lundi 16 décembre 2013

Les prières bibliques et nous




Ou : relectures et transpositions


I) Des relectures bibliques...

1

D’abord, il y a la sortie d’Égypte. Et un chant de triomphe à la gloire de Dieu…

Exode 15
1 Alors, avec les fils d'Israël, Moïse chanta ce cantique au SEIGNEUR. Ils dirent :
« Je veux chanter le SEIGNEUR,
il a fait un coup d'éclat.
Cheval et cavalier,
en mer il les jeta.
2 Ma force et mon chant, c'est le SEIGNEUR.
Il a été pour moi le salut.
C'est lui mon Dieu, je le louerai ;
le Dieu de mon père, je l'exalterai.
3 Le SEIGNEUR est un guerrier.
Le SEIGNEUR, c'est son nom.
4 Chars et forces du Pharaon,
à la mer il les lança.
La fleur de ses écuyers
sombra dans la mer des Joncs.
5 Les abîmes les recouvrent,
ils descendirent au gouffre comme une pierre.
6 Ta droite, SEIGNEUR,
éclatante de puissance,
ta droite, SEIGNEUR,
fracasse l'ennemi.
[…]

Un Psaume d’Exode — à l’inverse des Psaumes d’exil...

(cf. Ps 137 /
1 Auprès des fleuves de Babylone,
Là nous étions assis et nous pleurions En nous souvenant de Sion.
2 Aux saules de la contrée
Nous avions suspendu nos harpes.
3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des cantiques, Et nos bourreaux de la joie :
Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
4 Comment chanterions-nous le cantique du SEIGNEUR Sur un sol étranger ?
5 Si je t'oublie, Jérusalem, Que ma droite m'oublie ! […]).


Aucune institution des chantres au livre de l’Exode.

L’institution des chantres, parmi les lévites — relève du temps de la royauté :

1 Chroniques 6
31 Voici ceux que David établit pour la direction du chant dans la maison de l’Éternel, depuis que l’arche eut un lieu de repos:
32 ils remplirent les fonctions de chantres devant le tabernacle, devant la tente d’assignation, jusqu’à ce que Salomon eût bâti la maison de l’Éternel à Jérusalem, et ils faisaient leur service d’après la règle qui leur était prescrite.

1 Chroniques 15:16 Et David dit aux chefs des Lévites de disposer leurs frères les chantres avec des instruments de musique, des luths, des harpes et des cymbales, qu’ils devaient faire retentir de sons éclatants en signe de réjouissance.

Selon la tradition juive, le chant de triomphe de la sortie d’Égypte (Exode 15) est mal venu : Dieu le déplore : mes créatures viennent d’être englouties et vous chantez !

S’il y a musique, elle est portée à être aussi empreinte de nostalgie.

Aux temps modernes, cela se traduit du gospel au blues et inversement…


2

Royauté messianique et nostalgie

Si l’institution des chantres et le recueil des Psaumes relève de la royauté — les Psaumes de David —, on se trouve avec une royauté chargée d’une visée eschatologique — messianique.

Le roi est messie/oint et vise un roi à la fois juste et incontesté. Le Messie attendu. Où les Psaumes royaux sont aussi empreints de nostalgie.

Apparaît un autre sens des chants guerriers, des chants de triomphe, où du cœur de la faiblesse du roi jaillit la marque nostalgique d’un autre combat, d’autres victoires que celle qui engloutit les troupes de Pharaon…

*

« Dès le début, nous sommes placés en face d'un monde qui exclut l'indifférence. Il y a deux Voies. Non pas trois ou quatre ou autant que l'on voudra. Nous sommes avertis : le monde est cassé en deux. Le choix devient nécessaire ; il est l'exigence et le risque de cette brisure. La poésie n'est que la parure de l'enseignement : la Voie des Ténèbres et la Voie de la Lumière se partagent l'universalité du réel. Nous sommes au seuil d'une science qui se sait la plus vraie et se veut la plus exhaustive. Deux voies inégales et ennemies, mais qui coexistent dans le temps et dans l'espace où elles définissent la frontière d'une guerre ; sur cette ligne s'inscrivent les déchirements de l'Histoire. La plénitude des temps, la réalisation des promesses messianiques pourront seules faire cesser le meurtrier combat dont l'innocent demeure l'otage.
« Un Écrivain sublime anime ce drame dont l'enjeu est l'accomplissement et la libération de l'Homme. Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort et qui s'affrontent du commencement à la fin, sont l'Innocent et le Révolté. Tous deux disent non. L'un refuse la voie de la lumière ; l'autre les ténèbres. L'un dit non à l'iniquité du monde ; l'autre à l'éternité de Dieu. Ces refus se situent à la source de la tragédie. Le conflit de deux négations contradictoires, qu'une liberté permet, définit l'axe où l'horreur assaille et meurtrit la joie. »
(Chouraqui, « Liminaire pour Louanges »)


II) … À nos relectures...


… À travers une entrée dans le Psaume 40. Cf. aussi Ps 110 ; Ps 137 ; Ps 37.

Comment le priant s’approprie à juste titre le cri du Psalmiste, sa confession de péché et ses protestations de justice… En parallèle avec Job.

… La force du priant : selon une étymologie de prière — précaire !

Quelle prière du juste ? Où rejoint-elle ma prière ? Une prière sanctifiante.


Psaume 40 (TOB)
1 Du chef de chœur. De David, psaume.
2 J'ai attendu, attendu le SEIGNEUR :
il s'est penché vers moi, il a entendu mon cri,
3 il m'a tiré du gouffre tumultueux, de la vase des grands fonds.
Il m'a (re)mis debout, les pieds sur le rocher, il a assuré mes pas.
4 Il a mis dans ma bouche un chant nouveau, une louange pour notre Dieu.
Beaucoup verront, ils craindront et compteront sur le SEIGNEUR :
5 Heureux cet homme qui a mis sa confiance dans le SEIGNEUR,
et ne s'est pas tourné vers les hommes de Rahav (ou hautains)
ni vers les suppôts du mensonge !
6 Qu'ils sont grands, SEIGNEUR mon Dieu,
les projets et les miracles que tu as faits pour nous !
Tu n'as pas d'égal.
Je voudrais l'annoncer, le répéter, mais il y en a trop à dire.
7 Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande,
— tu m'as creusé des oreilles pour entendre — (cf. Hé 10, 5 / LXX)
tu n'as demandé ni holocauste ni expiation.
8 Alors j'ai dit : « Voici, je viens avec le rouleau d'un livre écrit pour moi.
9 Mon Dieu, je veux faire ce qui te plaît, et ta loi est tout au fond de moi. »
10 Dans la grande assemblée, j'ai annoncé ta justice ;
non, je ne retiens pas mes lèvres, SEIGNEUR, tu le sais !
11 Je n'ai pas caché ta justice au fond de mon cœur,
j'ai parlé de ta loyauté et de ton salut,
je n'ai pas dissimulé ta fidélité et ta vérité à la grande assemblée.
12 Toi, SEIGNEUR, tu ne retiendras pas loin de moi ta miséricorde,
ta fidélité et ta vérité me préserveront toujours.
13 Des malheurs sans nombre allaient me submerger,
mes fautes m'ont assailli, et j'en ai perdu la vue ;
j'en ai plus que de cheveux sur la tête, et le cœur me manque.
14 SEIGNEUR, daigne me délivrer !
SEIGNEUR, viens vite à mon aide !
15 Qu'ensemble ils rougissent de honte, Ceux qui cherchent à m'ôter la vie !
Qu'ils reculent déshonorés, ceux qui désirent mon malheur !
16 Qu'ils soient ravagés, talonnés par la honte, ceux qui font « Ah ! Ah ! »
17 Qu'ils exultent de joie à cause de toi, tous ceux qui te cherchent !
Qu'ils ne cessent de dire : « Le SEIGNEUR est grand »,
ceux qui aiment ton salut !
18 Je suis pauvre et humilié, le Seigneur pense à moi.
Tu es mon aide et mon libérateur ; mon Dieu, ne tarde pas !

Le même mouvement qui est passage du Dieu caché au Dieu personnel, et qui fondera la lecture christologique, fonde une relation personnelle avec Dieu via la figure de celui qui personnalise le règne de Dieu, le Messie David :


Ps 110 :
4 Le SEIGNEUR l'a juré, il ne le regrettera pas : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Malki-Tsédeq.
5 Le Seigneur est à ta droite, il brise des rois au jour de sa colère.
6 Il exerce le jugement parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise le chef (le « principe ») d'un vaste pays.
7 En chemin il boit au torrent : c'est pourquoi il relève la tête (« exalte le Principe »).


Ps 137 :
8 Babylone la belle, toi qui vas être ravagée, heureux qui te paiera de retour pour le mal que tu nous as fait !
9 Heureux qui saisira et dispersera ta progéniture face au roc !

// Ps 68, 22 : Dieu détruit la tête (le « principe ») de ses ennemis,
le poil (ce qui pousse) de celui qui vit dans ses crimes.



Lire « principe » au lieu de « tête » — c'est le même mot — ; entendre par « roc » le « roc » qu'est le Dieu protecteur au lieu de « roc de pierre » — cela est tout-à-fait possible : le texte ouvre lui-même à la transposition spirituelle au-delà d'une matérialité qui peut sembler croquante. Au fond c'est bien du satan qu'il s'agit (Chouraqui, « Liminaire pour Louanges », Les Psaumes, éd. du Rocher, p. 21sq.). Cela précisé, il y a dans les Psaumes la sincérité de l’épanchement d'une prière devant Dieu ; l'épanchement de tout ce que nous sommes, jusqu’à nos désirs de vengeance les plus « imbuvables » (où le contexte guerrier, la violence des persécuteurs, ne doivent pas non plus être négligés), fait partie intégrante de l'utilité des Psaumes : nous sommes invités à la même sincérité, fût-elle choquante (éventuellement, même, efficace substitut contre le passage à l’acte !), et à recevoir l'exaucement de Dieu seul (à la fois seul vengeur et consolateur qui permet de dépasser le désir de vengeance). S'en remettre à Dieu seul en toute chose...

Cf. la prédication du pasteur P. de Mareuil « Psaumes et Negro spirituals ».

*

Alors l’exaucement est inéluctable, qui vient sous une autre forme que celle escomptée au départ, sachant que Dieu même devient la demande du priant !

Psaume 37:4 : Fais du SEIGNEUR tes délices, Et il te donnera ce que ton cœur désire.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
3) 17 & 19 décembre 2013 : Les prières bibliques et nous (PDF)


vendredi 13 décembre 2013

Desservant d'un sacerdoce céleste




Jésus, grand desservant fidèle et compatissant : Hébreux 3,1 – 5,10.


Hébreux 3, 1-6 :
1  Ainsi donc, frères saints, qui avez en partage une vocation céleste, considérez l’apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi, Jésus.
2  Il est accrédité auprès de celui qui l’a constitué, comme Moïse le fut dans toute sa maison.
3  En fait, c’est une gloire supérieure à celle de Moïse qui lui revient, dans toute la mesure où le constructeur de la maison est plus honoré que la maison elle-même.
4  Toute maison, en effet, a son constructeur, et le constructeur de tout est Dieu.
5  Or Moïse fut accrédité dans toute sa maison comme serviteur en vue de garantir ce qui allait être dit,
6  mais Christ l’est comme Fils, et sur sa maison. Sa maison, c’est nous, si nous conservons la pleine assurance et la fierté de l’espérance.


Ce texte semble mettre (au v.3) en concurrence Moïse et Jésus, et par ricochet le judaïsme et le christianisme, pour affirmer la supériorité du second sur le premier et par ricochet du christianisme sur le judaïsme. Ainsi l’épître aux Hébreux serait une pierre à l’édifice de la « théologie de la substitution », qui a fait tant de dégâts dans l’histoire — théologie selon laquelle le christianisme serait venu remplacer un judaïsme relégué dans le passé… Réaffirmons d’emblée que cette lecture est erronée.

Première impression donc, cette lecture ne s’impose-t-elle pourtant pas ? Jésus ne semble-t-il pas donné comme supérieur à Moïse ?… Qu’est-ce à dire ? N’est-il pas effectivement question d’une concurrence entre deux fondateurs de deux religions ?

Relisons donc le début du passage. En fait, il faudrait relire tout le début de l’épître qui débouche sur ce passage. « Vous avez une vocation céleste » est-il dit aux lecteurs. Le début de l’épître présente en effet Jésus comme être céleste, préexistant, supérieur aux anges (ch. 1) et venant de cette préexistence céleste à la rencontre de l’humanité (ch. 2), précisément et concrètement en la descendance d’Abraham, pour lui signifier sa « vocation céleste ».

Voilà qui nous situe d’emblée, non pas dans l’histoire où pérégrinent Abraham et ses descendants, dont les lecteurs de l’épître, et Moïse comme fondateur de la religion qui est celle des lecteurs de l’épître, mais dans la préexistence céleste de Jésus à laquelle aussi sont appelés ces lecteurs.

Ni substitution d’une religion à l’autre, ni supériorité d’une religion sur l’autre. Une seule religion, celle d’Israël, à qui son rite a été donné par Moïse, rite qui est celui des lecteurs, qui vaut pour tout ce temps, tant que ce temps dure. Et d’autre part un monde céleste qui a été manifesté en Jésus, forme du Royaume qui vient de façon imminente : « vocation céleste », dès aujourd’hui, pour un Royaume qui s’annonce, celui promis dès Abraham et dont la maison gérée par Moïse est l’insertion dans l’histoire et dans le temps.

Et voilà que — c’est la confession de foi que l’épître aux Hébreux invite ses lecteurs à garder — le temps céleste du Royaume promis, le temps de la fin de l’exil s’est approché.

Et 70 est là, qui voit la destruction du Temple, fin de ce monde pour les témoins du Nouveau Testament, comme la destruction du premier Temple avait été la fin d’un autre monde. Anticipation de la fin du monde comme le déluge avait été la fin d’un premier monde (cf. 2 Pierre, ch. 3).

70, date autour de laquelle tourne l’épître aux Hébreux, comme tout le Nouveau Testament. Fin d’un monde, fin annoncée autour de laquelle va se mettre en place sur le rythme de la célébration des événements de la vie de Jésus (que l’on appellera « les faits chrétiens »), le rite de l’attente de la venue en gloire de Jésus.

En naîtra une seconde religion, en rien supérieure à la première, simplement caractérisée par la foi que le Royaume espéré (et l’on sait l’importance thème de l’espérance dans l’épître – cf. ch. 11) s’est approché, étant porté par Jésus.

C’est la foi scellée au dimanche de Pâques, dont ne parle pas explicitement l’épître aux Hébreux : la foi à la résurrection de Jésus est devenue l’attestation de son être, le fondement de la foi à sa préexistence, et le moment inaugural du Royaume espéré.

Dès lors la religion de ceux qui croient que le Royaume éternel s’est approché en Jésus coexistera avec celle de ceux qui garderont le rite de Moïse en l’attente de la venue visible et tangible du Royaume de Dieu dans l’histoire.

Pas de supériorité d’un homme sur un autre, ni a fortiori d’une religion sur une autre, mais la foi à la venue d’un Royaume éternel, préexistant, au terme imminent d’une histoire, terme signifié par la destruction du Temple — le Royaume éternel étant, lui, annoncé par la manifestation dans le temps de celui qui est perçu par la foi comme le Prince préexistant de ce Royaume.


Hébreux 3, 7-19 :
7  C’est pourquoi, comme dit l’Esprit Saint: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix,
8  n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération, au jour de la mise à l’épreuve dans le désert,
9  où vos pères me mirent à l’épreuve en cherchant à me sonder, et ils virent mes œuvres
10  pendant quarante ans. C’est pourquoi, je me suis emporté contre cette génération et j’ai dit: Toujours leurs cœurs s’égarent; ces gens-là n’ont pas trouvé mes chemins,
11  car j’ai juré dans ma colère: On verra bien s’ils entreront dans mon repos!
12  Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant,
13  mais encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché.
14  Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale,
15  alors qu’il est dit: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération.
16  Quels sont, en effet, ceux qui entendirent et qui provoquèrent l’exaspération? N’est-ce pas tous ceux qui sortirent d’Egypte grâce à Moïse?
17  Et contre qui s’est-il emporté pendant quarante ans? N’est-ce pas contre ceux qui avaient péché, dont les cadavres tombèrent dans le désert?
18  Et à qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ces indociles?
19  Et nous constatons qu’ils ne purent pas entrer à cause de leur incrédulité.


Voilà donc une entrée dans le repos de Dieu proposée comme quelque chose de bien particulier — relevant de l’impossible, qui s’oppose à « l’incrédulité », l’impossible donc qu’est la foi à autre chose. Où l’on retrouve la question de la vocation céleste.

Repos : le mot grec, « catapausis » (« catapause »), qui traduit l’hébreu « shabbath », désigne bien, comme l’hébreu, une cessation. (Il est frappant que cela soit aussi le sens de « nirvana » !) Cessation. Cessation de l’agitation, de ce qui exaspère. Cessation qui doit enfin advenir pour que cesse notre traversée du désert.

Comme ceux « dont les cadavres tombèrent dans le désert » (Hé 3, 17), nous voilà qui traînons un quotidien pesant, sans horizon autre que cet horizon qui recule sans cesse. Nous voilà ancrés dans la nostalgie d’un hier semblable à l’Égypte des courges d’abondance. Telle est l’incrédulité qui bouche toute possibilité de repos : la cécité à tout autre horizon, contre laquelle sonne la voix de l’Esprit saint.

« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération », dit l’Épître citant le Psaume 95.

Au bout de l’horizon du temps, comme de la nostalgie des temps qui ne reviendront pas, il n’est que chemin de désert, et qu’hier emporté par le vent.


Hébreux 4, 1-16
1  Craignons donc, alors que subsiste une promesse d’entrer dans son repos, craignons que quelqu’un d’entre vous ne soit convaincu d’être resté en retrait.
2  Car nous avons reçu la bonne nouvelle tout comme ces gens-là, mais la parole qu’ils avaient entendue ne leur fut d’aucun profit, car les auditeurs ne s’en sont pas pénétrés par la foi.
3  Nous qui sommes venus à la foi, nous entrons dans le repos, dont il a dit: Car j’ai juré dans ma colère: On verra bien s’ils entreront dans mon repos! son ouvrage, assurément, ayant été réalisé dès la fondation du monde,
4  car on a dit du septième jour: Et Dieu se reposa le septième jour de tout son ouvrage,
5  et de nouveau dans notre texte: s’ils entreront dans mon repos.
6  Ainsi donc, puisqu’il reste décidé que certains y entrent, et que les premiers à avoir reçu la bonne nouvelle n’y entrèrent pas à cause de leur indocilité,
7  il fixe de nouveau un jour, aujourd’hui, disant beaucoup plus tard, dans le texte de David déjà cité: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs.
8  De fait, si Josué leur avait assuré le repos, il ne parlerait pas, après cela, d’un autre jour.
9  Un repos sabbatique reste donc en réserve pour le peuple de Dieu.
10  Car celui qui est entré dans son repos s’est mis, lui aussi, à se reposer de son ouvrage, comme Dieu s’est reposé du sien.
11  Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos, afin que le même exemple d’indocilité n’entraîne plus personne dans la chute.
12  Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur.
13  Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c’est à elle que nous devons rendre compte.


Retour de l’Épître aux Hébreux sur les lendemains de l’Exode. Méditation commune, traditionnelle : la génération du désert n’est pas entrée en Terre promise pour les raisons que rappelle la Torah. Bref, propos classique.

Classique encore le thème de l’exil qui se prolonge. On voit bien que l’on traîne, que la douleur et la misère persistent. On attend la délivrance.

L’Épître enchaîne là-dessus. La terre promise n’a bel et bien jamais été atteinte. Josué qui a guidé cette entrée n’a de fait pas procuré ce que l’on peut appeler un repos. Josué — c’est-à-dire un premier Jésus : même nom.

Josué, préfiguration de son homonyme Jésus qui, lui, procure le repos, repos qui n’est donc pas des combats de l’histoire, mais de l’entrée dans le repos de Dieu, dont le Christ préexistant, venant de ce repos même, est dès lors porteur.

C’est aujourd’hui, dans un aujourd’hui permanent, qu’est proposée l’entrée dans le repos. Il n’y a pas de demain pour cela, demain qui n’est que prolongation de l’histoire d’aujourd’hui et d’hier, qui engendre fatigues nouvelles et nostalgies d’hier irrémédiables.

Le repos de Shabbath symbolise et signifie dans le temps l’entrée dans le repos qui est au-delà du temps. C’est entre l’usure irrémédiable du temps et la vérité de l’éternité que tranche le glaive de la parole de Dieu : entre articulations et moëlles, entre psychè (« âme ») et souffle (« esprit ») d’éternité. De cette séparation, dès aujourd’hui, s’ouvre le repos.


Hébreux 4, 14 – 5, 10
14  Ayant donc un grand prêtre éminent, qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, tenons ferme la confession de foi.
15  Nous n’avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses; il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher.
16  Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu.
1  Tout grand prêtre, en effet, pris d’entre les hommes est établi en faveur des hommes pour leurs rapports avec Dieu. Son rôle est d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés.
2  Il est capable d’avoir de la compréhension pour ceux qui ne savent pas et s’égarent, car il est, lui aussi, atteint de tous côtés par la faiblesse
3  et, à cause d’elle, il doit offrir, pour lui-même aussi bien que pour le peuple, des sacrifices pour les péchés.
4  On ne s’attribue pas à soi-même cet honneur, on le reçoit par appel de Dieu, comme ce fut le cas pour Aaron.
5  C’est ainsi que le Christ non plus ne s’est pas attribué à lui-même la gloire de devenir grand prêtre; il l’a reçue de celui qui lui a dit: Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré,
6  conformément à cette autre parole: Tu es prêtre pour l’éternité à la manière de Melkisédeq.
7  C’est lui qui, au cours de sa vie terrestre, offrit prières et supplications avec grand cri et larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de sa soumission.
8  Tout Fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance,
9  et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éternel,
10  ayant été proclamé par Dieu grand prêtre à la manière de Melkisédeq.


On sait que les fêtes chrétiennes reprennent les fêtes juives. On a parfois remarqué qu’il y manquait Yom Kippour, le jour du pardon (littéralement dans la Torah : Yom Ha-kippourim, le jour des expiations). Pas de date d’un Yom Kippour chrétien en effet. Mais si l’on s’en tient à l’Épître aux Hébreux, le christianisme est en soi une reprise du Yom Kippour. Ce pourquoi Jésus est présenté comme le grand pontife — qui présidait la cérémonie de Kippour dans l’institution du culte au Tabernacle, selon la Torah, dont le culte au Temple était la reprise. Chose décisive pour l’Épître en regard de la destruction imminente, ou déjà avérée, du Temple par les Romains. Sous cet angle, l’Épître aux Hébreux est essentiellement une épître de consolation adressée à une communauté qui voit la destruction du cœur symbolique de son rite. Une autre proposition à côté de celle de la Synagogue, qui elle, réactualise la proposition cultuelle qui avait été celle mise en place lors de la destruction du premier Temple.

Concernant le Yom Kippour dans la Torah, il s’agit d’une entrée dans le lieu très saint du Tabernacle, entrée unique annuelle, réservée au seul grand-pontife, par laquelle était signifié le pardon des péchés. Le cœur du Tabernacle, ou du Temple, signifie le cœur de la présence de Dieu, le cœur de la Cité céleste. Or Jésus est présenté par l’Épître comme venant vers nous depuis la Cité céleste éternelle. Il vient de la préexistence éternelle, comme l’a manifesté sa résurrection.

Comme le grand pontife de façon symbolique dans le symbole du Tabernacle, ou du Temple, Jésus officie donc de façon actuelle et éternelle au cœur du sanctuaire céleste. Il est donc, pour l’Épître, le grand-pontife éternel, doté de toutes les qualités requises du grand-pontife : compassion, connaissance de la souffrance, humilité, humanité. Humanité qui a été pleinement sienne, sans qu’il n’ait cependant commis le péché commun aux êtres humains. Sa venue dans la faiblesse de la vie humaine, n’est pas la réduction à cette faiblesse, mais est elle-même acte de compassion, acte sacerdotal du Christ préexistant et éternel.

D’où l’application à Jésus de la Parole du Psaume 110 concernant le Messie : « Tu es pontife pour l’éternité, selon l’ordre de Melkisédeq ». On sait qui est Melkisédeq dans la Torah. C’est ce personnage dont Abraham reconnaît l’office sacerdotal (Genèse 14). C’est tout ce que l’on en sait. On verra que l’Épître y fonde (dans les chapitres suivants) la légitimité sacerdotale de Jésus, qui, dit-elle, n’était pas de lignée sacerdotale. Son absence de généalogie sacerdotale va être donc référée à l’absence de généalogie sacerdotale de Melkisédeq dans la Torah — qui devient du coup une sorte de préfiguration de Jésus.

Reste que le sacerdoce éternel est attribué à Jésus de par la foi à son origine éternelle, préexistante, qui le rend apte à officier auprès de Dieu, duquel il nous a obtenu le pardon. Application radicale de la déclaration du Psaume 110 concernant la fonction sacerdotale du Roi-Messie.

C’est le cœur de la confession de foi que l’auteur de l’Épître aux Hébreux demande à ses lecteurs de tenir fermement, et d’où procède la « pleine assurance de l’accès au trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu ».


R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3) 10 & 12 décembre 2013 - II. Grand prêtre fidèle et compatissant : 3,1 – 5,10 (PDF).


mardi 19 novembre 2013

Les Psaumes – prières communes et lutte avec Dieu



« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; d’où le titre que nous avons adopté : Louanges, mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (A. Chouraqui).

Un recueil liturgique communautaire — compilant sans doute d’autres recueils —, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs et les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique :

« Ambroise de Milan est dans une église avec ses fidèles, à la tête d’une manifestation contre la volonté impériale d’en faire un lieu de culte arien. Augustin relate cet événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, livre VII) : "Le peuple plein de zèle, résolut de mourir pour son évêque, passait les nuits entières à l'église. Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât d'un si long et pénible travail, on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l'Eglise d'Orient". Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356). »

Autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…

On a nommé le chant ambrosien (ou ambroisien), « nom sous lequel on désigne une sorte de plain-chant dont Ambroise fut l'auteur, en 386. Ce chant se divisait en chant rythmique ou psalmodique, et en chant métrique (Jumilhac). "St Ambroise adopta le genre chromatique, c'est-à-dire l'altération de certaines notes, comme l'ont enseigné plus tard les didacticiens du Moyen âge en parlant de la musique feinte ou colorée. Deux différences radicales existaient entre le chant d’Ambroise et celui de Grégoire. Dans l'un, abandon complet des règles de l'accentuation latine et adoption du genre diatonique; dans l'autre, genre chromatique, rythme, accentuation. Dans l'un, musique grave, sévère, adaptée aux durs gosiers des barbares du nord qui se convertissaient au catholicisme; dans l'autre, un art plus grec, plus souple, plus élégant, quelque chose de moins austère et de moins âpre." (Théodore Nisard) Ambroise emprunta aux Grecs leurs quatre modes principaux : le dorien, le phrygien, le lydien et le mixolydien; ces modes, nommés depuis authentiques ou impairs, sont le 1er, le 3e, le 5e et le 7e du plain-chant grégorien. Il adopta aussi le chant alternatif ou antiphonique, usité chez les Orientaux, et dont l'emploi se répandit ensuite dans l'Église latine. »

« Le chant grégorien, nommé aussi plain-chant ou chant romain, est le chant ecclésiastique en usage dans presque toutes les églises de l'Occident. Il fut réglé à la fin du VIe siècle par l’évêque de Rome Grégoire le Grand, qui, aux quatre modes authentiques établis par Ambroise, et formant la base du chant ambrosien, ajouta les quatre modes plagaux. »

Auparavant, « sources indirectes, les condamnations des gnostiques par les Pères de l'Eglise fournissent quelques indications sur leurs pratiques liturgiques. Critiquant Marcion, Hippolyte de Rome (début 3e) nous apprend que l'Église de Sinope, dans le Pont (sud de la Mer Noire), effectuait la prière vers l'orient, chantait des psaumes, et des hymnes composées par les chrétiens. Le latin Tertullien dénonce "la démence avec laquelle ces textes sont rédigés" (Adversus Marcionem) et attaque violemment Valentin : "Laissons les psaumes de Valentin qu'il introduit avec une impudence sans égale, comme s'ils étaient l'œuvre d'un auteur méritant (De Carne Christi) ; "Nous désirons qu'on chante, non cette sorte de psaume des hérétiques, des apostats, de Valentin le Platonicien, mais ceux du prophète David qui sont très saints et complètement admis, classiques." »

« Les ermites des déserts égyptiens jetèrent l'anathème sur l'art utilisé pour les jeux païens, indigne à la louange de Dieu. Mais sa capacité à souder une communauté et la réticence des hauts dirigeants de l'Eglise, (les hommes les plus cultivés de leur temps), à se séparer, se priver d'un art dont ils admiraient la beauté, lui permirent de rester indissociable de la louange divine. Augustin (354-430) s'en confesse (X, 33) : "Le plaisir de l'oreille, qui ne devrait pas affaiblir la vigueur de notre esprit, me trompe souvent lorsque le sens de l'ouïe n'accompagne pas la raison ; ainsi, je pèche sans y penser." »

Bref une grande réserve dans le christianisme latin, jusqu’à Ambroise, et même après, à l’égard d’une pratique, le chant — et a fortiori l'instrumentation —, qui n’est pas sans rejoindre une réserve à l’égard des sens en temps de deuil, en temps d’ « absence de l’époux » (cf. Marc 2, 20 – //) — « un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser » (Ecc 3, 4).

Une réticence que l’on trouve — comme un paradoxe — jusqu’au cœur de livre des Psaumes :

Psaume 137
1 Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion.
2 Aux saules de la contrée Nous avions suspendu nos harpes.
3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, Et nos oppresseurs de la joie: Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
4 Comment chanterions-nous les cantiques de l’Eternel Sur une terre étrangère ?
5 Si je t’oublie, Jérusalem, Que ma droite m’oublie !
6 Que ma langue s’attache à mon palais, Si je ne me souviens de toi, Si je ne fais de Jérusalem Le principal sujet de ma joie !

Un Psaume rendu célèbre par le reggae de Bob Marley, By the rivers of Babylon, repris jusque dans des versions disco ! — où éclate de la paradoxe ! — où éclate le chant de l’exil de Sion, selon la signification transposée de la Sion historique à sa signification métaphorique désignant l’Afrique dans la tradition « ras tafarienne » (de Ras Tafari, titre du négus d’Abyssinie) de Marcus Garvey (début XXe s.) , à laquelle se rattache Bob Marley.

Un Psaume célèbre, porteur de toute la mélancolie d’un chant tu dans des harpes accrochées aux saules devenus eux-mêmes symboles de mélancolie ! « Tout penseur, au début de sa carrière, opte malgré lui pour la dialectique ou pour les saules pleureurs » (Cioran, Syllogismes de l’amertume)…

On retrouve la réserve d’Augustin pour l’effet sensoriel de la musique jusque chez Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien plus sûr que les improvisations, à tout le moins extra-ecclésiales. Des hymnes allant au-delà des Psaumes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale…

C’est cette perspective qui sera celle de la tradition anglaise, de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur d’hymnes s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes.

Les Psaumes sont à la racine de traditions qui en reviennent toujours à ce recueil de prières et de louanges inspirées, fondée dans des « Sitz im leben » divers que les exégètes modernes se sont attachés à dégager — suite notamment à l’un des plus marquants pour les Psaumes, H. Gunkel (début XXe s.).

En-deçà de leur devenir comme livre de prières commune, les Psaumes expriment un combat avec Dieu, et contre le mal, qui de circonstances précises nous font déboucher sur des vérités archétypales. Par exemple, le Psaume 51, prière de repentance de David suite à son adultère doublé d’un meurtre, devenant une prière-type de confession de péché. Ou, face à l’oppression d’un ennemi du peuple ou du roi, on découvre qu’il est question de l’oppression du « mauvais », du « méchant » archétypique trouvant dans les Psaumes une expression concrète.

Autant de clefs de lecture, devant Dieu, de notre vie dans ses difficultés, via des psalmistes qui nous rejoignent, qui ont partagé des difficultés de tous ordres et dont les chants les élèvent devant Dieu dans l’attente espérée de son juste jugement, justifiant le juste face à toute oppression et tout oppresseur, Dieu seul vengeur. « Je trouverais moi-même très difficile de me faire l’écho de pareils sentiments. Non parce qu’ils seraient trop bas pour moi, mais bien plutôt parce qu’ils me dépassent… Je ne parvient pas à désirer le jugement divin sans une pensée vindicative ni affirmer ma propre droiture sans orgueil » (J. Stott).

Les Psaumes deviennent alors chemin de purification de nos désirs dans l’espérance de celui qui vient faire éclater la vérité, Dieu de l’univers — c’est le parcours des cinq livres des Psaumes depuis la confrontation du mal, le mal voie de perdition alternative à la voie de celui qui est heureux (Ps 1), jusqu’à la louange finale du cinquième livre, en passant par tout le cheminement de l’attente de Dieu.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
2) 19 & 21 novembre 2013 : Les Psaumes, face à Dieu – prières communes et lutte avec Dieu (PDF)


lundi 18 novembre 2013

Xénophobie, racisme. Bâtir ensemble un monde vivable


Communiqué du Conseil National de l'Eglise Protestante Unie de France


La parole xénophobe –contre les Roms par exemple– et raciste –contre la Garde des Sceaux Mme Taubira par exemple– se banalise et parfois se déchaîne. Elle est renforcée par des calculs politiciens, à quelques mois d’échéances électorales. Elle est dopée par des logiques médiatiques qui, par effet de loupe et de répétition, donnent une importance parfois démesurée à des manifestations ou des propos marginaux.

La souffrance sociale, le désarroi politique, l’impression qu’une logique économique ne profitant qu’à une minorité ravage tout sur son passage, la crainte du déclassement, la peur de l’avenir, sont des sentiments bien réels et largement partagés. Ils peuvent pour une part expliquer le ressentiment qui s’exprime par la xénophobie et le racisme. Ils ne sauraient le légitimer.

Le pacte républicain est confié à chaque citoyenne, chaque citoyen, et d’abord à celles et ceux qui exercent une responsabilité sociale. Il est précieux. Il n’est pas indestructible.

Nul ne peut se dire à l’abri de bouffées xénophobes ou racistes, chacun le sait. Il est d’autant plus important de refuser toute complaisance à leur égard. La confiance est possible, mais elle se construit chaque jour et elle est l’affaire de tous et toutes.

En outre, des personnes ou des groupes qui prétendent par ailleurs défendre des « valeurs chrétiennes » ont participé à l’expression xénophobe et raciste. Ces discours et ces attitudes sont pourtant radicalement incompatibles avec la foi chrétienne. L’Évangile de Jésus-Christ prend sa source dans l’amour inconditionnel de Dieu pour chaque être humain. Chacun est bienvenu sur cette terre. Chacun a besoin d’y être accueilli.

Ce message libérateur et exigeant nous appelle à découvrir dans notre semblable une sœur, un frère, et à bâtir ensemble un monde vivable et vraiment humain.

Pasteur Laurent SCHLUMBERGER
Président du conseil national
de l’Église protestante unie de France


vendredi 15 novembre 2013

Incarnation du Fils de Dieu




I. Le Fils de Dieu — « supérieur aux anges » (ch. 1 - ch. 2, v. 4)


1. Derniers jours

« En ces jours qui sont les derniers, Dieu nous a parlé par le Fils » (v. 2). Une conviction de l'auteur, commune au Nouveau Testament, concernant la venue de la fin du temps, ce temps, fin de ce temps en passe d'être confirmée par la destruction du Temple, cœur du monde, ce monde, ce temps, ce siècle, cet « aion ».


2. « Aion »

Ce temps, ce monde qui arrive à sa fin, Dieu l'a créé par le Fils (v. 2) ; ce monde, cet « aion », et tous les autres, selon la pluralité des monde, des temps, des siècles, correspondant aux différents niveau des cieux, comme dans l'échelle de Jacob (cf. infra) — vision que l'on retrouve dans la doxologie finale du Notre Père : « aux siècles des siècles ».

Le fils apparaît comme celui par qui Dieu a créé les siècles, dont il est aussi héritier, à commencer pour ce qui concerne concrètement l'inquiétude des destinataires de l’Épître, les deux mondes, siècles que sont celui dont on arrive au terme, concrétisé par la destructoin du Temple, et le siècle à venir, déjà présent — « le Royaume au milieu de vous » — et encore à venir quant à sa manifestation.


3. « Hypostasis »

Ce Fils est « le reflet et l’expression de la substance / hypostasis » de Dieu (v. 3) — « substance », c'est-à-dire ce ce que se tient en dessous, en dessous de ce Nom : Dieu — ; et à ce titre, de reflet, vis-à-vis et expression de ce qui se tient dessous de ce Nom, il est le soutien de toutes choses — par sa Parole. Il a à présent comblé l'abîme creusé par le péché. Ce sera le développement et le cœur de l’Épître. Une œuvre accomplie qui l'a dévoilé comme celui qu'il est — susbtance du Nom —, le dévoilant désormais comme étant au-dessus des anges.

Hé 1, 5-6 : « auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ? Et lorsqu’il introduit de nouveau dans le monde le premier-né, il dit : Que tous les anges de Dieu l’adorent ! » Engendrement éternel qui renvoie aux origines, avant la fondation du monde (cf. Col 1 & Jn 1) ; qui se signifie dans l'Incarnation (cf. Jn 1) temps de la conception et de la naissance du Christ ; et qui se scelle dans sa résurrection. Ces versets 5 et 6 peuvent renvoyer à ces trois niveaux (et de même jusqu'au verset 14).


4. Anges et cieux

Hé 1, 5-14. Cf. L'Échelle de Jacob — Genèse 28 :
11 [Jacob] arriva dans un lieu où il passa la nuit ; car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là.
12 Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle.
13 Et voici, l’Éternel se tenait au-dessus d’elle ; [...]
16 Jacob s’éveilla de son sommeil et il dit : Certainement, l’Éternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas !
17 Il eut peur, et dit : Que ce lieu est redoutable ! C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux !


*

De l’Antiquité à la Renaissance, la clef de lecture du monde est donnée, depuis le IVe siècle av. JC dans le système du monde d'Aristote et/ou, depuis le IIe siècle, de Ptolémée (qui est aussi derrière la traduction de la LXX).

Le système de ce monde aristotélicien se déploie ainsi : une terre sphérique (avant Aristote la terre n’est pas encore forcément ronde) à un pôle (au centre), à l’autre pôle le « ciel empyrée » et le « trône de Dieu ». Le « ciel empyrée » est le « dixième ciel », le Paradis, les autres cieux étant ceux des sept « planètes » — désignant les sept cieux classiques — observables à l’œil nu (Lune, Mercure, Venus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus le ciel des étoiles fixes (le zodiaque) et le ciel du mouvement diurne.

La matière céleste est l’éther (la cinquième essence, la quintessence, matière spirituelle et lumineuse), au-delà des quatre autres « essences » ou éléments : terre, eau, air, feu — matière de notre ici-bas. Ce monde céleste dont la matière est l’éther est mû par les Intelligences célestes, les anges chez Thomas d’Aquin, imitant la perfection de Dieu en imprimant aux sphères leur mouvement circulaire.

Les sept cieux classiques peuvent correspondre de manière symbolique aux sept paroles du ch. 1 de l’Épitre aux Hébreux concernant la supériorité du Fils par rapport aux anges, administrateurs des sphères célestes, et garants de la distance entre Dieu et le monde. Tout comme les neuf cieux inférieurs au ciel du Paradis correspondront aux neuf ordres de la hiérarchie angélique de Denys l’Aréopagite (Ve s. ap. JC), qui toutefois — à l'instar de l’Épître aux Hébreux — lie moins strictement aux sphères des planètes qui les symbolisent, ces garants, que sont les anges, de la distance entre Dieu et le monde.

La structure intelligible des choses, leur substance intellectuelle, sous-tend les êtres matériels, connaissables parce que dotés de cette structure intelligible. Substance (ce qui se tient en dessous) intelligible aussi, l’intelligence a pour rôle « de capter des êtres, non de fabriquer des concepts ou d’ajuster des énoncés » (Pierre Rousselot, L’intellectualisme de S. Thomas).

Cela est ajusté sur le monde hiérarchique intelligible. Les hommes en sont l’expression la plus humble, dans la matière, « la poussière », d’où, dans le monde des êtres intelligents, partagé par Dieu et les anges, la caractéristique de la raison, son humilité de réalité humaine : l’être rationnel, l’homme, est obligé de procéder par abstraction là où les êtres immatériels ont une connaissance intuitive, immédiate.

La raison humaine n’en participe par moins du monde intellectuel, à son humble mesure, évoluant, se mouvant dans le monde sensible, le monde sublunaire, quand les anges occupent le monde supra-lunaire, dont la matière parfaite est l’éther. Exempts eux-mêmes de matière, même spirituelle, les anges meuvent le monde supérieur, les orbes célestes, dont certaines sont celles sur lesquelles tournent les corps célestes composés d’éther (les planètes).

*

C’est là le monde d’Aristote (cf. Métaphysique) repris par Thomas d’Aquin. Dans ce monde, affirmer l’existence de Dieu relève non de la foi, mais de la raison. La foi est requise pour recevoir Dieu comme Trinité, incarné, pour recevoir une révélation comme celle de la résurrection du Christ... — on peut dire aussi pour recevoir Dieu, la cause ultime, comme bon et favorable. Mais la foi n’est pas requise — la raison suffit — pour recevoir l’idée qu’il y a une cause première de tous les paramètres causaux de ce qui advient.

Ce qui advient dépend de nombreux paramètres, de causes, dont la cause ultime est ce à quoi on donne le nom « Dieu »… Pour Thomas, en temps aristotéliciens, cela est lié précisément à la logique et à la cosmologie en place. Ce monde perdure jusqu’en 1609…

*

Lorsque, dans les années 1609-1610, Galilée braque sa lunette astronomique vers les sphères célestes, il découvre et révèle au monde que celles-ci ne sont pas faites d’éther, mais de la même matière que celle qui compose notre monde, qui se meut au-dessous de la Lune, le monde sublunaire.

Le monde mû les anges est dès lors irrémédiablement ébranlé : cet effondrement du monde aristotélicien est, au sens littéral, un véritable « ébranlement des puissances des cieux ». Le monde va désormais devoir se penser sur un mode autre que celui de l’harmonie géocentrique, avec un Dieu garant de cette harmonie, via éventuellement son représentant, le pape, qui lui-même a été fortement ébranlé par la Réforme.

Suite à Descartes (XVIIe s.) apparaissent d’autres propositions de systèmes du monde que le système aristotélicien sur lequel s’appuyaient aussi les systèmes théologiques. Le pôle central du système nouveau est le sujet : « je pense donc je suis » (formule reprise d’Augustin, mais désormais centrale et fondatrice).

Newton vient à son tour proposer l’alternative de la force gravitationnelle pour expliquer la rotation des planètes mues auparavant, dans le système aristotélicien / ou ptoléméen, par les anges — intelligences célestes.

Un monde s’est bel et bien écroulé, entraînant des ruptures en matière de connaissance, ruptures épistémologiques qui maintiennent toutefois la logique d’Aristote, logique de non-contradiction, selon un autre cadre, d’autres systèmes.

*

Le symbole s'est donc effondré, un peu comme à la sortie d'un rêve, celui de Jacob, un rêve dont les symboles, comme pour tout rêve, désignent autre chose que leur littéralité. Symboles d'un inconscient collectif portant la connaissance/ignorance d'un Dieu infiniment autre, au sommet inaccessible de l'échelle de Jacob, et cependant tout proche comme le signifie la présence angélique en ses ascensions et ses descentes... Détachée de l'échelle des astres, l'échelle de Jacob auxquels elle s'était superposée, l'échelle de Jacob n'en reste pas moins posée au sol et touchant « les cieux », signes d'un Dieu infiniment autre. Un Dieu qui, donc, intéresse aux hommes ! « Qu’est-ce que l'homme pour que tu t’intéresses à lui » s'étonne le Psalmiste (Psaume 8), cité, dans la version des LXX, par Hé 2, 6-8.



II. Homme semblable aux hommes (ch. 2, v. 5)


Cf. Hé 4, 15 « sans pécher ».

Cf. 2 Co 5, 21 : « Celui qui n'a point connu le péché, il l'a fait (devenir) péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. »

Voilà des versets scandaleusement troublants (le Christ tenté comme nous — Hé 2, 18), et une approche, celle de ce ch. 2 de l’Épître Aux Hébreux, qui dit toute la radicalité scandaleuse (comme la crucifixion est scandale — 1 Co 1 & 2) de la prière de Jésus au Gethsémané. Insistant sur le fait que le Christ n'a en aucun cas péché ! (4, 15), l’Épître aux Hébreux n'en souligne pas moins la radicale humanité du Christ,

Au point que l'on pourrait presque se demander si le ch. 2 ne contredit pas le v. 15 du ch. 4 (« sans pécher ») ! Que signifie cette « tentation » qui a été la sienne ? Aurait-il conçu l’intention de pécher — mais cela est déjà pécher ! (Cf. Mt. 6), même si finalement il a résisté à la tentation... La prière de Jésus au Gethsémané — « que soit faite ta volonté et non la mienne » — qu'assume donc ici l’Épître Aux Hébreux, va jusqu'à recevoir ce que l’orthodoxie entérinera en 681 (au IIIe concile de Constantinople) en utilisant ces mêmes versets du Getsémané pour refuser le « monothélisme » (l'idée qu'il n'y aurait qu'une seule volonté en Christ) et pour poser le dogme (orthodoxe) qui donne deux volontés en Christ : le Christ est doté de sa volonté propre, qui n'est pas celle du Père, ni même celle de la divinité en Christ, mais celle du Christ homme.

Ainsi, sachant qu'une part de ce monde est déchéance et fruit de déchéance, la participation du Christ à la Création — « pour notre salut » — est participation mystérieuse au monde de la déchéance, ce qui se signifie en ce que le Christ est doté, outre la volonté divine incréée, d'une volonté créée, forcément distincte de la volonté divine. Une pleine humanité donc, qui le conduit à une prière dans laquelle apparaît une lutte jusqu’à l’obéissance à Dieu pour recevoir une mort à laquelle il voudrait toutefois échapper, et donc une volonté du Christ qui se sépare, quant à son souhait, de la volonté du Père !

Cela correspond, dans les termes les plus tragiques, vécus dans toue leur intensité, à ce que dit 1 Corinthiens 5, 21 : « il a été fait péché pour nous » — sans pour autant commettre le péché, pas même en intention, mais selon l'ordre de sa participation à cette Création de péché — participation dont la marque est une volonté propre, dans la chair, et dans la volonté. Au point que lui qui n'a pas péché, prie avec nous les Psaumes portant nos confessions de péché et le Notre Père, demandant notre pardon. Solidarité totale avec nous : laisse faire ce qui est juste dit-il à Jean le Baptiste (Mt 3, 15) auquel il vient pour recevoir un baptême de repentance !

C'est ainsi que selon l’Épître Aux Hébreux, Jésus Christ est « élevé à la perfection par les souffrances » et devient pour les hommes (inscrits ainsi dans la postérité d’Abraham — Hé 2, 16) « le Prince de leur salut » : en soumettant sa volonté distincte de celle du Père (« que soit faite ta volonté et non la mienne ») ; ayant « appris, bien qu’il fût Fils, l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Hé 5, 8).



R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
2) 12 & 14 novembre 2013 - I. Incarnation du Fils de Dieu : 1,1 – 2,18 (PDF).


samedi 12 octobre 2013

Prier - Quel vis-à-vis ? : "Qui dites-vous que je suis ?"



Pour commencer ce cycle de catéchisme d'adultes de l'année : Une prière qui engage, on peut reprendre la question du thème synodal de cette année, comme question du vis-à-vis de notre prière : « Qui dites-vous que je suis ? » Une précision en début du texte de Luc (9, 18) : Jésus était en prière à l'écart. Le point essentiel : on est soi-même dans l'intimité du regard de Dieu : en prière à l'écart, avec Jésus. Là est le fondement, le cœur secret de notre mission.

Alors il dit à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Luc 9. 24). On arrive là au cœur du propos de Jésus : il s’agit pour lui de situer ses disciples face à lui seul.

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? », c’est cela qui importe et non pas « que dit-on de moi ? » — Se situer face à lui sans tergiverser, malgré sa réputation déplorable pour des lendemains catastrophiques ; bref, quoique cela coûte.

À ce point, tout a changé. On est passé de ce que disent et pensent les hommes ou les foules, à ce que « vous, vous dites ». On passe de « on » à « toi », de l'admiration plus ou moins béate mais finalement pas dérangeante, à la mise en question.

Jésus refuse toute réponse anonyme ; Jésus n'a que faire d’une réponse admirative, mais qui, dans une heure, sera oubliée, et qui, finalement n'aura guère de conséquences dans les vies ; les foules bientôt crucifieuses rangeront par la suite ce « grand homme » dans leur mémoire comme on range des photos de grands hommes. Et dans la galerie des grands personnages, il y en aura un de plus...

Un tel engouement pour lui-même n’intéresse pas Jésus. Il veut une réponse personnelle (toi ! moi !) qui engage, qui compromet pour toujours. Une réponse où tout change dans la vie de celui qui la formule. Une réponse comme celle que va donner de Pierre : « tu es le Christ de Dieu », mais qui veuille dire concrètement : « tu es mon Seigneur ; tu es celui qui est au cœur de ma foi, celui qui donne un sens à ma vie et à mon histoire ; celui en dehors de qui je ne peux plus désormais trouver de raison de vivre. »

Jésus requiert aujourd’hui de nous une réponse qui joue toute notre vie. Celle de la foi, différente de l'admiration qui n'est jamais que sa mauvaise copie, d'autant plus dangereuse qu'elle permet d'esquiver Jésus et d'esquiver son salut.

Alors la foi étant arrivée, Jésus affirmera que l'heure est aussi arrivée de révéler quel sera le Christ et quel sera le signe de son règne : beaucoup souffrir ; être rejeté par les responsables en place ; être condamné et mis à mort (alors qu'il semblait devoir être porté aux nues) ; et être ressuscité ». « Et vous, qui dites-vous que je suis. » C’est la question qui nous est posée, à nous aussi aujourd’hui. La réponse correspond à rien moins qu’à un engagement : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »


PS : Parmi les livres à consulter pour cette saison de catéchisme, un en particulier :
Jacques Ellul, L'impossible prière, éd. Le centurion, 1970.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
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1) 17 & 22 octobre 2013 : Quel vis-à-vis ? : « Qui dites-vous que je suis ? » (PDF)


lundi 7 octobre 2013

'Aux Hébreux' : un message de consolation



Une autre lecture de l’Épître aux Hébreux...




... Introduction (cf. ici : éléments d'introduction)


À première lecture, l’Épître aux Hébreux semble avoir comme message central qu’une alliance entre Dieu et le peuple biblique, l’ « ancienne alliance », celle reçue de Moïse, l’alliance mosaïque, a pris fin et qu’une « nouvelle alliance » — « chrétienne » — doit prendre place — ou a pris place, et qu’il faut en tirer les conséquences…

L’Épître serait ainsi essentiellement une exhortation à abandonner résolument une « ancienne alliance » devenue caduque — avec son sacerdoce — pour en adopter une « nouvelle » avec un nouveau sacerdoce. C’est ce qu’en lisent la plupart, sinon la totalité des commentaires, induisant en retour une lecture qui semble devoir s’imposer : un changement d’alliance.

C’est une approche des choses que l’on peut, et donc que l’on doit, interroger : Aux Hébreux pourrait être au contraire un texte de consolation de croyants en Christ vivant aux alentours de 70 (« en ces jours qui sont les derniers » — Hé 1, 2) en passe de perdre (ou ayant déjà perdu selon que l’on date le texte d’avant ou d’après 70) le référent cultuel traditionnel de l’alliance (qui est le leur) : le Temple. Une prédication épistolaire de consolation envoyée d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Christ « hébreux » — de Judée / Syrie-Palestine romaine.

Dans cette autre perspective, les commentaires dont on dispose posent problème. Y compris des travaux fort utiles sur d’autres points : Vanhoye (La structure littéraire de l'Épître aux Hébreux) et sa mise en lumière de la structure littéraire du texte, qui fait qu’il vaut mieux parler de sermon épistolaire que d’épître proprement dite ; Spicq (L'Épître aux Hébreux), qui a montré de manière irréfutable la formation philosophique de l’auteur dans la mouvance de Philon d’Alexandrie — élément décisif, devenu incontournable, de la lecture de Aux Hébreux.

Mais au-delà de ces richesses dégagées — parmi d’autres —, demeure la question de la relation du texte aux Hébreux avec l’alliance mosaïque : ne peut-on pas l’envisager autrement que comme ce qui revient au fond à une substitution, substitution d’une nouvelle alliance en Christ à celle, ancienne, de Moïse ?



Le tabernacle céleste et Jésus


S’il y a au fond essentiellement une seule alliance (cf. Calvin – IC II, X, 2 – cela est aujourd’hui acquis), indéfectible, si la « nouvelle » alliance est d’une façon ou d’une autre la même et unique alliance « inscrite dans les cœurs » — cf. Jér 31 // Héb 8 —, il n’y a dès lors aucune raison d’en abandonner les prescriptions, d’abandonner les dispositions de la loi de Moïse ! — observées par Jésus ! On est alors au cœur de la question qui habite l’auteur du texte aux Hébreux.

Jusqu’en l’an 70, tous les « chrétiens » (y compris Paul) entendent s’en référer — avec certes des variantes — à l’observance de la Torah. La pratique des rites du judaïsme — « hébreu » (l’Épître aux Hébreux étant elle, de facture hellénistique) dont les dispositions sont conservées par les « chrétiens » jusqu’en 70 — est encore un fondement de l'unité. « Hébreux » désigne (cf. Actes 7) les disciples du Christ judéens et galiléens, les distinguant des « Hellénistes », ceux de la diaspora communément hellénophones, tenants d’un judaïsme de tradition grecque, utilisant la Bible des LXX (à l’instar de l’Épître aux Hébreux) et dont un des théologiens / philosophes des plus significatifs est Philon d’Alexandrie (dont la pensée est prégnante dans l’Épître aux Hébreux).

Les auteurs du Nouveau Testament croient tous le Christ ressuscité. Les débats du Nouveau Testament se font entre tenants « chrétiens » de l’observance des préceptes de la Torah. La résurrection du Christ apparaît comme ouverture du Royaume attendu. C’est ce qui est au départ du débat sur la Loi : un nouveau pôle d’unité se fait jour : le Christ céleste et son Règne. Il ne s’agit pas de pas deux temps du même ordre pour deux alliances successives. Il s’agit d’un autre pôle d’unité, déjà mis en place côté paulinien. Le référentiel commun, l'unité donc, y compris pour les croyants en Christ, se fait cependant alors toujours autour de la pratique de la Torah, mouvance paulinienne incluse (cf. l’accord d’Actes 15 entre Jacques et Paul).

Les choses changent en 70. Un témoin en est l’auteur de l’Épître aux Hébreux — à la deuxième génération des disciples du Christ (cf. Hé 2, 4) ; un helléniste philonien écrivant d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Jésus-Christ de Jérusalem : les « Hébreux ».

En 70, il n’y aura plus de Temple. Que le Temple soit déjà détruit, ou que cela soit quelque temps avant en vue de l’imminence envisageable de ce moment depuis l’investissement total de Jérusalem par les troupes romaines, on pose des réflexions théologiques sur les conséquences de la destruction du centre référentiel du culte, le Temple.

L’Épître aux Hébreux est adressée à des croyants en Christ hébreux (2, 16 : de « la postérité d’Abraham », à l’instar, certes, des Hellénistes) — qui selon le livre des Actes des Apôtres, allaient tous les jours au Temple — et est écrite de la part d’un croyant au Christ, juif helléniste de mouvance philonienne (Spicq l’a abondamment montré).

Le « tabernacle spirituel » — modèle céleste du tabernacle terrestre (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — devient, en 70 ou en vue de la menace avérée en 70, une proposition de consolation contre la tentation de l’abandon de l’espérance du Royaume (et non pas d’un « nouveau » rite au profit d’un « ancien »).

L’Épître aux Hébreux ouvre vers un christianisme post-70 comme judaïsme (hellénistique) « réformé » (9, 10) suite à la destruction du Temple (en vue ou déjà avérée) — « transpositionné » en regard du tabernacle céleste (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — ; un tournant se dessine vers un nouveau rite — référant aux événements de la vie (et surtout de la mort) de Jésus. C'est une autre réforme que la réforme juive de Jamnia (90 env.) qui ne reconnaîtra plus dans celle de l’Épître aux Hébreux un judaïsme : la transposition chrétienne de la lecture de la Torah éloigne trop de cette dernière quant à la pratique concrète des mitsvoth et du rite. On n’est pas encore à la substitution, qui d‘étape en étape, deviendra effective en 313, avec changement de lieu référentiel : de Jérusalem à Rome (ou Constantinople).

Hébreux se situe dans la perspective qu’elle annonce dès les deux premiers versets — « les derniers jours » : ce n’est pas une alternative pour ce temps qui nous est proposée ; mais, en vis-à-vis de ce temps et de la Torah qui le rythme, se dessine une consolation dans la perspective de l’autre temps — signifié dans l’avènement de Jésus comme Christ, comme Fils.


R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
1) 8 & 10 octobre 2013
Introduction. — « Aux hébreux ». Statut du texte, destinataires, date, auteur (cf. ICI). — Le tabernacle céleste et Jésus. (PDF)


dimanche 22 septembre 2013

"Qui dites-vous que je suis ?"


« Qui dit-on que je suis ?... Et vous qui dites-vous que je suis ? » a demandé Jésus à ses disciples. Chez Matthieu la réponse est sous-entendue dans la première question de Jésus — en ces termes : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? » (Matthieu 16, 13-15 – trad. Segond)

Le Fils de Homme est cette figure, connue des disciples, qui annonce dans des livres comme Ézéchiel ou Daniel l’inauguration du Royaume de Dieu : il s'agit d'un être céleste, qui demeure auprès du Père, le Fils de l'Homme qui est dans les cieux — et qui vient sur la terre.

Jésus, qui vient donc de dire que c'est lui ce Fils de l'Homme, celui qui vient inaugurer et apporter le Royaume, renvoie alors les disciples à eux mêmes : qu'en est-il de votre perception ? Qui dites-vous que je suis ? De là la réponse de Pierre : « qui est-tu ? Mais, Fils de l'Homme, tu es donc le Christ — le Messie ! » D'où son refus de le voir mourir. À cette compréhension de Pierre (qui a compris... à sa façon : celui qui est venu du ciel ne peut mourir !), Jésus (Matthieu 16, 20 sq.) a répondu aux disciples qu'il sera crucifié, avant d'ajouter qu'il leur faut aussi se préparer (v, 24) : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » Voilà qui éclaire la question de Jésus ! : votre réponse vous engage... Notre réponse nous engage...



samedi 31 août 2013

Des scoops sur Jésus...


… Se ramassent à la pelle. Très à la mode, son « mariage », serpent de mer de ces dernières années, utile à l'audience médiatique. C’est France 5 qui nous resservait cela ce 30 août 2013




… À l'occasion de la récente mise en lumière d'un fragment de manuscrit, semblant resservir cette idée. Chacun des intervenants du documentaire, pourtant spécialiste, semble ignorer les conséquences du fait que ce fragment de manuscrit, s'il est authentique, est issu de milieux gnostiques — à l'instar de parties d'un Évangile dit de Philippe redécouvertes dans la collection gnostique de Nag-Hammadi, où l'on a cru trouver trace dudit « mariage », ce qui a fait la fortune de l'auteur du Da Vinci Code.

Or pour les gnostiques, Jésus n'est pas pourvu d'un corps semblable au nôtre, qui est matériel et doté de sens. Pas le sien ! Le terme que l'on retient, concernant cette idée gnostique, est celui de « docétisme », du grec dokein, qui signifie « sembler » : Jésus aurait semblé revêtir un corps matériel comme le nôtre, mais ce ne fut pas le cas…

Voilà qui est décidément assez peu entendu, malgré le fait que la presse-même a relayé cela (quand elle ne s'est pas arrêtée à la tentation tabloïd du scoop) : « Pour les gnostiques, Jésus était un être totalement spirituel. Son mariage avec Marie-Madeleine était, pour ce courant, exclusivement mystique et symbolique. [Il visait, pour ce courant, à] accréditer sa cosmogonie très compliquée ».
Tandis que « Les rabbis faisant autorité appuyaient cette autorité sur le fait d'être mariés et parents, d'avoir en quelque sorte réalisé pleinement le plan de Dieu pour l'homme pour pouvoir être réellement sages. […] Si Jésus avait été marié, il est probable que ses disciples auraient mis cet aspect en valeur comme une preuve de son autorité. » (Cf. Natalia Trouiller, in La Vie 19/09/2012.)

Au XIXe siècle, Jésus, kantien, était un professeur de morale. Au XXe, devenu marxiste, il était un précurseur du Che Guevara, après que, à l'opposé de l’échiquier politique, des scientifiques de l’Allemagne des années 1930 aient tenté d’expliquer qu'il n'était pas juif. Etc. Au temps actuel, où l’expérience sexuelle, après les temps où elle était quasi-interdite, est devenue obligatoire, voire « pour tous », on le retrouve forcément marié… à l'appui des gnostiques pour qui il n'est pas secret que le mariage était pour le moins suspect !

À quand le prochain scoop à l'ordre du jour ? — genre nouvelle découverte des ossements de Jésus, sachant ou pas que ce fondement de la foi chrétienne qu'est sa résurrection a toujours été inaccessible à la raison…


mercredi 28 août 2013

"Je fais un rêve" (1963 / 2013)


Le 28 août 1963, Martin Luther King « n’est qu’un parmi 16 intervenants et il n'a que 5 minutes […]. Martin Luther King a senti qu’il manquait un quelque chose qui distingue un grand discours d’un discours historique. Il l’a ajouté au dernier moment. […] Le discours a duré 17 minutes au lieu de 5. » (Béatrice Toulon)
Aujourd'hui, « le vrai sens du message de King est lamentablement bafoué. Peut-être parce qu’il ne rentre pas nettement dans une phrase choc de douze secondes ni un tweet de 140 caractères » (Tavis Smiley)


« Lorsque Martin Luther King a commencé à critiquer la guerre dans le Sud-Est asiatique, le président Lyndon B. Johnson a annulé l’invitation qu’il lui avait lancée de venir à la Maison-Blanche. Le Prix Nobel de la paix est devenu persona non grata. […] Dans les années qui ont suivi la Marche, la cote de popularité de Martin Luther King s’est effondrée. Mais il a continué à se battre. […] » (Tavis Smiley)


samedi 29 juin 2013

Mais quelle mouche a piqué Fath ?



Etrange article de S. Fath. Le sociologue, qui pour être « évangélique » n’en est pas moins habituellement très… comment dire… « Télérama compatible » (selon l’expression par laquelle lui-même qualifie « les certitudes » des « hommes d’appareil » de l’EPUdF et de la FPF), donne ici l’impression très nette de… se lâcher !… Avec modération toutefois, convoquant d’entrée un élu protestant lyonnais qu’il couvre de compliments… Bons points décernés comme pour dire qu’il ne les octroie pas, oh non !, aux présidents de l’EPUdF et de la FPF…

L’article commence par l’annonce de la « fusion » (sic !) que serait l’ « EPUF ». Avec l’ombre d’un regret : que ce phénomène « minoritaire » (il y insiste à plusieurs reprises) ait été quand même « l'événement protestant du mois [de mai 2013], et l'un des faits majeurs de l'année au sein des Eglises issues de la Réforme » — bien que la chose ait été « "montée en épingle" par ses promoteurs » (l’expression "montée en épingle", pour recevoir des guillemets, n’en est pas moins de S. Fath, qui semble ne pas trop goûter le fait que les luthéro-réformés essaient de leur mieux de prendre la leçon des évangéliques en matière de communication)…

Après cette introduction pour le moins imprécise, et après les bons points décernés à l’élu lyonnais, S. Fath passe donc au cœur de son propos, la « la tentation, jamais démentie chez les protestants français réformés, de préempter l'identité protestante à leur profit ». Pour cela, il attaque vivement… l’AFP !, visant une dépêche pour le moins lamentable, en effet. Le rapport avec l’EPUdF ? On se dit que S. Fath aurait pu se renseigner : l’AFP n’est pas un organe de l’EPUdF, ni de la FPF (elle aussi interpellée) ! Si comme le remarque à juste titre S. Fath, l’AFP a produit une phrase déplorable sur les évangéliques, est-ce forcément à l’EPUdF ou à la FPF d’envoyer « un correctif à l'AFP » ? Pourquoi pas le CNEF, puisqu’il semble que ce soit certains de ses membres qui seraient visés par la dépêche caricaturale, le CNEF ou telle ou telle Eglise évangélique (celle de S. Fath par ex.) ?

Voilà qui me rappelle une récrimination de certains de mes collègues évangéliques souhaitant que l’ERF, désormais EPUdF, soit pour eux l’interface organisant leur participation auprès des catholiques lors de la semaine de l’unité — alors qu’ils sont censés être participants à plein, en tant qu’Eglise souveraine au même titre que l’EPUdF.

Le sociologue, après avoir reproché au président de l’EPUdF de n’avoir pas fait la promotion des évangéliques dans une interview journalistique consacrée à l’union luthéro-réformée, chapitre le prochain président de la FPF (sans prendre en compte que les retranscriptions écrites des deux interviews ne rendent peut-être pas au mieux l’esprit des conversations initiales), lequel tiendrait des propos « mal informés » ; — le sociologue aurait été bien inspiré de s’informer lui-même auprès de ceux qu’il attaque, avant d’écrire sa diatribe, bardée d’inexactitudes dès sa première phrase. Ayant participé à mon humble mesure (à un plan synodal régional) au travail du processus d’union, je peux témoigner de l’insistance avec laquelle on a répété qu’il ne s’agissait pas de « fusion » (terme que S. Fath reprend systématiquement), mais d’union — et qu’il fallait écrire EPUdF (avec un d) et éviter l’abréviation EPUF (que S. Fath reprend à l’envi ici, et dans tous ses articles) : à éviter au motif que ce serait très gênant dans nos relations avec les Eglises allemandes — vu que Epuf y évoquerait… le bordel / Puff ! S. Fath n’est pas obligé de connaître l’allemand, mais enfin, on se renseigne… À moins qu’il n’ait voulu suggérer que la… « bordélique » diversité protestante demeure malgré tout au sein de la nouvelle « fusion » à laquelle il semble pourtant reprocher de l’oblitérer.

J’ajoute une information qui semble aussi avoir échappé à S. Fath : il ne corrige en effet aucun de ses commentateurs qui répètent l’erreur qui veut que la dénomination-même « EPUdF » soit « préemptioniste », entre autres par son « U » : sauf que le « U » de « Unie » répond notamment à une demande des… évangéliques, transmise par le président évangélique de la FPF d’alors : ce « Unie » permet de ne pas risquer de finir par résumer en usage courant le nom de la nouvelle Union en « Eglise Protestante », sachant qu’il y en a d’autres.

À un point de sa lecture, on ne peut s'empêcher de se demander si l’article de S. Fath n'a pas quelque chose d'une saute d’humeur en forme de lapsus révélateur : on est fondé à se demander si la fameuse « préemption réformée » ne relève pas en grande partie d’un fantasme né d’un complexe de minoritaires qui ne se sentent pas suffisamment « Télérama compatibles » (contrairement aux autres « hommes d’appareil », quant à des « certitudes maquillées en doutes », dont ils ne manquent pas d’user aussi à l’occasion comme les autres — une « Télérama compatibilité » souvent réelle, qui ne manque pas de m’agacer aussi).

Finalement, que ressort-il du coup de gueule de S. Fath — qui va jusqu’à friser le point Godwin en convoquant Marine Le Pen en regard de la dépêche déplorable de l’AFP mettant en cause les « populations immigrées » de mouvance pentecôtiste ? Propos de l’AFP effectivement condamnables. Mais à nouveau l’AFP n’est pas un organe de l’EPUdF — dans laquelle, à ma connaissance du moins, on n’a pas trouvé de pasteurs membres du FN, contrairement à ce qui a pu se voir côté évangélique.

Voilà un autre point où il y aurait à balayer chacun devant sa porte, outre le complexe de « préemption » des uns largement nourri par le complexe d’infériorité des autres.

Notons en outre que le processus d’union de l’EPUdF est bien plus prudent et humble que celui qui avait présidé à l’enthousiasme de la création de l’ERF en 1938, qui avait laissé plusieurs pans des Eglises de côté : nombre de méthodistes, une moitié des libristes, les « EREI » / UNEPREF. Avec l’EPUdF, aucune Eglise de l’ex-EELF ou de l’ex-ERF n’est restée de côté.

L’enthousiasme de 1938 n’est sans doute pas étranger à l’impression de certains, dont S. Fath, qu’il y aurait — « tentation jamais démentie chez les protestants français réformés » (sic) — une « étrange spécificité nationale qui fait sourire dans bien d'autres pays, où l'on sait fort bien que le protestantisme se conjugue au pluriel. » Les protestants luthéro-réformés français (S. Fath oublie systématiquement les luthériens : seuls les réformés, apparemment, seraient victimes de « l’impensé catholico-jacobin ») ne sont peut-être pas toujours si incultes que le suggère S. Fath : ils savent parfois eux aussi « fort bien », comme dans « bien d’autres pays », que « le protestantisme se conjugue au pluriel » ! À ce point, on a l’impression que S. Fath en est resté à un état-parenthèse de la sociologie réformée française post-1938, ce qui conduirait à lui suggérer une mise à jour de ses logiciels.

L’enthousiasme de 1938 a pu faire espérer une nouvelle forme d’union, ecclésiale, là où le protestantisme français n’était pas plus ignorant de son évidente diversité (organisée en partie de façon fédérative), voire division (d’où la démarche de 1938 voulant y remédier). La pluralité, la diversité, se conjuguent avec l’unité, contrairement à la division — cf. la question de la Cène résolue dans le respect des diversités pour les luthériens et réformés. La question de l’autre sacrement, le baptême, divise encore quand un très grand nombre d’évangéliques nient la validité du baptême administré par les luthériens et les réformés, certains allant jusqu’à leur refuser le titre de « chrétiens ». À ce point la polémique soulevée par S. Fath pourrait être à double tranchant et la « préemption » pourrait se retourner, invitant chacun à modérer son ton et à prendre garde à sa poutre dans l’œil…

Où il eût été plus évangélique (au sens non-confessionnel/dénominationnel du terme — mon usage du mot dans les lignes qui précèdent aurait mérité des guillemets : les luthéro-réformés le revendiquent aussi) — où il eût été plus évangélique, au sens propre donc, de la part de S. Fath, de lire dans un esprit de bienveillance, sinon de pardon, les propos retranscrits d’interviews orales des pasteurs qu’il met en cause (quand on sait en outre combien les retranscriptions journalistiques écrites peuvent parfois trahir volens nolens les propos tenus dans une conversation informelle, en éroder les pointes d’humour, etc.). En retour je ne doute pas que, dans le même esprit évangélique, les concernés pardonneront à S. Fath son étrange coup de sang.

Attitude plus fraternelle que de renvoyer les luthéro-réformés à René Girard en enjoignant les évangéliques à s'autoproclamer martyrs sous figure de « tiers-exclu ».

Dernier point, à titre d’info : on notera que le site de la paroisse de Poitiers de l’EPUdF consacre deux (2 !) onglets aux « autres Eglises protestantes de la ville » (qu’elles soient FPF, CNEF, ou sans rattachement para-local), présentées en termes bienveillants. On serait ravi de voir apparaître la réciproque sur leurs sites, que celui de l’EPUdF met en liens…

R.P.


lundi 17 juin 2013

Résurrection & vie éternelle



« Je crois [...] la résurrection de la chair et la vie éternelle. »

« Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. »


*

Résurrection — resurrectio (de resurgere) en latin, anastasis en grec — signifie littéralement « relèvement » (et donc, ici, relèvement d’entre les morts).

Si la notion relève, dans les Credo, de la foi, et de la foi en Christ ressuscité, elle correspond aussi, en soi, à un héritage philosophique, qui précède l’événement du dimanche de Pâques — c’est ce que souligne 1 Corinthiens 15 : « si les morts ne ressuscitent point, Christ non plus n'est pas ressuscité » (v. 17).

Un héritage reçu déjà auparavant par les pharisiens, et connu en Perse. C’est toute la question de la destinée humaine, et via l’homme qui conçoit cette notion, de la destinée de Création, qui est posée. L’intuition de l’éternité qui habite l’être humain passager (intuition « mise par Dieu dans le cœur de l’homme » — Ecc 3, 11) débouche sur des réflexions diverses, depuis celle de la mortalité en dépit de cette intuition (Ecc 9, 10), jusqu’à la conception de l’immortalité de l’âme (développée rationnellement par Platon). La notion de résurrection, qui ne reçoit, en général, pas l’aval des Grecs du premier siècle, admet que l’âme a pour fonction d’animer un corps, qui est pleinement constitutif de l’être humain : l’intuition de l’éternité concerne l’humain en son entier.

Les textes du Nouveau Testament mentionnant les apparitions du Ressuscité appuient cette approche là : le Christ ressuscité est doté de chair et d’os ! Ainsi là où le Symbole de Nicée-Constantinople parle de résurrection des morts, attend la résurrection des morts, le Symbole des Apôtres parle, lui, de résurrection de la chair, croit la résurrection de la chair — c’est-à-dire qu’il insiste sur l’idée que l’être humain est assumé en son entier dans l’éternité.

*

Dans l’Évangile selon Jean : « "Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi." Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu." » (Jean 20, 27-28)

Dans le même ordre d’idées, dans l’Évangile selon Luc, Jésus s’adresse aux disciples de la sorte (Luc 24, 39) : « Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Étrange invite que cette invite de Jésus… Scandale pour la raison que cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os ». Scandale pour la raison. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… et de professer la résurrection, mais pas vraiment « de la chair » !

C’est contre cela qu’en Jean, Jésus invite Thomas à toucher ses plaies. Et il y invite aussi les douze et avec eux, par leur intermédiaire, tous ceux qui viendront ensuite, nous : heureux ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Ici, on passe de la réflexion philosophique à la foi — « résurrection de la chair ». Car, quel est l’enjeu ? L’enjeu est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie, de notre vie « terrestre ».

Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques. Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté. Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu. C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !

… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité !… à la « vie éternelle » (Symbole de Apôtres — vitam aeternam), ou « vie des siècles » (Nicée-Constantinople — vitam ventúri saeculi / ζωὴν τοῦ μέλλοντος αἰῶνος).

On retrouve ici la notion de « siècles », ou « mondes » que l’on a vue en parlant de la création du monde — selon la configuration antique du monde — que l’on retrouve dans le grec de la louange finale du Notre Père : « aux siècles des siècles » « aïonia ») : c’est le même mot que « siècle / monde (à venir) » employé dans le Symbole de Nicée-Constantinople. C’est aussi le mot qui traduit le terme hébreu « ‘olam » qui l’on trouve dans Ecclésiaste 3, 11, et que l’on rend souvent par « éternité » — ainsi dans « la vie éternelle ».

Un vocabulaire qui, compte tenu de la vision du monde qu’il suppose (« monde étagé » en plusieurs niveaux, ou « cieux ») parle d’une vie, la nôtre, dotée d’une richesse spirituelle, vie éternelle que l’Évangile de Jean appelle parfois simplement « La Vie ». Confesser la vie éternelle suppose donc affirmer que la vie dont il est question dans les textes bibliques ne se limite pas à sa dimension biologique, ni même culturelle, mais que ces dimensions-là trouvent leur sens et leur plénitude dans une dimension qui les dépasse, comme un autre niveau d’être, « siècle », « monde », « ciel » qui dès maintenant, et sans limitation de temps, pas même par la mort, investi notre être entier :

« Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jean 11, 25-26).

« Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu » (Colossiens 3, 3).


R.P.
Une lecture protestante des Credo.

Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
8) 18 juin 2013 — Résurrection & vie éternelle