dimanche 13 décembre 2015

Métempsycose, évanescence et bouddhisme




"Métempsycose" est un terme grec signifiant littéralement "changement en âme". Il s'agit pour cette doctrine de traduire l'idée que la vie universelle, spirituelle, ou "âme", psychè en grec, commune à tout l'univers, fait éternellement retour – cette récurrence, ce retour, étant le signe d'un changement, donc d'une imperfection, puisque dans le monde grec ancien, le changement était conçu comme un défaut, la perfection consistant en stabilité. Changement dans l'âme, âme commune, et non pas changement de corps, ce qui se dirait "métensomatose". Cette doctrine, la métempsycose, a été répandue en Grèce à travers le mouvement pythagoricien, puis Platon, dont le succès a occasionné l'expansion de la théorie dans les pourtours de la Méditerranée.

En termes différents, l'Inde – ici le mot est samsara, – pense la même chose que les Grecs : il y a une faille dans l'univers, et l'expression de cette faille est l'individualité, qui est mouvante, changeante, partielle, "morceau" imparfait détaché de l'"âme" universelle. Pour la pensée de l'Inde, cette dégradation de l'âme universelle en vies individuelles est une conséquence de la loi du karma, elle est comme une rétribution des actions qui sont finalement globalement mauvaises. La vie individuelle est une sorte de malédiction dont il s'agit de se libérer en s'unissant au Moi universel, c'est-à-dire l'Atman-Brahman ; s'y unir pour accéder au-delà du cycle incessant des dégradations individuelles et personnelles de cette âme commune à tous, âme supra personnelle. Point question en cela d'une âme individuelle – de mon âme – qui se réincarnerait comme le ferait un esprit touriste du temps et de l'espace. Il n'y a là qu'âme supra personnelle dont les expressions individuelles – toi, moi, un tel, etc. – sont autant de chutes, de chutes dans l'illusion.

Quant au bouddhisme, c'est avec des nuances, parfois non négligeables, qu'une vision approchante y a été enseignée, et que par lui, elle a été diffusée largement en Orient – sans compter son impact jusque dans la pensée occidentale moderne. D'origine indienne, le bouddhisme ne fait qu'accentuer la vision réputée hindouiste de l'individualité. Il l'a peut-être même précédée dans le temps. Selon Albert Schweitzer, c'est seulement "lorsque l'idée de réincarnation commence à préoccuper les masses et que l'angoisse des renaissances successives s'empare des cœurs que se déclenche le grand mouvement de renoncement"... Or, pour Schweitzer, "ce n'est qu'avec le jaïnisme et le bouddhisme que la mystique hindoue serait devenue une négation du monde" (le jaïnisme est une religion de l'Inde née à la même époque que le bouddhisme, et qui n'est pas sans ressemblance avec lui).

Le bouddhisme est porteur par excellence de ce second corollaire indispensable à l'éclosion de la doctrine de la métempsycose, relatif à la réalité individuelle : le moi individuel y est nettement illusoire : tout moi permanent est au fond inexistant – comme toute réalité –, ce qui fait que les bouddhistes lettrés n'hésitent pas à affirmer que selon leur conception de la métempsycose, il n'y a rien qui transmigre. Alexandra David Néel, célèbre spécialiste de la question, le dit en ces termes, concernant le bouddhisme du Tibet : "les Tibétains lettrés paraissent souvent fortement opposés aux théories semi populaires... qui dépeignent le pèlerinage d'une entité quelque peu semblable [...] à l'âme des chrétiens. Rien ne transmigre, disent les adversaires de ces théories".

C'est au point que l'enseignement du Bouddha a pu même être, dans les milieux ascétiques et spirituels de l'Inde qui ont vu éclore la doctrine du samsâra, de la métempsycose, l'élément essentiel de cette éclosion. La certitude de base concernant l'idée que rien n'est permanent, donne à la métempsycose une force telle qu'elle peut facilement s'y passer de l'illustration populaire de la transmigration des âmes. La métempsycose y a toute sa force logique, rejoignant le "tout s'écoule", panta rei, du philosophe de l'Antiquité grecque Héraclite, comme le fleuve qu'il donne pour illustration, où l'on ne se baigne jamais deux fois : d'où donc, "rien ne transmigre". Tout se meut, fluctue, il n'est pas d'élément stable, pas même une âme.

On touche ici sans doute à la signification profonde de la doctrine, selon laquelle tout est évanescent – cf. l'Ecclésiaste ! – à commencer par l'illusion d'un "moi", fruit d'une chute hors de la vérité de nos êtres, vérité inaccessible à nos concepts, débouché d'une cessation (nirvana) de l’illusion et de la douleur qui lui est liée : rejonction de ce qui nous précède et nous déborde infiniment, nous préexiste au fond – et d'où viennent les "délivreurs" que sont les bodhisattva, pour les courants du bouddhisme (mahayana) qui en admettent l'idée, rejoignant les philosophies parlant de préexistence, du zoroastrisme au platonisme, et tant d'autres…


RP
Traditions religieuses et spiritualités

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2014-2015
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3) 15 & 17 décembre – Bouddhisme | et regard sur philosophies d'Asie, zoroastrisme, monde grec et platonisme (PDF)


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