lundi 24 décembre 2012

Noël, le mythe devenu Fait !



Un chrétien anglican du XXe siècle, C.S. Lewis, l’auteur de Narnia, a écrit un livre qui s'appelle « Le Mythe devenu Fait ». Il y explique qu’à Noël, les mythes, les légendes des peuples, deviennent réalité. Qu’est qu’un mythe ? — C’est une histoire imaginaire qui porte des vérités. Le mythe de Noël le plus connu est celui du Père Noël. Qu’est-ce qu’il dit ce mythe ? — Qu’il est possible de donner secrètement et gratuitement, par amour.

Le mythe est devenu réalité à Noël : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3, 16). C’est le grand cadeau de Noël. Dans la nuit de notre hiver — pensons à l’hiver perpétuel du mythe de Narniadescend celui qui est la lumière du monde.

Un chrétien célèbre qui vivait aux IV-Ve siècles — il s’appelait Augustin, plus connu comme saint Augustin — connaissait bien les livres d’un ancien auteur de nombreux mythes.

Voici ce qu’écrit Augustin — Confessions, livre VII, ch. 9 — : « Dans plusieurs des livres des disciples de Platon — c’est lui, auteur de mythes célèbres, dont il s’agit —, j’ai lu, non en propres termes, […] "qu’au commencement était la Parole ; que la Parole était en Dieu, et que la Parole était Dieu ; qu’elle était au commencement en Dieu, que tout a été fait par elle et rien sans elle : que ce qui a été fait a vie en elle ; que la vie est la lumière, des hommes, que cette lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise." Et que l’âme de l’homme, "tout en rendant témoignage de la lumière, n’est pas elle-même la lumière, mais que la Parole de Dieu, Dieu lui-même, est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ;" et "qu’elle était dans le monde, et que le monde a été fait par elle, et que le monde ne l’a point connue. Mais qu’elle soit venu chez elle, que les siens ne l’aient pas reçue, et qu’à ceux qui l’ont reçue elle ait donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à ceux-là qui croient en son nom ;" c’est ce que je n’ai pas lu dans ces livres. J’y ai lu encore : "Que la Parole-Dieu est née non de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair ; qu’elle est née de Dieu." Mais "que la Parole se soit faite chair, et qu’elle ait habité parmi nous (Jean, I, 1-14)," c’est ce que je n’y ai pas lu. »

À présent, en Jésus, à Noël, le mythe est devenu fait.

Le même Augustin pourra alors dire : « Dieu est plus proche de moi que je ne suis proche de moi-même. » Dieu est très proche de nous, nous sommes loin de lui. Alors il s’est approché de nous : c’est Noël. C’est pour dire cela que nous écoutons des contes à Noël : parce qu’à Noël, les mythes, légendes et contes sont devenus faits.

RP,
Veillée de Noël
Poitiers, 24.12.12

lundi 17 décembre 2012

Noël


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Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, et qui est né de la Vierge Marie.

Nous croyons en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Pour nous, les hommes, et pour notre salut, il est descendu des cieux ; par le Saint-Esprit il s'est incarné de la Vierge Marie, et s'est fait homme.


*

La venue du Fils de Dieu à Noël comme seul Seigneur, Fils unique de Dieu conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie s’inscrit dans la perspective de la Résurrection relue :

Romains 1, 4 : « Déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur ».
Colossiens 1, 15-16 : « Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création. Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre ».

Relire la résurrection comme filiation divine et la percevoir comme la réalité de Noël suppose la comprendre comme accession à l’éternité, qui — par définition, peut-on dire — précède le temps. La filiation divine de Jésus proclamée par sa résurrection est donc une filiation éternelle — avant tous les siècles — et manifestée dans le temps à sa naissance.

Le Ressuscité ne peut être retenu par la mort, signe de ce qu’il est de l’éternité, et c’est lui qui vient dans le temps, dans la chair — Incarnation —, à Noël.

Où la foi du dimanche de Pâques rejoint la tradition philosophique pharisienne, proche de la tradition perse induisant de la nature humaine l’immortalité comme résurrection, l’âme étant alors comme la structure de la nature corporelle de l’homme — corps naturel et corps « spirituel ». Une approche distincte à la fois de l’idée de l’immortalité désincarnée de l’âme et de sa mortalité.

L’homme est un être de corps, de sens, et sa nature entière est assumée éternellement. Enseignement scellé pour la foi des disciples au dimanche de Pâques dans la résurrection du Christ, « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts ».


Fils unique du Père

La foi à l’unicité de la filiation du Christ rattachée à sa résurrection comme premier-né d’entre les morts, premier-né de toute la création (Col 1, 15) — renvoie aussi à la perception d’une spécificité de la relation de Jésus et du Père.

Une conscience particulière de Jésus quant à sa relation avec le Père est perceptible selon le Nouveau Testament. La façon dont Jésus s’adresse au Père dans les Évangiles et dont on a l’écho dans l’Église du Nouveau Testament est remarquable : « Abba », « Mon Père », précisément « Papa », qui se retrouve dans le Notre Père part d’un vécu particulier de la spiritualité juive qui est celle de Jésus.

Cf. les sources juives du Notre Père (cit. ci-dessous d’après Cahier Evangile n°68, Notre Père) :

Notre Père qui es aux cieux
Fais-nous revenir, notre Père, à ta Torah... Pardonne-nous, notre Père...
(5ème et 6ème bénédictions);
Tu as eu pitié de nous, notre Père, notre Roi...
Notre Père, Père de miséricorde, le Miséricordieux, aie pitié de nous !
(2ème prière avant le Shema : « Ahavah rabbah »).
Que les prières et supplications de tout Israël soient accueillies par leur Père qui est aux cieux
(Qaddish).

Que ton Nom soit sanctifié
Tu es Saint, et ton Nom est saint, et les saints chaque jour te loueront. Béni es-tu, Seigneur, le Dieu saint ! Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on le sanctifie dans les hauteurs célestes
(3ème bénédiction).
Que soit magnifié et sanctifié son grand Nom dans le monde qu’il a créé selon sa volonté
(Qaddish).

Que ton Règne vienne
Qu’il établisse son règne de votre vivant, et de vos jours et du vivant de toute la maison d’Israël, bientôt et dans un temps proche
(Qaddish).
De ton Lieu, notre Roi, resplendis et règne sur nous, car nous attendons que tu règnes à Sion
(3ème bénédiction du Shabbat.).
Rétablis nos Juges… et règne sur nous, Toi seul Seigneur, avec amour et miséricorde... Béni es-tu, Seigneur, Roi, qui aime la justice et le droit
(llème bénédiction).

Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel
Telle puisse être ta volonté, Seigneur... de guider nos pas en ta Torah et de nous attacher à tes commandements
(Prière du matin).

Notre pain quotidien, donne-le nous aujourd’hui
Tu nourris les vivants par amour, tu ressuscites les morts par grande miséricorde, tu soutiens ceux qui tombent, tu guéris les malades et délivres les captifs. Qui est comme toi, Maître des puissances ?
(2ème bénédiction).
Bénis pour nous, Seigneur notre Dieu, cette année et toutes ses récoltes, pour le bien. Rassasie-nous de ta bonté
(9ème bénédiction).

Et remets-nous nos dettes comme nous avons remis à nos débiteurs
Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché; fais-nous grâce, notre Roi, car nous avons failli, car tu es celui qui fait grâce et pardonne. Béni es-tu, Seigneur, qui fais grâce et multiplie le pardon
(6ème bénédiction).
Pardonne-nous nos péchés comme nous les pardonnons à tous ceux qui nous on fait souffrir
(Liturgie du Yom Kippour).

Ne nous fais pas entrer en tentation
Ne nous livre pas au pouvoir du péché, de la transgression, de la faute, de la tentation ni de la honte. Ne laisse pas dominer en nous le penchant du mal.
(Prière du matin).

Délivre-nous du mal
Vois notre misère et mène notre combat. Délivre-nous sans tarder à cause de ton Nom, car tu es le Libérateur puissant. Béni es-tu, Seigneur, Libérateur d’Israël
(7ème bénédiction).

Deux autres prières anciennes où Dieu est invoqué comme Père d’Israël. Dans ces prières de la liturgie synagogale donc communautaire et non individuelle, Dieu est nommé « roi » et « père » :

Notre Père ! notre Roi !
A cause de nos pères qui ont eu confiance en toi et à qui tu as enseigné les lois de la vie, aie pitié de nous et enseigne-nous. Notre Père ! Père de miséricorde, le Miséricordieux ! Aie pitié de nous !
(Prière Ahavah rabba, antérieure à l’époque du Christ.)

Notre Père ! notre Roi !
Nous n’avons pas d’autre Roi que toi, notre Père, notre Roi, à cause de toi-même, aie pitié de nous.
(Invocation de la litanie pour le Nouvel An, 1er siècle de l’ère chrétienne.)

*

Le vécu de la prière juive par Jésus, et sa spécificité — la force et l’intimité particulières de sa relation avec le Père —, cela a fait pour la foi des disciples écho avec sa résurrection au dimanche de Pâques.

*

On a là les éléments du Prologue de Jean, qui composent les credo, et notamment le développement de Nicée-Constantinople : « engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Pour nous, les hommes, et pour notre salut, il est descendu des cieux ; par le Saint-Esprit il s'est incarné de la Vierge Marie, et s'est fait homme » :

Jean 1, 1-18
1 Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement avec Dieu.
3 Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
4 En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
5 La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.
6 Il y eut un homme envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.
8 Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
9 Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
10 Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.
11 Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.
12 Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu,
13 (1-12) lesquels sont nés, (1-13) non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
14 Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
15 Jean lui a rendu témoignage, et s’est écrié : C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi.
16 Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce ;
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître.

La « consubstantialité » (même « substance », ou plus exactement même « essence » que le Père) transparaît du v. 1.

Sa participation de la lumière créatrice originelle, « lumière de lumière » — y fait écho au récit de la création — « au commencement ».

Une parole — « près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur » (Deut 30:14 ; Ro 10:8) — dévoilée comme « plus proche de nous que notre propre intimité » (Augustin) dans l’Incarnation : la parole est devenue chair (v. 14), chose qui, comme pour ceux qui en naîtront, s’accomplit « sans la volonté du sang, de la chair et de l’homme » (v. 13) : « conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie » trouve là son enracinement, en-deçà des récits de Matthieu et Luc, qui inscrivent cet enseignement théologique dans le temps du récit — Matthieu et Luc sont un peu à Jean ce que Genèse 2 est à Genèse 1 concernant la création de l’homme. Et ici les anges deviennent témoins. Ce qui se passe là leur est supérieur — « d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom plus excellent que le leur » (Hé 1, 4). Ici, c’est le principe de la création qui est déployé dans le temps : on est au cœur de l’enseignement de Noël…


R.P.
Une lecture protestante des Credo.

Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
3) 18 décembre 2012 — Noël


mardi 11 décembre 2012

Scindés, du pareil au même... ou à l'autre



« Premièrement, il y avait trois catégories d'êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd'hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l'androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. Aujourd'hui, cette catégorie n'existe plus […].

Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d'une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à l'opposé l'un de l'autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l'avenant […].

Suite à leur prétention de concurrencer les dieux, « Zeus coupa les humains en deux, ou comme on coupe les oeufs avec un crin.

« Chacun d'entre nous est donc la moitié complémentaire d'un être humain, puisqu'il a été coupé, à la façon des soles, un seul être en produisant deux ; sans cesse donc chacun est en quête de sa moitié complémentaire. Aussi tous ceux des mâles qui sont une coupure de ce composé qui était alors appelé "androgyne" recherchent-ils l'amour des femmes et c'est de cette espèce que proviennent la plupart des maris qui trompent leur femme, et pareillement toutes les femmes qui recherchent l'amour des hommes et qui trompent leur mari. En revanche, toutes les femmes qui sont une coupure de femme ne prêtent pas la moindre attention aux hommes ; au contraire, c'est plutôt vers les femmes qu'elles sont tournées, et c'est de cette espèce que proviennent les lesbiennes. Tous ceux enfin qui sont une coupure de mâle recherchent aussi l'amour des mâles.

« Les mâles de cette espèce sont les seuls […] qui, parvenus à maturité, s'engagent dans la politique. Lorsqu'ils sont devenus des hommes faits, ce sont de jeunes garçons qu'ils aiment et ils ne s'intéressent guère par nature au mariage et à la procréation d'enfants, mais la règle les y contraint ; ils trouveraient plutôt leur compte dans le fait de passer leur vie en célibataires, côte à côte, en renonçant au mariage. Ainsi donc, de manière générale, un homme de ce genre cherche à trouver un jeune garçon pour amant et il chérit son amant, parce que dans tous les cas il cherche à s'attacher à ce qui lui est apparenté. »
(Platon, Le Banquet, 190b – 193e : discours d'Aristophane.)




« Dieu créa les humains à son image : il les créa à l'image de Dieu ; homme et femme il les créa. Dieu les bénit en disant : Soyez féconds et multipliez-vous » (Genèse 1, 27-28).

*

On le voit, on ne peut soupçonner Platon d' "homophobie" ! Ce qui ne l'empêche pas de considérer le mariage (qu'il juge inférieur) comme ne concernant que les moitiés homme-femme en vue de la procréation (*)…

Rien, que de très classique, et que l'on retrouve dans la Genèse, où la procréation apparaît comme fruit de la bénédiction du couple.

Cela est en arrière-plan du fait que l'Eglise ancienne ne jugera pas nécessaire de procéder à des mariages, se contentant de reconnaître les mariages civils, ceux de la cité, juive ou romaine…

Ces mêmes mariages seront couverts d'une bénédiction ecclésiale, hors édifice religieux, à partir du Ve siècle, le couple couvert d'un voile (pratique demeurée en vigueur jusqu'au début de l'ère moderne en Occident).

Lorsque l'Eglise médiévale prend le pouvoir civil, elle procède en conséquence elle-même à des mariages (XIe-XIIe s.), bientôt suivie par la synagogue (premiers mariages religieux juifs : XIVe s.), puis, après qu'elles aient tenté d'abord d’abandonner cela, par les Eglises de la Réforme…

Il n'en demeure pas moins que le mariage est d'abord une affaire strictement civile, concernant la procréation, et indépendante du mythe platonicien… qui reprendra du service via la tradition courtoise, et jusque dans le romantisme, avec cette réserve qu'il ne concerne alors que les couples homme-femme… Et le mythe finit par investir la conception moderne du mariage - "romantique"…


(*) "De quelque façon qu’on veuille envisager les plaisirs de l’amour […], il paraît certain que la nature les a attachés à cette union des deux sexes qui a pour fin la génération ; et que toute autre union des mâles avec les mâles, ou des femelles avec les femelles, est un attentat contre la nature que l’excès de l’intempérance a pu seul inventer." (Platon, Les lois I, 33)
"J’ai dit moi-même que j’avais un moyen pour faire passer la loi qui oblige les citoyens à se conformer à la nature dans l’union des deux sexes destinée à la génération, qui interdit aux mâles tout commerce avec les mâles, leur défend de détruire de dessein prémédité l’espèce humaine, et de jeter parmi les pierres et les rochers une semence qui ne peut y prendre racine et recevoir son développement naturel, qui pareillement interdit avec les femmes tout commerce qui ne remplirait pas la fin de la nature ; et si cette loi devient jamais aussi universelle, aussi puissante par rapport aux autres commerces illicites qu’elle l’est aujourd’hui par rapport à celui des parents avec leurs enfans, si elle vient à bout de les empêcher entièrement, elle produira une infinité de bons effets ; car en premier lieu elle est conforme à la nature ; de plus elle délivre les hommes de cette rage, de ces fureurs qui accompagnent l’amour ; elle arrête tous les adultères […] : elle établit la concorde et l’amitié dans les mariages, et procure mille autres biens à quiconque peut être assez maître de soi-même pour l’observer." (Ibid. VIII, 116-117)

<a href="http://rolpoup0.blogspot.fr/2012/12/englouti-entre-romantisme-et-societe.html" target="_blank">Avant qu'il ne recouvre</a>, récemment, son intégralité platonicienne !&#8230; <br /> <br /> &#8230; À cette différence près, que contrairement à ce qu'en concevait Platon, le mariage finit par ne plus être induit de la procréation et par être revendiqué pour des attachements entre personnes de même sexe&#8230;<br /> <br /> <br /> <br /> Quelques textes sur le sujet en débat actuellement :<br /> <br /> <a href="http://www.protestants.org/index.php?id=23&amp;tx_ttnews%5Btt_news%5D=1896&amp;cHash=2c662f290c" target="_blank">Déclaration de la Fédération Protestante de France</a><br /> <br /> <a href="http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/elargir-le-mariage-aux-personnes-de-meme-sexe-ouvrons-le-debat-note-du-conseil-famille-et-societe-14982.html" target="_blank">Élargir le mariage aux personnes de même sexe ? Ouvrons le débat !, note du Conseil Famille et Société de la Conférence des Évêques de France</a><br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <noembed>NB : les prises de position des organismes et des responsables des cultes ci-dessus connaissent aussi <a target="_blank" href="http://www.davidetjonathan.com/spip.php?article6117">des contestations</a> au sein de ces cultes.

lundi 10 décembre 2012

La manne




De la rouspétance comme prière… exaucée

Tout commence par l’expression d’une amertume : la rouspétance face à un manque évident, celui du rassasiement du temps de l’esclavage (Ex 16, 2-3) !

Une amertume et une rouspétance qui visent le libérateur — et derrière le libérateur apparent, Moïse (v. 2), celui qui ne se voit pas, Dieu. Une rouspétance qui dès lors s’apparente à une… prière ! — puisque adressée à Dieu (v. 8) !

Une prière exaucée (Ex 16, 11) : la manne, la « qu’est-ce que c’est » selon le sens du mot (v. 15) — la manne agrémentée de viande de caille.

Et comme don de Dieu, « pain du ciel » (Psaume 78, 24), l’exaucement porte un appel à la confiance : on ne recueillera de manne que pour un jour, deux jours pour le shabbath. Si l’on en recueille plus, elle pourrit…

Exode 16
1 Ils partirent d'Elim, et toute la communauté des fils d'Israël arriva au désert de Sîn, entre Elim et le Sinaï, le quinzième jour du deuxième mois après leur sortie du pays d'Egypte. 2 Dans le désert, toute la communauté des fils d'Israël murmura contre Moïse et Aaron. 3 Les fils d'Israël leur dirent : « Ah ! si nous étions morts de la main du SEIGNEUR au pays d'Egypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée ! »
4 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Du haut du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour la ration quotidienne, afin que je le mette à l'épreuve : marchera-t-il ou non selon ma loi ? 5 Le sixième jour, quand ils prépareront ce qu'ils auront rapporté, ils en auront deux fois plus que la récolte de chaque jour. »
6 Moïse et Aaron dirent à tous les fils d'Israël : « Ce soir, vous connaîtrez que c'est le SEIGNEUR qui vous a fait sortir du pays d'Egypte ; 7 le matin, vous verrez la gloire du SEIGNEUR, parce qu'il a entendu vos murmures contre le SEIGNEUR. Nous, que sommes-nous, que vous murmuriez contre nous ? » — 8 Moïse voulait dire : « Vous la verrez quand le SEIGNEUR vous donnera le soir de la viande à manger, le matin du pain à satiété, parce que le SEIGNEUR a entendu les murmures que vous murmurez contre lui. Nous, que sommes-nous ? Ce n'est pas contre nous que vous murmurez, mais bien contre le SEIGNEUR. »
9 Moïse dit à Aaron : « Dis à toute la communauté des fils d'Israël : Approchez-vous du SEIGNEUR, car il a entendu vos murmures. » 10 Et comme Aaron parlait à toute la communauté des fils d'Israël, ils se tournèrent vers le désert : alors, la gloire du SEIGNEUR apparut dans la nuée.
11 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse : 12 « J'ai entendu les murmures des fils d'Israël. Parle-leur ainsi : Au crépuscule, vous mangerez de la viande ; le matin, vous vous rassasierez de pain et vous connaîtrez que c'est moi le SEIGNEUR, votre Dieu. » 13 Le soir même, les cailles montèrent et elles recouvrirent le camp ; et le matin, une couche de rosée entourait le camp. 14 La couche de rosée se leva. Alors, sur la surface du désert, il y avait quelque chose de fin, de crissant, quelque chose de fin tel du givre, sur la terre. 15 Les fils d'Israël regardèrent et se dirent l'un à l'autre : « Mân hou ? » (« Qu'est-ce que c'est ? »), car ils ne savaient pas ce que c'était. Moïse leur dit : « C'est le pain que le SEIGNEUR vous donne à manger. 16 Voici ce que le SEIGNEUR a ordonné : Recueillez-en autant que chacun peut manger. Vous en prendrez un omer par tête, d'après le nombre de vos gens, chacun pour ceux de sa tente. » 17 Les fils d'Israël firent ainsi ; ils en recueillirent, qui plus, qui moins. 18 Ils mesurèrent à l'omer : rien de trop à qui avait plus et qui avait moins n'avait pas trop peu. Chacun avait recueilli autant qu'il pouvait en manger.
19 Moïse leur dit : « Que personne n'en garde jusqu'au matin ! » 20 Certains n'écoutèrent pas Moïse et en gardèrent jusqu'au matin ; mais cela fut infesté de vers et devint puant. Alors Moïse s'irrita contre eux.
21 Ils en recueillaient matin après matin, autant que chacun pouvait en manger. Quand le soleil chauffait, cela fondait.
22 Le sixième jour, ils recueillirent le double de pain, deux omers pour chacun. Tous les responsables de la communauté vinrent l'annoncer à Moïse. 23 Il leur dit : « C'est là ce que le SEIGNEUR avait dit : Demain, c'est sabbat, jour de repos consacré au SEIGNEUR. Cuisez ce qui est à cuire, faites bouillir ce qui est à bouillir. Ce qui est en trop déposez-le en réserve jusqu'au matin. » 24 Ils le déposèrent jusqu'au matin, comme l'avait ordonné Moïse. Il n'y eut ni puanteur, ni vermine. 25 Moïse dit : « Mangez-le aujourd'hui. Aujourd'hui, c'est le sabbat du SEIGNEUR. Aujourd'hui, vous n'en trouverez pas dehors. 26 Vous en recueillerez pendant six jours, mais le septième jour, c'est le sabbat : il n'y en aura pas. » 27 Or le septième jour, il y eut dans le peuple des gens qui sortirent pour en recueillir et ils ne trouvèrent rien. 28 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Jusques à quand refuserez-vous de garder mes commandements et mes lois ? 29 Considérez que, si le SEIGNEUR vous a donné le sabbat, il vous donne aussi, le sixième jour, le pain de deux jours. Demeurez chacun à votre place. Que personne ne sorte de chez soi le septième jour. » 30 Le peuple se reposa donc le septième jour.
31 La maison d'Israël donna à cela le nom de manne. C'était comme de la graine de coriandre, c'était blanc, avec un goût de beignets au miel.
32 Moïse dit : « Voici ce que le SEIGNEUR a ordonné : Qu'on en remplisse un omer en réserve pour vos descendants, afin qu'ils voient le pain dont je vous ai nourris au désert, en vous faisant sortir du pays d'Egypte. » 33 Moïse dit à Aaron : « Prends un vase, mets-y un plein omer de manne et dépose-le devant le SEIGNEUR, en réserve pour vos descendants. » 34 Comme le SEIGNEUR l'avait ordonné à Moïse, Aaron le déposa devant la charte en réserve.
35 Les fils d'Israël mangèrent de la manne pendant quarante ans jusqu'à leur arrivée en pays habité ; c'est de la manne qu'ils mangèrent jusqu'à leur arrivée aux confins du pays de Canaan.
36 L'omer est un dixième d'épha. (omer = trois litres environ, représentant le dixième de l'épha, unité de mesure habituelle — http://www.lueur.org/textes/unites-mesures-bible.html.)


Du dégoût

« Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, accorde-moi le pain qui m’est nécessaire ; de peur que, dans l’abondance, je ne te renie et ne dise : Qui est l’Eternel ? Ou que, dans la pauvreté, je ne dérobe, et ne m’attaque au nom de mon Dieu. » (Proverbes 30, 8-9)

La mise en garde du Proverbe est la leçon que n’ont pas prise les pèlerins du désert : la manne devenue fade à leur goût… Les cailles, plus goûteuses finiront par les gaver !

« Si tu trouves du miel, n’en mange que ce qui te suffit, de peur que tu n’en sois rassasié et que tu ne le vomisses. » (Proverbes 25, 16)

Avec le pain, la manne, les cailles, comme don du ciel, du minimum à l’abondance, c’est tout la question de la prière et de ce que nous demandons qui est posée : de la prière comme rouspétance exaucée, à l’exaucement comme découverte que ce que l’on demandait ne correspondait pas à notre vrai désir !

« Fais de l’Eternel tes délices, Et il te donnera ce que ton cœur désire. » (Psaume 37, 4)

Nombres 11
1 Un jour le peuple se livra à des lamentations, ce que le SEIGNEUR entendit avec déplaisir. En les entendant le SEIGNEUR s'enflamma de colère. Le feu du SEIGNEUR ravagea le peuple et dévora un bout du camp. 2 Le peuple lança des cris vers Moïse qui intercéda auprès du SEIGNEUR ; et le feu se calma. 3 On donna à cet endroit le nom de Taveéra parce que le feu du SEIGNEUR avait ravagé les fils d'Israël.
4 Il y avait parmi eux un ramassis de gens qui furent saisis de convoitise, et les fils d'Israël eux-mêmes recommencèrent à pleurer : « Qui nous donnera de la viande à manger ? 5 Nous nous rappelons le poisson que nous mangions pour rien en Egypte, les concombres, les pastèques, les poireaux, les oignons, l'ail ! 6 Tandis que maintenant notre vie s'étiole ; plus rien de tout cela ! Nous ne voyons plus que la manne. » 7 La manne ressemblait à la graine de coriandre ; son aspect était celui du bdellium. 8 Le peuple se dispersait pour la ramasser ; ensuite on l'écrasait à la meule ou on la pilait dans un mortier ; on la faisait cuire dans des marmites et on en faisait des galettes. Elle avait le goût de gâteau à l'huile. 9 Lorsque la rosée se déposait sur le camp pendant la nuit, la manne s'y déposait aussi. 10 Moïse entendit le peuple qui pleurait, groupé par clans, chacun à l'entrée de sa tente. Le SEIGNEUR s'enflamma d'une vive colère et Moïse prit mal la chose. 11 « Pourquoi, dit-il au SEIGNEUR, veux-tu du mal à ton serviteur ? Pourquoi suis-je en disgrâce devant toi au point que tu m'imposes le fardeau de tout ce peuple ? 12 Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple ? moi qui l'ai mis au monde ? pour que tu me dises : “Porte-le sur ton cœur comme une nourrice porte un petit enfant”, et cela jusqu'au pays que tu as promis à ses pères ? 13 Où trouverais-je de la viande pour en donner à tout ce peuple qui me poursuit de ses pleurs et me dit : “Donne-nous de la viande à manger” ? 14 Je ne puis plus, à moi seul, porter tout ce peuple ; il est trop lourd pour moi. 15 Si c'est ainsi que tu me traites, fais-moi plutôt mourir — si du moins j'ai trouvé grâce à tes yeux ! Que je n'aie plus à subir mon triste sort ! » 16 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Rassemble-moi soixante-dix des anciens d'Israël, des hommes dont tu sais qu'ils sont des anciens et des scribes du peuple. Tu les amèneras à la tente de la rencontre ; ils s'y présenteront avec toi. 17 J'y descendrai et je te parlerai ; je prélèverai un peu de l'esprit qui est en toi pour le mettre en eux ; ils porteront alors avec toi le fardeau du peuple, et tu ne seras plus seul à le porter. 18 Et au peuple tu diras : “Sanctifiez-vous pour demain et soyez en état de manger de la viande. Car vous avez fait entendre cette plainte au SEIGNEUR : Qui nous donnera de la viande à manger ? Nous étions si bien en Egypte ! Le SEIGNEUR va donc vous donner de la viande, vous allez en manger ; 19 et vous n'en mangerez pas seulement un jour ou deux, ni même cinq, dix ou vingt ; 20 mais tout un mois, jusqu'à ce qu'elle vous sorte par les narines, jusqu'à ce que vous en ayez la nausée. Tout cela parce que vous avez rejeté le SEIGNEUR qui est au milieu de vous et parce que vous avez présenté cette plainte : Pourquoi donc sommes-nous sortis d'Egypte ? ” »
21 Moïse reprit : « Il compte six cents milliers de fantassins, ce peuple au milieu duquel je me trouve ; et tu dis : “Je vais leur donner de la viande et ils auront à manger pendant tout un mois” ! 22 Quand même on abattrait pour eux petit et gros bétail, cela leur suffirait-il ? Tous les poissons de la mer, si on pouvait les pêcher pour eux, leur suffiraient-ils ? ” 23 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Le bras du SEIGNEUR serait-il si court ? Tu vas voir maintenant si ma parole se réalise ou non pour toi. » […]
31 Un vent envoyé par le SEIGNEUR se leva ; de la mer, il amena des cailles qu'il abattit sur le camp et tout autour, sur une distance d'un jour de marche de chaque côté du camp ; elles couvraient le sol sur deux coudées d'épaisseur. 32 Le peuple fut debout tout ce jour-là, toute la nuit et tout le lendemain pour ramasser les cailles. Celui qui en ramassa le moins en eut dix homers (300 litres env.). Ils les étalèrent partout tout autour du camp. 33 La viande était encore entre leurs dents, ils n'avaient pas fini de la mâcher, que le SEIGNEURs'enflamma de colère contre le peuple et lui porta un coup très fort. 34 On donna à cet endroit le nom de Qivroth-Taawa — Tombes de la Convoitise ; car c'est là qu'on enterra la foule de ceux qui avaient été saisis de convoitise.


Dieu est l’auteur et le donateur de toute chose…

Deutéronome 8, 11-18
11 Garde-toi bien d'oublier le SEIGNEUR ton Dieu en ne gardant pas ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te donne aujourd'hui. 12 Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter, 13 si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d'argent et d'or, beaucoup de biens de toute sorte, 14 ne va pas devenir orgueilleux et oublier le SEIGNEUR ton Dieu. C'est lui qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude ; 15 c'est lui qui t'a fait marcher dans ce désert grand et terrible peuplé de serpents brûlants et de scorpions, terre de soif où l'on ne trouve pas d'eau ; c'est lui qui pour toi a fait jaillir l'eau du rocher de granit ; 16 c'est lui qui, dans le désert, t'a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de te mettre dans la pauvreté et de t'éprouver pour rendre heureux ton avenir. 17 Ne va pas te dire : « C'est à la force du poignet que je suis arrivé à cette prospérité », 18 mais souviens-toi que c'est le SEIGNEUR ton Dieu qui t'aura donné la force d'arriver à la prospérité, pour confirmer son alliance jurée à tes pères, comme il le fait aujourd'hui.


… Et il le demeure, même après la cessation du signe de la manne

Josué 5, 10-12
10 Les fils d'Israël campèrent au Guilgal et firent la Pâque au quatorzième jour du mois, le soir, dans la plaine de Jéricho. 11 Et ils mangèrent des produits du pays, le lendemain de la Pâque, des pains sans levain et des épis grillés en ce jour même. 12 Et la manne cessa le lendemain quand ils eurent mangé des produits du pays. Il n'y eut plus de manne pour les fils d'Israël qui mangèrent de la production du pays de Canaan cette année-là.

1 Rois 17, 5-6
5 Elie, le Tishbite partit et agit selon la parole du Seigneur ; il s'en alla habiter dans le ravin de Kerith qui est à l'est du Jourdain. 6 Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, du pain et de la viande le soir ; et il buvait au torrent.


RP
Le pain dans la Bible.

Église réformée de Poitiers.
Étude biblique 2012-2013.
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30.
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30.
3) 11 & 13 décembre 2012 — La manne
Exode 16 / Nombres 11 / Deutéronome 8 / Josué 5, 10-12 / cf. 1 Rois 17, 6



samedi 17 novembre 2012

Le Père tout-puissant créateur de toutes choses



« Créateur… » ? — « de toutes choses » ? — « tout-puissant » ? Citations :

- Le hasard
« Nous disons que ces altérations sont accidentelles, qu’elles ont lieu au hasard. Et puisqu’elles constituent la seule source possible de modifications du texte génétique, seul dépositaire à son tour des structures héréditaires de l’organisme, ¡1 s’ensuit nécessairement que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution : cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse, parmi d’autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. Et rien ne permet de supposer (ou d’espérer) que nos conceptions sur ce point devront ou même pourront être révisées. » (Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, 1970)

- Dieu cause première
Hors de la foi, un Dieu cause première démontré : « Tout ce qui est mû est mû par un autre. Or il est évident pour les sens qu'il y a des choses mues, le soleil par exemple. Le soleil est donc mû par un moteur différent de lui. Ce moteur sera lui-même mû, ou ne le sera pas. S'il n'est pas mû, nous tenons le but proposé, à savoir qu'il est nécessaire de poser un moteur immobile. Ce moteur immobile, nous l'appelons Dieu. - Si ce moteur, par contre, est mû, il sera mû par un autre. Dans ce cas, ou bien il faudra remonter à l'infini; ou bien il faudra s'arrêter à quelque moteur immobile. Mais on ne peut remonter à l'infini. Il est donc nécessaire de poser l'existence d'un premier moteur immobile. » (Thomas d’Aquin, Somme conte les Gentils, liv. I, ch. 13)
http://bibliotheque.editionsducerf.fr/par%20page/1413/TM.htm# ;
http://bibliotheque.editionsducerf.fr/par%20page/1413/acces_livre.htm

- Le diable
Un mythe de l’origine du monde matériel : « Satan, l’ennemi du Père saint, voulant troubler sa quiétude et son Royaume, alla à la porte du Royaume du Père et s'y tint pendant trente-deux ans. On ne lui permettait pas d'entrer. A la fin, le gardien de cette porte, voyant qu'il avait attendu longtemps sans avoir la permission d'entrer, le fit entrer dans le Royaume du Père saint. […]
[Où il promet alors en cachette aux bons esprits que, mieux que ce qu’ils ont dans le Royaume céleste,] il leur donnerait des champs, des vignes, des eaux, des prés, des fruits, de l'or, de l'argent, et tous les biens de cette nature matérielle, et de plus, à chacun d'eux, des épouses. »
(Bélibaste, traduit in Jean Duvernoy, Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, Paris/La Haye/New-York, Mouton, 1978, p. 761)…

- Tsimtsoum
« Avec l’événement qui porte le nom d’ « Auschwitz » […,] ne trouvèrent place ni la fidélité, ni l’infidélité, ni la foi ni l’incroyance, ni la faute ni son châtiment, ni l’épreuve, ni le témoignage, ni l’espoir de rédemption, pas même la force ou la faiblesse, l’héroïsme ou la lâcheté, le défi ou la soumission. Non, de tout cela Auschwitz, qui dévora même les enfants, n’a rien su ; il n’en offrit même pas l’occasion en quoi que ce fût. Ce n’est pas pour l’amour de leur foi que moururent ceux de là-bas […] ; ce n'est pas non plus à cause de celle-ci ou de quelque orientation volontaire de leur être personnel qu'ils furent assassinés. La déshumanisation par l'ultime abaissement ou dénuement précéda leur agonie ; aux victimes destinées à la solution finale ne fut laissée aucune lueur de noblesse humaine, rien de tout cela n'était plus reconnaissable chez les survivants, chez les fantômes squelettiques des camps libérés. Et pourtant - paradoxe des paradoxes -, c'était le vieux peuple de l'Alliance, à laquelle ne croyait plus presque aucun des intéressés, tueurs et même victimes, c'était donc très précisément ce peuple-là et pas un autre qui fut désigné, sous la fiction de la race, pour cet autre anéantissement total […]. Et Dieu laissa faire. Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire? » (Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz)

« C'est en concevant le vide en soi pour accueillir l'altérité du monde, c'est en se retirant de lui-même en lui-même que Dieu créa le monde. De ce vide de Dieu, surgit le monde. La création de l'espace vide rend possible l'altérité à partir de la séparation. » (Marc-Alain Ouaknin, Concerto pour quatre consonnes).
« Né à Jérusalem en 1534 et mort à Safed en 1572 à l'âge de 38 ans, Isaac Louria a enseigné à un moment clef de l'histoire d'Israël, quand elle s'est trouvée confrontée à l'expulsion des juifs d'Espagne (1492) et à l'émergence de la pensée moderne. […] La Cabale de Rabbi Isaac Louria […] distingue trois temps dans la création.
Tsimtsoum : Retrait. Dieu ne commence pas par se révéler à l'extérieur de lui-même, mais par se retirer de lui-même, en lui-même. Par cet acte, il laisse au vide une place en son sein. Il se retire […], il crée un espace pour le monde à venir. […] Pour se manifester, il aura fallu qu'au préalable il se retire, qu'il laisse place à un néant à partir duquel la création est possible. »
(Marc-Alain Ouaknin, Tsimtsoum, Introduction à la méditation hébraïque, Ed : Albin Michel, 1992, p31)
http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0510101745.html

*

Credo : c’est-à-dire « (J’ai) Confiance » !

Colossiens 1, 12-17 :
« 12 Rendez grâces au Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière,
13 qui nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour,
14 en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés.
15 Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création.
16 Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui.
17 Il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. »


Relire le hasard comme étant assumé par un acte créateur, relire le mal qu’habite la création comme étant englouti dans l’aboutissement du projet créateur (Ro 8, 18-22).

- Pantocrator, Père du Christ Pantocrator
L'Apocalypse de Jean mentionne "celui qui était, qui est et qui vient". Cela concerne le règne de Dieu, partagé par le Christ, qui englobe tous les temps, les siècles des siècles. C’est aussi un passage de l’Apocalypse qui fonde d’une façon fort expressive la confession de foi au Dieu Père Tout puissant. Elle y est exprimée de manière très éloquente.

Avant cela, le livre de Daniel, par exemple, livre auquel renvoie l’Apocalypse, nous donne une vision de ce règne éternel dès avant la venue du Christ en chair, règne décrit comme celui d'un fils d'homme, règne reçu auprès de l'Ancien des jours, Dieu.

Alors, rien à voir, semble-t-il, avec la façon dont on voit Dieu dans la faiblesse du Christ dans le Nouveau Testament — « le Tout-Puissant a fait pour moi de grande choses » (Luc 1). De même, par exemple, l'Évangile de Jean nous présentant Jésus face à Pilate ; loin de l'éternité comme dans le Livre de Daniel, il nous parle d'un temps sombre. Il nous parle en quelque sorte du présent, de notre présent, où ce règne éternel est voilé sous la douleur, sous l'humiliation, sous tout ce que l'on confronte d'inhumain de douloureux. Là, Dieu se montre faible. Tout sauf régnant, Tout-puissant. Le voilà en proie à un destin, celui de son Fils, qui apparemment lui échappe. Ici, ce sont les pouvoirs humains, particulièrement en la personne de Pilate, qui sont forts. Ici Dieu est voilé dans le Christ sous son apparente impuissance.

Revenons à l'Apocalypse. Alors apparaît le Jour éternel où ce voile de l'apparence, le voile de la faiblesse du Christ, de la faiblesse de Dieu, est enfin levé. Car "apocalypse" signifie précisément "dévoilement". C'est le dévoilement d'un fait : Dieu règne, par le Christ, lui apparemment faible, il s'avère être en fait, mais de façon cachée hors de ce dévoilement, le Tout-Puissant. Le mot précis est employé à de très nombreuses reprises dans le livre de l'Apocalypse, à commencer par le ch.1, au v.8.

Il n’est donc évidemment pas question de projection narcissique d’un désir de toute-puissance que l’on pourrait s’attribuer ! On ne s’attribue pas la toute puissance divine. César lui même ne peut se l’attribuer ! Elle est d’une nature toute autre.

Le mot grec est Pantocrator, un titre de l'Empereur romain, composé de deux autres mots : le premier mot, pas, pan, panta, selon les cas, qui est ici dans panto, signifie tout, toutes choses, absolument tout, tout ce qui existe, tout ce qu'on peut imaginer. Le second, qui est ici dans crator, signifie la puissance au sens du pouvoir, de la force. C'est ce mot que l'on retrouve dans démocratie, aristocratie, etc.

À l'époque du Nouveau Testament, on n'est ni dans la démocratie, ni même dans l'aristocratie, mais dans l'autocratie de l'Empereur romain, concrètement la dictature d'un Empereur qui prétend avoir pouvoir sur tout, qui se dit Roi de l'Univers, Roi des rois et Seigneur des Seigneurs — c'est aussi un de ses titres. Cet Empereur s'est fait proclamer Dieu, il se veut Sauveur — encore un de ses titres — Sauveur de cet Univers qu'il a conquis par la force. Au plus fort de son sens ce mot signifie : "celui qui soutient tout".

Officiellement, l'Empereur a pouvoir sur tout, il est tout Puissant. Il est Dieu, on lui brûle de l'encens. Et voilà que l'Apocalypse martèle à de nombreuses reprises, que celui qui a pouvoir sur tout, le Tout-puissant, ce n'est pas l'Empereur de Rome, malgré les apparences, mais Dieu le Père du Christ, et le Christ lui-même, cet homme si faible face au représentant de l'Empereur, face à Pilate.

Cette toute-puissance de Dieu est finalement le dernier mot de la Bible face à tous les pouvoirs : dans la ville de la paix, à la fin de l'Apocalypse, au ch. 21, v. 22, on découvre qu'il n'y plus même de Temple, parce que le Tout-puissant (toujours le même mot : pantocrator) — le Tout-puissant lui-même en est le Temple, ainsi que son Fils.

Entre-temps l'Apocalypse nous le dévoile à nouveau comme tel dans la vision du trône céleste (ch. 4, v. 8). Ici le mot pantocrator, tout-puissant, traduit le titre divin du livre d'Ésaïe, Dieu des Armées : « saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu des arméees (célestes) », Sébaoth en hébreu, « le Tout-puissant »", pantocrator, dit l'Apocalypse.

Et on retrouve le même terme au ch. 11, v. 17, pour le jugement des nations. Et encore le même terme au ch. 15, v. 3, dans la louange des martyrs. Puis au ch. 16, v. 14, pour le jugement des faux prophètes. Puis encore au ch. 19, à deux reprises, au v. 6 et au v. 15, pour l'établissement du règne de Dieu et le jugement de toute méchanceté.

Voilà un mot donc, qui pour être absent du reste du Nouveau Testament, n'en a pas moins une signification très importante.

Il est absent lorsque Dieu est caché dans la faiblesse apparente du Christ, mais est abondamment présent, lorsque son véritable pouvoir est enfin dévoilé, selon le sens du mot « apocalypse ».

Et dès lors, on retrouve plus tard ce même mot grec dans le Symbole de Nicée-Constantinople : « nous croyons en Dieu, le Père Tout-Puissant... » Ce mot a été traduit en latin par Omnipotens, terme repris dans le Symbole des Apôtres ; du latin aussi, il donne en français exactement Tout-Puissant.

Ainsi, si nous disons avec les Symboles de la Foi, que nous le croyons, c'est que ce règne de Dieu et du Christ, nous ne le voyons pas : nous le croyons.


R.P.
Une lecture protestante des Credo.

Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
2) 20 novembre 2012 — Le Père tout-puissant créateur de toutes choses


samedi 10 novembre 2012

Le cycle de Joseph



(Lire Genèse, ch. 37-50)

Rêve de Joseph enfant :

Genèse 37:7 Nous étions à lier des gerbes au milieu des champs ; et voici, ma gerbe se leva et se tint debout, et vos gerbes l’entourèrent et se prosternèrent devant elle.

Puis le pain apparaît lorsque Joseph est en prison et va en sortir — on sait qu’il est en prison pour y avoir été jeté par son maître le soupçonnant d’avoir tenté de coucher avec sa femme. Ce maître qui l’a acheté aux marchands d’esclaves auxquels ses frères l’avaient vendu…

Le pain apparaît donc, dans le cycle de Joseph, au moment du rêve du panetier, emprisonné avec lui…

Genèse 40:16 Le chef des panetiers, voyant que Joseph avait donné une explication favorable (du songe de l’échanson), dit : Voici, il y avait aussi, dans mon songe, trois corbeilles de pain blanc sur ma tête.

On sait que le rêve du panetier est un mauvais présage pour lui… Mais Joseph l’a bien interprété et deviendra conseiller ès-rêves de Pharaon puis, via son intelligence et sa prévoyance, son Premier ministre… Il lui annonce sept années de famine précédées de sept années d’abondance durant lesquelles, conseille-t-il :

Genèse 41:35 Qu’ils rassemblent tous les produits de ces bonnes années qui vont venir ; qu’ils fassent, sous l’autorité de Pharaon, des amas de blé, des approvisionnements dans les villes, et qu’ils en aient la garde.

Genèse 41:49 Joseph amassa du blé, comme le sable de la mer, en quantité si considérable que l’on cessa de compter, parce qu’il n’y avait plus de nombre.

Genèse 41:54-57 Et les sept années de famine commencèrent à venir, ainsi que Joseph l’avait annoncé. Il y eut famine dans tous les pays ; mais dans tout le pays d’Egypte il y avait du pain.
55 Quand tout le pays d’Egypte fut aussi affamé, le peuple cria à Pharaon pour avoir du pain. Pharaon dit à tous les Egyptiens : Allez vers Joseph, et faites ce qu’il vous dira.
56 La famine régnait dans tout le pays. Joseph ouvrit tous les lieux d’approvisionnements, et vendit du blé aux Egyptiens. La famine augmentait dans le pays d’Egypte.
57 Et de tous les pays on arrivait en Egypte, pour acheter du blé auprès de Joseph ; car la famine était forte dans tous les pays.


*

Retour chez Jacob, malheureux de la disparition de son fils Joseph — dont il ignore qu’il a été vendu par ses frères… C’est en plus, à présent, la crise économique : on ira donc en Égypte, où l’on apprend que les greniers sont pleins, chercher à manger…

Genèse 42:1-10 Jacob, voyant qu’il y avait du blé en Egypte, dit à ses fils : Pourquoi vous regardez-vous les uns les autres ?
2 Il dit : Voici, j’apprends qu’il y a du blé en Egypte ; descendez-y, pour nous en acheter là, afin que nous vivions et que nous ne mourions pas.
3 Dix frères de Joseph descendirent en Egypte, pour acheter du blé.
4 Jacob n’envoya point avec eux Benjamin, frère de Joseph, dans la crainte qu’il ne lui arrivât quelque malheur.
5 Les fils d’Israël vinrent pour acheter du blé, au milieu de ceux qui venaient aussi ; car la famine était dans le pays de Canaan.
6 Joseph commandait dans le pays ; c’est lui qui vendait du blé à tout le peuple du pays. Les frères de Joseph vinrent, et se prosternèrent devant lui la face contre terre.
7 Joseph vit ses frères et les reconnut ; mais il feignit d’être un étranger pour eux, il leur parla durement, et leur dit : D’où venez-vous ? Ils répondirent : Du pays de Canaan, pour acheter des vivres.
8 Joseph reconnut ses frères, mais eux ne le reconnurent pas.
9 Joseph se souvint des songes qu’il avait eus à leur sujet, et il leur dit : Vous êtes des espions ; c’est pour observer les lieux faibles du pays que vous êtes venus.
10 Ils lui répondirent : Non, mon seigneur, tes serviteurs sont venus pour acheter du blé.

Genèse 42:19-26 Si vous êtes sincères, que l’un de vos frères reste enfermé dans votre prison ; et vous, partez, emportez du blé pour nourrir vos familles,
20 et amenez-moi votre jeune frère, afin que vos paroles soient éprouvées et que vous ne mouriez point. Et ils firent ainsi.
21 Ils se dirent alors l’un à l’autre : Oui, nous avons été coupables envers notre frère, car nous avons vu l’angoisse de son âme, quand il nous demandait grâce, et nous ne l’avons point écouté ! C’est pour cela que cette affliction nous arrive.
22 Ruben, prenant la parole, leur dit: Ne vous disais-je pas : Ne commettez point un crime envers cet enfant ? Mais vous n’avez point écouté. Et voici, son sang est redemandé.
23 Ils ne savaient pas que Joseph comprenait, car il se servait avec eux d’un interprète.
24 Il s’éloigna d’eux, pour pleurer. Il revint, et leur parla ; puis il prit parmi eux Siméon, et le fit enchaîner sous leurs yeux.
25 Joseph ordonna qu’on remplît de blé leurs sacs, qu’on remît l’argent de chacun dans son sac, et qu’on leur donnât des provisions pour la route. Et l’on fit ainsi.
26 Ils chargèrent le blé sur leurs ânes, et partirent.

Genèse 43:2 Quand ils eurent fini de manger le blé qu’ils avaient apporté d’Egypte, Jacob dit à ses fils : Retournez, achetez-nous un peu de vivres.

Genèse 44:2 Tu mettras aussi ma coupe, la coupe d’argent, à l’entrée du sac du plus jeune, avec l’argent de son blé. L’intendant fit ce que Joseph lui avait ordonné.

Genèse 45:23 Il envoya à son père dix ânes chargés de ce qu’il y avait de meilleur en Egypte, et dix ânesses chargées de blé, de pain et de vivres, pour son père pendant le voyage.

Genèse 47:12-19 Joseph fournit du pain à son père et à ses frères, et à toute la famille de son père, selon le nombre des enfants.
13 Il n’y avait plus de pain dans tout le pays, car la famine était très grande ; le pays d’Egypte et le pays de Canaan languissaient, à cause de la famine.
14 Joseph recueillit tout l’argent qui se trouvait dans le pays d’Egypte et dans le pays de Canaan, contre le blé qu’on achetait ; et il fit entrer cet argent dans la maison de Pharaon.
15 Quand l’argent du pays d’Egypte et du pays de Canaan fut épuisé, tous les Egyptiens vinrent à Joseph, en disant : Donne-nous du pain ! Pourquoi mourrions-nous en ta présence ? car l’argent manque.
16 Joseph dit : Donnez vos troupeaux, et je vous donnerai du pain contre vos troupeaux, si l’argent manque.
17 Ils amenèrent leurs troupeaux à Joseph, et Joseph leur donna du pain contre les chevaux, contre les troupeaux de brebis et de bœufs, et contre les ânes. Il leur fournit ainsi du pain cette année-là contre tous leurs troupeaux.
18 Lorsque cette année fut écoulée, ils vinrent à Joseph l’année suivante, et lui dirent : Nous ne cacherons point à mon seigneur que l’argent est épuisé, et que les troupeaux de bétail ont été amenés à mon seigneur ; il ne reste devant mon seigneur que nos corps et nos terres.
19 Pourquoi mourrions-nous sous tes yeux, nous et nos terres ? Achète-nous avec nos terres contre du pain, et nous appartiendrons à mon seigneur, nous et nos terres. Donne-nous de quoi semer, afin que nous vivions et que nous ne mourions pas, et que nos terres ne soient pas désolées.


On sait que Joseph est bouleversé, qu’il se dévoile et pardonne… « Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien », dit-il à ses frères…

Genèse 50, 15-20 : Quand les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent: Si Joseph nous prenait en haine, et nous rendait tout le mal que nous lui avons fait!
16 Et ils firent dire à Joseph: Ton père a donné cet ordre avant de mourir:
17 Vous parlerez ainsi à Joseph: Oh! pardonne le crime de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal! Pardonne maintenant le péché des serviteurs du Dieu de ton père! Joseph pleura, en entendant ces paroles.
18 Ses frères vinrent eux-mêmes se prosterner devant lui, et ils dirent: Nous sommes tes serviteurs.
19 Joseph leur dit: Soyez sans crainte; car suis-je à la place de Dieu?
20 Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux.

Le blé, alors, apparaît ici lors de la famine qui a conduit le peuple en Égypte où les greniers sont pleins — un exil comme prix du péché ; avoir vendu Joseph qui, lui, sait faire fructifier le blé. Au prix du pardon… — « Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien » —, et comme signe du pardon — « L’Éternel répond, il dit à son peuple : Voici, je vous enverrai du blé, Du moût et de l’huile, Et vous en serez rassasiés ; Et je ne vous livrerai plus à l’opprobre parmi les nations. » (Joël 2:19)

RP

Annexes :

1) Joseph, l'homme du pardon.
Mais avant d'être l'homme du pardon, que de chemin pour le petit dernier de Jacob (ensuite avant-dernier)… C'est que son père l'aimait bien le petit Joseph, le fils de sa bien-aimée. Alors il l’a gâté. Et ses frères en étaient jaloux. Eux, ont eu une autre éducation, à la dure. Et voilà celui-ci à qui on les passe toutes…

Pas étonnant qu'il ne se sente plus tout à fait, et qu'il ait des rêves de gloire, car Joseph fait des rêves de gloire, où il surpasse tous ses frères. À force, Joseph agace, suscite les jalousies. C'est vrai que Joseph est doué, mais il le sait un peu trop, pensent ses frères, son père pourrait lui apprendre la modestie. Oui, apparemment, il a tous les dons, jusqu'au charme, ce charme qui émoustille les dames et auquel succombera Mme Putiphar, épouse de son propriétaire.

*

Car ses frères jaloux s’en sont débarrassés en le vendant comme esclave. Il n'y aura rien de gratuit dans le pardon, rien qui soit dû par Joseph à ses frères. Son pardon est d'un prix considérable, pour Joseph, et d'ailleurs finalement aussi pour ses frères ; pour eux, le prix de l'humiliation finale.

Pour Joseph, le pardon a coûté l'exil, la perte de son père pendant plusieurs années, avec ce que cela peut supposer de troubles psychologiques, de cauchemars, d'amertume, de blessures, peut-être insurmontables pour l'adolescent qu'il était — sans compter les blessures de son père aussi. Mais à travers tout cela, détail important, Joseph n'a jamais succombé à la tentation de tout envoyer par dessus bord et de transgresser la Loi de Dieu. Contrairement à ses frères amers à cause de leur jalousie, lui n'est pas devenu un criminel pour autant. La différence est de taille.

Il n'a même pas voulu user malhonnêtement de ses dons, comme de son charme, pour réussir plus vite. Il aurait pu essayer, se donnant à lui-même la propre excuse de son malheur. Les occasions n'ont pas manqué. Pensons à la belle Mme Putiphar, l’épouse de l’homme à qui il a été vendu comme esclave — par suite des manœuvres de ses frères, Mme Putiphar qui se met à le désirer.

Pourquoi ne pas succomber devant ses avances — secrètement, pour le pas humilier publiquement son maître Putiphar —, ou aussi, pourquoi ne pas manœuvrer avec elle contre Putiphar, et par exemple, à terme, prendre sa place ? Mais le malheur ne fait pas de Joseph un pécheur. Contrairement à ses frères, le sentiment de l'injustice ne le conduit pas à transgresser la Loi de Dieu. Pourtant Joseph est devenu ce que la méchanceté de ses frères a contribué à faire de lui. Le soleil n'aura pour lui plus jamais la clarté et la pureté du temps de l'innocence et de la naïveté qui le faisait roucouler et faire le paon avec sa jolie tunique ; cette naïveté qu'ont définitivement brisée ceux qui ont voulu l'opprimer, le détruire, y compris parmi ceux-là, ceux qui, soi-disant, n'ont pas fait exprès, n'ont pas osé s'opposer à l'avis des plus forts, etc.

Le pardon coûte toutes ces blessures. Et le prix du pardon ne disparaît pas avec l'octroi du pardon. De même la capacité pour Joseph d'accorder le pardon n'est pas en ce que le temps aurait rendu ce pardon plus facile. Il peut au contraire l'avoir rendu plus difficile : les frères de Joseph lui ont aussi appris la rancune, ce sentiment qui lui était auparavant étranger.

Pensons à la façon dont il leur fait faire des allers-retours agrémentés de pièges et d'épreuves entre l’Égypte et Canaan avant de se dévoiler à eux. Il n'y a pas que de la méfiance dans son attitude.

Dans ce prince d’Égypte, les frères de Joseph ne retrouvent pas le petit adolescent innocent qu'ils avaient vendu, antan, aux caravaniers arabes. Ils retrouvent un homme marqué par la vie, au point qu'ils ne le reconnaissent pas. Le gâchis est là, et bien là.

Mais Joseph a compris que c'est à travers la douleur que Dieu conduit le monde. Et le prix que coûte à Joseph son pardon, il comprend qu'il ressemble au prix qu'il coûte pour Dieu aussi. Son peuple, élu pour porter son Nom au monde, qui se comporte ainsi ! Onze des douze pères du peuple ! (Dix en fait puisque Benjamin, le petit, n'est pas dans le coup.)

Dieu pourrait les écarter… Mais pour les remplacer par quoi, par qui ? Et Joseph déjà avait compris cela, endurci par ses épreuves, marqué par l'amertume : Dieu ne trouvera pas de quoi remplacer ceux qu'il a envoyés et qui soient meilleurs. L’histoire le prouvera - Joseph le sait déjà. C'est pourquoi il pardonne, épuisé par l'épreuve, lassé par l'hypocrisie de ses frères, qui ne trouvent qu'à invoquer le souvenir de ce vieux père qu'ils ont privé de voir grandir son fils.

Mais au temps qu'il est, la légitime colère de Joseph est tarie, il est lassé, et alors, alors seulement, Dieu peut le convaincre. Il constate à présent que c'est le bras de Dieu pourvoyant au salut de son peuple qui se dessine derrière ses malheurs et sa douleur, un Dieu aussi douloureux que lui.

*

Le pardon a coûté cher à Joseph. Ses frères le comprennent bien. Aussi, s'ils l'implorent, certes, ils ne sauraient exiger le pardon. Et eux aussi, même s'ils ne comprennent que ça, que le prix de leur honte, le pardon de leur frère leur a coûté.

On en a fait du chemin, depuis le jour où on était fier, où on pavoisait, sûr de son élection de fils de Jacob. Et où on était irrité et jaloux des dons du petit à la jolie tunique. Oh, oui certes, ses rêves étaient irritants comme ceux d'un enfant trop sûr de lui, trop gâté par son père. On est loin du temps de ce qu'on jugeait comme autant d'irritantes vantardises d'enfant. Que de chemin des rêves d'avenir de l'enfant à leur réalisation.

Et que de honte à présent. Les voilà à la merci de l'enfant qu'ils ont méprisé. Les voilà qui ont contraint leur père à une vieillesse de douleur. Joseph, lui, en pleure. Et les voilà à genoux, misérables, réfugiés économiques, à la merci du châtiment de ce prince d'Égypte.

*

C'est pour avoir perçu cette exigence de Dieu seul que Joseph a pardonné à ses frères : suis-je à la place de Dieu ? "Vous aviez formé le projet de me faire du mal, Dieu l'a transformé en bien" (Gn 50, 19-20).

*


2) Sur Joseph et Mme Putiphar

Genèse ch. 39, v. 1- 20 (TOB) :
1 Joseph étant descendu en Egypte, Potiphar, eunuque du Pharaon, le grand sommelier, un Egyptien, l'acquit des mains des Ismaélites qui l'y avaient amené.
2 Le Seigneur fut avec Joseph qui s'avéra un homme efficace. Il fut à demeure chez son maître l'Egyptien.
3 Celui-ci vit que le Seigneur était avec lui et qu'il faisait réussir entre ses mains tout ce qu'il entreprenait.
4 Joseph trouva grâce aux yeux de son maître qui l'attacha à son service. Il le prit pour majordome et lui mit tous ses biens entre les mains.
5 Or, dès qu'il l'eut préposé à sa maison et à tous ses biens, le Seigneur bénit la maison de l'Egyptien à cause de Joseph ; la bénédiction du Seigneur s'étendit à tous ses biens, dans sa maison comme dans ses champs.
6 Il laissa alors tous ses biens entre les mains de Joseph et, l'ayant près de lui, il ne s'occupait plus de rien sinon de la nourriture qu'il mangeait. Or Joseph était beau à voir et à regarder
7 et, après ces événements, la femme de son maître leva les yeux sur lui et lui dit : « Couche avec moi. »
8 Mais il refusa et dit à la femme de son maître : « Voici que mon maître m'a près de lui et ne s'occupe plus de rien dans la maison. Il a remis tous ses biens entre mes mains.
9 Dans cette maison même, il ne m'est pas supérieur et ne m'a privé de rien sinon de toi qui es sa femme. Comment pourrais-je commettre un si grand mal et pécher contre Dieu ? »
10 Chaque jour, elle parlait à Joseph de se coucher à côté d'elle et de s'unir à elle, mais il ne l'écoutait pas.
11 Or, le jour où il vint à la maison pour remplir son office sans qu'il s'y trouve aucun domestique,
12 elle le saisit par son vêtement en disant : « Couche avec moi ! » Il lui laissa son vêtement dans la main, prit la fuite et sortit de la maison.
13 Quand elle vit entre ses mains le vêtement qu'il lui avait laissé en s'enfuyant au-dehors,
14 elle appela ses domestiques et leur dit : « Ça ! On nous a amené un Hébreu pour s'amuser de nous ! Il est venu à moi pour coucher avec moi et j'ai appelé à grands cris.
15 Alors, dès qu'il m'a entendue élever la voix et appeler, il a laissé son vêtement à côté de moi, s'est enfui et est sorti de la maison. »
16 Elle déposa le vêtement de Joseph à côté d'elle jusqu'à ce que son mari revienne chez lui.
17 Elle lui tint le même langage en disant : « Il est venu à moi pour s'amuser de moi, cet esclave hébreu que tu nous as amené.
18 Dès que j'ai élevé la voix et appelé, il a laissé son vêtement à côté de moi et s'est enfui au-dehors. »
19 Quand le maître entendit ce que lui disait sa femme — « Voilà de quelle manière ton esclave a agi envers moi » —, il s'enflamma de colère.
20 Il fit saisir Joseph pour le mettre en forteresse, lieu de détention pour les prisonniers du roi.


*

L’épisode, dans un premier temps, ne vise en gros qu’à souligner que c’est malgré sa loyauté que Joseph se retrouvera emprisonné suite à la colère d’un maître ne considérant que la preuve que lui apporte sa femme, désormais animée d’un désir de vengeance envers l’esclave qui l’a éconduite, et qui ne correspond manifestement pas à celui de son rêve érotique. Preuve irréfutable donné à son mari du désir qu’elle a projeté et a attribué à Joseph : il a oublié sa chemise…

Très tôt le thème a retenu les développements de toute une tradition concernant le désir de la dame. Ce dès les commentaires juifs. C’est cela que reprend l’islam, et notamment les courants qui ont développé la mystique amoureuse et la réflexion sur la mystique amoureuse.

*

Un connaisseur du soufisme, Christian Jambet, explique un roman que développe en persan à partir du thème de Yusûf et Zoleikhâ le mystique Abd Ar-Rahmân Jâmî au XVème siècle (cf. (Christian Jambet, Le caché et l’apparent, Paris, L’Herne, 2003, p. 101-122).

Zoleikhâ bénéficie des faveurs d’un homme brillant, le Putiphar de la Bible, qui peut même lui payer le luxe de l’achat d’esclaves, dont le bel adolescent Joseph — Yusûf dans le monde arabe. Esclave, Yusûf ne brille pas par son statut, contrairement au mari de Zoleikhâ ! Zoleikhâ veut autre chose : de meilleurs gènes pressentis peut-être, un désir de nouveauté, voire de vigueur, admettons, en alternative à un mari chez qui l’âge et la lassitude rendent « la sauterelle pesante et la câpre laborieuse » (pour le dire dans les termes de l’Ecclésiaste — ch. 11) — écho de la Bible présentant Putiphar comme un eunuque (Gn 39, v. 1) ?…

On sait que ce que demande Zoleikhâ à Yusûf correspond à un service qui était parfois demandé aux esclaves ; et que Joseph, dans la Bible, refuse par loyauté, mais aussi, ne se sentant pas esclave, par un sens aigu de sa dignité — conviction récurrente dans le cycle biblique le concernant.

Mais rien de tout cela dans le mythe musulman que développe Abd Ar-Rahmân Jâmî. Ici c’est en songe que Yusûf est apparu à Zoleikhâ, bien avant qu’il ne soit vendu comme esclave par ses frères. C’est en songe qu’il se présente alors à elle comme Premier ministre, ce qu’il deviendra, selon la Bible, mais bien plus tard. C’est sur la base de cette confusion onirique que Zoleikhâ épouse son mari Putiphar, alors effectivement Premier ministre. On reconnaît dans ces confusions oniriques, une thématique proche de celle de Tristan et Iseult. Où l’on retrouve le désir d’un autre rêvé, ne correspondant évidemment pas à l’être réel.

Comme pour les amants celtiques Tristan et Iseult, l’amour pour le beau jeune homme, Yusûf, a un fondement dans l’éternité que sa beauté signifie avant qu’elle ne soit enfouie dans — j’allais dire — le lieu corporel qu’illustre sa descente dans la fameuse fosse où le déposent ses frères et qui annonce ses enfouissements ultérieurs dans l’esclavage et la prison.

C’est ce signe d’éternité préalable qu’a perçu Zoleikhâ : un signe d’éternité pointé par la beauté. Et sachant que le Premier ministre qu’elle a épousé n’est pas le bel adolescent de son rêve prophétique, elle commence à dépérir : « sa beauté se fane, son âme tombe dans le désespoir, elle maigrit, sa taille est près de se briser », écrit Christian Jambet (p. 105). Bref, elle vieillit.

Où l’on perçoit bien, ici, l’insuffisance de la lecture triviale qui lui ferait préférer le jeune Yusûf à un mari vieillissant. C’est sa beauté à elle qui s’estompe, pour une raison qu’ignore évidemment son raisonnable de mari (qui n’a donc, lui, aucune raison de perdre sa santé) ; sa beauté s’estompe parce qu’elle a perdu la source de cette beauté telle qu’elle en a eu la vision en songe : Yusûf comme fontaine de jouvence, et signe de Dieu.

Voilà qui nous transporte vers d’autres interprétations possibles du pouvoir de fascination des jeunes naïades et autres éphèbes publicitaires et télévisés. Fascination comme fruit d’une nostalgie d’une Beauté idéelle demeurée au ciel des Idées et perdue aux corps des naïades et des Joseph qui déjà donnent les signes du flétrissement annonciateur des maisons de retraite. Le beau fruit en plein mûrissement… Destin d’un fruit : il mûrit, pourrit et tombe.

« Zoleikhâ retrouve sa beauté, sa jeunesse, sa joie de vivre, au moment précis où elle pense succomber à la mort », nous dit Christian Jambet (p. 105), qui poursuit : « En l’union extatique, elle s’identifie à Joseph […]. On ne sait plus qui est Joseph, qui est Zoleikhâ, comme si c’était Joseph qui se sauvait lui-même dans l’épreuve de Zoleikhâ, et dans l’identité d’amour de l’amante et de l’aimé ».

Où l’on rejoint le soufi andalou du XIIème siècle, Ibn ‘Arabi de Murcie (1165-1240), musulman espagnol qui dans la lignée des fidèles d’Amour proclame qu’ « avant que le monde soit, Dieu est l’Amour, l’Amant et l’Aimé. » Mais qui a saisi ce dévoilement, dont la beauté de la jeunesse est le signe, ne s’arrêtera pas au fruit mûrissant, pourrissant déjà, qui en a recueilli les traces. La résurrection de Zoleikhâ n’est évidemment pas sans le dépouillement de ses oripeaux corporels.

La nostalgie de la splendeur perdue dont Joseph donnait le signe et dont le temps de l’oubli avait trempé ses oripeaux alors nouveaux, illustrés par sa chemise abandonnée, a vu cette chemise dégoûter lentement de la Beauté qui l’imprégnait antan, la constituait. Pour qui s’attache à la chemise, les lendemains déchantent, déchanteront toujours, accompagnant l’amer désir de capturer l’autre, de lui imposer mainmise.


RP
Le pain dans la Bible.

Église réformée de Poitiers.
Étude biblique 2012-2013.
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30.
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30.
2) 13 & 15 novembre 2012 — Le cycle de Joseph – Genèse 41 sq. (blé et pardon)


dimanche 14 octobre 2012

"Credo"



« Credo » — « Je crois », prononcé comme foi de l’Église : « nous croyons »…

Verbe initial de deux textes :

Le Symbole des Apôtres, qui aurait été transmis directement par les Apôtres — d’où le nom de ce Credo littéralement tissé de citation du témoignage des Apôtres : le Nouveau Testament… La critique tente de retracer ses origines. On a une allusion dès le IIe siècle chez Ignace d’Antioche. Tertullien (IIe-IIIe) en fait des citations sous une autre forme que celle qui est connue. Sa forme finale, latine, correspondrait à la confession baptismale du sud de la Gaule du Ve siècle, pouvant s’originer à Rome dès le IIe siècle.

Le symbole de Nicée-Constantinople, élaboré, dans un premier temps, au cours du Ier concile de Nicée, en 325, réuni par l'empereur Constantin Ier. Ce concile qui rassemble des représentants des courants du christianisme de toute l’Oikouménè réussit à mettre en place de façon quasi-unanime un socle commun de croyance, exprimé en peu de mots.
Le Symbole est complété en 381 par le premier concile de Constantinople, d'où le nom fréquemment donné de « Symbole de Nicée-Constantinople », qui développe les passages relatifs à l’Incarnation et à l’Esprit–Saint et parle de l’Église et du monde à venir.
Le texte original est grec. En Occident, on a rajouté dans la version latine le mot Filioque à la procession du Saint-Esprit (« il procède du Père et du Fils »). C'est la raison officielle du schisme de 1054 entre Rome et Constantinople, les orthodoxes refusant cet ajout.


Deux « symboles » trinitaires…
Le mot « symbole » est issu d’un terme grec ancien signifiant « mettre ensemble », « joindre », « expliquer »… Un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé entre deux contractants. Deux morceaux d'un objet brisé, de sorte que leur réunion, par un assemblage parfait, constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance très sûr.
Au figuré, le symbole devient l’emboîtement entre le signifiant (les mots du texte) et le signifié (ce à quoi les mots renvoient).
« Symboles » trinitaires : deux textes ternaires, parlant d’un foi trinitaire…

*

« Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Matthieu 28, 19).

Tout commence par la résurrection. Fondement de la foi chrétienne. Et le Ressuscité envoie ses disciples par cette parole.

Parole au départ de l’envoi des disciples aux nations par le Ressuscité, c’est là le programme du christianisme. Parole ternaire, trinitaire, qui caractérise la foi chrétienne et fonde son contenu.

Parole initiale, et confession de foi d’entrée dans la vie chrétienne ; parole fondement d’une autre foi en train de naître. Les confessions de foi chrétiennes ultérieures en sont autant de développements circonstanciés ; méditatifs, et apologétiques.

Acte de foi d’un devenir disciples ; disciples d’une foi à trois termes ; c‘est là ce qui frappe d’emblée à la considération des Credos chrétiens. Un triple « credo » : foi en Dieu Père, et Fils, et Esprit Saint.

« Credo ». Spécificité de l’initialité chrétienne. Fondée sur la foi à la résurrection de Jésus.

Le judaïsme, qui est le premier vis-à-vis face auquel le christianisme est une autre foi, se signifie par un appel : « sh’ma », « écoute » Israël.

L’islam, issu aussi en grande partie de la tradition juive puis chrétienne, se pose comme un témoignage : la « shahada » : « je témoigne ». Affirmation de l’Unicité de Dieu.

Le bouddhisme, autre religion universelle avec le christianisme et l’islam s’édifie sur une connaissance, une prise de conscience, celle des quatre vérités (impermanence / "souffrances", cause des "souffrances", cessation des "souffrances", chemin de sa cessation).

Etc.

Le christianisme se spécifie par ce qu’il affirme d’emblée se recevoir dans la foi : « credo ». Adhésion personnelle à une foi commune, et foi autre que toutes les fois. Adhésion par laquelle un peuple se constitue, se spécifie ; une autre foi s’est fait jour dans la résurrection du Christ.

Autre foi en vis-à-vis de son premier fondement, Israël — et, puisqu’il s’agit d’un envoi vers les (autres) nations, autre foi, bientôt, en vis-à-vis aussi de leurs traditions diverses.

« Credo » prononcé dans les langues des nations, le latin après le grec,… et puis toutes les autres langues.

Foi commune, qui peut se dire au pluriel, « nous croyons », et qui se reçoit au singulier, le singulier des nations ou des individus qui les composent : « je crois », « credo ».

Parole issue du Ressuscité, et donnée par là-même comme ternaire. Par sa Résurrection, Jésus est proclamé Fils de Dieu, le Père ; établi Fils de Dieu, selon l’Esprit Saint (Ro 1, 4).

Dieu, Père du Fils selon l’Esprit Saint. Le « credo » se reçoit comme foi dans son entièreté. Le Père y est en premier lieu Père de Jésus-Christ, le Ressuscité, selon l’Esprit Saint.

On ne coupe pas le Credo en tranches, serait-ce en trois tranches ! Encore moins en quatre tranches, l’Église formant un quatrième terme ! Et à, plus forte raison en petites tranches correspondant à chacun de ses mots. La composition en est minutieusement articulée, complète, tissée de références bibliques imbriquées. Chaque note en est un lieu d’accentuation et pas une entité indépendante.

Au jour où le credo n’a pas toujours bonne presse, il n’est pas inutile de considérer que c’est en soi un texte apologétique, qui défend une foi et qui vaut d’être défendu aujourd’hui encore.

Il défend cette foi parce que foi autre, en décalage. Et suspecte pour cela, hier comme aujourd’hui. On est toujours, aujourd’hui comme hier, tenté d’en arrondir les angles, d’en brader donc, éventuellement, tel article jugé choquant, daté, théologiquement douteux.

C’est pourtant une telle méthodologie qu’il convient d’éviter, si on veut entrer dans cette foi autre.

Il convient de poser d’emblée un acte d’humilité vis-à-vis du Credo, comme dire « credo » est un acte d’humilité. Acte d’humilité aussi à l’égard de ceux qui ont construit réflexions et dogmatiques — autant d’œuvres apologétiques, fussent-elles maladroites — à travers le temps et à partir de cette parole de foi.

Humilité aussi à l’égard des traditions qui ne l’ont pas faite sienne, cette autre foi. L’apologétique est, comme son nom l’indique, acte d’humilité : « apologeo », « je m’excuse ».

Entrer dans cette autre foi est aussi s’inscrire dans une tradition, autre, mais développée parmi et à côté de tant d’autres. Humilité encore.

Humilité en outre, du fait de la conscience de ce que cette autre foi pose un changement de registre inaccessible à « l’homme naturel » ; accès à la présence du Ressuscité.

On connaît l’histoire des deux rabbins s’interrogeant sur l’existence de Dieu et concluant par la négative. Sur quoi l’un d’eux se recouvre de son talith et commence ses prières ! L’autre lui signalant sa surprise compte tenu de l’aboutissement de leur discussion, le premier répond : « qu’est-ce que ça change ? »

Tel peut être le type d’humilité requise face au Credo. On n’a pas forcément pénétré tous les chemins sur lesquels il conduit, on est éventuellement troublé par des inductions qui semblent devenues incongrues. L’humilité reste de mise. On est dans une relation de foi ; qui n’exclut pas que l’on pose toutes les interrogations qu’ont posées les rabbins en restant dans l’humilité de la foi donnée.


R.P.
Une lecture protestante des Credo.

Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
1) 16 octobre 2012 — Introduction : « Credo »


mardi 9 octobre 2012

Le pain avant le blé



Genèse 3:19 : C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.

Genèse 14:18 : Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était sacrificateur du Dieu Très-Haut.

Genèse 18, 1 sq. : L’Eternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour.
2 Il leva les yeux, et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente, et se prosterna en terre.
3 Et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton serviteur.
4 Permettez qu’on apporte un peu d’eau, pour vous laver les pieds ; et reposez-vous sous cet arbre.
5 J’irai prendre un morceau de pain, pour fortifier votre cœur ; après quoi, vous continuerez votre route ; car c’est pour cela que vous passez près de votre serviteur. Ils répondirent : Fais comme tu l’as dit.
6 Abraham alla promptement dans sa tente vers Sara, et il dit : Vite, trois mesures de fleur de farine, pétris, et fais des gâteaux.
7 Et Abraham courut à son troupeau, prit un veau tendre et bon, et le donna à un serviteur, qui se hâta de l’apprêter.
Etc.

Genèse 27, 22 sq. : Jacob s’approcha d’Isaac, son père, qui le toucha, et dit : La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d’Esaü.
23 Il ne le reconnut pas, parce que ses mains étaient velues, comme les mains d’Esaü, son frère ; et il le bénit.
24 Il dit : C’est toi qui es mon fils Esaü ? Et Jacob répondit : C’est moi.
25 Isaac dit : Sers-moi, et que je mange du gibier de mon fils, afin que mon âme te bénisse. Jacob le servit, et il mangea ; il lui apporta aussi du vin, et il but.
26 Alors Isaac, son père, lui dit : Approche donc, et baise-moi, mon fils.
27 Jacob s’approcha, et l’embrassa. Isaac sentit l’odeur de ses vêtements ; puis il le bénit, et dit : Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ que l’Eternel a béni.
28 Que Dieu te donne de la rosée du ciel Et de la graisse de la terre, Du blé et du vin en abondance !


*

Si on part de Genèse 3, première mention du pain dans le canon biblique, on peut dire que, dans la Bible, le pain apparaît avant le blé ! Et que ce n’est pas en meilleure part.

Genèse 3:19 : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »

Puis le pain réapparaît quelques chapitres plus loin, toujours avant le blé, mais de façon positive cette fois : Genèse 14:18 : « Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était sacrificateur du Dieu Très–Haut », préfiguration du Christ selon l’Epître aux Hébreux, le Christ qui nous donne le pain du ciel selon l’Évangile de Jean.

Voilà donc que le pain initial fait référence au travail par lequel il est produit, et à l’aspect pénible de ce travail. C’est pourtant là un don de Dieu — mais comme couvert d’un secret quand le pain apparaît avant le blé — cf. Ecc. Du blé, on concevrait plus aisément qu’il est don de Dieu, puisqu’il précède en grande partie le travail de l’homme (on conçoit bien que la plante qui donne le blé préexiste à sa culture par l’homme). Secret du pain — fruit pourtant d’un travail de l’homme, travail pénible — qui annonce peut-être le pain d’éternité, qui précède tant la plante qui le porte que le pain qui le signifie…

Dans un second temps seulement, dans le récit biblique, le blé fait son entrée, d’emblée comme signe de bénédiction, en l’occurrence bénédiction du peuple de l’Alliance, bénédiction donnée alors par Isaac à Jacob. Genèse 27:28 : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, du blé et du vin en abondance ! » Voilà qui annonce plus clairement le signe du pain du ciel, la manne : « Avant de réciter le kiddouch, la table sera recouverte d’une nappe et dressée, et deux pains (en souvenir de la double ration de manne du désert) y seront posés et recouverts d’un napperon (souvenir de la rosée qui recouvrait la manne.) » — selon le Talmud.

Puis le blé à nouveau, ce signe de bénédiction, présenté comme tragédie quand il vient à manquer, annonce de l’exil, et de l’exil loin de Dieu selon le sens profond de l’exil. Le blé, alors, apparaît à nouveau lors de la famine qui conduira le peuple en Égypte où les greniers sont pleins — un exil comme prix du péché ; avoir vendu Joseph qui, lui, sait faire fructifier le blé. Joseph Premier ministre de cette Égypte dont les historiens nous apprennent qu’elle est le berceau non seulement des arts et des sciences, mais aussi celui de la… boulangerie !

Les paysans de la vallée du Nil cultivaient de nombreuses céréales. Les boulangers confectionnaient des pains de formes variées, souvent destinés aux rites et aux offrandes.

Farine, eau, sel, levain : ils tenaient déjà la recette du pain, qu’ils enrichissaient parfois de graisse, d’œufs ou de miel. Ils faisaient aussi des pains azymes, qui ne renfermaient pas de levain.

Pain destiné aux rites et aux offrandes, on retrouve la préfiguration, donnée en Melchisédek, de la prochaine liberté, celle de l’Exode, la Pâque des pains sans levain, et bientôt la manne du désert signe du pain du ciel qui précède le blé qui portera le pain.

Déjà tout est annoncé, tout est tracé, de l’annonce du malheur qui est dans le manque de pain — quand Joseph est vendu. Cf. Joël 1:17 : « Les semences ont séché sous les mottes ; Les greniers sont vides, Les magasins sont en ruines, Car il n’y a point de blé. » — à son retour : Joël 2:19 : « L’Éternel répond, il dit à son peuple : Voici, je vous enverrai du blé, Du moût et de l’huile, Et vous en serez rassasiés ; Et je ne vous livrerai plus à l’opprobre parmi les nations. » Et, Joël 2:24 : « Les aires se rempliront de blé, Et les cuves regorgeront de moût et d’huile. »

Et cela vient de Dieu contrairement à ce que l’on pense quand on ne manque pas — Osée 2:8 : « mon peuple n’a pas reconnu que c’était moi qui lui donnais le blé, le moût et l’huile ; et l’on a consacré au service de Baal — c’est-à-dire de la vanité — l’argent et l’or que je lui prodiguais. »

Cela vient bien de Dieu — Psaume 65:9 : « Tu visites la terre et tu lui donnes l’abondance, Tu la combles de richesses ; Le ruisseau de Dieu est plein d’eau ; Tu prépares le blé, quand tu la fertilises ainsi. » Psaume 78:24 : « Il fit pleuvoir sur eux la manne pour nourriture, Il leur donna le blé du ciel. »


R.P.
Le pain dans la Bible.

Église réformée de Poitiers.
Étude biblique 2012-2013.
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30.
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30.
1) 9 & 11 octobre 2012 — Le pain avant le blé – Genèse 3, 19 ; 14, 18 ; 18, 5, etc.
(bénédiction divine, blé et part du travail)



vendredi 10 août 2012

« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde »



Lorsque l’ancien monde s’est effondré, « les puissances des cieux ébranlées » ; lorsque « la lunette de Galilée » — en 1609 — eut fait tomber les anges et vidé de leur substance les anciennes catégories de classification, rangées selon la hiérarchie des cieux désormais effondrée ; lorsque l’homme pensant se fut retrouvé au centre d’un monde à reconstruire, il commença par se proposer de mettre en place de nouvelles classifications.

Et puisque l’homme post-Galiléen était Européen — et chrétien —, et puisqu’il était l’Européen mondialisé d’après 1492, il mit au centre de la nouvelle hiérarchie de classification du monde… l’homme européen d’après 1492 — héritier d’un message d’Église.

Et voilà pourtant l’homme européen auto-proclamé comme sommet d’une « hiérarchie des races » ; voilà finalement au sommet de ses classifications l’homme « racialement » « purement » européen…

Cela en prélude à un nouvel écroulement du monde, lorsqu’il s’avéra que Dieu-même, et pas seulement les hiérarchies célestes, y eut été déclaré indésirable — constat posé lors de la découverte du camp d’Auschwitz — 27 janvier 1945 ; et diagnostiqué par Hans Jonas, dans Le concept de Dieu après Auschwitz. Extrait :

« Avec l’événement qui porte le nom d’ « Auschwitz » […,] ne trouvèrent place ni la fidélité, ni l’infidélité, ni la foi ni l’incroyance, ni la faute ni son châtiment, ni l’épreuve, ni le témoignage, ni l’espoir de rédemption, pas même la force ou la faiblesse, l’héroïsme ou la lâcheté, le défi ou la soumission. Non, de tout cela Auschwitz, qui dévora même les enfants, n’a rien su ; il n’en offrit même pas l’occasion en quoi que ce fût. Ce n’est pas pour l’amour de leur foi que moururent ceux de là-bas […] ; ce n'est pas non plus à cause de celle-ci ou de quelque orientation volontaire de leur être personnel qu'ils furent assassinés. La déshumanisation par l'ultime abaissement ou dénuement précéda leur agonie ; aux victimes destinées à la solution finale ne fut laissée aucune lueur de noblesse humaine, rien de tout cela n'était plus reconnaissable chez les survivants, chez les fantômes squelettiques des camps libérés. Et pourtant - paradoxe des paradoxes -, c'était le vieux peuple de l'Alliance, à laquelle ne croyait plus presque aucun des intéressés, tueurs et même victimes, c'était donc très précisément ce peuple-là et pas un autre qui fut désigné, sous la fiction de la race, pour cet autre anéantissement total […]. Et Dieu laissa faire. Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire? »


À Auschwitz se dévoile ainsi au cœur de l’Europe un effondrement immémorial ; c’est ce qu’a saisi Aimé Césaire, dans Discours sur le colonialisme, en 1950. Extraits :

« Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.

Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.

On s'étonne, on s'indigne. On dit : "Comme c'est curieux ! Mais, Bah! C'est le nazisme, ça passera !" Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c'est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c'est du nazisme, oui, mais qu'avant d'en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l'a supporté avant de le subir, on l'a absous, on a fermé l'oeil là-dessus, on l'a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s'était appliqué qu'à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l'a cultivé, on en est responsable, et qu'il est sourd, qu'il perce, qu'il goutte, avant de l'engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.

Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est que l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.

Et c'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.(...) »


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« Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »


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Quand au monde « de l’Est », avant la chute du mur de Berlin, qui s’est voulu comme une alternative à ce débouché fermé, il a su proposer… un mur derrière lequel enfermer les sujets du meilleur des mondes !

Oh ! Il y a bien eu des signes, perçant du cœur des temps totalitaires, comme, entre autres le synode de l’Église confessante en Allemagne à Barmen en 1934 — avec une figure comme celle de Dietrich Bonhoeffer, une, entre autres, des deux figures marquantes, avec un Martin Luther King, du christianisme au XXe siècle —, mais restera de ces temps le signe d’un avènement tragique :

« L’homme, à en croire Hegel, ne sera tout à fait libre "qu'en s'entourant d'un monde entièrement créé par lui".
Mais c'est précisément ce qu'il a fait, et il n'a jamais été aussi enchaîné, aussi esclave que maintenant »
(Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, in Œuvres, p. 1357).

Y aura-t-il une ouverture de ce ciel fermé ? Y aura-t-il un Évangile pour opérer une brèche pour le Règne de Dieu ?


R.P., mai 2007