jeudi 17 novembre 2022

Exode / esclavage et libération




Exode / esclavage et libération (cf. Exode 15) / Châtellerault : 22 novembre ; Poitiers : 6 décembre

Exode 15
1 Alors, avec les fils d’Israël, Moïse chanta ce cantique au SEIGNEUR. Ils dirent‭ : «‭ Je veux chanter le SEIGNEUR, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta.
2 Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR. Il a été pour moi le salut. C’est lui mon Dieu, je le louerai‭ ; le Dieu de mon père, je l’exalterai.
3 Le SEIGNEUR est un guerrier. Le SEIGNEUR, c’est son nom.‭ »
(TOB) — Cf. la suite du ch. 15…

«‭ Le Saint béni soit-Il, ne se réjouit pas de la chute du méchant. […] Les anges de Service voulurent entonner un chant (au passage de la mer Rouge) mais le Saint béni soit-Il leur dit‭ : “Mes créatures se noient dans la mer et vous voulez chanter devant Moi ?”‭ » (Meguila 10b)

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Raphaël Draï, La Sortie d'Egypte‭ : L'invention de la liberté, Fayard 1986. 4e de couv. extrait‭ :

« Il y a près de trente-cinq siècles, les Bnei Israël, sous la conduite de Moïse, sortaient d'Egypte.

On s'accorde, depuis lors, à faire de cette sortie un des événements fondateurs de l'histoire de l'humanité. Mais a-t-on jamais, au-delà des interprétations avancées (apparition d'un peuple dans l'histoire, invention du monothéisme, etc.), véritablement perçu la dimension essentielle de l'événement : l'invention de la liberté ?

Contraignant Pharaon à leur ouvrir les portes pour qu'ils quittent l'Egypte, les Juifs, par ce mouvement sans précédent, rejettent pour la première fois l'ordre esclavagiste qui semblait pourtant inscrit dans la nature des choses ; ils proclament la primauté de l'Etat de droit sur l'arbitraire idolatrique ; ils récusent, en offrant une alternative politique et religieuse, la cosmocratie pharaonique dans son principe et ses mythologies extrémistes ; ils dénoncent la folie de l'exercice absolu du pouvoir qui peut se porter jusqu'au génocide. […] »


(Cf. ici : R. Draï, Sortir - complètement - d'Egypte ; et ici : extraits de : R. Draï, La Sortie d'Egypte‭ : L'invention de la liberté ; proposés par Jean-Paul Sanfourche. Voir aussi l'article de Sonia Sarah Lipsyc, Des femmes de l'Exode à l’éveil féministe au regard de la tradition juive.)

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Liliane Crété, Les puritains, Quel héritage aujourd'hui ? Olivétan 2012. 4e de couv. extrait :

« En France, le terme puritain est employé régulièrement pour dénigrer tout ce qui est anglo-saxon, anglophone ou américain. Au début du XXe siècle aussi, il était de bon ton d’associer le puritanisme à tout ce qui n’allait pas en Amérique. Les Français ont suivi le mouvement en confondant le puritain d’hier avec le capitaliste avide et le moraliste évangélique d’aujourd’hui.

Mais qui connaît la véritable identité des puritains ? Hérauts de la démocratie ? Rabat-joie ? Assoiffés de vérité évangélique ? Un modèle social voué au seul travail, bannissant les plaisirs, accompagné d’un projet politique théocratique ? […]

Le puritanisme est fortement marqué par son époque. Parce que les puritains se sont assigné la tâche de purifier non seulement l'Église, mais tous les rouages de la société […]. C’est seulement en les replaçant dans le temps et l’espace qui furent les leurs, que l’on peut comprendre leur mentalité, leur comportement et leurs motivations. […] »


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Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, où les puritains remettent en question un système où une Église et un pouvoir qui y est lié font clef de voûte de la Cité et posent comme alternative la supériorité de la loi, et sur les princes et sur les Églises. De façon équivalente, en France, sous l'Ancien Régime, une religion majoritaire faisait clef de voûte de la cité : le protestantisme minoritaire y a connu plus d'un siècle de clandestinité (de la révocation, en 1685, de l’Édit de tolérance dit Édit de Nantes, à un nouvel Édit de tolérance en 1687). Le judaïsme était toléré, au prix de vexations diverses. Le protestantisme et le judaïsme portent en France l'héritage historique de minorités persécutées ou ghettoïsées.

Les choses changent lors de la Révolution française, où les représentants de la minorité protestante vont réclamer pour le protestantisme et pour le judaïsme, plus que la tolérance, la liberté.

Député à l'Assemblée constituante de 1789, le pasteur Rabaut Saint-Étienne sera le porte-parole de cette revendication. Rabaut Saint-Étienne a joué un rôle significatif dans l'adoption de l'article X de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (qui est en arrière-plan de l'article XVIII de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948) dans la forme qui est la sienne : « nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». L'incise « même religieuses » est due au pasteur Rabaut Saint-Étienne : nous voulons la liberté et pas seulement la tolérance.

L’articulation entre tolérance et liberté, qui ne relève pas d'une majorité qui octroierait cette tolérance à des minorités, apparaît dans la la fin de l'article X : « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».

La minorité protestante, sortant alors de la clandestinité et de la persécution, se reconnaît ainsi dans une revendication de liberté, et pas seulement de tolérance, qui vaut pour toutes les autres minorités (comme en 1789 pour les juifs) – selon la lecture que les protestants persécutés faisaient des textes de la Bible hébraïque rappelant l'exigence de respect de la dignité de quiconque : « car toi aussi tu as été étranger au pays de l'esclavage » (texte classique – Deutéronome 10, 19).

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Une question de vocabulaire

La visée ouverte par la Tora va au-delà d'un simple déplacement géographique, elle libère de l'esclavage, de tous les esclavages, faisant sortir de Mitsraïm (l'exiguïté) celui, celle, qui reçoit la libération. La Tora de la sortie de la captivité fait de l'humain un célébrant du Nom au-delà de tout nom, le Nom qui le rachète comme il rachète toute la nature qu’il révèle ainsi comme sa Création… Égypte incluse. Car le mot Égypte n'est pas le mot Mitsraïm, exiguïté, mais est la transcription, à l'époque hellénistique, soit à partir du IIIe s. av. JC, du mot égyptien pour Memphis : "tabernacle / demeure de l'âme (le ka) de Ptah" (à savoir le Créateur). Ce n’est pas d'Égypte (le mot Égypte est donc positif), mais de Mitsraïm (exiguïté), que sort le peuple captif.

À l'époque que donne la Bible pour l’Exode, l’Égypte ne s'appelle pas non plus elle-même Mitsraïm, mais (entre autres) Kemet, ici aussi un nom positif, qui désigne la noirceur de sa terre fertile et/ou de la peau de ses habitants comme peuple solaire. Quel pays s’auto-désignerait comme pays de l’exiguïté, ou de l’esclavage ? C’est bien de Mitsraïm, de l’enfermement, de l’exiguïté, qu’est libéré le peuple réduit en esclavage et pas d’une zone géopolitique qui s’appelera plus tard Égypte. Sans compter qu’à l’époque donnée par la Bible pour l’Exode, la terre de Canaan, où demeureront les Hébreux, est elle-même dans la zone géopolitique des Pharaons. En ce sens aussi, le peuple ne sort pas d’Égypte, mais de Mitsraïm, de l’esclavage.

Or, grecque, la Bible des LXX a traduit Mitsraïm par Égypte, mot conservé ensuite par toutes les traductions, oubliant le sens respectif de chacun de ces mots, tabernacle de l’âme du Créateur dans un cas, pays de l’esclavage, de l’enfermement, dans l’autre. Où l’Égypte, belle expression, devient terme négatif. Sachant qu’une grande partie des juifs de l'époque hellénistique sont des Égyptiens, participant de la vocation universaliste hellénistique, et y trouvant son fondement dans la Révélation de l’Exode, se glisse une ambivalence avec l’ambivalence que reçoit le terme Égypte. Ambivalence qui a pu être notée par les autres Égyptiens, non-juifs, jusqu’à ceux qui ont pu y trouver un prétexte pour le premier pogrom anti-juif connu des historiens, fait d’une population égyptienne d’avant le christianisme, dans la première moitié du Ier siècle de l'ère chrétienne.

À la même époque, un Philon d'Alexandrie travaille à une philosophie universaliste, selon une exégèse biblique nourrie de la pensée des grands philosophes grecs, exégèse qui nourrira ensuite l’exégèse chrétienne, de l'Antiquité au Moyen ge. Cela n'est peut-être pas non plus sans lien avec la perception positive de l'Égypte à l'occasion de la redécouverte depuis la Renaissance de textes comme ceux de la tradition hermétiste, perception positive s'appuyant sur Actes 7, 22 (‭"Moïse instruit dans toute la sagesse des Égyptiens").

Importance d'être conscient de tout cela, quand on utilise invariablement le beau mot d’Égypte pour évoquer les situations d’enfermement dont libère le Nom dont personne n’est maître. Pourquoi ne pas faire l’effort de traduire le Mitsraïm biblique par “pays de l’esclavage”, ou, mieux peut-être, “lieux de l’esclavage” ? Sachant que le mot de Mitsraïm a vocation de signifier la libération universelle promise par le Dieu libérateur de toute sa Création… Où l’ambivalence d’un mot reçoit le côté positif de l’ambivalence : « L’Éternel, le maître de l’univers, les bénira en disant : “Bénis soient l’Égypte [Mitsraïm], mon peuple, l’Assyrie, que j’ai créée de mes mains, et Israël, mon héritage !” » (Ésaïe 19, 25)


Roland Poupin, Étude biblique / catéchisme adultes 2022-2023

Violence et guerres : la Bible, l’Histoire et nous



Église protestante unie de France / 2022-2023
(Poitiers, 5 rue des Écossais / Châtellerault, 1 rue Adrienne Duchemin)
Poitiers : à 14h 30 et à 18h 30 le 2e mardi du mois (sauf décembre et février et/ou indications autres)
Châtellerault : à 17h 00 le 4e mardi du mois (sauf indications autres)
3) Exode / esclavage et libération (cf. Exode 15) / Châtellerault : 22 novembre ; Poitiers : 6 décembre 2022 - version imprimable