dimanche 28 juin 2020

"Qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé"


Prédication in extenso
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2 Rois 4, 8-16 ; Psaume 89 ; Romains 6, 3-11 ; Matthieu 10, 37-42

2 Rois 4, 8-16
8 Il advint un jour qu’Élisée passa à Shounem. Il y avait là une femme de condition, qui le pressa de prendre un repas chez elle. Depuis lors, chaque fois qu’il passait, il s’y rendait pour prendre un repas.
9 La femme dit à son mari : « Je sais que cet homme qui vient toujours chez nous est un saint homme de Dieu.
10 Construisons donc sur la terrasse une petite chambre ; nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe ; quand il viendra chez nous, il pourra s’y retirer. »
11 Un jour, Élisée vint chez eux ; il se retira dans la chambre haute et y coucha.
12 Il dit à son serviteur Guéhazi : « Appelle cette Shounamite ! » Il l’appela et elle se tint devant le serviteur.
13 Élisée dit à son serviteur : « Dis-lui : Tu nous as témoigné toutes ces marques de respect. Que faire pour toi ? Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l’armée ? » Elle répondit : « Je vis tranquille au milieu des miens. »
14 Il dit : « Mais que faire pour elle ? » Guéhazi répondit : « Hélas ! Elle n’a pas de fils, et son mari est âgé. »
15 Il dit : « Appelle-la ! » Il l’appela et elle se tint à l’entrée.
16 Il dit : « A la même époque, l’an prochain, tu serreras un fils dans tes bras. » Elle dit : « Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante. »

Matthieu 10, 37-42
37 « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.
38 Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
39 Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera.
40 « Qui vous accueille m’accueille moi-même, et qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé.
41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.
42 Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense. »

*



Qu’a fait cette femme, accueillant le prophète Élisée ? Elle a accueilli, à travers son prophète, Celui qui l’a envoyé. Pour cela, elle s’est montrée non-propriétaire de ses propres biens, y renonçant sans même qu’elle le sache, devinant sans le savoir la Source éternelle de ses biens — Source dont parle le prophète.

Un renoncement qui s’illustre dans le fait que le texte biblique ne la nomme même pas, non plus que son mari (tout ce que l’on sait, c’est qu’ils sont de Shounem). « Qui perdra sa vie à cause de moi », dit Jésus, en qui se manifeste la Source éternelle de tout bien, « qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera ». C’est là la « récompense » dont il parle : trouver la vie.

Terme étrange que ce mot « récompense », qui (sachant le mot choisi par Jésus : salaire, rémunération) pourrait paraître dire qu’il s’agit d’acheter un bénéfice, ou au moins d’être payé en retour pour une œuvre. Or c’est précisément cela, un bénéfice en retour, à quoi a renoncé la femme et son mari accueillant Élisée — qui lui propose : « “Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l’armée ?” Elle répondit : “Je vis tranquille au milieu des miens.” » (2 R 4, 13). Bref : « Je ne veux rien, je n’ai besoin de rien ».

Renoncer pour trouver la vie. Trouver la vie : c’est le signe qu’elle va recevoir, à travers un don qu’elle n’a pas demandé, fruit de la bénédiction de son couple qu’elle reçoit d’Élisée, écho à la Genèse : « Dieu les bénit en disant : soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1, 28) — « À la même époque, l’an prochain, tu serreras un fils dans tes bras » (2 R 4, 16). Ce qui va advenir (v. 17) — et malgré le fait qu’elle n’a rien demandé, et malgré ses doutes sérieux (v. 16b). C’est un signe que nous donne le récit, bénédiction concrète pour la femme, signe pour nous tous .

Signe seulement, via une parole performative du prophète, c’est-à-dire parole qui produit ce qu’elle dit, mais pas phénomène automatique et nécessaire, genre ce qu’on désigne en général comme « magique », sans quoi le signe serait vide, et se résumerait à une forme de rémunération ! Or il s'agit d’un signe de réception de la vie — « qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera ».

*

Renoncer à tout ce qui nous est cher… « Qui aime père et mère, ou fils et fille plus que moi n’est pas digne de moi. » De quoi s'agit-il ? De renoncer, à tout, jusqu’à soi-même, et ceux qui nous sont chers, pour fonder de vraies relations. En refondant les relations. Selon un renoncement qui permet de pardonner enfin, et de vivre côte à côte dans la liberté. La Shunamite n’obtient son enfant, ne trouve son enfant, que d’avoir renoncé ! Et pour cela d’avoir accueilli le Dieu que nul n’a jamais vu en accueillant celui qui lui en a porté la parole.

Alors, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir, un monde de relations humaines basées sur un dialogue reconnaissant que l'autre, fût-il notre enfant, notre père ou notre mère, n’est ni une reproduction de nous-mêmes, ni l’anti-image qu’il nous faudrait fuir ; qu’il est lui aussi un être à l'image de Dieu manifestée en Christ : « qui vous reçoit me reçoit, qui me reçoit reçoit celui qui m'a envoyé » (v. 40).


Prédication in extenso
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samedi 20 juin 2020

Elle retenait tous ces événements dans son cœur


Cultes et prédications
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Luc 2, 41-51
41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans, comme ils y étaient montés suivant la coutume de la fête
43 et qu’à la fin des jours de fête ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s’en aperçoivent.
44 Pensant qu’il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne l’ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem en le cherchant.
46 C’est au bout de trois jours qu’ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger.
47 Tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur l’intelligence de ses réponses.
48 En le voyant, ils furent frappés d’étonnement et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés. »
49 Il leur dit : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
50 Mais eux ne comprirent pas ce qu’il leur disait.
51 Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth ; il leur était soumis ; et sa mère retenait tous ces événements dans son cœur.

*



Avant de commenter brièvement le texte que nous venons d’entendre, un mot de remerciements à l’équipe de RCF Poitou qui m’a ouvert ses ondes pour le temps de confinement qui a commencé à prendre fin. Merci tout particulièrement à Mickaël Lahcen et Eric Godailler, à la maison diocésaine, et à vous toutes et tous qui m’avez écouté depuis trois mois dans ces méditations quotidiennes, qui prennent terme aujourd’hui.

Notre texte d’aujourd’hui nous parle de ce que, dans la tradition biblique, les enfants vivent un tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes. Ils sont alors déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu’ils ont entendu jusque là. Responsables, c’est-à-dire en capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de — et notamment répondre de la parole reçue.

C’est là ce que le judaïsme appellera « bar-mitsvah », ce qui signifie « enfant du commandement ».

Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C’est le passage à l’âge de la majorité religieuse.

Jésus aussi est passé par là. Ce jour-là, il se situe devant la parole de Dieu en présence de docteurs de la Loi étonnés. « Du ciel, il t’a fait entendre sa voix pour faire ton éducation » dit le Deutéronome (ch. 4, v. 36). Jésus vient de dévoiler qu’il est au cœur de cette relation intime avec Dieu. Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque. Tout le début de l’Évangile de Luc les montre observant la Torah. Scènes ordinaires de la vie religieuse. Ici Jésus, atteignant l’âge de la responsabilité religieuse, va exprimer dans tout son sens ce qu’est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.

Cela correspond à sa parole : « il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » : une leçon pour ses parents, et aussi pour nous-mêmes — et comme parents et comme enfants. Jésus nous en donne l’exemple : devenir enfant de Dieu, c’est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin de toute dépendance, y compris du regard d’autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. Jésus s’occupe des affaires de son Père. Et c’est ce que le Père céleste — mon Père et votre Père, dit Jésus — nous demande aussi.


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vendredi 19 juin 2020

Révélé aux tout-petits : un joug léger



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Matthieu 11, 25-30
25 En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.
26 Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.
27 Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
28 « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos.
29 Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.
30 Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. »

*



N’est-ce pas se leurrer que prétendre avoir accédé à une sagesse telle que les mystères, et jusqu’au mystère de Dieu ou de l’univers, nous seraient devenus moins opaques ? Qu’est-ce que cet aveuglement, que n’ont pas les enfants, qui pousse au fond à mépriser les capacités rationnelles de son prochain, ou des hommes et femmes du passé, ou d’autres continents et d’autres sagesses ? Être dans une lumière telle qu'on se place au-dessus de tout — y compris finalement de la grâce, qui est d'abord surprise et étonnement.

La lumière de Dieu est celle qui éblouit et aveugle celui, celle, qui ainsi, confesse être aveugle. C'est cette lumière que porte Jésus, sagesse mystérieuse et cachée, que le monde ne reçoit pas. « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ».

La mise en valeur de la foi et de l’étonnement ne veut pas dire, loin s’en faut, que Jésus nous dispenserait de tout effort intellectuel, de tout apprentissage ! Il ne s’agit pas, sous prétexte que Jésus a donné les enfants en exemple face aux prétendues intelligences supérieures, de s’imaginer qu’il condamne l’intelligence et la sagesse. Non, il condamne ceux qui à force d’en être imbus se montrent ni sages ni intelligents. La force de l’enfant est sa capacité à s’étonner. C’est ce que Jésus exalte : une aptitude à recevoir celui que nul ne connaît sinon celui à qui le Fils veut bien le révéler.

Or, demeurer ainsi dans l’humilité quant à la vie devant Dieu, quant à la pratique de la justice, voilà qui est réellement reposant, voilà qui est un joug extrêmement léger, surtout face aux spécialistes de ce qui est bien et de ce qui est mal,… en général pour autrui. Pour ceux qui entendent la parole de Jésus, la Loi devient bonne nouvelle — c’est-à-dire Évangile —, une mise en marche qui libère de tout poids, un vrai repos.

Voilà donc deux aspects de la relation à la Loi divine que nous propose ici Jésus. Écouter ce qu’elle dit avec humilité, sans croire savoir — c’est la sagesse, comme celle des enfants — pour connaître cet élément essentiel de la relation avec Dieu, l’humilité précisément, qui est d’un accès si difficile aux sages.

Et l’intériorisant ainsi, découvrir combien dès lors ce joug devient léger, le joug de Jésus, sous son regard, dans l’humilité, sans rien à prouver à quiconque, surtout pas à ceux qui savent, ou qui l’imaginent, et qui du coup, ignorent ce cœur de la parole révélée. Dès lors, « ne vous inquiétez donc pas » et ayez confiance en Dieu pour toute chose.


jeudi 18 juin 2020

Notre Père



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Matthieu 6, 7-15
7 Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer.
8 Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
9 « Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux,
fais connaître à tous qui tu es,
10 fais venir ton Règne,
fais se réaliser ta volonté
sur la terre à l’image du ciel.
11 Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin,
12 pardonne-nous nos torts envers toi,
comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,
13 et ne nous conduis pas dans la tentation,
mais délivre-nous du Tentateur.
14 « En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ;
15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes. »

*



« Notre Père » — voilà qui nous place d’emblée dans l’intimité de Dieu : Père céleste, cieux intérieurs. Intimité donc, comme Jésus qui se retire pour prier au point que les disciples ne savent pas comment il prie. Souvenons-nous qu’il vient de dire : « entre dans ta chambre, ferme la porte » et place toi devant Dieu au-delà d’un rabâchage et d’une multiplication de mots dignes d’un culte des idoles…

Cinq demandes — résumant les cinq livres du recueil des Psaumes, qui reprennent eux-mêmes les cinq livres de la libération vers le Royaume qu’est la Torah. Cinq demandes donc, selon Luc, développées en sept chez Matthieu — deux demandes de Matthieu étant une seconde partie explicative d’une même demande.

Première demande : « Que ton nom soit sanctifié », c'est-à-dire mis à part, jamais prononcé en vain, considéré avec un respect profond, répercuté comme respect du prochain, ce qui fait rejoindre un des thèmes de cette sanctification du Nom dans les livres prophétiques, qui concerne la venue du Royaume — où Dieu sanctifie lui-même son nom en accomplissant sa promesse.

Et effectivement cette première demande est suivie de la demande de la venue du Règne de Dieu, par l’accomplissement de sa volonté jusque sur cette terre en désordre : « que ton règne vienne » s'explique en « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », c’est-à-dire, ici-bas : l’observance des préceptes de la Bible.

En chemin vers ce Règne de Dieu, « donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour »… Un pain de ce jour qui est plus que l’indispensable nourriture périssable. Le terme choisi l’indique clairement. Référence à la manne ; nourriture éternelle qui est d'être pardonné et accepté, d'avoir trouvé un père… Notre Père.

Suit la plus troublante de ces cinq demandes, celle concernant le pardon : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à qui nous a offensés ». Le mot rendu dans Luc par « péché », ou « offense », ou « manquement », peut aussi être rendu par « dette », selon le choix de Matthieu — le sens « péché » étant une dimension spirituelle de la dette. Or l'instauration du Royaume commence selon les prophètes par une remise des dettes, expression de la remise par Dieu de nos dettes. Sachant que la dette est trop infinie pour être remboursée. Une libération, remise des dettes par Dieu, qui se signifie dans nos remises de dettes. C’est le sens du « comme nous remettons », repris et expliqué par Matthieu après la prière.

La prière se termine comme combat dans l’épreuve, similaire à l’épreuve au désert, dans la Torah, reprise dans les Psaumes, et par Jésus priant les Psaumes à Gethsémané : nous aussi quand nous sommes dans l’épreuve qu’il faut traverser dans ce chemin de désert vers ton Règne, tentés de baisser les bras, « fais que nous n’y sombrions pas » ; et en Matthieu, Jésus précise : « mais que nous soyons délivrés du Mauvais ».

Cinq demandes, cinq livres des Psaumes, pour traverser le désert vers le Règne dans la puissance et la gloire du Père, Règne déjà réel, pour tous les siècles…


mercredi 17 juin 2020

Justice, prière et jeûne



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Matthieu 6, 1-6 & 16-18
1 « Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
2 Quand donc tu fais l’aumône, ne le fais pas claironner devant toi, comme font les hypocrites dans les assemblées et dans les rues, en vue de la gloire qui vient des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
3 Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
4 afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
5 « Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les assemblées et les carrefours, afin d’être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
6 Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
[…]
16 « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense.
17 Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage,
18 pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »

*



Dans son roman Le Nom de la rose, Umberto Eco met en scène un vieux moine qui juge que l’humour n’a pas sa place dans une saine piété de disciple de Jésus. La chose l’obsède au point qu’il en devient assassin de quiconque voudrait lire le livre disparu d’Aristote sur la comédie…

Étrange façon de comprendre Jésus que de penser qu’il est contre l’humour. À lire attentivement l’enseignement qu’il donne en ce ch. 6 de l’Évangile selon Matthieu, on imagine plutôt les disciples riant comme des enfants.

Voilà en effet Jésus qui met en scène de dignes religieux faisant sonner de la trompette pour que tout le monde voit leur générosité, leur piété, leur humilité ! ou leurs symboles, Bible montrée, chapelet bien visible, missel, que sais-je !

Trois fois, à chacun des trois temps de son propos, Jésus les traite d’acteurs — puisque c’est ce que signifie le mot grec rendu ici par « hypocrites » : acteurs, en l’occurrence comédiens pour commencer, tragédiens au bout du compte, qui ont reçu comme le tout de leur bénéfice le fait d’avoir été applaudis par les spectateurs de leur religiosité !

Dans ce tissu de douce ironie, Jésus n’en enseigne pas moins ce qui est requis en matière de justice, de prière et de solidarité. Le but n’est pas de se mettre en scène en concurrençant les acteurs !

En matière de justice, puisque c’est le terme grec qui est employé : « Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour attirer leurs regards » ; mot qui correspond au mot hébreu pour parler ce que qu’on appelle l’aumône : tsedaqa, c’est-à-dire justice. Le déséquilibre que produit la richesse qui fait qu’il y a des pauvres, est appelé à être corrigé. Les gestes de générosité, à savoir l’aumône, qui n’a donc rien d’une condescendance facultative, traduisent concrètement le rétablissement requis d’une justice rompue par le déséquilibre des richesses. Pas de quoi faire les acteurs dans une mise en scène de ce qui n’est que justice.

Et que dire de la prière qu’il agit de vivre secrètement ! Pas en se faisant remarquer dans les assemblées, selon la signification du mot grec synagogue, qui vaut pour toutes les assemblées, y compris chrétiennes, puisque dans le Nouveau Testament ce mot peut désigner aussi bien les assemblées d’Église (ainsi dans l’Épître de Jacques ou l’Épître aux Hébreux). Bref la prière en public n’est pas ce que conseille Jésus, ni ce qu’il pratique, au point que dans Luc les disciples lui demandent comment prier… Pour Jésus la prière est non seulement privée, mais intime (ta chambre intérieure). La seule prière énoncée en public relève de la liturgie, surtout pas d’un étalage digne d’acteurs qui en fait tout sauf une prière sincère.

Pareil pour le jeûne : inutile de mettre en scène une figure déconfite qui débouche de ce fait sur un déni de solidarité, quand — comme le prophète Ésaïe le disait déjà (ch. 58), de la façon la plus éloquente — le jeûne est solidarisation avec celles et ceux qui manquent de ce dont on se prive un temps pour entrer en vraie empathie avec eux. Mystérieusement, « dans le secret », le Père agit…


mardi 16 juin 2020

Aimez vos ennemis !



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Matthieu 5, 43-48
43 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44 Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.
46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

*



On ne trouve nulle part dans la Torah l'idée qu'il faudrait haïr tel ou tel ennemi ! Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante, laxiste, limitative, qu’on est toujours tenté de faire du commandement « Tu aimeras ton prochain ». Disant « vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi », Jésus ne fait que pointer les limites que l'on impose au commandement, ce qui revient à faire dire à la Bible que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, de la couleur de peau, que sais-je encore… C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur inventant une autre Torah, mais témoin exigeant d’un enseignement biblique qu’on ne prend pas assez au sérieux.

Un enseignement à valeur universelle, aussi universelle que l’éclat du soleil ou la bénédiction de la pluie : pour toutes et tous ! Une universalité concrète.

C’est contre le refus de cette universalité concrète qu’aujourd’hui le monde se lève, de Minneapolis à Washington et à Paris. Des deux côtés de l’Atlantique et ailleurs, des années 1960 des Droits civiques à aujourd'hui, même constat… Même déni d'un héritage esclavagiste et colonial à exorciser enfin de l'inconscient collectif…

C'est dans le contexte de la lutte pour les Droits civiques de M. L. King et des obstacles qu'il rencontre que James Baldwin écrit La prochaine fois, le feu, parlant de ses contemporains ayant été et restant — je cite — « stupéfaits par l’holocauste dont l’Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j’avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l’aveuglette. » James Baldwin écrit cela en 1963 (trad. fr. La prochaine fois, le feu, éd. folio, p. 77).

Aujourd’hui, la même exigence — « vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » — cette même exigence que celle que réclamait Jésus de ceux qui l’écoutaient, est requise de nous, pour un véritable exorcisme de nos inconscients collectifs des mêmes reliquats racistes que ceux de l’Allemagne nazie, qui n’avaient pas disparu en 1963, et qu’il faudra bien regarder en face, pour que notre monde devienne enfin fraternel et heureux.


lundi 15 juin 2020

La gifle et la joue



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Matthieu 5, 38-42
38 « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent.
39 Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre.
40 A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau.
41 Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
42 A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.

*



La gifle et l’autre joue… Que n’a-t-on pas entendu, le plus souvent sur le mode de l’ironie sur cette parole de Jésus, parole qui débouche sur celle qui la suit : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v. 44). Au jour où Jésus prononce ces paroles, les Romains qui ont colonisé le pays, y ont tous les droits. Il semble normal de plutôt les haïr, de vouloir se venger de toutes les exactions dont ils sont les auteurs.

Jésus fait allusion à quelques aspects de l'oppression romaine, que ses contemporains ne connaissaient que trop. Par exemple, les Romains occupants pouvaient réquisitionner les populations pour telle ou telle tâche (ainsi les « mille pas » en question au v. 41). Pratique courante de la réquisition en temps de domination.

Sachant cela, Jésus, loin d’un invraisemblable utopiste, apparaît comme tout-à-fait réaliste, d’une façon qui, elle, n’est pas sans ironie.

Ce faisant, commentant la loi biblique du talion, il ne la remet pas en cause, mais la situe à sa place : le talion n’a pas vocation à être une attitude individuelle s’apparentant à la « vendetta ». C’est au contraire une institution juridique qui pose les principes mettant terme à la « vendetta » : ne te venge pas toi-même, mais remets-t’en à la justice, institution commune dont le principe doit être l’équilibre. C’est cela, le talion biblique. Mais que faire lorsqu’il n’y a plus de justice, lorsque le pouvoir n’a d’autre fin qu’asseoir le plus fort, ici Rome ? Se confronter à un mur de frustration en prétendant, en vain, se faire justice soi-même, selon un talion détourné de sa signification ? Ce qui revient en outre à s’infliger à soi-même une double peine : non seulement des torts m’ont été faits, mais en plus, je suis chargé d’un ressentiment impuissant, celui d’une impossible vengeance !

Laisse agir la vengeance céleste, enseigne le livre des Proverbes (25, 21-22) cité par Paul (Ro 12, 19-21), proverbe biblique dont la forme africaine donne : « assieds-toi devant ta case, tu finiras par voir passer le cadavre de ton ennemi ». On n’est pas loin de la sagesse ironique de Jésus, qui ouvre en outre carrément sur la liberté de la compassion, même pour l’ennemi et le persécuteur : quelle est la souffrance intérieure qui l’a conduit à son injustice, à sa méchanceté ? Prie pour lui, porte-le devant Dieu, sois pleinement libéré de la tentation de t’infliger toi-même la double peine. Liberté inouïe de Jésus derrière sa parole sur la gifle et la joue, liberté qu’il nous appelle à faire nôtre.


dimanche 14 juin 2020

"Le pain vivant qui descend du ciel"


Culte et prédication in extenso
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Jean 6, 51-58 (et Deutéronome 8, 1-16 ; Psaume 147 ; 1 Corinthiens 10, 16-17)
51 « Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
52 Sur quoi, les Judéens se mirent à discuter violemment entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
53 Jésus leur dit alors : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité. »

*



Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours donné au lendemain de la multiplication des pains de ce chapitre 6 de l’Évangile de Jean ; ça en est le point culminant. Notons que les Judéens qui « discutent violemment entre eux » (v. 52) sont disciples de Jésus, comme cela apparaît juste après (v. 60 et 66). À traduire donc par Judéens et non juifs, ce qu'ils sont tous : Jésus et tous ses disciples, qu'ils soient Galiléens ou Judéens, et quelle que soit la réaction à son enseignement de ceux qui sont parmi ses disciples.

En termes outranciers, qui entendent rendre le propos incontournable, Jésus nous renvoie chacun à nous-mêmes. De la manne des Pères aux pains multipliés de la veille, qui n’ont pas rassasié le cœur, un chemin de désert vers la délivrance, symbolisé aujourd’hui pour nous par le désert confiné de ces dernières semaines. Chemin au désert, manne et pains du désert, en route vers le Royaume espéré. Une histoire passée de combats héroïques — histoire inachevée… Est-on en effet parvenu au Royaume promis ?

L'actualité nous rappelle régulièrement que ce n'est pas le cas. Certes les bases théoriques de jours heureux et fraternels sont posées : le cœur de la Loi biblique, sur la justice et sur l'amour du prochain, qui s'exprime aujourd'hui dans les Déclarations de Droit qui en sont issues, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration de 1789, et leur extension universelle en 1948. Hélas comme au temps de l’Exode, ou au temps où Jésus est venu dans le monde, de nos jours aussi, cela reste théorique, comme vient de le montrer le meurtre de George Floyd.

La Parole de Dieu appelle à être vécue, à être mise en pratique, vécue dans la chair, incarnée. C'est ce que signifie le partage qui se dit dans la multiplication des pains, et aussi, pour nous, dans la sainte Cène, l’eucharistie, écho à une multiplication des pains présentée par Jésus comme « ma chair à manger ». C'est-à-dire Parole de Dieu partagée, qui ne nourrit que par sa mise en pratique, dans le concret de la chair ; comme aujourd’hui la leçon universaliste des Droits de l’Homme est à vivre dans la chair.

Nous en sommes tous là : quelque chose manque, quelque chose de l'ordre du concret, de la chair. Alors, au cœur de notre manque, Jésus nous dit qu'il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie, s'identifie à toutes celles et ceux dont la vie est méprisée, volée par le mépris ; Jésus rejoint l'homme humilié, genou à terre, ployant sous la croix… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, en termes de « manger sa chair ». Recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.

Alors prend place la promesse de la Résurrection, de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre. Dans le signe d'un monde enfin fraternel, la résurrection prend place alors comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, de ce que nous désirons vraiment, l’ignorerions-nous. C’est là la vérité profonde de la parole où Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « Qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle, mystérieusement, Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.


Culte et prédication in extenso
ici, D'un autre côté :


samedi 13 juin 2020

Que tes paroles soient peu nombreuses


Et demain dimanche, culte
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Matthieu 5, 33-37
33 « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Et moi, je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c’est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Quand vous parlez, dites “Oui” ou “Non” : tout le reste vient du Malin. »

*



Pourquoi une telle exigence de Jésus ? Pourquoi ne pas utiliser, pas même par des métaphores, le Nom de Dieu ? Pas respect strict, de sa part, du précepte biblique de la sanctification du Nom — « Que ton Nom soit sanctifié ! », première demande de la prière qu’il enseigne.

Un Nom que l’on ne prononce pas, sauf à en faire… un nom, précisément, une idée : c’est pourquoi on ne prononce pas ce Nom, plutôt que parce qu’on aurait perdu les voyelles — y lisant « mon Seigneur », Adonaï, un titre disant une relation, un titre qui nous met en relation avec celui qui est ainsi reconnu comme « mon Seigneur », plutôt qu’une description, qui fournirait quelque chose de l’ordre de l’idée, de l’image que l’on s’en fait.

Le respect du Nom de Dieu fonde le respect de quiconque : un nom n’épuisant jamais ce qu’est celui ou celle qui le porte, le mystère autour du Nom dont on n’a aucune approche suffisante, sauf à le réduire à un aspect, une idole, implique le respect de quiconque, qui est fait à son image…

Même les circonvolutions : le ciel, lieu symbolique, la terre, son pendant dans le récit de la création, Jérusalem, ville symbole de la présence de Dieu, valent d’être évitées, y compris dans les serments (dont le minimum est au moins de les tenir) ; cette réserve demandée par Jésus n’invalide pas la justice, mais induit que l’usage que l’on y fait du Nom (en levant symboliquement la main droite par exemple) ne doit pas nous leurrer, sachant que la vérité ultime n’est pas à notre portée.

En arrière-plan de cet enseignement de Jésus, une sentence de l’Ecclésiaste : « Que ta bouche ne se précipite pas et que ton cœur ne se hâte pas de proférer une parole devant Dieu. Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre. Donc, que tes paroles soient peu nombreuses ! Car de l’abondance des occupations vient le rêve et de l’abondance des paroles, les propos ineptes » (Ecc 5, 1-2).

À l’heure où des fanatiques tuent au nom de Dieu, où des figures politiques en mal de pouvoir s’approprient des symboles religieux, les paroles de Jésus deviennent criantes de sens. Ces attitudes devenues courantes sont rien moins que transgression du Décalogue : « tu ne prendras pas pour la vanité le Nom du Seigneur », transgression qui est à la racine du mépris des êtres humains faits à son image. Cela, dit Jésus, vient du Malin. Contentez-vous d’être humblement vous-mêmes dans vos « oui » ou vos « non », sachant que la vérité ultime n’est pas à votre portée !


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vendredi 12 juin 2020

Adultère et vide en forme de Dieu



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Matthieu 5, 27-32
27 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Et moi, je vous dis : quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son cœur, commis l’adultère avec elle.
29 « Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.
31 « D’autre part il a été dit : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui remette un certificat de répudiation.
32 Et moi, je vous dis : quiconque répudie sa femme – sauf en cas d’union illégale – la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une répudiée, il est adultère.

*



Comme pour l’interdit du meurtre, ici non plus, concernant l’adultère, Jésus ne s’oppose à l’enseignement biblique et à la lecture qu’en fait le judaïsme. Loin d’un « mais moi je vous dis », comme s’il s’agissait d’antithèses, il s’agit d’une invitation à aller au cœur de l’enseignement biblique : « et moi je vous dis » où l’adultère commence, comme je vous ai dit où le meurtre commence — colère et mépris dans un cas, convoitise dans l’autre.

Ici l’enseignement biblique, le Décalogue en l’occurrence, est déjà explicite. La psychothérapeute Esther Perel, travaillant sur cette question, fait remarquer avec humour que le commandement interdisant l’adultère est le seul qui soit donné deux fois dans le Décalogue, puisqu’il est repris une seconde fois, on le sait, sous la forme : « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ».

On voit que Jésus ne s’oppose en rien à l’enseignement reçu, mais affirme que le problème précède le passage à l’acte : il s’enracine dans le manque, l’incomplétude qui est au cœur de l’humain, ce qui est mis en lumière dans le récit de la création. Jésus ici cite le texte de la Loi de Moïse réglant les cas de séparation, texte qu’il reprend plus loin (au ch. 19) pour renvoyer au récit de la création de l’homme et de la femme  : l’humain coupé en deux : Dieu prit un côté de l’humain (pas une côte).

Nous voilà tous dès les origines avec un côté qui manque. De ce manque non-perçu naît la convoitise érotique : chercher ce dont l’épreuve qu’est le quotidien du couple nous a appris que cela continue à nous manquer.

D’où la tentation de chercher ailleurs cette part manquante de tout être humain, de la convoiter ailleurs, ignorant qu’elle se s’y trouve pas ! Le passage à l’acte adultère ne ferait que confirmer cela. D’où le vocabulaire volontairement excessif de Jésus enseignant de prévenir un passage à l’acte blessant pour l’autre et inutile pour soi.

La moitié de moi-même qui me manque, qui manque à chacune et chacun, et continuera de nous manquer, que l’on soit marié ou pas, est en Dieu, pas en autrui, autrui qu’il s’agit de laisser être lui-même, elle-même, devant Dieu. Il n’y a pas lieu de projeter sur lui, sur elle, la part manquante de moi-même, ni a fortiori d’aller la projeter sur une autre personne convoitée.

Concernant la part manquante de moi-même, Blaise Pascal a dit les choses en ces mots célèbres : « Il y a dans le cœur de chaque homme un vide en forme de Dieu, et nul autre que Lui ne peut le combler. »


RP, 12.06.2020
En direct sur RCF Poitou à 8H45

Fréquences radio : — Châtellerault : 99.2 fm — Civray : 91.9 fm
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jeudi 11 juin 2020

Quiconque se met en colère contre son frère



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Matthieu 5, 20-26
20 Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux.
21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal.
22 Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : “Imbécile” sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu.
23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison.
26 En vérité, je te le déclare : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier centime.

*



En regardant notre texte de près, il est facile de voir que Jésus ne remet pas en cause la Torah, mais certaines interprétations accommodantes qui en sont faites, pour une justice qui reste théorique même chez ses meilleurs auditeurs — « si votre justice ne surpasse pas » un comportement théorique, n’entrant jamais dans les faits…

Ce en quoi Jésus est en parfait accord avec l’enseignement juif. Opposer les deux Testaments est erroné. La Loi se trouve aussi dans le Nouveau Testament, elle y est la même que celle de la Bible hébraïque.

C'est une prise à la légère de l’enseignement biblique que Jésus dénonce, prise à la légère qui conduit, ici via la colère, aux pires dérives, jusqu'au mépris de l'humain à l'image de Dieu que l'on ne reconnaît plus comme tel, estimant dès lors que les insultes, signes de ce mépris, ne comptent pas. Ignorant que cela peut déboucher sur le meurtre.

Voilà qui, à nouveau, nous conduit au cœur de l’actualité. « Le racisme, écrit Romain Gary, c’est quand ça ne compte pas. Quand ils ne comptent pas. Quand on peut faire n’importe quoi avec eux, ça ne compte pas, parce qu’ils ne sont pas comme nous. Tu comprends ? Ils ne sont pas des nôtres. On peut s’en servir sans déchoir. On ne perd pas sa dignité, son “honneur”. Ils sont tellement différents de nous qu’il n’y a pas à se gêner, il ne peut y avoir… il ne peut y avoir jugement voilà. On peut leur faire faire n’importe quelle besogne parce que de toute façon, le jugement qu’ils portent sur nous, ça n’existe pas, ça ne peut pas salir… C’est ça, le racisme. » Romain Gary écrit cela en 1975.

L'actualité nous plonge hélas dans ce à quoi conduit le refus de cet enseignement biblique parlant des racines du meurtre qui plongent dans la colère et fructifient en haine. Alors, nous dit Jésus, les rites religieux-mêmes — « ton offrande » — n’ont pas de sens si réconciliation et pardon ne sont pas passés. Laisse-là ton offrande. Ici aussi on retrouve l’enseignement juif prônant la même chose pour le jour du pardon, Yom Kippour.

Laisse-là ton offrande destinée pourtant à Dieu, laisse ta Bible exhibée, ou ton chapelet brandi, et obtiens le pardon, car l’impunité pour tes exactions finira pas cesser. Non seulement le tourment intérieur te guette — « la géhenne » — mais la venue d’une vraie justice — « le Sanhédrin » — : déjà s’approche le Règne de Dieu, règne de paix, de justice et de fraternité.


RP, 11.06.2020
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mercredi 10 juin 2020

Je suis venu pour mettre pleinement en pratique



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Matthieu 5, 17-19
17 « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
18 Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé.
19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

*



« Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17) — « accomplir », c’est-à-dire « mettre en pratique », précisément « mettre en pratique pleinement ». Il n’est qu’à lire le développement qui suit pour voir que cette affirmation de Jésus est comme le programme qu’il résume ensuite en quelques points ; de sorte que « mais moi je vous dis » ne consiste en aucun cas en opposition à la Torah, ou « dépassement » de la Torah, mais à sa prise au sérieux, sans évitement de quelque implication que ce soit.

Quel est le cœur de l’enseignement biblique dont il s’agit pour Jésus de le mettre pleinement en pratique ? C’est ce en quoi il s’accorde parfaitement avec la tradition juive et pharisienne : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu et tu aimeras ton prochain, tu voudras pour ton prochain ce que tu voudrais pour toi ». Or, et c’est ce sur quoi insiste Jésus, il ne s’agit pas seulement de reconnaître la valeur de cet enseignement, mais de le mettre en pratique.

Nous voilà en pleine actualité ! Ce que dit Jésus du cœur de la Loi biblique, vaut de son expression moderne dans les Déclarations de Droit qui en sont issues, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration de 1789, et leur extension universelle en 1948. Qu’entend-on à l’heure où le meurtre de George Floyd vient de réveiller des pays ayant en commun cet héritage issu de la Loi biblique ? Que nos institutions ne sont pas racistes ! Certes ! Mais il s'agirait peut-être de mettre en pratique, pleinement en pratique, ce qu’elles nous disent. Que n’entend-on pas sur l’universalisme français, sur l’égalité des Droits qui y est traditionnelle, sous-entendant que ce ne serait pas le cas aux États-Unis et que cela nous protégerait de dérives similaires…

Voilà qui ressemble bien à un déni, le même que celui auquel s’en prenait le pasteur Martin Luther King, rappelant que l’égalité des Droits est certes dans les textes américains depuis longtemps, mais que pour les noirs, cela ressemble à un chèque sans provisions ! Pourquoi ? Pour la raison dont parle Jésus ! C’est bien beau d’avoir un texte fondateur dont chaque lettre, chaque trait de lettre, vaudra jusqu’à la fin du temps, dont rien ne doit être aboli… Mais il s'agirait peut-être de le vivre, de le mettre en pratique, de l’incarner. C’est ce que je suis venu faire, nous dit aujourd'hui Jésus, avant de nous dire de faire de même, précisant en reprenant l'enseignement de la Torah « aimez-vous les uns les autres » : « comme je vous ai aimés. » À mettre en pratique donc, comme aujourd’hui la leçon universaliste des Droits de l’Homme, sans quoi toutes les dérives restent possibles, des deux côtés de l'Atlantique, jusqu’à, comme on l’entend trop, inverser l’accusation de racisme à l’encontre de celles et ceux dont le cri ne parvient pas à percer la surdité de ceux qui sous prétexte d’universalisme des textes n’entendent pas que cela ne s’incarne pas concrètement, sauf à se mettre à la place de celles et ceux dont les droits ne parviennent pas au concret de leur vie. Je suis venu accomplir, dit Jésus, incarner au concret de la vie un bel enseignement, qui n’est pas là pour rester théorique.


RP, 10.06.2020
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mardi 9 juin 2020

Sel de la terre et lumière du monde



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Matthieu 5, 13-16
13 « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.

*



Sel et lumière. Commençons par la lumière. « Que votre lumière brille devant les humains afin qu’ils voient vos œuvres bonnes ». Quel rapport entre cette parole de Jésus et celle qu’il donne quelques versets plus loin (ch. 6, v. 1) : « gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour en être vus » ? Dans l’une, il invite ses disciples au secret : « Gardez-vous de pratiquer votre justice pour être vus » — et dans l’autre : « Que votre lumière brille devant tous »… Y aurait-il contradiction ? À bien y regarder, les deux paroles s'expliquent l'une par l'autre.

Dans les deux cas Jésus appelle à prendre au sérieux le message de la Bible. En commençant par ce que dit le Psaume 119, v. 11 : « Je serre ta parole / ou ta promesse dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi ». Et alors seulement ce que Dieu attend de nous se produira, et se verra, sans qu’on le sache ou même qu’on le veuille.

Autrement dit, il ne s’agit pas de faire voir une pratique religieuse particulière, qui au fond ne change rien à la situation du monde.

Une lampe est faite pour éclairer, la chose est claire. On ne la cache pas. Et la lumière vient de l’intérieur de la lampe. Comme la lumière de la parole de Dieu rayonne depuis le cœur qui la reçoit : « Je serre ta parole dans mon cœur ».

Une lampe est faite pour éclairer comme le sel a pour effet d’empêcher la corruption ; et de donner du goût… Il ne sert pas s’il est « devenu fou », littéralement : qu’est-ce à dire ? — « devenu fou » ? Et si cela consistait tout simplement à se considérer comme le plat à soi tout seul, la chose la plus importante, et que du coup il faut en mettre beaucoup (ce qui, en fait, gâte le plat)…

Le sel et la lampe sont deux illustrations que donne Jésus pour expliquer ce qu’il enseigne dans ce discours-programme qu’est le Sermon sur la Montagne.

Il ne s’agit pas de se distinguer par des rites ou pratiques — Jésus avait les mêmes que tout un chacun en Israël de son temps —, il s’agit d’écoute de la Parole de Dieu et de ce qui en découle. « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »


RP, 09.06.2020
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lundi 8 juin 2020

Les Béatitudes



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Matthieu 5, 1-12
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. »

*



D’entrée, l’enseignement-programme de Jésus dans l’Évangile selon Matthieu se fonde sur la Bible hébraïque, ici le premier mot du Premier Psaume. Le mot grec, « makarios », traduit dans nos Bibles par « heureux », est celui par lequel la Bible grecque des LXX traduit le premier mot hébreu du Psaume 1, « asher », qui porte en outre l’idée de mouvement, pour un bonheur qui n’est pas statique. Je cite (Psaume 1, v. 1-3) :

« Heureux qui ne prend pas le parti des méchants, […] mais qui se plaît à la loi du Seigneur et la médite jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près des ruisseaux. »

Où il est question de racines spirituelles, profondes et secrètes. Le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est caché ; dans le propos de Jésus, il est comme la face cachée de nos échecs, de nos fautes et nos gouffres. C’est au cœur du message que nous livrent les Béatitudes. Le bonheur, face cachée de nos défaites reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence qui fascine.

Nous voilà appelés au refus de la superficialité. Refus du creux, copie fausse de la vie, qui voudrait que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans l’aisance matérielle, dans le fait d'être rassasié, dans les réjouissances, dans la considération que l’on nous porte. Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui brille n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais de savoir où demeure, de façon cachée, la source du bonheur…

Un bonheur au-delà des apparences. Très proche des Psaumes, donc, ce message est proche aussi de celui de l'Ecclésiaste. Car il s’agit de ne pas entendre le bonheur dont il est question comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps ! Comme celui de l'Ecclésiaste, le bonheur des Béatitudes est au présent, rachetant ainsi d’avance le futur (par ex. « le Règne des cieux est à eux » — au présent — ; « ils auront la terre en partage » — au futur — etc.). Et c’est là le don de Dieu ! Quoiqu'il en soit des biens temporels.

Ainsi l’Ecclésiaste (5, 19 & 6, 2) : « Si Dieu a donné à [quelqu’un] des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu. Mais [celui] que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir […,] c’est là une vanité. »

« Correctif » de cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit : la conscience du don de Dieu, de ses racines spirituelles et secrètes. Là est la source du bonheur, des Béatitudes…


RP, 08.06.2020
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samedi 6 juin 2020

La veuve du Temple et l’Évangile libérateur


Et demain dimanche, culte
ici, D'un autre côté :
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Marc 12, 38-44
38 Dans son enseignement, il disait : « Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation. »
41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l’argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

*



Une veuve pauvre qui, avec ses deux petites pièces, donne en fait beaucoup (même si ça semble peu), puisque cela empiète sur son nécessaire, son minimum vital (à l’époque, une veuve est sans ressources financières) : « gardez-vous des gens à la piété exemplaire… » (v. 38, 40), vient — en résumé — de dire Jésus. Certes ils font de belles offrandes — c’est qu'ils ont les moyens, contrairement à la veuve — c’est en ce sens qu’ils dévorent les biens des veuves, selon les termes de Jésus — ; certes ils font de belles prières, signe d’une belle aisance qui se voit jusque dans les dîners. Ils ont déjà leur récompense : avoir brillé. D’autant qu’ils brillent au cœur d’une institution devenue injuste… à laquelle la veuve donne quand même… C’est de ce décalage que parle Jésus.

Il faut, pour éclairer le propos, se rappeler le sens précis du mot « aumône » dans la tradition biblique. Le terme traduit ainsi renvoie au mot hébreu signifiant « justice ». L’aumône devient la restitution d’un équilibre qui a été rompu. La richesse, sous l’angle où elle est productrice de déséquilibres, est mal notée par les auteurs bibliques. Ne pas le voir est pour nous tout simplement une façon subtile de nous masquer qu’il est un certain déséquilibre, accepté, jugé normal ou fatal, mais qui relève tout simplement du péché. Où l’accumulation des uns spolie les autres. Ce qu’à la suite des prophètes, Jésus dénonce : « ils dévorent les biens des veuves ».

La veuve livre sa richesse, ces piécettes, sans calcul, à une institution à vue humaine déplorable qui à l’époque est perçue comme déplorable ! Mais qu’importe si elle enseigne encore à donner ! Le don qui libère ! En libérant en premier lieu de la peur de manquer. Cette peur qui parle en ces termes : « Dieu pourvoira-t-il à mon lendemain ? Alors au cas où, je m’assure moi-même, je thésaurise ».

Voilà une attitude assez commune. Qui n’a pas été l’attitude de la veuve de notre texte. Elle n’a pas craint de donner de son nécessaire. Cela contre l’attitude assez commune de thésauriser que l’on pardonne peu aux autres. Car l’avarice, on le sait, suscite peu la compassion, et pourtant elle est souffrance. L’Évangile du pardon libérateur est peu passé dans ce domaine. On a peu reçu de pardon sur un domaine où l’on a peu confessé, et où donc on pardonne peu. « Celle à qui il a été beaucoup pardonné a beaucoup aimé », dit ailleurs Jésus, d’une autre femme.

L’Évangile libérant de la peur de manquer est à même d’ouvrir la source commune de tous biens ; selon les termes du prophète Malachie (ch. 3, v. 10) d’ « ouvrir des écluses des cieux », source d’une libération de tout l’être.


RP, 06.06.2020
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Et demain dimanche, culte
ici, D'un autre côté :


vendredi 5 juin 2020

Il siège à la droite de Dieu



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Marc 12, 35-37
35 Prenant la parole, Jésus enseignait dans le temple. Il disait : « Comment les scribes peuvent-ils dire que le Messie est fils de David ?
36 David lui-même, inspiré par l’Esprit Saint, a dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur :
Siège à ma droite
jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis
sous tes pieds.
37 David lui-même l’appelle Seigneur ; alors, de quelle façon est-il son fils ? » ? La foule nombreuse l’écoutait avec plaisir.

*



Psaume 110, 1 de la Bible hébraïque : « Parole de l’Éternel à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. » Ce texte est cité explicitement dans les versets de Marc que nous venons de lire, de même que dans Matthieu (22, 44) et Luc (20, 42) ; puis au livre des Actes des Apôtres (2, 34) ; dans le passage de Paul sur la résurrection, en 1 Corinthiens (15, 25) ; ou dans l’Épître aux Hébreux pour parler de la filiation divine de Jésus (ch. 1, 13 & ch. 10, 13).

Ce verset du Psaume 110 (numéroté 109 dans la Bible grecque des LXX et dans la version latine, la Vulgate), ce verset est aussi mentionné de façon plus allusive en un nombre considérable de textes du Nouveau Testament ; et on le retrouve de la sorte dans Symbole de Apôtres : « Il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant, et il viendra de là juger les vivants et les morts. » Et dans le Symbole de Nicée-Constantinople : « Il siège à la droite du Père et il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lui dont le règne n'aura pas de fin ».

La citation de ce verset du Psaume que l’on retrouve selon les Évangiles dans la bouche de Jésus a donc une importance considérable, s’inscrivant dans une lecture de ce Psaume qui précède le christianisme, comme le souligne Marc disant : « La foule nombreuse l’écoutait avec plaisir. » La remarque de Jésus n’est pas en soi une nouveauté : le Psaume présente bien le Seigneur, l’Éternel, le Nom imprononçable comme invitant à sa droite celui que le Psalmiste, ici David, appelle « mon Seigneur » — avec un autre terme que le Nom imprononçable, mais qui place bien David dans une position seconde par rapport à celui qui correspond ici au Messie espéré, espéré par David lui-même.

Voilà qui nous dit beaucoup de choses . En premier lieu, la figure de David apparaît dans la Bible hébraïque comme simple moment historique, certes important, mais d’une réalité dont la racine spirituelle le déborde infiniment, et dans laquelle se fonde l’espérance messianique des contemporains de Jésus. En second lieu, Jésus de façon allusive mais non-explicite, suggère ici qu’il pourrait bien incarner lui-même cette figure messianique fondée en Dieu. Et enfin, dès le Nouveau Testament, plusieurs textes reconnaissent clairement en Jésus l’incarnation de cette figure perçue comme préfiguration céleste du Messie — céleste, voire éternelle : son règne étendu jusqu’à ce que tous jusqu’à ses ennemis le reconnaissent, n’a pas de fin, comme le dit explicitement le Symbole de Nicée-Constantinople, cela parce que, dès le Nouveau Testament, il est perçu dans plusieurs textes comme n’ayant pas de commencement, de même que la figure céleste présentée dans le Psaume est perçue comme éternelle.


RP, 05.06.2020
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jeudi 4 juin 2020

Le premier commandement et le Royaume de Dieu



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Marc 12, 28-34
28 Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? »
29 Jésus répondit : « Le premier, c’est : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ;
30 tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.
31 Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. »
32 Le scribe lui dit : « Très bien, Maître, tu as dit vrai : Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui,
33 et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices. »
34 Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.

*



Le scribe de notre texte interroge Jésus à la suite, a précisé Marc, de la discussion qu’il vient d’avoir avec les sadducéens sur la résurrection des morts ; Jésus faisait sienne l’argumentation rabbinique, celle des scribes. D’où la question de notre scribe. Voulant en savoir plus sur ce qu’enseigne Jésus, il l’interroge sur le principal précepte de la Torah. Et voilà donc à nouveau Jésus en plein accord avec les scribes.

C’est qu’il est question ici du fond des choses. Il est question du texte du Deutéronome qui est au cœur de la foi juive : Sh’ma Israël, « écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force » (Deutéronome ch. 6, v. 4-5) ; c’est l’appel fondateur, énoncé quotidiennement, écrit symboliquement sur la main, le front, les portes de la maison. Point de discussion évidemment là-dessus.

Quant au second commandement, il est lui aussi au cœur de la Torah, au Lévitique ch. 19, v. 18, « tu aimeras ton prochain comme toi-même », littéralement « pour ton prochain comme toi-même » ; il est perçu par les scribes comme central — au point qu’en Luc (ch. 10), ce n’est pas Jésus qui énonce le double commandement comme ici, mais un scribe.

Sur cela, le cœur de enseignement biblique, il n’y a pas débat. Le scribe interroge Jésus pour savoir s’il est bien au courant, dans le foisonnement des préceptes de la Torah (on sait que la tradition juive en dénombre 613) — de ce qui en est le cœur.

Aimer Dieu, ou se déplacer de soi, se libérer pour le prochain. Dieu, on ne le voit pas, on ne prononce même pas son Nom. Aussi, on l’aimera où il se rend présent, et en premier lieu en celui, celle, qu’il fait approcher de nous, prochaine, prochain, fait selon son image (cf. 1 Jn 4, 20).

Sur cet accord total, celui qui avait été interrogé, Jésus, se présente en une phrase comme le porteur du Règne de Dieu : « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Ce Règne s’approche par la lecture de la Torah partagée par Jésus et le scribe, non seulement par sa lecture, mais par sa mise en pratique : il ne suffit pas de s’en réclamer, mais il s’agit de la lire et la pratiquer. Un monde auto-centré, sans amour du prochain, brandirait-il la Bible, mais s’en l’ouvrir pour en découvrir le cœur, s’éloigne du Royaume de Dieu, laissant place, au lieu de l’amour, à l’égoïsme, à la haine, au racisme, et à toutes les dérives équivalentes. Hélas l’histoire et l’actualité ne cessent de le démontrer.

Ouvrir les Écritures et en pratiquer le cœur ; se déplacer de soi vers l’amour de Dieu pour aimer, pour vouloir pour le prochain ce que l’on voudrait pour soi, c’est se rapprocher, et rapprocher la société et le monde du Royaume de Dieu.


RP, 04.06.2020
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mercredi 3 juin 2020

Dieu des vivants



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Marc 12, 18-27
18 Des Sadducéens viennent auprès de lui. Ces gens disent qu’il n’y a pas de résurrection. Ils lui posaient cette question :
19 « Maître, Moïse a écrit pour nous : Si un homme a un frère qui meurt en laissant une femme, mais sans laisser d’enfant, qu’il épouse la veuve et donne une descendance à son frère…
20 Il y avait sept frères. Le premier a pris femme et est mort sans laisser de descendance.
21 Le second a épousé cette femme et est mort sans laisser de descendance. Le troisième également,
22 et les sept n’ont laissé aucune descendance. Après eux tous, la femme est morte aussi.
23 A la résurrection, quand ils ressusciteront, duquel d’entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l’ont eue pour femme ? »
24 Jésus leur dit : « N’est-ce point parce que vous ne connaissez ni les Écritures ni la puissance de Dieu que vous êtes dans l’erreur ?
25 En effet, quand on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux.
26 Quant au fait que les morts doivent ressusciter, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse, au récit du buisson ardent, comment Dieu lui a dit : “Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob” ?
27 Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous êtes complètement dans l’erreur. »

*



Les sadducéens de notre texte ont soulevé, non sans humour, un problème qui ne pouvait que jeter le trouble dans le jardin des partisans d'une conception un peu matérialiste de la résurrection ; conception dont Jésus montre ici qu'il ne la fait pas sienne. Si les sadducéens, à en croire ce qu’on dit d’eux, n’admettent pas plus d’anges que de résurrection, Jésus leur affirme que les ressuscités sont semblables aux anges ! L'argumentation, en apparence étrange — dans la résurrection on est « comme des anges dans les cieux » — nous déplace de nos compréhensions.

« Quant au fait que les morts doivent ressusciter, dit alors Jésus, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse » ?… Par ces mots, Jésus reprend à son compte l’argument lisant la résurrection dans les mots de l'Exode (ici au ch. 3), lecture dont on sait qu’elle est celle de la tradition juive rabbinique : on la retrouve dans le Talmud.

S'y résume la certitude que tout repose sur la réalité efficace de la Parole de Dieu, la force créatrice de sa Parole, qui « ne retourne pas à lui sans effet ». La Torah est reçue comme Parole de Dieu. Dieu y nomme les patriarches. Ainsi lorsqu’il nomme Abraham, Isaac et Jacob, qui plus est en les liant à sa présence — « Je serai » —, il les situe dans sa propre éternité ; sa Parole éternelle sur eux les place au-dessus de leur quotidien, elle les place d’emblée dans l’éternité de Dieu : Dieu est éternel, en les nommant, ils les a nommés dans l’éternité, ils sont donc eux aussi dans l’éternité. « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».

« Je serai » a dit le Dieu d'éternité, qui se présente comme le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. À Moïse lui demandant son nom, il le dévoile comme promesse : « Je serai », quoiqu'il arrive. Écho dans les mots du Ressuscité adressés à chacun de nous : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du temps » (Mt 28, 20b).

Notre vie éternelle est fondée dans la Parole par laquelle Dieu nous nomme, dans le regard qu'il porte sur nous, et qui transfigure les méandres de nos quotidiens grisâtres (illustration remarquable dans les jours que nous venons de traverser et dont nous ne sommes pas pleinement sortis) ; notre quotidien dans lequel il nous faut vivre à la suite de Jésus. Y retentit la promesse d'amour d'un Dieu révélé déjà comme amour au buisson ardent, c'est là son être-même. Je serai avec toi quoiqu'il arrive. Même si mon souvenir se perd dans la brume de ta mémoire, de ton esprit, de tes mots en défaut, moi, Dieu d'éternité, je me souviens (c'est au cœur du passage de l'Exode). Dieu d'éternité, Je serai avec toi.


RP, 03.06.2020
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mardi 2 juin 2020

Laissez la vanité à l’idole



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Marc 12, 13-17
13 Ils envoient auprès de Jésus quelques Pharisiens et quelques Hérodiens pour le prendre au piège en le faisant parler.
14 Ils viennent lui dire : « Maître, nous savons que tu es franc et que tu ne te laisses pas influencer par qui que ce soit : tu ne tiens pas compte de la condition des gens, mais tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité. Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? Devons-nous payer ou ne pas payer ? »
15 Mais lui, connaissant leur hypocrisie, leur dit : « Pourquoi me tendez-vous un piège ? Apportez-moi une pièce d’argent, que je voie ! »
16 Ils en apportèrent une. Jésus leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils lui répondirent : « De César. »
17 Jésus leur dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Et ils restaient à son propos dans un grand étonnement.

*



Que de succès la formule de Jésus « rendez à César… » n’a-t-elle pas eu ! Dernier usage connu en date : on en a fait depuis 1905, la racine de la laïcité et de la séparation des Églises et de l’État, certes bienvenue… Sauf que ce n’est pas le propos de Jésus — qui disait cela bien avant 1905 et les autres lois de séparation modernes. Ou alors le christianisme historique est un peu long à la détente !

Le texte annonce la couleur : il s’agit d’un piège… On envoie auprès de Jésus des pharisiens et des hérodiens. Étrange attelage. Les pharisiens, comme les disciples de Jésus, perçoivent les hérodiens comme les tristes pantins des Romains.

Le piège consiste à amener Jésus — soit à dire devant les hérodiens, qui s’empresseront de faire leur rapport aux autorités, qu’il se veut le porte-parole d’un royaume souverain, Israël, et qu’il n’est évidemment pas comme Hérode, à la solde de Rome ; — soit à se défiler et se discréditer auprès des siens en prônant la soumission symbolique à Rome par l’impôt ! Auquel cas, c’est parmi les pharisiens que certains se chargeront de colporter la nouvelle.

C’est pourquoi la réponse de Jésus ne signifie pas ce qu’on a pris l’habitude d’en faire : une réponse qui serait au fond hérodienne, légitimant l’Empire romain. N’a-t-on pas, en effet, fait professer à Jésus une théorie du double pouvoir : le temporel à César, le spirituel aux représentants attitrés de Dieu…

Une telle lecture de ce texte revient — s’en rend-on compte ? — à dire qu’on aurait réussi à montrer aux pharisiens et aux disciples de Jésus qu’il est au fond au service — conscient ou pas — du pouvoir romain. Or ce n’est manifestement pas ce que pharisiens et hérodiens ont compris.

Quand Jésus dit « rendez à César ce qui est à César », il parle de la vanité de ce qu’il s’agit de lui rendre. Sur la pièce est une idole, César figure cette idole — Jésus et ses interlocuteurs ne peuvent que s’y accorder sans peine. Que les affaires d’idoles restent donc des affaires d’idolâtres : laissez leur cela. Pas de quoi satisfaire les hérodiens, traités implicitement de païens.

Quant aux pharisiens, la teneur de la seconde proposition ne leur échappe pas. « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » n’est aucunement parallèle à « rendez à César ce qui est à César ». Comme si Dieu et César étaient chacun à la tête de deux banques fonctionnant en parallèle, comme les euros qui reçoivent les symboles souverains de chaque État européen.

Les pharisiens ne s’y sont bien sûr pas trompés. Dieu est au-delà de César, infiniment au-delà, et tout lui appartient, César y compris… Quand César n’est plus d’actualité, mais que Mammon, l’argent devenu idole, la vraie idole derrière tous les César, l’est plus que jamais, ce texte vient nous enseigner de rendre à Dieu ce qui est à Dieu en laissant les idoles à leur vanité pour vivre dès à présent une autre réalité, celle du Règne de Dieu, qui n’est pas de ce monde.


RP, 02.06.2020
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