vendredi 15 juin 2018

En présence de l'Absent



Perspectives (suite) – cf. Actes 1

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi à présent, comme le Père, absent, caché.

Le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus… qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Et quand aussi bien la Genèse que le livre des Actes nous envoient pour l’histoire, nous confient l’histoire, le risque devient rien moins que concret…

Cf. Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, texte rédigé dans les premiers mois de 1940 : « Il existe un tableau de Klee qui s’intitule « Angelus Novus » (cf. supra). Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

*

Et pourtant, c'est l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour s'approche de l’entrée de la création dans le repos de Dieu. En regard de l’ultime humilité où à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, se retire et nous laissant la place, — l’histoire, notre histoire, celle que nous avons déployée et déployons, avec sa douleur, nous enseigne alors l’humilité.

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Cf. Jean Brun, « Hegel et la théologie », Hokhmah, n°1, Paris-Lausanne 1976, p. 7 :
« a) Il faut donc dire que la durée ne va pas du passé au présent, mais que le temps vient au présent, à partir du futur, il y a donc une dimension prévalente du temps, un avenir qui est en quelque sorte antérieur au passé. En se niant comme avenir l’avenir devient maintenant, il s’accomplit dans le présent qu’il supprime, il s’oppose au futur qu’il était et n’est plus, au passé qu’il sera et n’est pas encore. Le temps est donc l’extase de lui-même.
b) Ce ne sont pas les choses qui sont dans le temps mais c’est le temps lui-même qui est l’étoffe des choses. Cézanne dira des objets qu’ils sont des accidents de la lumière on pourrait dire que, pour Hegel, les choses sont des accidents, c’est-à-dire des moments du temps. C’est le temps qui devient chose, et qui, en tant que tel, se spatialise ; l’espace est du temps paralysé, du temps achevé et accompli.
c) Cette relation du temps et de l’espace nous met sur le chemin de la réconciliation. Le fait d’être séparé n’est pas une propriété du temps, elle est une propriété de l’espace qui l’accompagne. Car le temps n’est pas une séparation indifférente des moments, il est cette contradiction qui possède dans une unité immédiate ce qui est purement et complètement opposé : "C’est nous qui sommes l’espace, c’est nous qui sommes le temps qui meut les négativités de l’espace de telle façon qu’elles sont ses dimensions et leurs positions différentes."
Par conséquent temps et espace ne peuvent pas être séparés, par conséquent esprit et nature ne peuvent l’être davantage. Ils se réalisent réciproquement […]. »


*

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous pouvons croire de nous-mêmes. C'est là seulement que peut se compléter notre création à l'image de Dieu. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.


RP
Les choses de la fin

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2017-2018
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
9) 19 & 21 juin - Perspectives – Cf. Actes 1


samedi 9 juin 2018

Perspectives – Actes 1




Actes 1, 1-11
1 J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement
2 jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé.
3 C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours, il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu.
4 Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, "celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche :
5 Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours."
6 Ils étaient donc réunis et lui avaient posé cette question : "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?"
7 Il leur dit : "Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ;
8 mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre."
9 A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards.
10 Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté
11 et leur dirent : "Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel."


*

« Deuxième tome à Théophile » dont l’Évangile selon Luc est le premier, le livre des Actes des Apôtres commence par le rappel de la promesse du Ressuscité concernant l’Esprit saint — promesse en lien avec le fait que l’instauration du Royaume est différée. L’Église ne se confond donc pas avec le Royaume et son « rétablissement pour Israël » (v. 6-7). L’Esprit saint concerne la mission, comme annonce universelle, mission de témoins du Ressuscité pour toutes les nations.

La venue du Royaume est donc différée. Ce que signifie aussi l’Ascension qui clôt les quarante jours d’apparitions du Ressuscité et scelle l’envoi des disciples — « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel », déclarent les « deux hommes en vêtements blancs ».

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ est « enlevé » (Ac 1, 2). En parallèle en Jean, « vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba aux yeux » des disciples (Ac 1, 9), « puis vous me verrez encore » : en Actes, bientôt, mais plus tard, la venue en gloire — dont l’espérance hors de ce temps prévient qu’en ce temps, étant « au milieu de vous » ou « en vous », « le Royaume de Dieu ne vient pas de façon à frapper les regards ». Et donc encore moins à la force de l’épée ! — : aucune légitimité d’un règne de l’Église de celui dont le Règne n’est pas de ce temps…

L'Ascension, comme le départ par la mort — du crucifié —, est tout d'abord la marque d'une absence. Il ne faut pas imaginer cette élévation comme un déplacement local qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « géographique » : Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement local durerait indéfiniment ! Et d'autre part, Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout ! Et de plus le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses.

L'Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi comme le Père, radicalement absent, caché.

Cette absence est aussi signe de son règne — de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui —, et de quel genre est son règne. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, et celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée.

Sa présence — « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » selon Matthieu 28 — est alors d'un tout autre ordre. Son règne n'est pas celui d'un des rois de ce monde, des pouvoirs de ce monde : « enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). C'est un règne caché, une présence mystérieuse qui est en lien précis avec la réception de son enseignement, dans l'observance de ce qu'il a prescrit — pour Actes 1 (cf v. 5), dans le don de l’Esprit saint.


RP
Textes de fin du monde

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2017-2018
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9) 12 & 14 juin — Perspectives – Actes 1