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samedi 22 octobre 2022

"Enseigne-nous à prier"




Emil Cioran, De l'Inconvénient d'être né :
« De quel droit vous mettez-vous à prier pour moi‭ ? Je n'ai pas besoin d'intercesseur, je me débrouillerai seul. De la part d'un misérable, j'accepterais peut-être, mais de personne d'autre, fût-ce d'un saint.‭ » [Suite…]

Charles Finney‭ :
«‭ Désirez-vous que nous priions pour vous‭ ? Non, car je vois que vos prières ne sont pas exaucées.‭ »

Albert Schweitzer‭ :
«‭ Lorsque nous pardonnons à nos ennemis, nous nous glorifions de notre grandeur d'âme‭ ; quand nous rendons service à celui qui a besoin de nous, nous admirons notre générosité.‭ » (Vivre, Albin Michel, 1995, p. 162)
«‭ Une chrétienté prêchant l'amour du prochain n'a pourtant pas protesté immédiatement contre l'esclavage, la torture, les procès en sorcellerie, toutes sortes d'atrocités qu'elle a non seulement cautionnées, mais commises. […] "Ce souvenir devrait […] défendre à jamais [le christianisme] de toute arrogance […]".‭ » (Laurent Gagnebin, Albert Schweitzer, DDB, 1999, p. 113 - cit. Schweitzer, Ma vie et ma pensée, Albin Michel, 1966, p. 261)
Schweitzer parle de faillite de la civilisation. « Quelle est la cause d'une telle situation ? Schweitzer ne se lasse pas de le démontrer et de le répéter : il s'agit d'un vide, d'un refus, d'une perte, d'une chute de… l'esprit. » (Gagnebin, op. cit., p. 70) [Suite…]

Marc 11, 24 :
«‭ Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez s’accomplir.‭ »

Jacques 4, 1-2 :
« ‭Vous […] avez des querelles et des luttes, et vous ne possédez pas, parce que vous ne demandez pas.‭ ‭Vous demandez, et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de satisfaire vos passions.‭‭ »

Calvin :
« les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien, [sont] plus sûrs que les improvisations. »

Luc 11, 1-4 :
‭« Jésus priait un jour en un certain lieu. Lorsqu’il eut achevé, un de ses disciples lui dit‭ : Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean l’a enseigné à ses disciples.‭
‭Il leur dit : Quand vous priez, dites‭ : Père‭ ! Que ton nom soit sanctifié‭ ; que ton règne vienne.‭
‭Donne-nous chaque jour notre pain de ce jour‭ ;‭
‭pardonne-nous nos péchés, car nous aussi nous pardonnons à quiconque nous offense‭ ; et ne nous induis pas en tentation.‭‭ »

Matthieu 6, 6-13 :
Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret‭ ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.‭
‭En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.‭
‭Ne leur ressemblez pas‭ ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.‭
‭Voici donc comment vous devez prier‭ : Notre Père qui es aux cieux‭ ! Que ton nom soit sanctifié‭ ;‭
‭que ton règne vienne‭ ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.‭
‭Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour‭ ;‭
‭pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ;‭
‭ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. [Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen‭ !‭]


R. Poupin, Poitiers, 22.10.22
Rencontre des cp / consistoire du Poitou — Église priante
(Version complète et imprimable)

jeudi 20 janvier 2022

"Nous avons vu son astre à l'Orient…"




« Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » (Mt 2, 2)

Ceux qui ont vu l’astre à l'Orient sont, selon leur nom de « Mages », des membres de l’ordre sacerdotal de la Perse, des prêtres et non des rois — tout comme l'étaient en Israël les Lévites. Parmi leurs tâches, ces prêtres mazdéens, ou zoroastriens, du nom de ce réformateur de la religion des Mages qu'est Zoroastre, fixaient le calendrier, qui tenait une place importante dans leur culte. Outre les cycles de la Lune et du Soleil, ils connaissaient des grands cycles, des ères stellaires recoupant leurs espérances prophétiques ; et ils attendaient l'ère de la résurrection, correspondant au futur prochain cycle, cycle d'un jour de mille ans. L'approche de ce temps, de cette ère nouvelle (cela est décrit dans leur livre, l'Avesta), était décelable par ces repères stellaires qu'il nous est sans doute difficile de retrouver, mais que nos Mages, conduits par leurs croyances, ont perçue, selon Matthieu, au tournant de ce qui est devenu l'ère chrétienne.

Il est connu que des croyances perses recoupaient sur plusieurs points celles des juifs depuis plusieurs siècles. Depuis longtemps, des contacts étaient noués. Cela apparaît bien dans la Bible. On sait par exemple que les Perses faisaient leur l’idée de résurrection que le judaïsme avait lui aussi fait sienne, en ses courants pharisiens notamment.

Parmi les croyances des Mages, il est aussi question de vierge donnant naissance à celui qui introduira le monde de la résurrection. Or les Perses savaient aussi que les Judéens attendaient un Messie similaire. Car manifestement les deux traditions et leurs espérances se sont recoupées en cela : on lit dans l'Avesta qu'un des noms du Sauveur et résurrecteur est Mashye ! Il n'est pas interdit de penser que Judéens comme Perses aient pu faire le lien avec le titre hébreu Mashiah — le Messie, roi des Judéens… chez lesquels viennent les Mages de Matthieu.

*

Recoupements interreligieux d'alors, dans les deux sens — et dont l’Église des premiers siècles gardait le souvenir. Un texte ancien, intitulé l'Évangile arabe de l'Enfance, affirme que Zoroastre annonça — je cite (ch. 1, v.2) — que : « La vierge sera enceinte sans avoir connu d’homme […]. Son enfant par la suite ressuscitera des morts ; et sa bonne nouvelle [sera connue] dans les sept climats de la terre » ; cela avec pour signe une étoile. Et plus loin, le même texte nous dit (ch. 5, v.1) : « Des Mages arrivèrent d'Orient à Jérusalem, selon ce que Zoroastre avait prédit ».

Cette prophétie est effectivement connue par ailleurs, dans l'Avesta. Je cite : « À la fin des siècles, Ahura Mazda [Dieu] engagera une lutte décisive contre Ahriman [Le Mal] et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts ». Et les Mages d'Iran oriental se recueillaient trois jours par an sur une montagne y guettant « l'étoile du grand roi ».

Où l’on retrouve dans le livre biblique des Nombres (ch. 23 & 24), un épisode parallèle qui n’est pas sans éclairer celui des Mages : Balaam — que le texte arabe que j'ai cité identifie à Zoroastre —, Balaam (un prophète païen) se voit demander par son roi Balaq de maudire Israël. Ce que, poussé par Dieu, Balaam ne fait pas ; il annonce au contraire : « Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant ; je l'observe, mais non de près : de Jacob monte une étoile […] » (Nombres 24, 17). Étoile des Mages ? Comme en témoigne le texte arabe, d’anciens lecteurs de Matthieu ont manifestement fait le lien.

*

Toujours est-il que Matthieu nous déroule son récit d'une façon qui permet de penser qu'il connaît quelque peu les croyances des Mages et leur attente du passage à une nouvelle ère, passage signifié par leurs repères stellaires — « nous avons vu son astre » écrit l'Évangile.

Matthieu renvoie quasi explicitement à la prophétie zoroastrienne. Ses mots l'indiquent : l'étoile « vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant ».

Cela peut nous sembler étrange, et pouvait l’être aussi pour Mathieu — une étoile ne « s'arrête » pas ! —, sauf à considérer que pour lui, il s'agit bien d'un tournant qui a lieu dans les repères des Mages : le signe du passage à la nouvelle ère prend fin à ce moment là, « s'arrête », et l'ère nouvelle, celle de la résurrection, commence. Celui qui l'introduit se trouve ici : l’enfant Jésus. L'astre n’a pas conduit les Mages à Bethléem, mais la prophétie biblique l'a fait. Et quand ils y sont, le phénomène astral qui les a menés en Judée pour y percevoir la nouvelle ère s'arrête.

On comprend en passant qu'il ne s'agit pas de l'astrologie des horoscopes modernes. L'organisation du calendrier, le repère des ères, en regard des prophéties de l'Avesta, est d'un autre ordre : on ne décèle pas un destin fixé des individus en fonction de leurs « signes ». On est dans l’ordre du calendrier : cycles très courts, les jours solaires ; cycles courts, semaines et cycles lunaires ; grandes ères : la lecture par les Mages du calendrier des constellations les induit à fixer aussi ces grands cycles. On est dans un temps symbolique… Comme le nombre de trois Mages, absent chez Matthieu, viendra ensuite symboliser les « trois continents » d'alors, Afrique, Asie, Europe, correspondant aux trois cadeaux de l'Évangile, à l’occasion de quoi les Mages deviendront comme des rois / rois-mages, en tant qu’avant-garde des rois futurs annoncés par les Prophètes et les Psaumes comme devant dans la suite des temps se rendre à Jérusalem…

Les Mages de Matthieu eux, cherchent selon leur rite et ses recoupements dans l’influence réciproque avec les juifs, le signe de l'ère nouvelle dans un Messie roi des Judéens : les Mages vont donc chez le roi de Judée en place, Hérode. Ce qui l'inquiète fortement : pas d’enfant né récemment ou à naître dans son palais, tandis qu'à ses oreilles les rumeurs messianiques juives ont des connotations plus nettement politiques, éventuellement menaçantes pour son trône.

*

Du coup, pour étrange qu'il nous apparaisse, notre récit sur les Mages prend tout un sens. Dans le cadre de leur attente, des mazdéens à Jérusalem ? L'idée en est tout à fait vraisemblable ! Les contacts interreligieux sont à l'époque une chose naturelle. Ils le sont restés jusqu’au Moyen-Âge occidental, où l’Europe a été coupée du reste du monde suite aux invasions de la fin de l’Antiquité.

Le contact entre religions est alors devenu distant, puisqu’on ne se connaissait plus, suscitant — parfois à juste titre, certes — des sentiments de menace. Cette habitude a perduré jusqu’après la redécouverte du reste du monde : quand on a pris l’habitude de se croire seul… on garde des réflexes, marquant, au fond, une foi mal assurée — réflexes qui peuvent cesser quand on sait en qui l’on a cru.

En l'occurrence en un Dieu qui prend le risque de frayer avec les humains, qui prend le risque de l'Incarnation, pour mener ce monde, pour mener la chair, jusqu'à la folie de la rencontre d’un enfant — qui est le Fils de Dieu. Un enfant humble de parents humbles chez qui entrent de prestigieux étrangers, déposant aux pieds de l'infini mystère la richesse royale de leur or, l'encens sacerdotal de leurs prières, et la myrrhe qui parfume prophétiquement les vivants et les morts.

Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est ce qui est au cœur de ce récit : Dieu est manifesté au monde. Il nous a accompagnés, et nous accompagne dans les méandres de nos jours afin que nous vivions de sa seule grâce au cœur du monde où nous frayons.

Car voilà que face à la recherche des sages, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant déplacé ; la foi à la faiblesse d’un enfant né sans place d’accueil. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange. Voilà des Mages arrivés dans la ville royale, Jérusalem, s’attendant au palais d’Hérode — et qui se retrouvent dans un village pauvre. Les voilà qui, loin des honneurs royaux, repartent par un autre chemin.

Nous n’avons pas eu les mêmes routes que les Mages. Nous avons eu chacune et chacun nos chemins, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusqu'à lui. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant en l’enfant une nouvelle ère, ouvrant un nouveau chemin, lumineux, où nous sommes à présent envoyés avec lui…



dimanche 28 juin 2020

"Qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé"


Prédication in extenso
ici, D'un autre côté :
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2 Rois 4, 8-16 ; Psaume 89 ; Romains 6, 3-11 ; Matthieu 10, 37-42

2 Rois 4, 8-16
8 Il advint un jour qu’Élisée passa à Shounem. Il y avait là une femme de condition, qui le pressa de prendre un repas chez elle. Depuis lors, chaque fois qu’il passait, il s’y rendait pour prendre un repas.
9 La femme dit à son mari : « Je sais que cet homme qui vient toujours chez nous est un saint homme de Dieu.
10 Construisons donc sur la terrasse une petite chambre ; nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe ; quand il viendra chez nous, il pourra s’y retirer. »
11 Un jour, Élisée vint chez eux ; il se retira dans la chambre haute et y coucha.
12 Il dit à son serviteur Guéhazi : « Appelle cette Shounamite ! » Il l’appela et elle se tint devant le serviteur.
13 Élisée dit à son serviteur : « Dis-lui : Tu nous as témoigné toutes ces marques de respect. Que faire pour toi ? Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l’armée ? » Elle répondit : « Je vis tranquille au milieu des miens. »
14 Il dit : « Mais que faire pour elle ? » Guéhazi répondit : « Hélas ! Elle n’a pas de fils, et son mari est âgé. »
15 Il dit : « Appelle-la ! » Il l’appela et elle se tint à l’entrée.
16 Il dit : « A la même époque, l’an prochain, tu serreras un fils dans tes bras. » Elle dit : « Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante. »

Matthieu 10, 37-42
37 « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.
38 Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
39 Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera.
40 « Qui vous accueille m’accueille moi-même, et qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé.
41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.
42 Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense. »

*


Qu’a fait cette femme, accueillant le prophète Élisée ? Elle a accueilli, à travers son prophète, Celui qui l’a envoyé. Pour cela, elle s’est montrée non-propriétaire de ses propres biens, y renonçant sans même qu’elle le sache, devinant sans le savoir la Source éternelle de ses biens — Source dont parle le prophète.

Un renoncement qui s’illustre dans le fait que le texte biblique ne la nomme même pas, non plus que son mari (tout ce que l’on sait, c’est qu’ils sont de Shounem). « Qui perdra sa vie à cause de moi », dit Jésus, en qui se manifeste la Source éternelle de tout bien, « qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera ». C’est là la « récompense » dont il parle : trouver la vie.

Terme étrange que ce mot « récompense », qui (sachant le mot choisi par Jésus : salaire, rémunération) pourrait paraître dire qu’il s’agit d’acheter un bénéfice, ou au moins d’être payé en retour pour une œuvre. Or c’est précisément cela, un bénéfice en retour, à quoi a renoncé la femme et son mari accueillant Élisée — qui lui propose : « “Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l’armée ?” Elle répondit : “Je vis tranquille au milieu des miens.” » (2 R 4, 13). Bref : « Je ne veux rien, je n’ai besoin de rien ».

Renoncer pour trouver la vie. Trouver la vie : c’est le signe qu’elle va recevoir, à travers un don qu’elle n’a pas demandé, fruit de la bénédiction de son couple qu’elle reçoit d’Élisée, écho à la Genèse : « Dieu les bénit en disant : soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1, 28) — « À la même époque, l’an prochain, tu serreras un fils dans tes bras » (2 R 4, 16). Ce qui va advenir (v. 17) — et malgré le fait qu’elle n’a rien demandé, et malgré ses doutes sérieux (v. 16b). C’est un signe que nous donne le récit, bénédiction concrète pour la femme, signe pour nous tous .

Signe seulement, via une parole performative du prophète, c’est-à-dire parole qui produit ce qu’elle dit, mais pas phénomène automatique et nécessaire, genre ce qu’on désigne en général comme « magique », sans quoi le signe serait vide, et se résumerait à une forme de rémunération ! Or il s'agit d’un signe de réception de la vie — « qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera ».

*

Renoncer à tout ce qui nous est cher… « Qui aime père et mère, ou fils et fille plus que moi n’est pas digne de moi. » De quoi s'agit-il ? De renoncer, à tout, jusqu’à soi-même, et ceux qui nous sont chers, pour fonder de vraies relations. En refondant les relations. Selon un renoncement qui permet de pardonner enfin, et de vivre côte à côte dans la liberté. La Shunamite n’obtient son enfant, ne trouve son enfant, que d’avoir renoncé ! Et pour cela d’avoir accueilli le Dieu que nul n’a jamais vu en accueillant celui qui lui en a porté la parole.

Alors, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir, un monde de relations humaines basées sur un dialogue reconnaissant que l'autre, fût-il notre enfant, notre père ou notre mère, n’est ni une reproduction de nous-mêmes, ni l’anti-image qu’il nous faudrait fuir ; qu’il est lui aussi un être à l'image de Dieu manifestée en Christ : « qui vous reçoit me reçoit, qui me reçoit reçoit celui qui m'a envoyé » (v. 40).


Prédication in extenso
ici, D'un autre côté :


vendredi 19 juin 2020

Révélé aux tout-petits : un joug léger



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Matthieu 11, 25-30
25 En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.
26 Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.
27 Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
28 « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos.
29 Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.
30 Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. »

*


N’est-ce pas se leurrer que prétendre avoir accédé à une sagesse telle que les mystères, et jusqu’au mystère de Dieu ou de l’univers, nous seraient devenus moins opaques ? Qu’est-ce que cet aveuglement, que n’ont pas les enfants, qui pousse au fond à mépriser les capacités rationnelles de son prochain, ou des hommes et femmes du passé, ou d’autres continents et d’autres sagesses ? Être dans une lumière telle qu'on se place au-dessus de tout — y compris finalement de la grâce, qui est d'abord surprise et étonnement.

La lumière de Dieu est celle qui éblouit et aveugle celui, celle, qui ainsi, confesse être aveugle. C'est cette lumière que porte Jésus, sagesse mystérieuse et cachée, que le monde ne reçoit pas. « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ».

La mise en valeur de la foi et de l’étonnement ne veut pas dire, loin s’en faut, que Jésus nous dispenserait de tout effort intellectuel, de tout apprentissage ! Il ne s’agit pas, sous prétexte que Jésus a donné les enfants en exemple face aux prétendues intelligences supérieures, de s’imaginer qu’il condamne l’intelligence et la sagesse. Non, il condamne ceux qui à force d’en être imbus se montrent ni sages ni intelligents. La force de l’enfant est sa capacité à s’étonner. C’est ce que Jésus exalte : une aptitude à recevoir celui que nul ne connaît sinon celui à qui le Fils veut bien le révéler.

Or, demeurer ainsi dans l’humilité quant à la vie devant Dieu, quant à la pratique de la justice, voilà qui est réellement reposant, voilà qui est un joug extrêmement léger, surtout face aux spécialistes de ce qui est bien et de ce qui est mal,… en général pour autrui. Pour ceux qui entendent la parole de Jésus, la Loi devient bonne nouvelle — c’est-à-dire Évangile —, une mise en marche qui libère de tout poids, un vrai repos.

Voilà donc deux aspects de la relation à la Loi divine que nous propose ici Jésus. Écouter ce qu’elle dit avec humilité, sans croire savoir — c’est la sagesse, comme celle des enfants — pour connaître cet élément essentiel de la relation avec Dieu, l’humilité précisément, qui est d’un accès si difficile aux sages.

Et l’intériorisant ainsi, découvrir combien dès lors ce joug devient léger, le joug de Jésus, sous son regard, dans l’humilité, sans rien à prouver à quiconque, surtout pas à ceux qui savent, ou qui l’imaginent, et qui du coup, ignorent ce cœur de la parole révélée. Dès lors, « ne vous inquiétez donc pas » et ayez confiance en Dieu pour toute chose.


jeudi 18 juin 2020

Notre Père



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Matthieu 6, 7-15
7 Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer.
8 Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
9 « Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux,
fais connaître à tous qui tu es,
10 fais venir ton Règne,
fais se réaliser ta volonté
sur la terre à l’image du ciel.
11 Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin,
12 pardonne-nous nos torts envers toi,
comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,
13 et ne nous conduis pas dans la tentation,
mais délivre-nous du Tentateur.
14 « En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ;
15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes. »

*


« Notre Père » — voilà qui nous place d’emblée dans l’intimité de Dieu : Père céleste, cieux intérieurs. Intimité donc, comme Jésus qui se retire pour prier au point que les disciples ne savent pas comment il prie. Souvenons-nous qu’il vient de dire : « entre dans ta chambre, ferme la porte » et place toi devant Dieu au-delà d’un rabâchage et d’une multiplication de mots dignes d’un culte des idoles…

Cinq demandes — résumant les cinq livres du recueil des Psaumes, qui reprennent eux-mêmes les cinq livres de la libération vers le Royaume qu’est la Torah. Cinq demandes donc, selon Luc, développées en sept chez Matthieu — deux demandes de Matthieu étant une seconde partie explicative d’une même demande.

Première demande : « Que ton nom soit sanctifié », c'est-à-dire mis à part, jamais prononcé en vain, considéré avec un respect profond, répercuté comme respect du prochain, ce qui fait rejoindre un des thèmes de cette sanctification du Nom dans les livres prophétiques, qui concerne la venue du Royaume — où Dieu sanctifie lui-même son nom en accomplissant sa promesse.

Et effectivement cette première demande est suivie de la demande de la venue du Règne de Dieu, par l’accomplissement de sa volonté jusque sur cette terre en désordre : « que ton règne vienne » s'explique en « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », c’est-à-dire, ici-bas : l’observance des préceptes de la Bible.

En chemin vers ce Règne de Dieu, « donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour »… Un pain de ce jour qui est plus que l’indispensable nourriture périssable. Le terme choisi l’indique clairement. Référence à la manne ; nourriture éternelle qui est d'être pardonné et accepté, d'avoir trouvé un père… Notre Père.

Suit la plus troublante de ces cinq demandes, celle concernant le pardon : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à qui nous a offensés ». Le mot rendu dans Luc par « péché », ou « offense », ou « manquement », peut aussi être rendu par « dette », selon le choix de Matthieu — le sens « péché » étant une dimension spirituelle de la dette. Or l'instauration du Royaume commence selon les prophètes par une remise des dettes, expression de la remise par Dieu de nos dettes. Sachant que la dette est trop infinie pour être remboursée. Une libération, remise des dettes par Dieu, qui se signifie dans nos remises de dettes. C’est le sens du « comme nous remettons », repris et expliqué par Matthieu après la prière.

La prière se termine comme combat dans l’épreuve, similaire à l’épreuve au désert, dans la Torah, reprise dans les Psaumes, et par Jésus priant les Psaumes à Gethsémané : nous aussi quand nous sommes dans l’épreuve qu’il faut traverser dans ce chemin de désert vers ton Règne, tentés de baisser les bras, « fais que nous n’y sombrions pas » ; et en Matthieu, Jésus précise : « mais que nous soyons délivrés du Mauvais ».

Cinq demandes, cinq livres des Psaumes, pour traverser le désert vers le Règne dans la puissance et la gloire du Père, Règne déjà réel, pour tous les siècles…


mercredi 17 juin 2020

Justice, prière et jeûne



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Matthieu 6, 1-6 & 16-18
1 « Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
2 Quand donc tu fais l’aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les assemblées et dans les rues, en vue de la gloire qui vient des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
3 Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
4 afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
5 « Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les assemblées et les carrefours, afin d’être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
6 Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
[…]
16 « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
17 Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage,
18 pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »

*


Dans son roman Le Nom de la rose, Umberto Eco met en scène un vieux moine qui juge que l’humour n’a pas sa place dans une saine piété de disciple de Jésus. La chose l’obsède au point qu’il en devient assassin de quiconque voudrait lire le livre disparu d’Aristote sur la comédie…

Étrange façon de comprendre Jésus que de penser qu’il est contre l’humour. À lire attentivement l’enseignement qu’il donne en ce ch. 6 de l’Évangile selon Matthieu, on imagine plutôt les disciples riant comme des enfants.

Voilà en effet Jésus qui met en scène de dignes religieux faisant sonner de la trompette pour que tout le monde voit leur générosité, leur piété, leur humilité ! ou leurs symboles, Bible montrée, chapelet bien visible, missel, que sais-je !

Trois fois, à chacun des trois temps de son propos, Jésus les traite d’acteurs — puisque c’est ce que signifie le mot grec rendu ici par « hypocrites » : acteurs, en l’occurrence comédiens pour commencer, tragédiens au bout du compte, qui ont reçu comme le tout de leur bénéfice le fait d’avoir été applaudis par les spectateurs de leur religiosité !

Dans ce tissu de douce ironie, Jésus n’en enseigne pas moins ce qui est requis en matière de justice, de prière et de solidarité. Le but n’est pas de se mettre en scène en concurrençant les acteurs !

En matière de justice, puisque c’est le terme grec qui est employé : « Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour attirer leurs regards » ; mot qui correspond au mot hébreu pour parler ce que qu’on appelle l’aumône : tsedaqa, c’est-à-dire justice. Le déséquilibre que produit la richesse qui fait qu’il y a des pauvres, est appelé à être corrigé. Les gestes de générosité, à savoir l’aumône, qui n’a donc rien d’une condescendance facultative, traduisent concrètement le rétablissement requis d’une justice rompue par le déséquilibre des richesses. Pas de quoi faire les acteurs dans une mise en scène de ce qui n’est que justice.

Et que dire de la prière qu’il agit de vivre secrètement ! Pas en se faisant remarquer dans les assemblées, selon la signification du mot grec synagogue, qui vaut pour toutes les assemblées, y compris chrétiennes, puisque dans le Nouveau Testament ce mot peut désigner aussi bien les assemblées d’Église (ainsi dans l’Épître de Jacques ou l’Épître aux Hébreux). Bref la prière en public n’est pas ce que conseille Jésus, ni ce qu’il pratique, au point que dans Luc les disciples lui demandent comment prier… Pour Jésus la prière est non seulement privée, mais intime (ta chambre intérieure). La seule prière énoncée en public relève de la liturgie, surtout pas d’un étalage digne d’acteurs qui en fait tout sauf une prière sincère.

Pareil pour le jeûne : inutile de mettre en scène une figure déconfite qui débouche de ce fait sur un déni de solidarité, quand — comme le prophète Ésaïe le disait déjà (ch. 58), de la façon la plus éloquente — le jeûne est solidarisation avec celles et ceux qui manquent de ce dont on se prive un temps pour entrer en vraie empathie avec eux. Mystérieusement, « dans le secret », le Père agit…


mardi 16 juin 2020

Aimez vos ennemis !



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Matthieu 5, 43-48
43 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44 Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.
46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

*


On ne trouve nulle part dans la Torah l'idée qu'il faudrait haïr tel ou tel ennemi ! Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante, laxiste, limitative, qu’on est toujours tenté de faire du commandement « Tu aimeras ton prochain ». Disant « vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi », Jésus ne fait que pointer les limites que l'on impose au commandement, ce qui revient à faire dire à la Bible que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, de la couleur de peau, que sais-je encore… C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur inventant une autre Torah, mais témoin exigeant d’un enseignement biblique qu’on ne prend pas assez au sérieux.

Un enseignement à valeur universelle, aussi universelle que l’éclat du soleil ou la bénédiction de la pluie : pour toutes et tous ! Une universalité concrète.

C’est contre le refus de cette universalité concrète qu’aujourd’hui le monde se lève, de Minneapolis à Washington et à Paris. Des deux côtés de l’Atlantique et ailleurs, des années 1960 des Droits civiques à aujourd'hui, même constat… Même déni d'un héritage esclavagiste et colonial à exorciser enfin de l'inconscient collectif…

C'est dans le contexte de la lutte pour les Droits civiques de M. L. King et des obstacles qu'il rencontre que James Baldwin écrit La prochaine fois, le feu, parlant de ses contemporains ayant été et restant — je cite — « stupéfaits par l’holocauste dont l’Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j’avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l’aveuglette. » James Baldwin écrit cela en 1963 (trad. fr. La prochaine fois, le feu, éd. folio, p. 77).

Aujourd’hui, la même exigence — « vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » — cette même exigence que celle que réclamait Jésus de ceux qui l’écoutaient, est requise de nous, pour un véritable exorcisme de nos inconscients collectifs des mêmes reliquats racistes que ceux de l’Allemagne nazie, qui n’avaient pas disparu en 1963, et qu’il faudra bien regarder en face, pour que notre monde devienne enfin fraternel et heureux.


lundi 15 juin 2020

La gifle et la joue



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Matthieu 5, 38-42
38 « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent.
39 Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre.
40 A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau.
41 Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
42 A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.

*


La gifle et l’autre joue… Que n’a-t-on pas entendu, le plus souvent sur le mode de l’ironie sur cette parole de Jésus, parole qui débouche sur celle qui la suit : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v. 44). Au jour où Jésus prononce ces paroles, les Romains qui ont colonisé le pays, y ont tous les droits. Il semble normal de plutôt les haïr, de vouloir se venger de toutes les exactions dont ils sont les auteurs.

Jésus fait allusion à quelques aspects de l'oppression romaine, que ses contemporains ne connaissaient que trop. Par exemple, les Romains occupants pouvaient réquisitionner les populations pour telle ou telle tâche (ainsi les « mille pas » en question au v. 41). Pratique courante de la réquisition en temps de domination.

Sachant cela, Jésus, loin d’un invraisemblable utopiste, apparaît comme tout-à-fait réaliste, d’une façon qui, elle, n’est pas sans ironie.

Ce faisant, commentant la loi biblique du talion, il ne la remet pas en cause, mais la situe à sa place : le talion n’a pas vocation à être une attitude individuelle s’apparentant à la « vendetta ». C’est au contraire une institution juridique qui pose les principes mettant terme à la « vendetta » : ne te venge pas toi-même, mais remets-t’en à la justice, institution commune dont le principe doit être l’équilibre. C’est cela, le talion biblique. Mais que faire lorsqu’il n’y a plus de justice, lorsque le pouvoir n’a d’autre fin qu’asseoir le plus fort, ici Rome ? Se confronter à un mur de frustration en prétendant, en vain, se faire justice soi-même, selon un talion détourné de sa signification ? Ce qui revient en outre à s’infliger à soi-même une double peine : non seulement des torts m’ont été faits, mais en plus, je suis chargé d’un ressentiment impuissant, celui d’une impossible vengeance !

Laisse agir la vengeance céleste, enseigne le livre des Proverbes (25, 21-22) cité par Paul (Ro 12, 19-21), proverbe biblique dont la forme africaine donne : « assieds-toi devant ta case, tu finiras par voir passer le cadavre de ton ennemi ». On n’est pas loin de la sagesse ironique de Jésus, qui ouvre en outre carrément sur la liberté de la compassion, même pour l’ennemi et le persécuteur : quelle est la souffrance intérieure qui l’a conduit à son injustice, à sa méchanceté ? Prie pour lui, porte-le devant Dieu, sois pleinement libéré de la tentation de t’infliger toi-même la double peine. Liberté inouïe de Jésus derrière sa parole sur la gifle et la joue, liberté qu’il nous appelle à faire nôtre.


samedi 13 juin 2020

Que tes paroles soient peu nombreuses


Et demain dimanche, culte
ici, D'un autre côté :

et sur RCF à 9h15,
la parole du dimanche, ici
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Matthieu 5, 33-37
33 « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Et moi, je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c’est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Quand vous parlez, dites “Oui” ou “Non” : tout le reste vient du Malin. »

*


Pourquoi une telle exigence de Jésus ? Pourquoi ne pas utiliser, pas même par des métaphores, le Nom de Dieu ? Pas respect strict, de sa part, du précepte biblique de la sanctification du Nom — « Que ton Nom soit sanctifié ! », première demande de la prière qu’il enseigne.

Un Nom que l’on ne prononce pas, sauf à en faire… un nom, précisément, une idée : c’est pourquoi on ne prononce pas ce Nom, plutôt que parce qu’on aurait perdu les voyelles — y lisant « mon Seigneur », Adonaï, un titre disant une relation, un titre qui nous met en relation avec celui qui est ainsi reconnu comme « mon Seigneur », plutôt qu’une description, qui fournirait quelque chose de l’ordre de l’idée, de l’image que l’on s’en fait.

Le respect du Nom de Dieu fonde le respect de quiconque : un nom n’épuisant jamais ce qu’est celui ou celle qui le porte, le mystère autour du Nom dont on n’a aucune approche suffisante, sauf à le réduire à un aspect, une idole, implique le respect de quiconque, qui est fait à son image…

Même les circonvolutions : le ciel, lieu symbolique, la terre, son pendant dans le récit de la création, Jérusalem, ville symbole de la présence de Dieu, valent d’être évitées, y compris dans les serments (dont le minimum est au moins de les tenir) ; cette réserve demandée par Jésus n’invalide pas la justice, mais induit que l’usage que l’on y fait du Nom (en levant symboliquement la main droite par exemple) ne doit pas nous leurrer, sachant que la vérité ultime n’est pas à notre portée.

En arrière-plan de cet enseignement de Jésus, une sentence de l’Ecclésiaste : « Que ta bouche ne se précipite pas et que ton cœur ne se hâte pas de proférer une parole devant Dieu. Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre. Donc, que tes paroles soient peu nombreuses ! Car de l’abondance des occupations vient le rêve et de l’abondance des paroles, les propos ineptes » (Ecc 5, 1-2).

À l’heure où des fanatiques tuent au nom de Dieu, où des figures politiques en mal de pouvoir s’approprient des symboles religieux, les paroles de Jésus deviennent criantes de sens. Ces attitudes devenues courantes sont rien moins que transgression du Décalogue : « tu ne prendras pas pour la vanité le Nom du Seigneur », transgression qui est à la racine du mépris des êtres humains faits à son image. Cela, dit Jésus, vient du Malin. Contentez-vous d’être humblement vous-mêmes dans vos « oui » ou vos « non », sachant que la vérité ultime n’est pas à votre portée !


Et demain dimanche, culte
ici, D'un autre côté :

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vendredi 12 juin 2020

Adultère et vide en forme de Dieu



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Matthieu 5, 27-32
27 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Et moi, je vous dis : quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son cœur, commis l’adultère avec elle.
29 « Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.
31 « D’autre part il a été dit : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui remette un certificat de répudiation.
32 Et moi, je vous dis : quiconque répudie sa femme – sauf en cas d’union illégale – la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une répudiée, il est adultère.

*


Comme pour l’interdit du meurtre, ici non plus, concernant l’adultère, Jésus ne s’oppose à l’enseignement biblique et à la lecture qu’en fait le judaïsme. Loin d’un « mais moi je vous dis », comme s’il s’agissait d’antithèses, il s’agit d’une invitation à aller au cœur de l’enseignement biblique : « et moi je vous dis » où l’adultère commence, comme je vous ai dit où le meurtre commence — colère et mépris dans un cas, convoitise dans l’autre.

Ici l’enseignement biblique, le Décalogue en l’occurrence, est déjà explicite. La psychothérapeute Esther Perel, travaillant sur cette question, fait remarquer avec humour que le commandement interdisant l’adultère est le seul qui soit donné deux fois dans le Décalogue, puisqu’il est repris une seconde fois, on le sait, sous la forme : « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ».

On voit que Jésus ne s’oppose en rien à l’enseignement reçu, mais affirme que le problème précède le passage à l’acte : il s’enracine dans le manque, l’incomplétude qui est au cœur de l’humain, ce qui est mis en lumière dans le récit de la création. Jésus ici cite le texte de la Loi de Moïse réglant les cas de séparation, texte qu’il reprend plus loin (au ch. 19) pour renvoyer au récit de la création de l’homme et de la femme  : l’humain coupé en deux : Dieu prit un côté de l’humain (pas une côte).

Nous voilà tous dès les origines avec un côté qui manque. De ce manque non-perçu naît la convoitise érotique : chercher ce dont l’épreuve qu’est le quotidien du couple nous a appris que cela continue à nous manquer.

D’où la tentation de chercher ailleurs cette part manquante de tout être humain, de la convoiter ailleurs, ignorant qu’elle se s’y trouve pas ! Le passage à l’acte adultère ne ferait que confirmer cela. D’où le vocabulaire volontairement excessif de Jésus enseignant de prévenir un passage à l’acte blessant pour l’autre et inutile pour soi.

La moitié de moi-même qui me manque, qui manque à chacune et chacun, et continuera de nous manquer, que l’on soit marié ou pas, est en Dieu, pas en autrui, autrui qu’il s’agit de laisser être lui-même, elle-même, devant Dieu. Il n’y a pas lieu de projeter sur lui, sur elle, la part manquante de moi-même, ni a fortiori d’aller la projeter sur une autre personne convoitée.

Concernant la part manquante de moi-même, Blaise Pascal a dit les choses en ces mots célèbres : « Il y a dans le cœur de chaque homme un vide en forme de Dieu, et nul autre que Lui ne peut le combler. »


RP, 12.06.2020
En direct sur RCF Poitou à 8H45
Fréquences radio : — Châtellerault : 99.2 fm — Civray : 91.9 fm
— Montmorillon : 90.3 fm — Niort : 89.3 fm
— Parthenay : 94.4 fm — Poitiers : 94.7 fm

jeudi 11 juin 2020

Quiconque se met en colère contre son frère



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Matthieu 5, 20-26
20 Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux.
21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal.
22 Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : “Imbécile” sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu.
23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison.
26 En vérité, je te le déclare : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier centime.

*


En regardant notre texte de près, il est facile de voir que Jésus ne remet pas en cause la Torah, mais certaines interprétations accommodantes qui en sont faites, pour une justice qui reste théorique même chez ses meilleurs auditeurs — « si votre justice ne surpasse pas » un comportement théorique, n’entrant jamais dans les faits…

Ce en quoi Jésus est en parfait accord avec l’enseignement juif. Opposer les deux Testaments est erroné. La Loi se trouve aussi dans le Nouveau Testament, elle y est la même que celle de la Bible hébraïque.

C'est une prise à la légère de l’enseignement biblique que Jésus dénonce, prise à la légère qui conduit, ici via la colère, aux pires dérives, jusqu'au mépris de l'humain à l'image de Dieu que l'on ne reconnaît plus comme tel, estimant dès lors que les insultes, signes de ce mépris, ne comptent pas. Ignorant que cela peut déboucher sur le meurtre.

Voilà qui, à nouveau, nous conduit au cœur de l’actualité. « Le racisme, écrit Romain Gary, c’est quand ça ne compte pas. Quand ils ne comptent pas. Quand on peut faire n’importe quoi avec eux, ça ne compte pas, parce qu’ils ne sont pas comme nous. Tu comprends ? Ils ne sont pas des nôtres. On peut s’en servir sans déchoir. On ne perd pas sa dignité, son “honneur”. Ils sont tellement différents de nous qu’il n’y a pas à se gêner, il ne peut y avoir… il ne peut y avoir jugement voilà. On peut leur faire faire n’importe quelle besogne parce que de toute façon, le jugement qu’ils portent sur nous, ça n’existe pas, ça ne peut pas salir… C’est ça, le racisme. » Romain Gary écrit cela en 1975.

L'actualité nous plonge hélas dans ce à quoi conduit le refus de cet enseignement biblique parlant des racines du meurtre qui plongent dans la colère et fructifient en haine. Alors, nous dit Jésus, les rites religieux-mêmes — « ton offrande » — n’ont pas de sens si réconciliation et pardon ne sont pas passés. Laisse-là ton offrande. Ici aussi on retrouve l’enseignement juif prônant la même chose pour le jour du pardon, Yom Kippour.

Laisse-là ton offrande destinée pourtant à Dieu, laisse ta Bible exhibée, ou ton chapelet brandi, et obtiens le pardon, car l’impunité pour tes exactions finira pas cesser. Non seulement le tourment intérieur te guette — « la géhenne » — mais la venue d’une vraie justice — « le Sanhédrin » — : déjà s’approche le Règne de Dieu, règne de paix, de justice et de fraternité.


RP, 11.06.2020
En direct sur RCF Poitou à 8H45
Fréquences radio : — Châtellerault : 99.2 fm — Civray : 91.9 fm
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mercredi 10 juin 2020

Je suis venu pour mettre pleinement en pratique



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Matthieu 5, 17-19
17 « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
18 Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé.
19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

*


« Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17) — « accomplir », c’est-à-dire « mettre en pratique », précisément « mettre en pratique pleinement ». Il n’est qu’à lire le développement qui suit pour voir que cette affirmation de Jésus est comme le programme qu’il résume ensuite en quelques points ; de sorte que « mais moi je vous dis » ne consiste en aucun cas en opposition à la Torah, ou « dépassement » de la Torah, mais à sa prise au sérieux, sans évitement de quelque implication que ce soit.

Quel est le cœur de l’enseignement biblique dont il s’agit pour Jésus de le mettre pleinement en pratique ? C’est ce en quoi il s’accorde parfaitement avec la tradition juive et pharisienne : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu et tu aimeras ton prochain, tu voudras pour ton prochain ce que tu voudrais pour toi ». Or, et c’est ce sur quoi insiste Jésus, il ne s’agit pas seulement de reconnaître la valeur de cet enseignement, mais de le mettre en pratique.

Nous voilà en pleine actualité ! Ce que dit Jésus du cœur de la Loi biblique, vaut de son expression moderne dans les Déclarations de Droit qui en sont issues, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration de 1789, et leur extension universelle en 1948. Qu’entend-on à l’heure où le meurtre de George Floyd vient de réveiller des pays ayant en commun cet héritage issu de la Loi biblique ? Que nos institutions ne sont pas racistes ! Certes ! Mais il s'agirait peut-être de mettre en pratique, pleinement en pratique, ce qu’elles nous disent. Que n’entend-on pas sur l’universalisme français, sur l’égalité des Droits qui y est traditionnelle, sous-entendant que ce ne serait pas le cas aux États-Unis et que cela nous protégerait de dérives similaires…

Voilà qui ressemble bien à un déni, le même que celui auquel s’en prenait le pasteur Martin Luther King, rappelant que l’égalité des Droits est certes dans les textes américains depuis longtemps, mais que pour les noirs, cela ressemble à un chèque sans provisions ! Pourquoi ? Pour la raison dont parle Jésus ! C’est bien beau d’avoir un texte fondateur dont chaque lettre, chaque trait de lettre, vaudra jusqu’à la fin du temps, dont rien ne doit être aboli… Mais il s'agirait peut-être de le vivre, de le mettre en pratique, de l’incarner. C’est ce que je suis venu faire, nous dit aujourd'hui Jésus, avant de nous dire de faire de même, précisant en reprenant l'enseignement de la Torah « aimez-vous les uns les autres » : « comme je vous ai aimés. » À mettre en pratique donc, comme aujourd’hui la leçon universaliste des Droits de l’Homme, sans quoi toutes les dérives restent possibles, des deux côtés de l'Atlantique, jusqu’à, comme on l’entend trop, inverser l’accusation de racisme à l’encontre de celles et ceux dont le cri ne parvient pas à percer la surdité de ceux qui sous prétexte d’universalisme des textes n’entendent pas que cela ne s’incarne pas concrètement, sauf à se mettre à la place de celles et ceux dont les droits ne parviennent pas au concret de leur vie. Je suis venu accomplir, dit Jésus, incarner au concret de la vie un bel enseignement, qui n’est pas là pour rester théorique.


RP, 10.06.2020
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mardi 9 juin 2020

Sel de la terre et lumière du monde



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Matthieu 5, 13-16
13 « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.

*


Sel et lumière. Commençons par la lumière. « Que votre lumière brille devant les humains afin qu’ils voient vos œuvres bonnes ». Quel rapport entre cette parole de Jésus et celle qu’il donne quelques versets plus loin (ch. 6, v. 1) : « gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour en être vus » ? Dans l’une, il invite ses disciples au secret : « Gardez-vous de pratiquer votre justice pour être vus » — et dans l’autre : « Que votre lumière brille devant tous »… Y aurait-il contradiction ? À bien y regarder, les deux paroles s'expliquent l'une par l'autre.

Dans les deux cas Jésus appelle à prendre au sérieux le message de la Bible. En commençant par ce que dit le Psaume 119, v. 11 : « Je serre ta parole / ou ta promesse dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi ». Et alors seulement ce que Dieu attend de nous se produira, et se verra, sans qu’on le sache ou même qu’on le veuille.

Autrement dit, il ne s’agit pas de faire voir une pratique religieuse particulière, qui au fond ne change rien à la situation du monde.

Une lampe est faite pour éclairer, la chose est claire. On ne la cache pas. Et la lumière vient de l’intérieur de la lampe. Comme la lumière de la parole de Dieu rayonne depuis le cœur qui la reçoit : « Je serre ta parole dans mon cœur ».

Une lampe est faite pour éclairer comme le sel a pour effet d’empêcher la corruption ; et de donner du goût… Il ne sert pas s’il est « devenu fou », littéralement : qu’est-ce à dire ? — « devenu fou » ? Et si cela consistait tout simplement à se considérer comme le plat à soi tout seul, la chose la plus importante, et que du coup il faut en mettre beaucoup (ce qui, en fait, gâte le plat)…

Le sel et la lampe sont deux illustrations que donne Jésus pour expliquer ce qu’il enseigne dans ce discours-programme qu’est le Sermon sur la Montagne.

Il ne s’agit pas de se distinguer par des rites ou pratiques — Jésus avait les mêmes que tout un chacun en Israël de son temps —, il s’agit d’écoute de la Parole de Dieu et de ce qui en découle. « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »


RP, 09.06.2020
En direct sur RCF Poitou à 8H45
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— Montmorillon : 90.3 fm — Niort : 89.3 fm
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lundi 8 juin 2020

Les Béatitudes



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Matthieu 5, 1-12
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. »

*


D’entrée, l’enseignement-programme de Jésus dans l’Évangile selon Matthieu se fonde sur la Bible hébraïque, ici le premier mot du Premier Psaume. Le mot grec, « makarios », traduit dans nos Bibles par « heureux », est celui par lequel la Bible grecque des LXX traduit le premier mot hébreu du Psaume 1, « asher », qui porte en outre l’idée de mouvement, pour un bonheur qui n’est pas statique. Je cite (Psaume 1, v. 1-3) :

« Heureux qui ne prend pas le parti des méchants, […] mais qui se plaît à la loi du Seigneur et la médite jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près des ruisseaux. »

Où il est question de racines spirituelles, profondes et secrètes. Le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est caché ; dans le propos de Jésus, il est comme la face cachée de nos échecs, de nos fautes et nos gouffres. C’est au cœur du message que nous livrent les Béatitudes. Le bonheur, face cachée de nos défaites reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence qui fascine.

Nous voilà appelés au refus de la superficialité. Refus du creux, copie fausse de la vie, qui voudrait que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans l’aisance matérielle, dans le fait d'être rassasié, dans les réjouissances, dans la considération que l’on nous porte. Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui brille n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais de savoir où demeure, de façon cachée, la source du bonheur…

Un bonheur au-delà des apparences. Très proche des Psaumes, donc, ce message est proche aussi de celui de l'Ecclésiaste. Car il s’agit de ne pas entendre le bonheur dont il est question comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps ! Comme celui de l'Ecclésiaste, le bonheur des Béatitudes est au présent, rachetant ainsi d’avance le futur (par ex. « le Règne des cieux est à eux » — au présent — ; « ils auront la terre en partage » — au futur — etc.). Et c’est là le don de Dieu ! Quoiqu'il en soit des biens temporels.

Ainsi l’Ecclésiaste (5, 19 & 6, 2) : « Si Dieu a donné à [quelqu’un] des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu. Mais [celui] que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir […,] c’est là une vanité. »

« Correctif » de cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit : la conscience du don de Dieu, de ses racines spirituelles et secrètes. Là est la source du bonheur, des Béatitudes…


RP, 08.06.2020
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jeudi 21 mai 2020

"Ascension et envoi des disciples"


À suivre aujourd'hui jeudi 21 mai à 10h30,
ici, Culte régional de l'Ascension :
PDF ici

Matthieu 28, 16-20
16 Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur enseignant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du temps. »

*


Le Nom. « Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Le Nom. Voilà qui, en deçà de la formule donnée aux disciples envoyés baptiser et enseigner tout ce que Jésus leur a prescrit, mobilisait forcément leur mémoire de lecteurs de la Bible.

Les onze disciples, comme les autres juifs, ne prononcent pas le Nom de Dieu, mais disent Hashem, ce qui signifie Le Nom. Car Dieu échappe à toute nomination ; il est au-delà de toutes les représentations que nous pouvons nous en faire. Les prescriptions que Jésus les enjoint d’enseigner rattachent les Onze à leur enracinement juif, dans la Bible hébraïque. Car il n’y a pas de doute que pour le même Évangile de Matthieu qui rapporte cela, Jésus leur a prescrit l’observance de la Torah — « pas un seul trait de lettre n’en passera » insistait-il.

Un moment pour les Onze, qui à la fois les lie à Israël en qui s’enracine la foi de Jésus et la leur, et qui en séparera leur avenir ; leur avenir qui, en fonction du pouvoir universel que Jésus, leur Seigneur ressuscité, annonce ici comme le sien, les enverra vers les nations auxquelles les préceptes observés par, eux, les Onze, ne seront pourtant pas imposés ! — cela aussi en fidélité à cet envoi aux nations avec ce qu'elles sont : en naîtra le christianisme qui recevra l’enseignement prescrit par Jésus d’une façon qui leur soit adaptée, qui a fait le christianisme pluriel venu jusqu’à nous ; où éclora ce nom alors nouveau : chrétiens…

Pour les onze disciples, et ceux qui les suivront, c’est de ce Nom qu’ils reçoivent leur nom, comme don du Fils, par l’Esprit saint, comme leur maître reçoit le sien du Père. Ils ne sont maîtres ni du Nom de Dieu bien sûr, ni même de leur propre Nom.

Nous ne sommes pas maîtres de nos noms, reçus d’un autre, ce qui est rappelé au baptême ; ni de ce que nos noms signifient devant Dieu, ni de ce qu’il nous confie en nous appelant par nos noms lorsqu’il nous envoie dans le monde.

Christianisme en passe de naître, pour le meilleur ou le pire… pouvons-nous nous dire parfois au bout de vingt siècles de cette histoire, emboîtant le pas à une interrogation qui est peut-être déjà celle des Onze. « Quand ils virent Jésus, les disciples se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes », dit le texte, parlant d’abord de leur doute persistant quant à la réalité de la résurrection de leur maître : mais… le pressentiment du pire possible quant à la suite du temps ne serait-il pas aussi dans ce doute ?

Alors, une promesse leur est donnée, nous est donnée : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du temps ».


RP, 21.05.2020
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À suivre aujourd'hui jeudi 21 mai à 10h30,
ici, Culte régional de l'Ascension :


lundi 13 avril 2020

Un monde nouveau



PDF ici

Matthieu 28, 8-15
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »
11 Comme elles étaient en chemin, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville informer les grands prêtres de tout ce qui était arrivé.
12 Ceux-ci, après s’être assemblés avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une bonne somme d’argent,
13 avec cette consigne : « Vous direz ceci : “Ses disciples sont venus de nuit et l’ont dérobé pendant que nous dormions.”
14 Et si l’affaire vient aux oreilles du gouverneur, c’est nous qui l’apaiserons, et nous ferons en sorte que vous ne soyez pas inquiétés. »
15 Ils prirent l’argent et se conformèrent à la leçon qu’on leur avait apprise. Ce récit s’est propagé chez les Juifs jusqu’à ce jour.

*


Avec crainte et grande joie, dit le texte, les femmes du dimanche de Pâques courent vers les disciples ; premières témoins de la victoire sur la mort, elles quittent le tombeau. Le tombeau est vide : l’Ange en a roulé la pierre pour que nous n’y restions pas.

« Il n’est pas ici », vient-il de dire aux femmes. Allez vers les disciples, puis, plus tard, au bout du monde, dans la Cité terrestre, où il vous précède. Parce que ce qui vaut pour lui, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous : un monde nouveau s’est ouvert pour nous aussi.

Jésus vient à la rencontre des femmes en chemin vers les disciples. Dites-leur qu’il les précède en Galilée. La mission commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous serez envoyés bientôt, pas autour d’un tombeau.

Le monde nouveau va à présent prendre son départ où tout a commencé, en Galilée : c’est là qu’ils me verront. Un monde nouveau, le monde de la résurrection, donné à la foi, quand, comme avant, les pouvoirs de ce monde ne voient pas : les autorités sacerdotales conservent la crainte qu’elles avaient du pouvoir romain, crainte qui les menaient à leur livrer Jésus. Une autre crainte que celle des femmes devant l’inouï de la résurrection.

À présent, les mêmes autorités, restant dans le monde du temps et des manœuvres de pouvoir, craignent simplement que cela continue, que ce qui s’est passé, ce dont témoignent les disciples, ne leur cause des ennuis ! « Si l’affaire vient aux oreilles du gouverneur… » Alors on se dégage de toute responsabilité pouvant passer pour subversive, attribuant le tout aux disciples : les gardes se seront endormis, ils seront venus enlever le corps… premiers linéaments de futures poursuites reportées sur les disciples pour donner des gages de bonne volonté face à Rome.

Les disciples, eux, à l’instar des femmes, sont entrés dans le monde qui vient, où la mort est vaincue. Que peuvent en savoir les régnants de ce monde ?


RP, 13.04.2020
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mercredi 8 avril 2020

"Serait-ce moi ?"



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Matthieu 26, 14-25
14 Alors l’un des Douze, qui s’appelait Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres
15 et leur dit : « Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? »
Ceux-ci lui fixèrent trente pièces d’argent.
16 Dès lors il cherchait une occasion favorable pour le livrer.
17 Le premier jour des pains sans levain, les disciples vinrent dire à Jésus : « Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque ? »
18 Il dit : « Allez à la ville chez un tel et dites-lui : “Le Maître dit : Mon temps est proche, c’est chez toi que je célèbre la Pâque avec mes disciples.” »
19 Les disciples firent comme Jésus le leur avait prescrit et préparèrent la Pâque.
20 Le soir venu, il était à table avec les Douze.
21 Pendant qu’ils mangeaient, il dit : « En vérité, je vous le déclare, l’un de vous va me livrer. »
22 Profondément attristés, ils se mirent chacun à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? »
23 En réponse, il dit : « Il a plongé la main avec moi dans le plat, celui qui va me livrer.
24 Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est écrit de lui ; mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Il aurait mieux valu pour lui qu’il ne fût pas né, cet homme-là ! »
25 Judas, qui le livrait, prit la parole et dit : « Serait-ce moi, rabbi ? » Il lui répond : « Tu l’as
dit ! »

*


Alors que Judas est déjà convenu avec les autorités de leur livrer Jésus (v. 14-15), alors, donc, qu’en lui-même, il sait, Jésus ne le désigne pas nommément. Chaque disciple est renvoyé à sa conscience, aucun n’accusant l’autre. Parlant de celui qui le livre, « il vaudrait mieux pour lui qu'il ne soit pas né », dit alors Jésus.

« Serait-ce moi ? » ont demandé les disciples. Attitude juste. Contrairement à celle qui consiste, et ça vaut jusqu’aujourd’hui, à désigner Judas, en se disant : « ce ne pourrait pas être moi ». C’est l’inverse qui est juste. Car au fond, de son point de vue, Judas imagine peut-être d’abord n’être pas dans son tort ! D’où les nombreuses théories qui ont fait le succès de romanciers et de cinéastes à ce sujet.

Le Nouveau Testament, lui, reste très sobre : de l’argent reçu, dont il cherche ensuite à le rendre selon Matthieu, un peu plus loin (ch. 27), finissant par le jeter dans le Temple avant de se pendre !

Manifestement Judas, dans cette perspective, ne voulait pas la mort de Jésus. Que cherchait-il précisément ? Nul ne sait. Ce que l’on perçoit, c’est qu’il n’avait sans doute pas mesuré la portée et les conséquences de son geste. C’est en cela qu’il ressemble finalement aux autres disciples… et à chacun de nous !…

Les onze autres, la parole de Jésus les a placés face à leur conscience et à l’abîme qui s’ouvre. « Serait-ce moi ? » se demande chacun. Et ils ont raison. C’est peut-être cela précisément qui les distingue de Judas qui lui sait, ou croit savoir, et n’a pas conçu les conséquences de sa décision… jusqu’à sa réaction tragique lorsqu’il découvre que cela va déboucher sur la mort de son maître !

Connaissons-nous les conséquences de nos actes, des actes que nous avons posés sans nous mettre à la place d’autrui ? En connaissons-nous les conséquences sur autrui… et sur nous-mêmes ? Sur notre conscience voire notre inconscient ?… qui nous mène inéluctablement à subir ce que nous avons conçu sans en avoir mesuré le prix… « Serait-ce moi ? » — question des disciples qui renvoie chacune et chacun de nous à soi-même, juste après l’enseignement qui précède (Mt 25), où Jésus rappelait : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »


RP, 08.04.2020
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mercredi 25 mars 2020

Ouvriers de la onzième heure



En ce temps de retrait, carême / quarantaine, les lectures proposées au quotidien par la FPF correspondent ces jours-ci aux textes de nos études bibliques / catéchisme adultes de Poitiers et Châtellerault…

Méditation ci-dessous
PDF ici
Prédication en audio — sans fond musical ici ;
avec musique de fond (Max Richter - Return 2) ici :

Matthieu 20, 1-16
1 "Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il convint avec les ouvriers d’une pièce d’argent pour la journée et les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient sur la place, sans travail,
4 et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.
5 Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même.
6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail ? —
7 C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés. Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne.
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.
9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d’argent.
10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent.
11 En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison :
12 Ces derniers venus, disaient-ils, n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.
13 Mais il répliqua à l’un d’eux : Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ?
14 Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi.
15 Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ?
16 Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers."

*

Même depuis nos enfermements dans nos solitudes pandémiques, il nous est facile d’imaginer les circonstances de la parabole surtout si on a eu l’occasion de faire les vendanges, comme c’est probablement le cas pour la plupart des premiers auditeurs de la parabole : ils savent — entendant évoquer ces vendangeurs qui se plaignent du poids de la chaleur du jour (v. 12) — combien en effet au bout de plusieurs heures, cela devient pénible.

Ceux à qui Jésus s'adresse savent : la journée qui avance, le soleil qui monte et qui très vite assomme, jusqu’à cette heureuse pause casse-croûte, qui elle-même a quelque chose de désespérant : elle ne débouchera pas sur la sieste, mais, trop courte, sur la reprise sous le soleil brûlant. Et les reins qui tirent de plus en plus, surtout sur les derniers moments de la journée. Les auditeurs de Jésus savent.

Le maître de la vigne a embauché à toutes les heures d’une journée, qui, pour les premiers, a commencé à six heures du matin, l’heure où les moustiques de la nuit sortent des feuilles humides et froides des ceps pour vous piquer les mains et vous dévorer le sang. Pour eux, au moment où ils voient l’heureuse fin de la journée se profiler, ce moment où on peut enfin se détendre, prendre un repas rapide et s’allonger, le maître embauche encore : jusqu’à la onzième heure, c’est-à-dire dix-sept heures.

Et voilà les nouveaux venus, frais et dispos, qui coupent les grappes avec entrain, imposant à tous un rythme alerte pour avancer dans la vigne. Le maître, d’ailleurs, n’est peut-être pas mécontent : voilà une main d’œuvre vivifiée. Et les premiers venus qui redressent le dos de temps en temps pour détendre leurs reins…

Enfin, la journée se termine : il est dix-huit heures. On s’approche alors pour recevoir la paye de la journée. Salaire correct : un denier, un peu moins d’un franc or, très convenable. Et voilà que tous reçoivent le plein salaire. N’est-ce pas décourageant pour les premiers ?… En fait, à y regarder de près, on les imagine quand même mal en train de s’irriter. Demain est un nouveau jour, et les ouvriers de la onzième heure d’aujourd’hui, commenceront à l’aube, à moins qu’ils n’arrêtent complètement, mais les mêmes ne pourront pas arriver à nouveau à cinq heures de l’après-midi !

*

En fait, à ce point, avec cette irritation des ouvriers, on a déjà quitté la parabole : l’irritation ne concerne pas les vendangeurs, elle nous concerne. Car c’est une parabole, qui n’est pas là que pour nous parler de vignes et de frustrations d’ouvriers fatigués.

Il est question des relations entre les bons croyants, et de longue date, auxquels Jésus annonce que dans la perspective de leur venue au Royaume de Dieu, quant à leur entrée dans la mission de Dieu, fût-elle tardive, les derniers ne sauraient être lésés devant Dieu par rapport à eux, qui ont eu un comportement irréprochable. On est passé au-delà de la parabole, illustration de ce que les fidèles peuvent s’irriter de voir la façon dont Jésus accueille quiconque — genre imbuvables collecteurs d’impôts au service des Romains !

Quand même… avoir porté le fardeau de la fidélité à l’œuvre de Dieu pour préparer le Royaume, et maintenant qu’il s’est approché, en voir octroyer les privilèges à ceux qui se contentent d’en profiter sans avoir eu à porter le poids du fardeau qui l’a préparé, c’est un peu fort de café.

N’entend-on pas régulièrement cela ? Pensons ne serait-ce qu'à la façon dont les pays aisés ont tendance à se fermer de sorte que ceux qui vivent dans des pays plus pauvres ne puissent pas bénéficier de leurs biens.

Déjà aux temps bibliques, comme pour les frères de Joseph, esclave étranger vendu par ses frères, grâce à qui l’Égypte a ensuite été sauvée de la famine ; ces frères arrivant ensuite en Égypte comme réfugiés économiques. L'histoire de Joseph et de ses frères, et de l’accueil des étrangers et réfugiés est comme une autre parabole des ouvriers de la onzième heure : il s'agit au fond du Royaume et de la mission libératrice confiée à celles et ceux qui y sont appelés. Il s’agit de la façon dont celles et ceux spirituellement riches depuis longtemps, voire des générations, ou dans des pays économiquement aisés, vivent sur un acquis, voire celui de leurs ancêtres, de sorte que le rythme plus alerte qui pourrait tout vivifier est bloqué ; comme le travail dans les vignes se fait moins allègrement en fin de journée.

*

Et si, comme le dit le prophète Ésaïe, les voies de Dieu étaient infiniment au-dessus des nôtres ? Si ce qui nous parait injuste n'était que signe d'une sagesse infiniment plus profonde, et même comme le dit Jésus, signe, simplement, de bonté : « vois-tu d'un mauvais œil que je sois bon ? » (Mt 20, 15), car comme on le lit au prophète Ésaïe, « Dieu pardonne abondamment » (És 55, 7) ? — pensons au pardon octroyé aux frères de Joseph qui l'ont vendu en esclavage et bénéficient plus tard de ce qu'il a acquis pour leur bien à eux !

C’est là que conduit la parabole. Un besoin de vie, de plénitude de vie qui est rempli par le maître de la vigne, pour quiconque y entre. Un besoin de plénitude de joie du don, dont se privent ceux qui, pour avoir commencé tôt, ne voient pas qu'ils ont eux-mêmes le plein salaire dans les mains et qui au lieu de s'en réjouir, s’attristent de ce que d’autres qui apparemment en ont moins fait reçoivent le même bonheur… finalement au bénéfice de tous ! La plénitude de vie et de bonheur ne nuit à personne, au contraire, elle est cadeau pour tous !

Et, ironie, ne pas voir cela revient à voir d'un mauvais œil que Dieu soit bon — non pas à l'égard d'autrui finalement, comme le penseraient les ouvriers premiers arrivés, mais à leur égard aussi ! Car c'est aujourd'hui le jour de la plénitude du Royaume, pour quiconque sait l'accueillir et regarder sa journée de vendanges comme pas si désagréable que ça au fond ! Chargée de moments de joie elle aussi, à bien y regarder. Le salaire, le don de la vie, c'est aussi cela !… On garde de bons souvenirs des vendanges, du partage qui s'y vit : déjà un avant goût du Royaume, vigne du Seigneur.

Saurez-vous, demande la parabole, être reconnaissants au Maître de la vigne pour une sagesse qui vous dépasse, et qui pour tous est grâce : le don qu'il nous promet est la liberté du Royaume. Que chacun se confie donc à la sagesse du Maître… Auprès de qui se trouve l'immense cadeau qui nous est donné.



La voici, l’heureuse journée
Qui répond à notre désir ;
Louons Dieu qui nous l’a donnée,
Faisons-en tout notre plaisir.

(Psaume 118 § 12
trad. Clément Marot, adapt. François Gonin)



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