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Matthieu 5, 38-42
38 « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent.
39 Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre.
40 A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau.
41 Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
42 A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.
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La gifle et l’autre joue… Que n’a-t-on pas entendu, le plus souvent sur le mode de l’ironie sur cette parole de Jésus, parole qui débouche sur celle qui la suit : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v. 44). Au jour où Jésus prononce ces paroles, les Romains qui ont colonisé le pays, y ont tous les droits. Il semble normal de plutôt les haïr, de vouloir se venger de toutes les exactions dont ils sont les auteurs.
Jésus fait allusion à quelques aspects de l'oppression romaine, que ses contemporains ne connaissaient que trop. Par exemple, les Romains occupants pouvaient réquisitionner les populations pour telle ou telle tâche (ainsi les « mille pas » en question au v. 41). Pratique courante de la réquisition en temps de domination.
Sachant cela, Jésus, loin d’un invraisemblable utopiste, apparaît comme tout-à-fait réaliste, d’une façon qui, elle, n’est pas sans ironie.
Ce faisant, commentant la loi biblique du talion, il ne la remet pas en cause, mais la situe à sa place : le talion n’a pas vocation à être une attitude individuelle s’apparentant à la « vendetta ». C’est au contraire une institution juridique qui pose les principes mettant terme à la « vendetta » : ne te venge pas toi-même, mais remets-t’en à la justice, institution commune dont le principe doit être l’équilibre. C’est cela, le talion biblique. Mais que faire lorsqu’il n’y a plus de justice, lorsque le pouvoir n’a d’autre fin qu’asseoir le plus fort, ici Rome ? Se confronter à un mur de frustration en prétendant, en vain, se faire justice soi-même, selon un talion détourné de sa signification ? Ce qui revient en outre à s’infliger à soi-même une double peine : non seulement des torts m’ont été faits, mais en plus, je suis chargé d’un ressentiment impuissant, celui d’une impossible vengeance !
Laisse agir la vengeance céleste, enseigne le livre des Proverbes (25, 21-22) cité par Paul (Ro 12, 19-21), proverbe biblique dont la forme africaine donne : « assieds-toi devant ta case, tu finiras par voir passer le cadavre de ton ennemi ». On n’est pas loin de la sagesse ironique de Jésus, qui ouvre en outre carrément sur la liberté de la compassion, même pour l’ennemi et le persécuteur : quelle est la souffrance intérieure qui l’a conduit à son injustice, à sa méchanceté ? Prie pour lui, porte-le devant Dieu, sois pleinement libéré de la tentation de t’infliger toi-même la double peine. Liberté inouïe de Jésus derrière sa parole sur la gifle et la joue, liberté qu’il nous appelle à faire nôtre.