mardi 16 juin 2020

Aimez vos ennemis !



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Matthieu 5, 43-48
43 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44 Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.
46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

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On ne trouve nulle part dans la Torah l'idée qu'il faudrait haïr tel ou tel ennemi ! Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante, laxiste, limitative, qu’on est toujours tenté de faire du commandement « Tu aimeras ton prochain ». Disant « vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi », Jésus ne fait que pointer les limites que l'on impose au commandement, ce qui revient à faire dire à la Bible que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, de la couleur de peau, que sais-je encore… C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur inventant une autre Torah, mais témoin exigeant d’un enseignement biblique qu’on ne prend pas assez au sérieux.

Un enseignement à valeur universelle, aussi universelle que l’éclat du soleil ou la bénédiction de la pluie : pour toutes et tous ! Une universalité concrète.

C’est contre le refus de cette universalité concrète qu’aujourd’hui le monde se lève, de Minneapolis à Washington et à Paris. Des deux côtés de l’Atlantique et ailleurs, des années 1960 des Droits civiques à aujourd'hui, même constat… Même déni d'un héritage esclavagiste et colonial à exorciser enfin de l'inconscient collectif…

C'est dans le contexte de la lutte pour les Droits civiques de M. L. King et des obstacles qu'il rencontre que James Baldwin écrit La prochaine fois, le feu, parlant de ses contemporains ayant été et restant — je cite — « stupéfaits par l’holocauste dont l’Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j’avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l’aveuglette. » James Baldwin écrit cela en 1963 (trad. fr. La prochaine fois, le feu, éd. folio, p. 77).

Aujourd’hui, la même exigence — « vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » — cette même exigence que celle que réclamait Jésus de ceux qui l’écoutaient, est requise de nous, pour un véritable exorcisme de nos inconscients collectifs des mêmes reliquats racistes que ceux de l’Allemagne nazie, qui n’avaient pas disparu en 1963, et qu’il faudra bien regarder en face, pour que notre monde devienne enfin fraternel et heureux.