jeudi 4 avril 2019

Demeurer dans la liberté




Galates 5, 1-26 | (future) nouvelle TOB
1 C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc ferme, et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage.
2 Voici ce que moi, Paul, je vous dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira de rien.
3 Et j’atteste à nouveau à tout homme qui se fait circoncire, qu’il se doit de pratiquer l’intégralité de la loi.
4 Vous avez rendu vain votre lien au Christ, en cherchant à être justifiés par la loi ; vous êtes déchus de la grâce.
5 En effet, nous, c’est par l’Esprit, en raison de la foi, que nous accueillons ce que la justice nous fait espérer.
6 Car en Jésus Christ ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont une force quelconque, mais la foi qui agit par l’amour.
7 Vous couriez bien ; qui vous a barré la route et empêché de vous laisser convaincre par la vérité ?
8 Cet empêchement-là ne vient pas de celui qui vous appelle ;
9 un peu de levain fait lever toute la pâte.
10 Moi, je garde confiance en vous dans le Seigneur : vous ne penserez pas autrement. Mais celui qui vous trouble supportera sa condamnation, quel qu’il soit.
11 Quant à moi, frères, si je proclame encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté ? C’est alors que le scandale de la croix serait réduit à néant !
12 Qu’ils aillent donc jusqu’à se mutiler, ceux qui sèment le désordre parmi vous.
13 Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés ; seulement, que cette liberté ne serve pas de prétexte à la chair ; au contraire par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres.
14 Car la loi toute entière se trouve accomplie dans cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même.
15 Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
16 Je le dis : marchez par l’Esprit, et vous ne réaliserez plus ce que la chair désire.
17 Car la chair désire contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair ; ces deux-là s’opposent l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez.
18 Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la loi.
19 Elles sont évidentes, les œuvres de la chair : inconduite sexuelle, impureté, débauche,
20 idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions,
21 envies, beuveries, orgies, et autres choses semblables ; je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui agissent ainsi n’hériteront pas du Royaume de Dieu.
22 Mais le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi,
23 douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses, il n’y a pas de loi.
24 Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs.
25 Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit.
26 Ne soyons pas remplis de vaine gloire : entre nous pas de provocations, entre nous, pas d’envie.

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Pour introduction - avant le commentaire partagé en séance :

« Si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira de rien » (Ga 5, 2) ! Voilà, apparemment, de quoi donner raison à tous les courants, peut-être encore majoritaires dans le christianisme, qui continuent à considérer qu’au fond, le Christ a « libéré les chrétiens de la Loi » ! La vigueur des propos qu’emploie Paul pour dissuader les goïms/non-juifs galates de « compléter » leur foi en devenant juifs semble bien en effet leur donner raison. C’est pourtant dans ce genre de « raison(s) » que s’est fondée la théologie tragiquement célèbre de la substitution, selon laquelle l’Église aurait remplacé Israël. En fait un contresens !

Dans la perspective eschatologique qui fonde la mission de Paul (selon sa conviction que le règne de Dieu concernant toutes les nations est advenu avec la résurrection du Christ : toutes les nations sont appelées sans qu’elles n’aient à devenir autre que ce qu’elles sont quant à leur identité propre), les Galates n’ont pas à devenir juifs. Mais les juifs, dont l’identité vocationnelle est fondée sur la Loi qui porte cette promesse eschatologique que Paul considère comme advenue, n’ont pas non plus à devenir non-juifs ! Ce n’est pas la loi biblique, loi de liberté, qui rend esclave ! C’est conditionner l’entrée des nations dans le règne qui vient à la dimension identitaire fondée sur la Loi qui fait problème. L’aspect initial de cette identité étant la circoncision, Paul, à l’encontre de ses adversaires qui insistent pour que les Galates l’adoptent, tient fermement à leur liberté de rester Galates. Rien de plus. La dimension morale universelle de la Loi est reprise sans problème par Paul, avec son cœur reçu dans le judaïsme : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14 / Lv 19, 18), et ses développements (Ga 5, 15-23).

S’il est illégitime d’exiger des Galates qu’ils cessent de l’être en devenant juifs parce que croyant au Christ, il l’est tout autant de délégitimer la Loi, qui rendrait « esclave », pour conduire les juifs à cesser de l’être, ou au mieux à considérer le respect des règles de la Loi en ses aspects vocationnels identitaires comme une concession aux « frères faibles », dans une lecture en contresens des conseils de Paul (alternative à l’attitude double qu’il reproche à Pierre – cf. Ga 2), développés en Romains 14 et 1 Co 8 & 10. Il n’est pas devenu superflu de respecter le rituel mosaïque ! (Comme on l’induit souvent à l’appui d’un rajout « explicatif » à un verset de Marc, ch. 7 v. 19, rajout inexistant dans les premiers manuscrits, faisant dire à Jésus qu’ « il déclarait purs tous les aliments », témoin d’un précoce glissement outrepassant la fidélité juive de Jésus — sans compter que littéralement, ce n'est pas Jésus, mais les latrines qui purifient les aliments !) Simplement le rituel mosaïque concerne les juifs — comme vocation « sacerdotale » (cf. Exode 19, 5-6) valant jusqu’à la fin du temps, selon Jésus (Matthieu 5, 18).

N’oublions pas que c’est ce contresens séculaire, adopté aussi par Luther, qui a conduit ce dernier, malgré sa large ouverture initiale envers les juifs, à son attitude hostile finale. Luther était tout prêt à accepter, pensait-il, que les juifs restent juifs… à condition qu’ils reconnaissent Jésus avec tout ce que cela supposait pour lui (et avec lui tous les prédécesseurs antiques et médiévaux avec nombre de successeurs jusqu’aujourd’hui) en termes de relativisation de Loi, perçue (dans un autre contresens) comme « ombre des biens »… « actuels » en christianisme ! Quand il s’agit d’ « ombre des biens à venir » (Colossiens 2, 17 ; Hébreux 10, 1) — toujours à venir — d’un Règne de Dieu toujours attendu (pour les uns comme pour les autres). Ce contresens-là est un des points d’origine de la théologie de la substitution. Ce contresens postulant le « dépassement » de la Loi implique a contrario, par fidélité, le non possumus juif.

Car il s’agit de considérer la non-conversion d’Israël au christianisme comme fidélité à l’alliance dont le garant est Dieu qui s’y est engagé — donnerait-on des noms hébraïques, comme « messianisme », à cette conversion ; et quelle que soit par ailleurs la possibilité légitime des changements de religions, dans tel sens ou tel autre.

Jusqu’à tout récemment, et c’est parfois encore le cas, pour des raisons dont on trouve au départ les contresens mentionnés ci-dessus, des chrétiens se sont inscrits dans l’idée que ceux des juifs de l’époque de l’Église primitive — et leurs successeurs et/ou descendants — qui n’ont pas rejoint le christianisme naissant l’ont fait par infidélité (cette idée devenue commune était même entrée dans une prière catholique du vendredi saint ! heureusement abandonnée depuis Vatican II).

Or, la réalité est largement l’inverse : la fidélité juive est fidélité à l’observance des mitsvoth de la Torah. C’est aussi ce qu’en dit Jésus. Il se trouve que très vite, l’Église primitive, du fait de sa fidélité à elle, fidélité en l’occurrence à l’envoi aux nations, a vu basculer sa démographie vers une majorité de chrétiens d’origine non-juive, entraînant ipso facto un abandon (ou perçu tel par les juifs) de l’observance de la Torah — cela très vite via l’ignorance de recommandations comme celles d’Actes 15, 19-21 ou de Paul aux Corinthiens et aux Romains (1 Co 8 & 10 et Ro 14) de s’en tenir, concernant les nations, à la loi noachide.

Une vraie fidélité juive, conforme à ce qu’en disait Jésus, à l’alliance et au Dieu qui en est le garant a donc très vite débouché sur ce non possumus juif par rapport au christianisme désormais « païen » quant à l’observance de la loi. Or il est clair que l’histoire a vu très vite dépasser la problématique d’un Paul, juif de pratique avant comme après sa rencontre du Ressuscité, pour déboucher sur un changement de religion consistant à renier la précédente. Après le non possumus juif d’un tel reniement, apparu très vite, deux vocations se sont dégagées très tôt, phénomène dont Paul estime déjà qu’il correspond à un mystère, concernant le plan de Dieu pour le salut du monde (Ro 9-11). Dès le Nouveau Testament, donc. Paul aux Romains mais aussi Jésus (notamment Mt 5, 17-19) : est-ce les chrétiens, alors que le ciel et la terre ne sont toujours pas passés, qui s’efforcent de tenir la fidélité au moindre des plus petits commandements de la Torah ? Or c’est bien de la rédemption du monde qu’il est question dans l’espérance du Royaume, où se dessinent donc ces deux vocations mystérieuses, indépendamment de ce qu’il en est du salut individuel, autre mystère, intime celui-là, de l’ordre de la relation intime entre Dieu et l’âme.

Ici aussi, quant à la relation intime de l’individu avec Dieu, comme dans l’alliance en vue de la rédemption du monde, il est question de primauté de la grâce, primauté même sur la foi — ce qui, si on l’ignore, débouche jusque sur des traductions dépassant le texte. Ainsi d’Éphésiens 2, 8 : « c’est par la grâce que vous êtes sauvés », à quoi les traductions courantes du reste du verset rajoutent « par le moyen » (de la foi), qui n’est pas dans le grec. Une bonne lecture serait : « c’est par la grâce que vous êtes sauvés par la foi » (cela souligné encore par la fin du verset : c’est un don de Dieu, ne venant pas de vous !). Ainsi lu, conformément au grec, il apparaît que la foi-même qui permet aux Éphésiens, païens, de bénéficier des fruits de l’antique alliance de grâce scellée déjà avec Abraham, est elle-même un fruit de la grâce, plutôt qu’une sorte de conditionnement, comme « le moyen », de la grâce gratuite de Dieu. Bref, quant au salut individuel des âmes, qui se distingue du plan divin de salut du monde, la grâce prime aussi, dans un mystère intime que nul ne connaît sinon Dieu et l’âme qui met sa foi en lui.

La confusion des deux plans (salut du monde et relation intime avec Dieu) a débouché, y compris dans le protestantisme, en ses mouvances les plus christocentriques héritées de Luther, sur ce qui, à l’égard d’Israël, relève du péché (le plus souvent inconscient) : juger les juifs infidèles tant qu’ils ne se convertissent pas à Jésus (c’est la position de Luther qui le fait déboucher sur ses insupportables extrémités), ce qui revient à délégitimer leur fidélité à la Torah. Les choses bougent heureusement, ce qui passe par un vrai repentir concernant ces attitudes chrétiennes…


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Commentaire : Notes de la (future) nouvelle TOB : ICI (PDF)


RP
Épître de Paul aux Galates

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2018-2019
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
7) 9 & 11 avril — Demeurer dans la liberté. Ch. 5