Une autre lecture de l’Épître aux Hébreux...
... Introduction (cf. ici : éléments d'introduction)
À première lecture, l’Épître aux Hébreux semble avoir comme message central qu’une alliance entre Dieu et le peuple biblique, l’ « ancienne alliance », celle reçue de Moïse, l’alliance mosaïque, a pris fin et qu’une « nouvelle alliance » — « chrétienne » — doit prendre place — ou a pris place, et qu’il faut en tirer les conséquences…
L’Épître serait ainsi essentiellement une exhortation à abandonner résolument une « ancienne alliance » devenue caduque — avec son sacerdoce — pour en adopter une « nouvelle » avec un nouveau sacerdoce. C’est ce qu’en lisent la plupart, sinon la totalité des commentaires, induisant en retour une lecture qui semble devoir s’imposer : un changement d’alliance.
C’est une approche des choses que l’on peut, et donc que l’on doit, interroger : Aux Hébreux pourrait être au contraire un texte de consolation de croyants en Christ vivant aux alentours de 70 (« en ces jours qui sont les derniers » — Hé 1, 2) en passe de perdre (ou ayant déjà perdu selon que l’on date le texte d’avant ou d’après 70) le référent cultuel traditionnel de l’alliance (qui est le leur) : le Temple. Une prédication épistolaire de consolation envoyée d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Christ « hébreux » — de Judée / Syrie-Palestine romaine.
Dans cette autre perspective, les commentaires dont on dispose posent problème. Y compris des travaux fort utiles sur d’autres points : Vanhoye (La structure littéraire de l'Épître aux Hébreux) et sa mise en lumière de la structure littéraire du texte, qui fait qu’il vaut mieux parler de sermon épistolaire que d’épître proprement dite ; Spicq (L'Épître aux Hébreux), qui a montré de manière irréfutable la formation philosophique de l’auteur dans la mouvance de Philon d’Alexandrie — élément décisif, devenu incontournable, de la lecture de Aux Hébreux.
Mais au-delà de ces richesses dégagées — parmi d’autres —, demeure la question de la relation du texte aux Hébreux avec l’alliance mosaïque : ne peut-on pas l’envisager autrement que comme ce qui revient au fond à une substitution, substitution d’une nouvelle alliance en Christ à celle, ancienne, de Moïse ?
Le tabernacle céleste et Jésus
S’il y a au fond essentiellement une seule alliance (cf. Calvin – IC II, X, 2 – cela est aujourd’hui acquis), indéfectible, si la « nouvelle » alliance est d’une façon ou d’une autre la même et unique alliance « inscrite dans les cœurs » — cf. Jér 31 // Héb 8 —, il n’y a dès lors aucune raison d’en abandonner les prescriptions, d’abandonner les dispositions de la loi de Moïse ! — observées par Jésus ! On est alors au cœur de la question qui habite l’auteur du texte aux Hébreux.
Jusqu’en l’an 70, tous les « chrétiens » (y compris Paul) entendent s’en référer — avec certes des variantes — à l’observance de la Torah. La pratique des rites du judaïsme — « hébreu » (l’Épître aux Hébreux étant elle, de facture hellénistique) dont les dispositions sont conservées par les « chrétiens » jusqu’en 70 — est encore un fondement de l'unité. « Hébreux » désigne (cf. Actes 7) les disciples du Christ judéens et galiléens, les distinguant des « Hellénistes », ceux de la diaspora communément hellénophones, tenants d’un judaïsme de tradition grecque, utilisant la Bible des LXX (à l’instar de l’Épître aux Hébreux) et dont un des théologiens / philosophes des plus significatifs est Philon d’Alexandrie (dont la pensée est prégnante dans l’Épître aux Hébreux).
Les auteurs du Nouveau Testament croient tous le Christ ressuscité. Les débats du Nouveau Testament se font entre tenants « chrétiens » de l’observance des préceptes de la Torah. La résurrection du Christ apparaît comme ouverture du Royaume attendu. C’est ce qui est au départ du débat sur la Loi : un nouveau pôle d’unité se fait jour : le Christ céleste et son Règne. Il ne s’agit pas de pas deux temps du même ordre pour deux alliances successives. Il s’agit d’un autre pôle d’unité, déjà mis en place côté paulinien. Le référentiel commun, l'unité donc, y compris pour les croyants en Christ, se fait cependant alors toujours autour de la pratique de la Torah, mouvance paulinienne incluse (cf. l’accord d’Actes 15 entre Jacques et Paul).
Les choses changent en 70. Un témoin en est l’auteur de l’Épître aux Hébreux — à la deuxième génération des disciples du Christ (cf. Hé 2, 4) ; un helléniste philonien écrivant d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Jésus-Christ de Jérusalem : les « Hébreux ».
En 70, il n’y aura plus de Temple. Que le Temple soit déjà détruit, ou que cela soit quelque temps avant en vue de l’imminence envisageable de ce moment depuis l’investissement total de Jérusalem par les troupes romaines, on pose des réflexions théologiques sur les conséquences de la destruction du centre référentiel du culte, le Temple.
L’Épître aux Hébreux est adressée à des croyants en Christ hébreux (2, 16 : de « la postérité d’Abraham », à l’instar, certes, des Hellénistes) — qui selon le livre des Actes des Apôtres, allaient tous les jours au Temple — et est écrite de la part d’un croyant au Christ, juif helléniste de mouvance philonienne (Spicq l’a abondamment montré).
Le « tabernacle spirituel » — modèle céleste du tabernacle terrestre (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — devient, en 70 ou en vue de la menace avérée en 70, une proposition de consolation contre la tentation de l’abandon de l’espérance du Royaume (et non pas d’un « nouveau » rite au profit d’un « ancien »).
L’Épître aux Hébreux ouvre vers un christianisme post-70 comme judaïsme (hellénistique) « réformé » (9, 10) suite à la destruction du Temple (en vue ou déjà avérée) — « transpositionné » en regard du tabernacle céleste (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — ; un tournant se dessine vers un nouveau rite — référant aux événements de la vie (et surtout de la mort) de Jésus. C'est une autre réforme que la réforme juive de Jamnia (90 env.) qui ne reconnaîtra plus dans celle de l’Épître aux Hébreux un judaïsme : la transposition chrétienne de la lecture de la Torah éloigne trop de cette dernière quant à la pratique concrète des mitsvoth et du rite. On n’est pas encore à la substitution, qui d‘étape en étape, deviendra effective en 313, avec changement de lieu référentiel : de Jérusalem à Rome (ou Constantinople).
Hébreux se situe dans la perspective qu’elle annonce dès les deux premiers versets — « les derniers jours » : ce n’est pas une alternative pour ce temps qui nous est proposée ; mais, en vis-à-vis de ce temps et de la Torah qui le rythme, se dessine une consolation dans la perspective de l’autre temps — signifié dans l’avènement de Jésus comme Christ, comme Fils.
R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux
Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
1) 8 & 10 octobre 2013
... Introduction (cf. ici : éléments d'introduction)
À première lecture, l’Épître aux Hébreux semble avoir comme message central qu’une alliance entre Dieu et le peuple biblique, l’ « ancienne alliance », celle reçue de Moïse, l’alliance mosaïque, a pris fin et qu’une « nouvelle alliance » — « chrétienne » — doit prendre place — ou a pris place, et qu’il faut en tirer les conséquences…
L’Épître serait ainsi essentiellement une exhortation à abandonner résolument une « ancienne alliance » devenue caduque — avec son sacerdoce — pour en adopter une « nouvelle » avec un nouveau sacerdoce. C’est ce qu’en lisent la plupart, sinon la totalité des commentaires, induisant en retour une lecture qui semble devoir s’imposer : un changement d’alliance.
C’est une approche des choses que l’on peut, et donc que l’on doit, interroger : Aux Hébreux pourrait être au contraire un texte de consolation de croyants en Christ vivant aux alentours de 70 (« en ces jours qui sont les derniers » — Hé 1, 2) en passe de perdre (ou ayant déjà perdu selon que l’on date le texte d’avant ou d’après 70) le référent cultuel traditionnel de l’alliance (qui est le leur) : le Temple. Une prédication épistolaire de consolation envoyée d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Christ « hébreux » — de Judée / Syrie-Palestine romaine.
Dans cette autre perspective, les commentaires dont on dispose posent problème. Y compris des travaux fort utiles sur d’autres points : Vanhoye (La structure littéraire de l'Épître aux Hébreux) et sa mise en lumière de la structure littéraire du texte, qui fait qu’il vaut mieux parler de sermon épistolaire que d’épître proprement dite ; Spicq (L'Épître aux Hébreux), qui a montré de manière irréfutable la formation philosophique de l’auteur dans la mouvance de Philon d’Alexandrie — élément décisif, devenu incontournable, de la lecture de Aux Hébreux.
Mais au-delà de ces richesses dégagées — parmi d’autres —, demeure la question de la relation du texte aux Hébreux avec l’alliance mosaïque : ne peut-on pas l’envisager autrement que comme ce qui revient au fond à une substitution, substitution d’une nouvelle alliance en Christ à celle, ancienne, de Moïse ?
Le tabernacle céleste et Jésus
S’il y a au fond essentiellement une seule alliance (cf. Calvin – IC II, X, 2 – cela est aujourd’hui acquis), indéfectible, si la « nouvelle » alliance est d’une façon ou d’une autre la même et unique alliance « inscrite dans les cœurs » — cf. Jér 31 // Héb 8 —, il n’y a dès lors aucune raison d’en abandonner les prescriptions, d’abandonner les dispositions de la loi de Moïse ! — observées par Jésus ! On est alors au cœur de la question qui habite l’auteur du texte aux Hébreux.
Jusqu’en l’an 70, tous les « chrétiens » (y compris Paul) entendent s’en référer — avec certes des variantes — à l’observance de la Torah. La pratique des rites du judaïsme — « hébreu » (l’Épître aux Hébreux étant elle, de facture hellénistique) dont les dispositions sont conservées par les « chrétiens » jusqu’en 70 — est encore un fondement de l'unité. « Hébreux » désigne (cf. Actes 7) les disciples du Christ judéens et galiléens, les distinguant des « Hellénistes », ceux de la diaspora communément hellénophones, tenants d’un judaïsme de tradition grecque, utilisant la Bible des LXX (à l’instar de l’Épître aux Hébreux) et dont un des théologiens / philosophes des plus significatifs est Philon d’Alexandrie (dont la pensée est prégnante dans l’Épître aux Hébreux).
Les auteurs du Nouveau Testament croient tous le Christ ressuscité. Les débats du Nouveau Testament se font entre tenants « chrétiens » de l’observance des préceptes de la Torah. La résurrection du Christ apparaît comme ouverture du Royaume attendu. C’est ce qui est au départ du débat sur la Loi : un nouveau pôle d’unité se fait jour : le Christ céleste et son Règne. Il ne s’agit pas de pas deux temps du même ordre pour deux alliances successives. Il s’agit d’un autre pôle d’unité, déjà mis en place côté paulinien. Le référentiel commun, l'unité donc, y compris pour les croyants en Christ, se fait cependant alors toujours autour de la pratique de la Torah, mouvance paulinienne incluse (cf. l’accord d’Actes 15 entre Jacques et Paul).
Les choses changent en 70. Un témoin en est l’auteur de l’Épître aux Hébreux — à la deuxième génération des disciples du Christ (cf. Hé 2, 4) ; un helléniste philonien écrivant d’Italie (Hé 13, 24) aux croyants en Jésus-Christ de Jérusalem : les « Hébreux ».
En 70, il n’y aura plus de Temple. Que le Temple soit déjà détruit, ou que cela soit quelque temps avant en vue de l’imminence envisageable de ce moment depuis l’investissement total de Jérusalem par les troupes romaines, on pose des réflexions théologiques sur les conséquences de la destruction du centre référentiel du culte, le Temple.
L’Épître aux Hébreux est adressée à des croyants en Christ hébreux (2, 16 : de « la postérité d’Abraham », à l’instar, certes, des Hellénistes) — qui selon le livre des Actes des Apôtres, allaient tous les jours au Temple — et est écrite de la part d’un croyant au Christ, juif helléniste de mouvance philonienne (Spicq l’a abondamment montré).
Le « tabernacle spirituel » — modèle céleste du tabernacle terrestre (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — devient, en 70 ou en vue de la menace avérée en 70, une proposition de consolation contre la tentation de l’abandon de l’espérance du Royaume (et non pas d’un « nouveau » rite au profit d’un « ancien »).
L’Épître aux Hébreux ouvre vers un christianisme post-70 comme judaïsme (hellénistique) « réformé » (9, 10) suite à la destruction du Temple (en vue ou déjà avérée) — « transpositionné » en regard du tabernacle céleste (Hé 8, 5. Cf. Ex 25, 40) — ; un tournant se dessine vers un nouveau rite — référant aux événements de la vie (et surtout de la mort) de Jésus. C'est une autre réforme que la réforme juive de Jamnia (90 env.) qui ne reconnaîtra plus dans celle de l’Épître aux Hébreux un judaïsme : la transposition chrétienne de la lecture de la Torah éloigne trop de cette dernière quant à la pratique concrète des mitsvoth et du rite. On n’est pas encore à la substitution, qui d‘étape en étape, deviendra effective en 313, avec changement de lieu référentiel : de Jérusalem à Rome (ou Constantinople).
Hébreux se situe dans la perspective qu’elle annonce dès les deux premiers versets — « les derniers jours » : ce n’est pas une alternative pour ce temps qui nous est proposée ; mais, en vis-à-vis de ce temps et de la Torah qui le rythme, se dessine une consolation dans la perspective de l’autre temps — signifié dans l’avènement de Jésus comme Christ, comme Fils.
R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux
Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
1) 8 & 10 octobre 2013
Introduction. — « Aux hébreux ». Statut du texte, destinataires, date, auteur (cf. ICI). — Le tabernacle céleste et Jésus. (PDF)
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