spéculative, on le comprend: on ne peut pas exclure la possibilité de visites de Paul — en Galatie ou ailleurs — non mentionnées par le livre des Actes ! C'est ainsi, par exemple, que Calvin, qui ne connaissait pas d'hypothèse "sud-galatique" datait l'Épître aux Galates d'avant Actes 15 et donc avant les visites de Paul en Galatie d'Actes 16 et 18.

Il appartenait à Lightfoot, au XIXe, de se faire l'avocat de la géographie classique, celle de l'hypothèse ancienne à laquelle la plupart des critiques sont revenus depuis, celle d'une Épître aux Galates adressée aux Galates (3:1) proprement dits.


Authenticité paulinienne de l’Épître

Pour les Pères, l'authenticité paulinienne de l'Épître ne fait pas problème. Elle ne sera pas remise en question avant le XIXe siècle, par B. Bauer, puis par Loman et l'école dite hollandaise, en contre-pied de l'école de Tübingen.

Admettant qu'Actes 15 et Galates 2 relataient le même événement, et les jugeant inconciliables, l'école de Tübingen , avec F. C. Baur. avait remis en question la fiabilité historique du livre des Actes des Apôtres (Ac). Bauer et Loman, assumant l'idée de l'inconciliabilité des deux textes aboutissaient à une conclusion différente: l'Épître aux Galates y était perçue comme un écrit marcionite du lIe s., qui, professant un paulinisme outré et exclusif, voulait durcir le conflit, que relatait plus fidèlement Actes, entre Paul et Jérusalem. L'Épître n'a pas connu d'autre contestation de son authenticité.


Date et lieu de rédaction

À part les courants Bauer et Loman, qui la datent du lIe siècle, tous admettant l'authenticité paulinienne de l'Épître, on fixe le terminus ad quem dans les années 60 (captivité et mort de Paul). Elle aurait alors pu être rédigée à Rome.

Le terminus a quo peut être remonté jusque vers 48 env. (pour qui admet que l'Épître est antérieure au concile d'Ac 15). Dans cette hypothèse, l'Épître aurait pu être écrite l'Antioche ou de Jérusalem.

On a parfois proposé une origine en Macédoine. en 52 env. (juste après Ac 5 ).

La provenance la plus classiquement admise, dès l'ère patristique, est Éphèse. L'Épître y aurait été rédigée en 55 environ.


La relation Actes 15 - Galates 2

La question sous-jacente à celle de la datation est celle de la relation entre Ga 2 et Ac 15.

La position classique ne remettait pas en cause l'idée qu'il pouvait s'agir, dans les deux récits, du même événement. Calvin est le premier à avoir remis en question cette unanimité : pour lui les divergences entre les deux récits sont trop profondes pour qu'il soit possible d'y voir bien le même événement. Il suppose donc une première rencontre des Apôtres à Jérusalem, avant le concile d'Ac 15. C'est cette rencontre que rapporterait Paul en Ga 2.

La question en est restée là jusqu'au XIXe s., quand F. C. Baur était arrêté comme Calvin par les divergences des récits, mais contre lui il jugeait qu'ils étaient toutefois trop ressemblants pour qu'on puisse admettre qu'ils référaient à des événements différents. Les Actes étaient perçus comme un récit visant à arrondir les angles d'un conflit, dont Galates ne cachait pas la virulence, entre Pierre et Paul.

Outre la réponse de Bauer, contestant l'authenticité de Galates, l'école de Tübingen sera contredite par l'exégète catholique Valentin Weber : comme les précédents il juge les deux récits inconciliables. Il en vient à une conclusion similaire à celle de Calvin : Actes et Galates ne parlent pas de la même chose. Weber appuie son hypothèse sur la théorie "sud-galatique" : ce n'est pas aux deux visites en Galatie d'Ac 16 et 18 que Paul fait allusion en Ga 4 mais à ses passages au Sud de l'Asie mineure relatés en Ac 13 et 14.

Enfin, majoritaires sont les exégètes contemporains qui jugent que les deux récits, parlant du même événement, ne sont nullement inconciliables (Lightfoot, Lagrange, Bonnard,…).


Destinataires

Jusqu'au XIXe s., on admettait unanimement que l'Épître était adressée aux Galates proprement dits (3:1) — ou "du Nord" (cf. supra). Cette approche, contestée au XIXe s. par Mynster, a vu son succès décroître au XIXe s. Ramsay niera même que Paul soit jamais venu en Galatie au sens strict.

Pour la nouvelle théorie,"sud-galatique", il faut entendre par la Galatie la province romaine de Galatie, et comprendre que les destinataires de l'Épître sont les habitants du Sud de cette province, à savoir les Pisidiens, Lycaoniens ou Pamphiliens, de cette région que Paul visitait souvent.

Les avocats de l' hypothèse classique font remarquer que Paul s'adresse à des Galates (3:1), pas simplement à la province de Galatie. Pour la majorité de ces derniers — dont se sépare Calvin — l'Épître a été rédigée après Ac 15, les deux visites mentionnées par Paul (Ga 4:13) pouvant correspondre à Ac 16:6 et 18:23.


L’occasion de la rédaction de l’Épître

Un enseignement s’est répandu dans les Églises de Galatie, composées principalement de chrétiens d' origine païenne, enseignement selon lequel ces chrétiens devraient pratiquer les prescriptions de la Loi de Moise, notamment ses cérémonies, et particulièrement la circoncision.

On ne peut que penser à un parallèle avec Ac 14, où il est question de chrétiens de tradition pharisienne qui veulent imposer aux chrétiens païens la circoncision.

Selon les exégètes préférant une date pré-conciliaire de rédaction de l'Épître, le problème galate aurait été définitivement réglé par la décision d'Ac 15. La rencontre mentionnée dans l’Épître précédant, pour cette option, celle d'Ac 15, — malgré un certain accord entre Paul et Jérusalem — n'aurait pas pleinement tranché le débat.

Du côté de ceux qui optent pour une datation post-conciliaire — et qui reconnaissent en Ga 2 le même événement qu'en Ac 15 —, pour d'aucuns (Lagrange) les adversaires de Paul ne tiennent tout simplement pas compte des décisions du concile. Mais alors ce qui semble être de leur part une subtile revendication de l'appui de Jérusalem — rendant plus laborieuse l'argumentation de Paul —, s'explique difficilement.

C'est ainsi que pour d'autres (comme Cornely), les décisions de Jérusalem n'ont pas mis fin à tout débat, ceci expliquant le ton et les difficultés de Paul dans sa défense. Les partisans de la circoncision des païens reviendraient à la charge, présentant la pratique du rituel mosaïque comme passage à une étape supérieure de la vie chrétienne, sorte de "conseils spirituels."

Elle pourrait même être recommandée par Jacques, si l'on en croit Loisy, qui trouve ce conseil raisonnable et juge Paul sectaire. Mais Paul semble bien revendiquer son accord avec Jacques.

Pour l'école de Tübingen, suite à Baur, c'était Pierre qui était l'adversaire de Paul, Pierre qui ne saisirait pas l'enjeu de l'exigence radicale de Paul.

Mais Paul est de fait très proche des positions qu'il reproche à Pierre (cf. Ga 2, 1 Co 10, Ro 14). Le problème de Pierre est vraisemblablement en ce qu'il n'a pas encore arrêté de position quant à un comportement pratique sur le plan de la communion avec les païens. Paul lui reproche plutôt l'ambiguïté que manifestent ses hésitations que sa position théologique. Car concrètement, Paul lui-même invite les païens à s'abstenir de nourriture non-casher, à son exemple (Ro 14). C'est ainsi que par le biais de sa réflexion théologique, il en vient à la pratique concrète recommandée par Jacques.

C'est probablement du fait de la souplesse de la décision de Jérusalem, et donc de Jacques, que le conflit a pu prendre le tour qu'il a pris.

En effet, si l'on considère attentivement l'accord de Jérusalem (Ac 15:21), on remarque qu'il ne fait que reprendre l'enseignement synagogal à l'égard des craignant-Dieu, sans donner de précision supplémentaire. Cela correspond vraisemblablement à ce que l'on appelle la loi de Noé, dont la pratique seule est requise des craignant-Dieu, dont la conversion totale au judaïsme sera toutefois bien accueillie.

Car il n'est pas exclu pour les craignant-Dieu de devenir prosélytes à part entière. C'est là, dans le judaïsme, passage à une étape supérieure dans la vie religieuse.

Les partisans de l'intégration plénière des païens chrétiens à la communauté juive pouvaient probablement par là introduire une subtilité du genre : certes les païens ne sont pas obligés de se faire circoncire, mais s'ils le font, c'est mieux. En quelque sorte, ils durciraient en "conseil spirituel" ce que Jacques se contente de ne pas exclure.

Subtile façon de ré-avancer ce que Jacques rejetait, d'où la difficulté qu'a Paul à s'appuyer sur l'accord de Jérusalem. Qu'il revendique toutefois.


L’enjeu du débat

On pourrait se demander avec Loisy si Paul ne chipote pas. En fait pour lui, l'enjeu est capital : il y va de l'avenir de la mission auprès des païens. Si, en effet, les païens chrétiens en viennent à considérer leur situation comme inférieure, et donc, préférablement provisoire, la large ouverture que permet la dispense du passage par les rites difficiles du judaïsme, et notamment la circoncision, est ruinée : devenir chrétien équivaut ultimement à devenir juif, avec toutes les difficultés rituelles traditionnelles pour les nouveaux venus. D'où l'ardeur de Paul à défendre sa cause.


Les conséquences théologiques

La combat de Paul a des conséquences théologiques considérables : il lui permet de développer dans toute sa rigueur son enseignement sur la justification par la foi. C'est là le cœur de l'alliance, déjà pour Abraham. C'est par la confiance aux promesses de Dieu que s'obtient la justice, indépendamment de la pratique légale. C’est si vrai que cela concerne aussi ceux qui observent le cérémonial mosaïque, les juifs, comme Paul lui-même, ainsi que Pierre (Céphas). L'observance de la Loi n'ajoute rien à leur justice, semblable à celle d'Abraham et scellée dans le Messie.

Il faut préciser, comme l'a compris Martin Luther, que cela ne concerne pas seulement les dispositions cérémonielles de la Loi, mais la Loi sous tous ses aspects : chez Paul, n'apparaît pas la distinction qu'a faite la théologie chrétienne ultérieure entre aspect moral et aspect cérémoniel.

Le fait qu'il n'y ait pas d'indices permettant de dire que Paul faisait une distinction moral/cérémoniel quant à la Loi soulève une difficulté : Paul serait-il antinomien ?

C'est là un des arguments des opposants de Paul : "Christ serait-il serviteur du péché ?" Et c'est vraisemblablement une des raisons des développements moraux des ch. 5 et 6 : réponse anticipée à l'objection d'encouragement au laxisme (inutile d'y voir trace d'un autre groupe d'adversaires de Paul).

Paul a, en fait, une approche de la Loi qui lui est propre, riche et nuancée. Il en retient surtout la valeur pédagogique, "pour conduire au Christ". Cela pourrait faire croire que pour lui la Loi est reléguée dans le passé. Il n'en est rien. Cette fonction pédagogique n'est pas abolie dans l'histoire avec la venue du Messie, ni même pour l'individu avec sa conversion au Messie : le Christ est toujours notre avenir, et notre péché persistant, que révèle toujours la Loi, est toujours notre passé à surmonter dans la foi en Dieu.

En outre. pour fonctionner, cette dimension pédagogique de la Loi doit supposer de la part du croyant une prise au sérieux de son enseignement, et donc une valeur normative de Loi. C'est ici que se place la difficulté majeure: comment reconnaître la valeur normative de la Loi, tout en enseignant que les chrétiens païens sont dispensés d'en pratiquer les dispositions ?

C’est ici que prend place la distinction, délicate, de la lettre et de l'esprit: la lettre de la Loi porte un enseignement, moral, qu’il s’agit de discerner, en usant de raison. Enseignement qui n'est pas sans rapprocher de l'idée de loi naturelle et qui fondera la distinction ultérieure entre aspect moral et aspect cérémoniel. Pour Paul, la Tora n'en demeure pas moins l'expression de la Vérité, qui norme notre comportement. Elle n'est nullement abolie. Dans la foi qui reçoit la justification. est abolie la condamnation que fait peser la Loi sur celui Qui la transgresse. Paul invite les païens à user de la Loi pour dégager le cœur de son enseignement, l'amour du prochain, mais les dispense de sa pratique littérale.

C'est dans cette perspective qu'il faut considérer sa comparaison, qui autrement, serait incompréhensible, entre la Loi mosaïque et les rites du paganisme ! (Ga 4:8-10.) C’est dans cette perspective aussi qu'il faut percevoir la leçon allégorique du ch. 4. Juifs comme Grecs dépendent, quant à leur filiation abrahamique, de la foi en la promesse de Dieu scellée dans le Christ, et non d'un héritage naturel (cf. Jean-Baptiste. ou Jésus). Il n'est nullement question ici d'un rejet d'Israël et de Jérusalem, mais d'un rejet de l'enseignement de qui ne voudrait reconnaître de filiation que naturelle. et plus précisément rituelle : c'est là, et là seulement, "l'esclavage" à bannir. (Inutile de s'arrêter sur le fait qu'il est encore plus aberrant de vouloir y voir les Arabes ou l'islam — comme a été tentée de le faire la polémique chrétienne depuis l'Hégire — ainsi Jean Damascène).

C’est à travers cette riche pensée théologique que Paul. par la controverse, met en place son message : la justification par la foi seule, indépendamment de toute pratique légale, pour une libération en vue de la consécration au service de Dieu, pour le prochain. C'est là le cœur de l'enseignement de la Loi (le double commandement) et le seul Évangile, Évangile qui permet à Paul de proclamer en Christ l'égalité des juifs et des païens (Ga 3:28).

RP


Bibliographie

Strabon, Géographie, XII, 5, Paris, Belles lettres, 1981 (t. IX)
Lightfoot, The Epistle of S. Paul to the Galatians, (London, 1865) Grand Rapids, 1957.
W. R. Ramsay, A Historical Commentary on the S. Paul Epistle to the Galatians, London, 1900.
M. Luther, Commentaire de l'Épître aux Galates, Œuvres t. XV ; Labor & Fides, (1538) 1969.
J. Calvin, Commentaires sur le Nouveau Testament, l'Épître aux Galates, Labor & Fides, (1548) 1958.
M. J. Lagrange, S.Paul, Épître aux galates, Paris. Gabalda, 1918, 1925.
Bonnard, L'Épître de S. Paul aux Galates, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé. 1953.
H. D. Betz, Galatians, Philadelphia, U.S.A., Fortress Press, (1979) 1984.
Simon Légasse, L'Épître de Paul aux Galates, Cerf, 2000.
Paul-Dominique Dognin, « La foi étant venue… » L'épître aux Galates, coll. Connaître la Bible, no 25, Bruxelles, Lumen Vitae, 2001.
Alain Gignac, « Une approche narratologique de Galates. État de la question et hypothèse générale de travail. », Science et Esprit, 58, 2006.


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Étude biblique 2018-2019
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1) 9 & 11 octobre — Introduction à l’Épître


mercredi 10 octobre 2018

À propos de Paul




« Conversion » d’un envoyé du Temple

Shaoul/Paul vit quelque chose de décisif à l'occasion du moment relaté par le livre des Actes des Apôtres : chargé par les autorités de Jérusalem d'un mandat de poursuite des disciples du Crucifié, perçus par les Romains comme un groupe subversif qui semble donc représenter une menace pour l'existence juive, Shaoul/Paul est saisi par sa perception intime du Ressuscité pour un changement de perspective radical : l'irruption du Royaume universel espéré ici et maintenant — ouvrant dès lors sur la possibilité d'un changement d'attitude chez des Romains menaçants pour l'intégrité d'Israël.

Le livre des Actes des Apôtres parle de « zèle », parfois traduit par jalousie, à propos de l’attitude des autorités judéennes que partage leur envoyé, Shaoul/Paul. « Zèle » compréhensible, mentionné aussi dans les évangiles concernant Jésus, explicitement chez Jean : s’il continue, les Romains viendront détruire notre nation. Ça vaut pour Jésus, ça vaut pour ses disciples, les nazaréens. Cf. Actes 5, 17 et le « zèle » du sanhédrin.

Or pour Shaoul/Paul, l'événement du chemin de Damas ouvre sur une mission facilitée auprès des goïm, quant à la possibilité pour eux d'entrer dans la mouvance juive sans les rites qui leur font obstacle. Effet de l'imminence de la présence du Règne universel. Dans cette perspective, non seulement la secte des disciples n'est pas menaçante pour Israël, mais peut en faciliter la compréhension via des goïm qui s'en rapprochent.

Lorsque, suite à l’événement du chemin de Damas, il cesse d’avoir la conviction que la secte des disciples de Jésus est menaçante (conviction qui n’a rien d’illégitime !), Shaoul/Paul ne cesse pas pour autant d’être pleinement juif revendiqué. Actes 5 nous avait prévenus que Gamaliel avait demandé la prudence (Ac 5, 34) quant à la conviction plus commune qui était aussi celle de Paul avant le moment chemin de Damas. Paul, qui on le sait se revendique de l’enseignement de Gamaliel (Ac 22, 3), s’inscrit désormais dans la ligne de la remarque du maître, convaincu pour sa part (un pas plus loin que le maître) que la secte des nazaréens vient bien de Dieu.

S’il y a conversion de Shaoul/Paul, ce n’est en aucun cas un changement de religion, mais un mouvement de techouva au sein de son judaïsme dont il considère désormais que la mission historique arrive à son terme prochainement avec l’avènement du Règne de Dieu manifesté déjà pour lui dans celui qu’il rencontre sur le chemin de Damas comme le Ressuscité.

À l’instar du conseil de Gamaliel, et a fortiori puisqu’il est des nazaréens désormais, il juge à présent inopportun de persécuter une secte en laquelle il ne voit plus rien de subversif pour son peuple, au contraire ! Il se fera désormais le témoin du Royaume tout proche auprès des nations : le temps annoncé par les prophètes où toutes les nations viennent adorer à Jérusalem est imminent.

Envoyé aux nations, d’où l’usage privilégié désormais de son nom romain, Paul, plutôt que de son nom hébreu, Shaoul, puisqu’il porte les deux, étant citoyen romain de naissance (Ac 22, 25-28). Cela n’implique pas forcément un changement de nom. Mais un changement de vis-à-vis exprimé dans l’usage de son nom romain — de naissance tout autant que son nom juif.


Conviction eschatologique

En tout cela, une conviction eschatologique : le Règne de Dieu est proche — qui fonde son attitude et son apostolat. En regard des promesses prophétiques : la montée de toutes les nations à Jérusalem, il est urgent de faire connaître le Nom de Dieu, et de celui par qui il fait venir le Royaume, à toutes les nations. Établissement du Règne, ou plus précisément restauration du Règne de Dieu via Israël (cf. Actes 1, 6). Restauration, mais restauration élargie aux nations, ce qui ne fut pas le cas auparavant.

Dans ce processus, Israël a connu un échec considérable, qui est l’exil, advenu au tournant des VIe-Ve siècles av. JC, avec la domination babylonienne, situation jamais pleinement résolue. C’est là la « chute », « la défaite » littéralement, dont il est question en Romains 11 (cf. Ro 11, 11-12). Défaite avec sa face… « positive », un effet imprévu : le Nom de Dieu proclamé parmi les nations, effet déjà amorcé auparavant, mais que Paul, au regard de l’urgence, prend en charge activement.

Il n’est pas question pour lui de rejeter quoi que ce soit de la Loi, qu’il observe lui-même, mais de ne pas en faire un obstacle à l’élargissement du fruit de l’Alliance aux nations. D’où sa négociation de la Loi noachide à Jérusalem en Actes 15, d’où sa grande prudence (dans sa perspective eschatologique) visant à ne pas faire de la Loi un obstacle et sa vigilance à lutter contre l’exigence de certains d’y conduire les non-juifs. D’où l’imprégnation de loi noachide aussi de ses conseils aux Corinthiens, en parallèle avec les conseils qu’il leur donne (1 Co 8-10), pour ne pas rompre d’avec Israël, d’observer la cacherout, même si, selon ses propos, ils ne seraient théoriquement pas forcément tenus de le faire, conseils qu’il donne aussi aux non-juifs de l’Église de Rome (Ro 14).

En lien avec tous ces conseils, la conviction de l’imminence eschatologique, liée à celle que le Messie de ce Règne imminent est Jésus, porteur du Nom de Dieu : cela explique l’impression d’un christocentrisme exclusiviste (l’invocation du Nom du Seigneur, Ro 10, 13, i.e. pour Paul, Christ) en parallèle avec l’affirmation d’un salut sans exclusive de « tout Israël » (Ro 11, 26). Point de contradiction si l’on comprend que le salut est fonction de l’Alliance, que Dieu déploie dans l’Histoire, Alliance scellée avec Israël et irrévocable, et à présent élargie par la venue du Messie du Règne imminent à quiconque l’invoque (Ro 10, 13, cf. Jo 2, 32 et reprise en Ac 2, 21). Conviction d’une imminence qui est celle de l’Église primitive en son ensemble, dont Paul et ses disciples. Paul l’affirme explicitement, cf. 1 Thessaloniciens 4, mais aussi 1 Corinthiens (ch. 15) et Romains 9-11, et ça reste vrai tout au long du Nouveau Testament, de quelque époque que l’on date ses livres, où on lie en outre l’avènement du Règne imminent aux menaces sur Jérusalem, en fonction d’une relecture du Livre de Daniel, relecture que l’on trouve dans les évangiles (Mt 24, Mc 13, Lc 21), dans 2 Thess. ou l’Apocalypse, de quelque époque que l’on date ces livres.

La conviction qui a animé la mission de Paul restera vraie pour ses disciples et ceux des autres Apôtres avant comme après la destruction du Temple de 70… Puis s’estompera progressivement jusqu’à la conversion de l’Empire romain, occasionnant une lecture non-eschatologique autant que non-juive de la mission de Paul, qui a fini par prévaloir et devenir filtre incontournable, jusqu’aux redécouvertes récentes de l’importance et de l’eschatologie et du référentiel de la tradition juive.

À suivre ici : Romains 9 à 11, ou lire le sens de deux fidélités


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À propos de Paul


vendredi 15 juin 2018

En présence de l'Absent



Perspectives (suite) – cf. Actes 1

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi à présent, comme le Père, absent, caché.

Le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus… qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Et quand aussi bien la Genèse que le livre des Actes nous envoient pour l’histoire, nous confient l’histoire, le risque devient rien moins que concret…

Cf. Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, texte rédigé dans les premiers mois de 1940 : « Il existe un tableau de Klee qui s’intitule « Angelus Novus » (cf. supra). Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

*

Et pourtant, c'est l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour s'approche de l’entrée de la création dans le repos de Dieu. En regard de l’ultime humilité où à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, se retire et nous laissant la place, — l’histoire, notre histoire, celle que nous avons déployée et déployons, avec sa douleur, nous enseigne alors l’humilité.

*

Cf. Jean Brun, « Hegel et la théologie », Hokhmah, n°1, Paris-Lausanne 1976, p. 7 :
« a) Il faut donc dire que la durée ne va pas du passé au présent, mais que le temps vient au présent, à partir du futur, il y a donc une dimension prévalente du temps, un avenir qui est en quelque sorte antérieur au passé. En se niant comme avenir l’avenir devient maintenant, il s’accomplit dans le présent qu’il supprime, il s’oppose au futur qu’il était et n’est plus, au passé qu’il sera et n’est pas encore. Le temps est donc l’extase de lui-même.
b) Ce ne sont pas les choses qui sont dans le temps mais c’est le temps lui-même qui est l’étoffe des choses. Cézanne dira des objets qu’ils sont des accidents de la lumière on pourrait dire que, pour Hegel, les choses sont des accidents, c’est-à-dire des moments du temps. C’est le temps qui devient chose, et qui, en tant que tel, se spatialise ; l’espace est du temps paralysé, du temps achevé et accompli.
c) Cette relation du temps et de l’espace nous met sur le chemin de la réconciliation. Le fait d’être séparé n’est pas une propriété du temps, elle est une propriété de l’espace qui l’accompagne. Car le temps n’est pas une séparation indifférente des moments, il est cette contradiction qui possède dans une unité immédiate ce qui est purement et complètement opposé : "C’est nous qui sommes l’espace, c’est nous qui sommes le temps qui meut les négativités de l’espace de telle façon qu’elles sont ses dimensions et leurs positions différentes."
Par conséquent temps et espace ne peuvent pas être séparés, par conséquent esprit et nature ne peuvent l’être davantage. Ils se réalisent réciproquement […]. »


*

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous pouvons croire de nous-mêmes. C'est là seulement que peut se compléter notre création à l'image de Dieu. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.


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Les choses de la fin

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9) 19 & 21 juin - Perspectives – Cf. Actes 1


samedi 9 juin 2018

Perspectives – Actes 1




Actes 1, 1-11
1 J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement
2 jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé.
3 C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours, il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu.
4 Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, "celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche :
5 Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours."
6 Ils étaient donc réunis et lui avaient posé cette question : "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?"
7 Il leur dit : "Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ;
8 mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre."
9 A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards.
10 Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté
11 et leur dirent : "Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel."


*

« Deuxième tome à Théophile » dont l’Évangile selon Luc est le premier, le livre des Actes des Apôtres commence par le rappel de la promesse du Ressuscité concernant l’Esprit saint — promesse en lien avec le fait que l’instauration du Royaume est différée. L’Église ne se confond donc pas avec le Royaume et son « rétablissement pour Israël » (v. 6-7). L’Esprit saint concerne la mission, comme annonce universelle, mission de témoins du Ressuscité pour toutes les nations.

La venue du Royaume est donc différée. Ce que signifie aussi l’Ascension qui clôt les quarante jours d’apparitions du Ressuscité et scelle l’envoi des disciples — « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel », déclarent les « deux hommes en vêtements blancs ».

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ est « enlevé » (Ac 1, 2). En parallèle en Jean, « vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba aux yeux » des disciples (Ac 1, 9), « puis vous me verrez encore » : en Actes, bientôt, mais plus tard, la venue en gloire — dont l’espérance hors de ce temps prévient qu’en ce temps, étant « au milieu de vous » ou « en vous », « le Royaume de Dieu ne vient pas de façon à frapper les regards ». Et donc encore moins à la force de l’épée ! — : aucune légitimité d’un règne de l’Église de celui dont le Règne n’est pas de ce temps…

L'Ascension, comme le départ par la mort — du crucifié —, est tout d'abord la marque d'une absence. Il ne faut pas imaginer cette élévation comme un déplacement local qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « géographique » : Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement local durerait indéfiniment ! Et d'autre part, Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout ! Et de plus le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses.

L'Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi comme le Père, radicalement absent, caché.

Cette absence est aussi signe de son règne — de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui —, et de quel genre est son règne. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, et celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée.

Sa présence — « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » selon Matthieu 28 — est alors d'un tout autre ordre. Son règne n'est pas celui d'un des rois de ce monde, des pouvoirs de ce monde : « enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). C'est un règne caché, une présence mystérieuse qui est en lien précis avec la réception de son enseignement, dans l'observance de ce qu'il a prescrit — pour Actes 1 (cf v. 5), dans le don de l’Esprit saint.


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9) 12 & 14 juin — Perspectives – Actes 1


vendredi 4 mai 2018

Nouveaux cieux & nouvelle terre




Nouveaux cieux nouvelle terre – Apocalypse 20-22

Quelques éléments bibliques de lecture d’Apoc. 20-22 selon l’analogie de la foi…


1) Mille ans

Psaume 90:4 Car mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d’hier, quand il n’est plus, et comme une veille de la nuit.
2 Pierre 3:8 Mais il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour.

Ecclésiaste 6:6 Et quand celui-ci vivrait deux fois mille ans, sans jouir du bonheur, tout ne va-t-il pas dans un même lieu ?

Ésaïe 40:8 L’herbe sèche, la fleur tombe ; mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement.
Cf. Marc 13:31 // Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.


2) Nouveaux cieux & nouvelle terre

Ésaïe 51:16 Je mets mes paroles dans ta bouche, et je te couvre de l’ombre de ma main, pour étendre de nouveaux cieux et fonder une nouvelle terre, et pour dire à Sion : tu es mon peuple !
Ésaïe 65:17 Car je vais créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre ; on ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l’esprit.
Ésaïe 66:22 Car, comme les nouveaux cieux et la nouvelle terre que je vais créer Subsisteront devant moi, dit l’Éternel, ainsi subsisteront votre postérité et votre nom.
2 Pierre 3:13 Mais nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera.


3) Pas fait de main d’homme

Hébreux 11:10 Car il attendait la cité qui a de solides fondements, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur.
13 C’est dans la foi qu’ils sont tous morts, sans avoir obtenu les choses promises ; mais ils les ont vues et saluées de loin, reconnaissant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre.
14 Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie.
15 S’ils avaient eu en vue celle d’où ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner.
16 Mais maintenant ils en désirent une meilleure, c’est-à-dire une céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité.

Marc 14:58 Nous l’avons entendu dire: Je détruirai ce temple fait de main d’homme, et en trois jours j’en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme.
Actes 7:48 Mais le Très-Haut n’habite pas dans ce qui est fait de main d’homme, comme dit le prophète:
Actes 17:24 Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans des temples faits de main d’homme ;
Actes 19:26 et vous voyez et entendez que, non seulement à Éphèse, mais dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et détourné une foule de gens, en disant que les dieux faits de main d’homme ne sont pas des dieux.
2 Corinthiens 5:1 Nous savons, en effet, que, si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’a pas été faite de main d’homme.
Hébreux 9:11 Mais Christ est venu comme souverain sacrificateur des biens à venir ; il a traversé le tabernacle plus grand et plus parfait, qui n’est pas construit de main d’homme, c’est-à-dire, qui n’est pas de cette création ;
Hébreux 9:24 Car Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, en imitation du véritable, mais il est entré dans le ciel même, afin de comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu.


4) L’arbre de vie

Genèse 3:22 L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.
Genèse 3:24 C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.

Proverbes 3:18 Elle est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent, et ceux qui la possèdent sont heureux. 19 C’est par la sagesse que l’Éternel a fondé la terre, c’est par l’intelligence qu’il a affermi les cieux ; 20 C’est par sa science que les abîmes se sont ouverts, et que les nuages distillent la rosée.

Proverbes 11:30 Le fruit du juste est un arbre de vie, et le sage s’empare des âmes.
Proverbes 13:12 Un espoir différé rend le cœur malade, mais un désir accompli est un arbre de vie.
Proverbes 15:4 La langue douce est un arbre de vie, mais la langue perverse brise l’âme.
Apocalypse 2:7 Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises : à celui qui vaincra je donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu.

Cf. Jean 15:1-17 / Proverbes 11:30 Le fruit du juste est un arbre de vie
Jean 15, 5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
(Apoc 21:12 Elle [la nouvelle Jérusalem] avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël : 13 à l’orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à l’occident trois portes. 14 La muraille de la ville avait douze fondements, et sur eux les douze noms des douze apôtres de l’agneau.
Apoc 22:2 Au milieu de la place de la ville et sur les deux bords du fleuve, il y avait un arbre de vie, produisant douze fois des fruits, rendant son fruit chaque mois, et dont les feuilles servaient à la guérison des nations.)

Jean 15:8 Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. 9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour. 11 Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.


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8) 8 & 10 mai / 15 & 17 mai — Nouveaux cieux nouvelle terre – Apocalypse 20-22

Cf. aussi enregistrement conférence du 9 juin 2018 à Melle


samedi 14 avril 2018

Destruction et espérance




On a vu comment Matthieu 24 parle de la menace de destruction sur Jérusalem, sur laquelle Jésus pleure au moment même où il lui annonce cette menace, avant d’avertir :

1 Alors il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l’époux.
2 Cinq d’entre elles étaient insensées et cinq étaient avisées.
3 En prenant leurs lampes, les filles insensées n’avaient pas emporté d’huile ;
4 les filles avisées, elles, avaient pris, avec leurs lampes, de l’huile dans des fioles.
5 Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
6 Au milieu de la nuit, un cri retentit : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes.
8 Les insensées dirent aux avisées : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
9 Les avisées répondirent : “Certes pas, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ! Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous.”
10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et l’on ferma la porte.
11 Finalement, arrivent à leur tour les autres jeunes filles, qui disent : “Seigneur, seigneur, ouvre-nous !”
12 Mais il répondit : “En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas.”
13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
(Matthieu 25:1-13 - trad. TOB 2010)

*

Ce texte de l’Évangile de Matthieu parle de l'exil et du Royaume — le Royaume, c'est-à-dire la fin annoncée de l'exil : « en ce jour-là, le Royaume des cieux sera semblable à… » Avec son côté tragique, ce texte parle de vigilance nécessaire, face à un jour espéré, jour espéré où pourtant l'espérance cesse ; elle prend fin, en parallèle avec la célébration annoncée des noces de l'époux céleste, le mariage spirituel qui marque la fin de l'exil.

Lecture spirituelle du thème de l'exil — où le sens littéral renvoie, au-delà de lui-même, aux réalités célestes. En raccourci, dans cette perspective, à travers le retour à Jérusalem depuis Babylone, nous sommes appelés à revenir à Dieu depuis l'exil dans le temps où nous sommes. De façon symbolique, la Bible parle de ce qui est donc exil métaphysique, en termes de Jérusalem, pour la vie idéelle, la vie avec Dieu, et de Babylone pour l'exil dans le malheur, la culpabilité, la douleur.

On a vu cela à travers les prophètes : le thème de l'exil en général est récurrent dans la Bible depuis l'exode d’Égypte jusqu'au retour de l'exil babylonien. Et il acquiert très tôt une portée symbolique. Cela, donc, dès les temps prophétiques, on l’a vu à plusieurs reprises — de Jérémie à Daniel (cf. Mt 24, 15) et Jean le Baptiste.

Ce modèle de lecture dévoile finalement dans toute son intensité le drame réel de l'exil dont la dimension géographique s'avère alors être expression temporelle d'une réalité trans-historique.

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La nuit s'est épaissie. L'espérance de la lumière a-t-elle disparu ? Et si le cri du milieu de la nuit de veille des dix jeunes femmes : « voici l'époux sortez à sa rencontre », n'avait retenti que pour nous laisser à notre désespoir et à notre manque définitif de cette huile, avec nos volontés dérisoires d'en acheter, l'huile et sa flamme, l'Esprit ?

Si les signes de l'histoire ultérieure de nos malheurs, ne faisant qu'amplifier toujours plus la chaîne indéfinie des malheurs d’antan, n'étaient là que pour confirmer que ce dernier cri annonçant l'époux, annonçant les noces spirituelles — a bien retenti ?

« Je ne vous connais pas », seule parole tragique qui lui succède. Seul écho infini dans un désespoir infini…

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Il reste à espérer que ce cri définitif n'ait pas retenti en ce temps-là, et qu'alors l'autre parole : « veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l'heure » nous concerne encore.


RP
Les choses de la fin

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2017-2018
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
7) 17 & 19 avril — Destruction et espérance — Cf. Matthieu 24-25, 13