samedi 28 avril 2012

Entre Ascension et Pentecôte - Temps du départ du Christ, pour une nouvelle présence



« Si je ne m'en vais pas, le Consolateur, l’Esprit saint, ne viendra pas » (Jean 16, 7)… Quelques quarante jours avant l’Ascension, le départ du Christ annoncé en ces termes est sa mort : le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, déjà avant l’Ascension, « enlevé » à ses disciples.

Dans le départ du Christ, c’est une réalité à la fois étonnante et connue de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi absent, caché, comme le signe au jour de l’Ascension la cessation des apparitions. Comme il en est du Père, nous ne le voyons pas.

C’est l’Esprit saint qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au-delà de l'absence, et nous met dans la communion de l'insaisissable. En signe, sa venue est liée au départ de Jésus. Nous laissant la place, il nous permet de devenir ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire dans les temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous concevons de nous-mêmes, et suppose que nous laissions aller à notre tour ce qui nous est enlevé.

Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser place, pour que l'Esprit saint vienne nous animer, cela à l'image de Dieu entrant dans son repos pour laisser le monde être.

C'est ainsi que se complète notre création à l'image de Dieu, c’est ainsi que, par l’Esprit saint, se constitue notre être de résurrection.

RP
Echanges / Fil des jours, mai 2012


jeudi 26 avril 2012

Psaumes - Présence de Dieu et force de l’humilité




Psaume 8
2 SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique
par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
3 Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse
contre tes adversaires,
pour réduire au silence l'ennemi revanchard.
4 Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu as fixées,
5 qu'est donc l'homme pour que tu penses à lui,
l'être humain pour que tu t'en soucies ?
6 Tu en as presque fait un dieu :
tu le couronnes de gloire et d'éclat ;
7 tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ;
tu as tout mis sous ses pieds :
8 tout bétail, gros ou petit,
et même les bêtes sauvages,
9 les oiseaux du ciel, les poissons de la mer,
tout ce qui court les sentiers des mers.
10 SEIGNEUR, notre Seigneur,
que ton nom est magnifique
par toute la terre !

Une tout autre cosmologie que celle d’aujourd’hui, mais déjà l’intuition des infinis…

Cf. au début de l’ère moderne, post-galiléenne, Pascal (Pensées, Fragment 72) — non sans rapport probable avec sa méditation du Psaume :

« Disproportion de l'homme. — Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.
Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L'auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire.
Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle. C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu'à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature. […] »



A fortiori dans le cadre de l’astrophysique actuelle…

On estime aujourd’hui que l'Univers observable compte quelques centaines de milliards de galaxies de « masse significative », c’est-à-dire contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Ce nombre n’est toutefois pas limitatif, puisque le nombre d’étoiles des galaxies dites « naines », c’est-à-dire ne comptant « que » quelques millions d'étoiles, est difficile à déterminer du fait de leur masse et de leur luminosité « très faibles », et qu’en outre d’autres, trop lointaines, échappent à notre observation. L'Univers dans son ensemble, dont l'extension réelle n'est pas connue, est susceptible de compter un nombre immensément plus grand de galaxies.

Bref, quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative sans compter les galaxies moins grandes, et donc plus difficilement observables, et les autres qui nous échappent !

Notre galaxie, la Voie lactée, est une des centaines de milliards de galaxies observables, et de masse dite « significative ». La Voie lactée a une extension de l'ordre de 100 000 années-lumière. C’est-à-dire que l’on perçoit les étoiles lointaines de notre seule galaxie comme elles étaient il y a 100 000 ans. Et notre galaxie est donc une seule de ces galaxies de quelques centaines de milliards d'étoiles.

Le soleil est une des centaines de milliards d’étoiles de cette galaxie, elle-même une parmi quelques centaines de milliards de galaxies semblables observables. Le soleil est donc l’étoile de notre système solaire, autour duquel tourne la terre — sur laquelle nous nous questionnons sur tout cela aujourd’hui.



 
La flèche rouge indique "notre" soleil...


Voilà qui met les choses en perspective, et qui est fondé à nous donner le sens du vertigineux en regard de nos préoccupations !

Troublant en un sens, car on pourrait se dire, en considérant les choses que je viens d’essayer de résumer très brièvement, que tout ça est le fait du hasard, un mini-bouillon de culture hasardeux dans l’Univers.

Qu’est-ce que l’homme… ? (Psaume 8)


… Et en regard de la microphysique contemporaine

L’objet infime de notre observation est modifié par l’observateur…

« Lorsque nous observons un objet, nous le percevons à travers notre regard. Le regard n’est pas neutre. Il agit comme un filtre et sélectionne les éléments en fonction de sa sensibilité. Il ne retient que ce qu’il peut percevoir à la manière d’une pellicule photographique qui s’imprègne d’une image en fonction de sa propre capacité réceptive. Ainsi, le monde entier passe au crible de nos sens. Que voyons-nous vraiment ? En fait, nous ne percevons que ce qui correspond à notre façon de voir. Et inversement, de quelle nature sont les phénomènes que nous ne saisissons pas ? À cela, il ne peut y avoir de réponse, puisque, par définition, nous n’en avons aucune idée. […]

Quid de la science objective ? Selon les termes mêmes du physicien allemand Werner Carl Heisenberg (1901-1976) :
« ce que nous observons n’est pas la nature elle-même, mais la nature exposée à notre méthode d’investigation (…) L’objet de la recherche n’est donc plus la nature en soi, mais la nature livrée à l’interrogation humaine et dans cette mesure, l’homme ne rencontre ici que lui-même » (Werner Heisenberg, La Nature dans la Physique contemporaine, Folio essais, p. 137). D’une certaine façon, on serait tenté de dire que dans ses derniers chapitres consacrés à la microphysique, le livre de la nature se referme sur son lecteur. » (Henri-Marc Becquart, L’épopée de l’univers, p. 12 & 17)


Où la science contemporaine bouscule jusqu’à la logique aristotélicienne, qui continue pourtant de fonctionner au plan quotidien, au plan du sens commun, tout comme la gravitation continue d’être à l’ordre du jour, et comme l’expérience sensorielle nous maintient dans le géocentrisme : nous voyons bien que « le soleil et lève et se couche » — … nous concevons même toujours, à l’instar des hommes de l’époque de l’invention de l’Écriture, la terre comme un espace d’accueil de la vie ! Nous comptons toujours nos jours, sept jours, en regard des sept planètes du monde ancien géocentrique et nos mois en douze cycles que les anciens retrouvaient en symboles dans la sphère des étoiles fixes… L’humain reste un être de signes et de symboles…

*

La pensée de l’homme apparaît comme signe de la présence de Dieu. Pensée et étonnement comme mystère et signe personnel de Dieu.

Apparaît alors le rapport entre la figure messianique idéale et l’Homme comme figure primordiale, expression du Fils de l’Homme des Apocalypses.

Nous voilà au point où la grandeur de l’homme apparaît en ce qu’il pense — roseau pensant — son humilité radicale d’être du temps, où il se révèle fondé en éternité.

Pascal à nouveau (Pensées, Fragment 397) :

« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable.
C'est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. […]
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. »





… Où pour ne pas basculer à nouveau dans l’orgueil face à l’univers, l’on est mis face à la nécessité de l’oubli — où l’humilité se rappelle comme racine du mot « homme » : l’homme concret, au plus concret l’enfant (Ps 8, 3) ancrant la louange du Dieu présent dans la distance entre lui-même (tout petit) et l’idée éternelle de lui-même pensé par Dieu (Ps 8, 5), face à laquelle il est fondé. Force hors mesure face à toute adversité !



Lutte avec Dieu et combat contre le mal
« Ce n’est pas contre la chair et le sang
que nous avons à lutter » (Ep 6, 12)

Les Psaumes – Louanges
Livre de prières communes et de lutte avec Dieu
(6) 26 avril - Présence de Dieu et force de l’humilité (version imprimable pdf ICI)

R.P., KT Adultes, Antibes 2011-2012



vendredi 13 avril 2012

Foi et raison, de Thomas d’Aquin à Galilée



Nous sommes passés d’un temps où foi et raison sont en continuité, à un temps où elles sont en rupture. Question raison, Thomas d’Aquin se réfère à Aristote, et à ses développements rationnels sur les causes, qu’il rattache à la cause première : Dieu, qui est aussi, selon un autre angle, objet de foi… Une vision du monde fortement questionnée par la lunette de Galilée…


Quatre causes selon Aristote

Aristote, Métaphysique, en A, 3, 983 a — repris par Thomas d’Aquin : quatre causes pour expliquer que tel objet acquiert telle forme :

· Cause efficiente kinèsis — (motrice) principe d’où part le mouvement
· Cause matérielle hylè
· Cause formelle eidos
· Cause finale telos

Ex. : qu’est-ce qui fait que tel sujet acquiert telle forme, que l’airain devient statue ?

· la cause matérielle de quoi la chose est faite : l’airain
· la cause formelle : idée de la statue dans l’esprit du sculpteur
· la cause motrice : le sculpteur
· la cause finale : état final ou achevé en vue duquel l’être en puissance est devenu être en acte : forme de la statue

Ces quatre causes de ce qui existe peuvent être remontées — de ce qui existe et dépend à ce qui cause l’existence des êtres qui en dépendent, la cause première, Dieu. Thomas, qui reçoit Aristote depuis le monde arabe — via notamment le musulman Averroès et le juif Maïmonide dont il accueille l’apport —, donne cinq voies de remontée à la cause première. Cinq voies qui recoupent les causes ci-dessus (à l’exception de la cause matérielle) — trois causes donc, vers lesquelles les cinq voies remontent : la cause efficiente (voies 1, 2, 3. Cf. Ac 17, 28 : « en lui nous avons la vie/2, le mouvement/1, et l’être/3 »), la cause formelle (voie 4. Cf. Jc 1, 17), la cause finale (voie 5. Cf. Es 25, 1).


Cinq voies (ou preuves) selon Thomas d’Aquin

Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, quæ. 2, art.3 :
1. la preuve par le mouvement : tout être en mouvement est mis en mouvement par un autre ; or on ne peut pas remonter de proche en proche à l'infini, il faut un être immobile capable de communiquer le mouvement à d'autres êtres, un « moteur immobile » : Dieu ;
2. il existe un enchaînement de causes à effet dans la nature, or il est impossible de remonter de causes à causes à l'infini ; il faut nécessairement une Cause Première ;
3. les êtres de notre univers sont « contingents », pouvant exister ou ne pas exister : s'ils existent, c'est parce qu'un autre être, lui même contingent, les a amenés à l'existence ; l'ensemble de tous les êtres contingents est lui même contingent, et là encore on ne peut pas remonter indéfiniment : il faut un « être nécessaire », un être qui ne peut pas ne pas exister ; comme il est nécessaire, il est nécessairement ce qu'il est, il ne peut pas être autre chose que ce qu'il est, il a donc en lui toutes les perfections possibles ;
4. le degré de perfection des êtres : C'est une preuve reprise de Platon, qui a remarqué qu'il y a des perfections dans les choses (bien, beau, vrai) mais à des degrés différents. Or il faut nécessairement qu'il y ait un Être qui possède ces perfections à un degré maximum, puisque dans la nature toutes les perfections sont limitées ;
5. on observe un ordre dans la nature. Or à tout ordre il faut une intelligence qui le commande. Cette Intelligence ordinatrice est celle de Dieu.


L’existence de Dieu, ainsi, relève non de la foi, mais de la raison. La foi est requise pour recevoir Dieu comme Trinité, incarné, pour recevoir une révélation comme celle de la résurrection du Christ... — on peut dire aussi pour recevoir la cause ultime comme bonne et favorable. Mais elle n’est pas requise — la raison suffit — pour recevoir l’idée qu’il y a une cause première de tous les paramètres causaux de ce qui advient.

Bref, pour le dire en termes non-aristotéliciens, ce qui advient dépend d’une infinité de paramètres, de causes, dont la cause ultime est ce à quoi on donne le nom « Dieu »…

Or pour Thomas, en temps aristotéliciens, cela est lié précisément à la logique et à la cosmologie en place.

De l’Antiquité à la Renaissance, la clef de lecture et d’établissement des systèmes est la logique d’Aristote (IVe s. av. JC) : identité, non-contradiction, tiers exclu (A est A, A n'est pas non-A, il n'y a pas de milieu entre A et non-A), posant la connaissance comme « adéquation de la chose et de l’intellect », en cohérence avec le système du monde aristotélicien : une terre sphérique (avant Aristote la terre n’est pas encore ronde) à un pôle (au centre), à l’autre pôle le « ciel empyrée » et le « trône de Dieu ». Le « ciel empyrée » est le « dixième ciel », les autres cieux étant ceux des sept « planètes » observables à l’œil nu (Lune, Mercure, Venus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus le ciel des étoiles fixes (le zodiaque) et le ciel du mouvement diurne. La matière céleste est l’éther (la cinquième essence, la quintessence, matière spirituelle et lumineuse), au-delà des quatre autres « essences » ou éléments : terre, eau, air, feu — matière de notre ici-bas. Un monde mû par les Intelligences célestes, les anges chez Thomas, imitant la perfection de Dieu.

L’intelligible, la forme, substance intellectuelle des choses, fait advenir les êtres matériels comme réalité connaissable, parce que dotée de forme intelligible. Substance (ce qui se tient en dessous) intelligible, le rôle de l’intelligence « est de capter des êtres, non de fabriquer des concepts ou d’ajuster des énoncés » (Pierre Rousselot, L’intellectualisme de S. Thomas).

Cela est ajusté sur le monde hiérarchique intelligible. Les hommes en sont l’expression dans la matière, d’où, dans le monde des êtres intelligents, partagé par Dieu et les anges, la caractéristique de la raison : l’être rationnel, l’homme, est obligé de procéder par abstraction là où les êtres immatériels ont une connaissance intuitive, immédiate.

La raison humaine n’en participe par moins du monde intellectuel, à son humble mesure, évoluant, se mouvant dans le monde sensible, le monde sub-lunaire, quand les anges occupent le monde supra-lunaire, dont la matière parfaite est l’éther. Exempts eux-mêmes de matière, même spirituelle, les anges meuvent le monde supérieur, les orbes célestes, dont certaines sont celles sur lesquelles tournent les corps célestes composés d’éther (les planètes).

Dans ce cadre, la foi accède, en continuité avec la raison, à un donné inaccessible à la raison, mais qui lui est ouvert par la voie révélée, à partir de la Bible.



La lunette de Galilée

Ce monde mû par les anges s’est irrémédiable écroulé sous le regard de Galilée (XVIIe s.) aidé de sa lunette grossissante, qui lui permet de dire que les planètes sont composées de matière similaire à celle que nous connaissons ici-bas. S’esquisse la confirmation des calculs de Copernic… Et s’ensuit l’effondrement du monde aristotélicien, véritable « ébranlement des puissances des cieux ».

Le monde va désormais devoir se penser sur un mode autre que celui de l’harmonie géocentrique, avec un Dieu garant de cette harmonie, via éventuellement son représentant, le pape, qui lui-même a été fortement ébranlé par la Réforme.

Suite à Descartes (XVIIe s.) apparaissent d’autres propositions de systèmes du monde que le système aristotélicien sur lequel s’appuyaient aussi les systèmes théologiques. Le pôle central du système nouveau est le sujet : « je pense donc je suis » (formule reprise d’Augustin, mais désormais centrale et fondatrice).

Newton vient à son tour proposer l’alternative de la force gravitationnelle pour expliquer la rotation des planètes mues auparavant, dans le système aristotélicien / ou ptoléméen, par les anges — intelligences célestes.

Un monde s’est bel et bien écroulé, entraînant des ruptures en matière de connaissance, ruptures épistémologiques qui maintiennent toutefois la logique d’Aristote, logique de non-contradiction, selon un autre cadre, d’autres systèmes.

Une nouvelle rupture intervient au début du XXe s. avec Einstein et la théorie de la relativité.

*

D’Aristote, puis Thomas d’Aquin, à nos jours, un cycle s’est déroulé : des ruptures radicales dans les mises en place de systèmes s’en sont suivies. L’acte de foi est à présent perçu comme étant en rupture par rapport à la raison. L’intellect est ramené d’une participation intelligible des êtres à une connaissance individuelle discursive. La question de la pertinence et de la possibilité de la notion de participation intelligible des êtres à la même structure, accessible à l’intelligence partagée et à la foi, n’en demeure pas moins entière, en-deçà du monde effondré qui l’avait vu naître.

RP
Vence, "Groupe du Moulin", 13.04.12
(Version imprimable pdf ICI)