Jésus, grand desservant fidèle et compatissant : Hébreux 3,1 – 5,10.
Hébreux 3, 1-6 :
Ce texte semble mettre (au v.3) en concurrence Moïse et Jésus, et par ricochet le judaïsme et le christianisme, pour affirmer la supériorité du second sur le premier et par ricochet du christianisme sur le judaïsme. Ainsi l’épître aux Hébreux serait une pierre à l’édifice de la « théologie de la substitution », qui a fait tant de dégâts dans l’histoire — théologie selon laquelle le christianisme serait venu remplacer un judaïsme relégué dans le passé… Réaffirmons d’emblée que cette lecture est erronée.
Première impression donc, cette lecture ne s’impose-t-elle pourtant pas ? Jésus ne semble-t-il pas donné comme supérieur à Moïse ?… Qu’est-ce à dire ? N’est-il pas effectivement question d’une concurrence entre deux fondateurs de deux religions ?
Relisons donc le début du passage. En fait, il faudrait relire tout le début de l’épître qui débouche sur ce passage. « Vous avez une vocation céleste » est-il dit aux lecteurs. Le début de l’épître présente en effet Jésus comme être céleste, préexistant, supérieur aux anges (ch. 1) et venant de cette préexistence céleste à la rencontre de l’humanité (ch. 2), précisément et concrètement en la descendance d’Abraham, pour lui signifier sa « vocation céleste ».
Voilà qui nous situe d’emblée, non pas dans l’histoire où pérégrinent Abraham et ses descendants, dont les lecteurs de l’épître, et Moïse comme fondateur de la religion qui est celle des lecteurs de l’épître, mais dans la préexistence céleste de Jésus à laquelle aussi sont appelés ces lecteurs.
Ni substitution d’une religion à l’autre, ni supériorité d’une religion sur l’autre. Une seule religion, celle d’Israël, à qui son rite a été donné par Moïse, rite qui est celui des lecteurs, qui vaut pour tout ce temps, tant que ce temps dure. Et d’autre part un monde céleste qui a été manifesté en Jésus, forme du Royaume qui vient de façon imminente : « vocation céleste », dès aujourd’hui, pour un Royaume qui s’annonce, celui promis dès Abraham et dont la maison gérée par Moïse est l’insertion dans l’histoire et dans le temps.
Et voilà que — c’est la confession de foi que l’épître aux Hébreux invite ses lecteurs à garder — le temps céleste du Royaume promis, le temps de la fin de l’exil s’est approché.
Et 70 est là, qui voit la destruction du Temple, fin de ce monde pour les témoins du Nouveau Testament, comme la destruction du premier Temple avait été la fin d’un autre monde. Anticipation de la fin du monde comme le déluge avait été la fin d’un premier monde (cf. 2 Pierre, ch. 3).
70, date autour de laquelle tourne l’épître aux Hébreux, comme tout le Nouveau Testament. Fin d’un monde, fin annoncée autour de laquelle va se mettre en place sur le rythme de la célébration des événements de la vie de Jésus (que l’on appellera « les faits chrétiens »), le rite de l’attente de la venue en gloire de Jésus.
En naîtra une seconde religion, en rien supérieure à la première, simplement caractérisée par la foi que le Royaume espéré (et l’on sait l’importance thème de l’espérance dans l’épître – cf. ch. 11) s’est approché, étant porté par Jésus.
C’est la foi scellée au dimanche de Pâques, dont ne parle pas explicitement l’épître aux Hébreux : la foi à la résurrection de Jésus est devenue l’attestation de son être, le fondement de la foi à sa préexistence, et le moment inaugural du Royaume espéré.
Dès lors la religion de ceux qui croient que le Royaume éternel s’est approché en Jésus coexistera avec celle de ceux qui garderont le rite de Moïse en l’attente de la venue visible et tangible du Royaume de Dieu dans l’histoire.
Pas de supériorité d’un homme sur un autre, ni a fortiori d’une religion sur une autre, mais la foi à la venue d’un Royaume éternel, préexistant, au terme imminent d’une histoire, terme signifié par la destruction du Temple — le Royaume éternel étant, lui, annoncé par la manifestation dans le temps de celui qui est perçu par la foi comme le Prince préexistant de ce Royaume.
Hébreux 3, 7-19 :
Voilà donc une entrée dans le repos de Dieu proposée comme quelque chose de bien particulier — relevant de l’impossible, qui s’oppose à « l’incrédulité », l’impossible donc qu’est la foi à autre chose. Où l’on retrouve la question de la vocation céleste.
Repos : le mot grec, « catapausis » (« catapause »), qui traduit l’hébreu « shabbath », désigne bien, comme l’hébreu, une cessation. (Il est frappant que cela soit aussi le sens de « nirvana » !) Cessation. Cessation de l’agitation, de ce qui exaspère. Cessation qui doit enfin advenir pour que cesse notre traversée du désert.
Comme ceux « dont les cadavres tombèrent dans le désert » (Hé 3, 17), nous voilà qui traînons un quotidien pesant, sans horizon autre que cet horizon qui recule sans cesse. Nous voilà ancrés dans la nostalgie d’un hier semblable à l’Égypte des courges d’abondance. Telle est l’incrédulité qui bouche toute possibilité de repos : la cécité à tout autre horizon, contre laquelle sonne la voix de l’Esprit saint.
« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération », dit l’Épître citant le Psaume 95.
Au bout de l’horizon du temps, comme de la nostalgie des temps qui ne reviendront pas, il n’est que chemin de désert, et qu’hier emporté par le vent.
Hébreux 4, 1-16
Retour de l’Épître aux Hébreux sur les lendemains de l’Exode. Méditation commune, traditionnelle : la génération du désert n’est pas entrée en Terre promise pour les raisons que rappelle la Torah. Bref, propos classique.
Classique encore le thème de l’exil qui se prolonge. On voit bien que l’on traîne, que la douleur et la misère persistent. On attend la délivrance.
L’Épître enchaîne là-dessus. La terre promise n’a bel et bien jamais été atteinte. Josué qui a guidé cette entrée n’a de fait pas procuré ce que l’on peut appeler un repos. Josué — c’est-à-dire un premier Jésus : même nom.
Josué, préfiguration de son homonyme Jésus qui, lui, procure le repos, repos qui n’est donc pas des combats de l’histoire, mais de l’entrée dans le repos de Dieu, dont le Christ préexistant, venant de ce repos même, est dès lors porteur.
C’est aujourd’hui, dans un aujourd’hui permanent, qu’est proposée l’entrée dans le repos. Il n’y a pas de demain pour cela, demain qui n’est que prolongation de l’histoire d’aujourd’hui et d’hier, qui engendre fatigues nouvelles et nostalgies d’hier irrémédiables.
Le repos de Shabbath symbolise et signifie dans le temps l’entrée dans le repos qui est au-delà du temps. C’est entre l’usure irrémédiable du temps et la vérité de l’éternité que tranche le glaive de la parole de Dieu : entre articulations et moëlles, entre psychè (« âme ») et souffle (« esprit ») d’éternité. De cette séparation, dès aujourd’hui, s’ouvre le repos.
Hébreux 4, 14 – 5, 10
On sait que les fêtes chrétiennes reprennent les fêtes juives. On a parfois remarqué qu’il y manquait Yom Kippour, le jour du pardon (littéralement dans la Torah : Yom Ha-kippourim, le jour des expiations). Pas de date d’un Yom Kippour chrétien en effet. Mais si l’on s’en tient à l’Épître aux Hébreux, le christianisme est en soi une reprise du Yom Kippour. Ce pourquoi Jésus est présenté comme le grand pontife — qui présidait la cérémonie de Kippour dans l’institution du culte au Tabernacle, selon la Torah, dont le culte au Temple était la reprise. Chose décisive pour l’Épître en regard de la destruction imminente, ou déjà avérée, du Temple par les Romains. Sous cet angle, l’Épître aux Hébreux est essentiellement une épître de consolation adressée à une communauté qui voit la destruction du cœur symbolique de son rite. Une autre proposition à côté de celle de la Synagogue, qui elle, réactualise la proposition cultuelle qui avait été celle mise en place lors de la destruction du premier Temple.
Concernant le Yom Kippour dans la Torah, il s’agit d’une entrée dans le lieu très saint du Tabernacle, entrée unique annuelle, réservée au seul grand-pontife, par laquelle était signifié le pardon des péchés. Le cœur du Tabernacle, ou du Temple, signifie le cœur de la présence de Dieu, le cœur de la Cité céleste. Or Jésus est présenté par l’Épître comme venant vers nous depuis la Cité céleste éternelle. Il vient de la préexistence éternelle, comme l’a manifesté sa résurrection.
Comme le grand pontife de façon symbolique dans le symbole du Tabernacle, ou du Temple, Jésus officie donc de façon actuelle et éternelle au cœur du sanctuaire céleste. Il est donc, pour l’Épître, le grand-pontife éternel, doté de toutes les qualités requises du grand-pontife : compassion, connaissance de la souffrance, humilité, humanité. Humanité qui a été pleinement sienne, sans qu’il n’ait cependant commis le péché commun aux êtres humains. Sa venue dans la faiblesse de la vie humaine, n’est pas la réduction à cette faiblesse, mais est elle-même acte de compassion, acte sacerdotal du Christ préexistant et éternel.
D’où l’application à Jésus de la Parole du Psaume 110 concernant le Messie : « Tu es pontife pour l’éternité, selon l’ordre de Melkisédeq ». On sait qui est Melkisédeq dans la Torah. C’est ce personnage dont Abraham reconnaît l’office sacerdotal (Genèse 14). C’est tout ce que l’on en sait. On verra que l’Épître y fonde (dans les chapitres suivants) la légitimité sacerdotale de Jésus, qui, dit-elle, n’était pas de lignée sacerdotale. Son absence de généalogie sacerdotale va être donc référée à l’absence de généalogie sacerdotale de Melkisédeq dans la Torah — qui devient du coup une sorte de préfiguration de Jésus.
Reste que le sacerdoce éternel est attribué à Jésus de par la foi à son origine éternelle, préexistante, qui le rend apte à officier auprès de Dieu, duquel il nous a obtenu le pardon. Application radicale de la déclaration du Psaume 110 concernant la fonction sacerdotale du Roi-Messie.
C’est le cœur de la confession de foi que l’auteur de l’Épître aux Hébreux demande à ses lecteurs de tenir fermement, et d’où procède la « pleine assurance de l’accès au trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu ».
R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux
Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3) 10 & 12 décembre 2013 - II. Grand prêtre fidèle et compatissant : 3,1 – 5,10 (PDF).
Hébreux 3, 1-6 :
1 Ainsi donc, frères saints, qui avez en partage une vocation céleste, considérez l’apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi, Jésus.
2 Il est accrédité auprès de celui qui l’a constitué, comme Moïse le fut dans toute sa maison.
3 En fait, c’est une gloire supérieure à celle de Moïse qui lui revient, dans toute la mesure où le constructeur de la maison est plus honoré que la maison elle-même.
4 Toute maison, en effet, a son constructeur, et le constructeur de tout est Dieu.
5 Or Moïse fut accrédité dans toute sa maison comme serviteur en vue de garantir ce qui allait être dit,
6 mais Christ l’est comme Fils, et sur sa maison. Sa maison, c’est nous, si nous conservons la pleine assurance et la fierté de l’espérance.
Ce texte semble mettre (au v.3) en concurrence Moïse et Jésus, et par ricochet le judaïsme et le christianisme, pour affirmer la supériorité du second sur le premier et par ricochet du christianisme sur le judaïsme. Ainsi l’épître aux Hébreux serait une pierre à l’édifice de la « théologie de la substitution », qui a fait tant de dégâts dans l’histoire — théologie selon laquelle le christianisme serait venu remplacer un judaïsme relégué dans le passé… Réaffirmons d’emblée que cette lecture est erronée.
Première impression donc, cette lecture ne s’impose-t-elle pourtant pas ? Jésus ne semble-t-il pas donné comme supérieur à Moïse ?… Qu’est-ce à dire ? N’est-il pas effectivement question d’une concurrence entre deux fondateurs de deux religions ?
Relisons donc le début du passage. En fait, il faudrait relire tout le début de l’épître qui débouche sur ce passage. « Vous avez une vocation céleste » est-il dit aux lecteurs. Le début de l’épître présente en effet Jésus comme être céleste, préexistant, supérieur aux anges (ch. 1) et venant de cette préexistence céleste à la rencontre de l’humanité (ch. 2), précisément et concrètement en la descendance d’Abraham, pour lui signifier sa « vocation céleste ».
Voilà qui nous situe d’emblée, non pas dans l’histoire où pérégrinent Abraham et ses descendants, dont les lecteurs de l’épître, et Moïse comme fondateur de la religion qui est celle des lecteurs de l’épître, mais dans la préexistence céleste de Jésus à laquelle aussi sont appelés ces lecteurs.
Ni substitution d’une religion à l’autre, ni supériorité d’une religion sur l’autre. Une seule religion, celle d’Israël, à qui son rite a été donné par Moïse, rite qui est celui des lecteurs, qui vaut pour tout ce temps, tant que ce temps dure. Et d’autre part un monde céleste qui a été manifesté en Jésus, forme du Royaume qui vient de façon imminente : « vocation céleste », dès aujourd’hui, pour un Royaume qui s’annonce, celui promis dès Abraham et dont la maison gérée par Moïse est l’insertion dans l’histoire et dans le temps.
Et voilà que — c’est la confession de foi que l’épître aux Hébreux invite ses lecteurs à garder — le temps céleste du Royaume promis, le temps de la fin de l’exil s’est approché.
Et 70 est là, qui voit la destruction du Temple, fin de ce monde pour les témoins du Nouveau Testament, comme la destruction du premier Temple avait été la fin d’un autre monde. Anticipation de la fin du monde comme le déluge avait été la fin d’un premier monde (cf. 2 Pierre, ch. 3).
70, date autour de laquelle tourne l’épître aux Hébreux, comme tout le Nouveau Testament. Fin d’un monde, fin annoncée autour de laquelle va se mettre en place sur le rythme de la célébration des événements de la vie de Jésus (que l’on appellera « les faits chrétiens »), le rite de l’attente de la venue en gloire de Jésus.
En naîtra une seconde religion, en rien supérieure à la première, simplement caractérisée par la foi que le Royaume espéré (et l’on sait l’importance thème de l’espérance dans l’épître – cf. ch. 11) s’est approché, étant porté par Jésus.
C’est la foi scellée au dimanche de Pâques, dont ne parle pas explicitement l’épître aux Hébreux : la foi à la résurrection de Jésus est devenue l’attestation de son être, le fondement de la foi à sa préexistence, et le moment inaugural du Royaume espéré.
Dès lors la religion de ceux qui croient que le Royaume éternel s’est approché en Jésus coexistera avec celle de ceux qui garderont le rite de Moïse en l’attente de la venue visible et tangible du Royaume de Dieu dans l’histoire.
Pas de supériorité d’un homme sur un autre, ni a fortiori d’une religion sur une autre, mais la foi à la venue d’un Royaume éternel, préexistant, au terme imminent d’une histoire, terme signifié par la destruction du Temple — le Royaume éternel étant, lui, annoncé par la manifestation dans le temps de celui qui est perçu par la foi comme le Prince préexistant de ce Royaume.
Hébreux 3, 7-19 :
7 C’est pourquoi, comme dit l’Esprit Saint: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix,
8 n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération, au jour de la mise à l’épreuve dans le désert,
9 où vos pères me mirent à l’épreuve en cherchant à me sonder, et ils virent mes œuvres
10 pendant quarante ans. C’est pourquoi, je me suis emporté contre cette génération et j’ai dit: Toujours leurs cœurs s’égarent; ces gens-là n’ont pas trouvé mes chemins,
11 car j’ai juré dans ma colère: On verra bien s’ils entreront dans mon repos!
12 Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant,
13 mais encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché.
14 Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale,
15 alors qu’il est dit: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération.
16 Quels sont, en effet, ceux qui entendirent et qui provoquèrent l’exaspération? N’est-ce pas tous ceux qui sortirent d’Egypte grâce à Moïse?
17 Et contre qui s’est-il emporté pendant quarante ans? N’est-ce pas contre ceux qui avaient péché, dont les cadavres tombèrent dans le désert?
18 Et à qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ces indociles?
19 Et nous constatons qu’ils ne purent pas entrer à cause de leur incrédulité.
Voilà donc une entrée dans le repos de Dieu proposée comme quelque chose de bien particulier — relevant de l’impossible, qui s’oppose à « l’incrédulité », l’impossible donc qu’est la foi à autre chose. Où l’on retrouve la question de la vocation céleste.
Repos : le mot grec, « catapausis » (« catapause »), qui traduit l’hébreu « shabbath », désigne bien, comme l’hébreu, une cessation. (Il est frappant que cela soit aussi le sens de « nirvana » !) Cessation. Cessation de l’agitation, de ce qui exaspère. Cessation qui doit enfin advenir pour que cesse notre traversée du désert.
Comme ceux « dont les cadavres tombèrent dans le désert » (Hé 3, 17), nous voilà qui traînons un quotidien pesant, sans horizon autre que cet horizon qui recule sans cesse. Nous voilà ancrés dans la nostalgie d’un hier semblable à l’Égypte des courges d’abondance. Telle est l’incrédulité qui bouche toute possibilité de repos : la cécité à tout autre horizon, contre laquelle sonne la voix de l’Esprit saint.
« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération », dit l’Épître citant le Psaume 95.
Au bout de l’horizon du temps, comme de la nostalgie des temps qui ne reviendront pas, il n’est que chemin de désert, et qu’hier emporté par le vent.
Hébreux 4, 1-16
1 Craignons donc, alors que subsiste une promesse d’entrer dans son repos, craignons que quelqu’un d’entre vous ne soit convaincu d’être resté en retrait.
2 Car nous avons reçu la bonne nouvelle tout comme ces gens-là, mais la parole qu’ils avaient entendue ne leur fut d’aucun profit, car les auditeurs ne s’en sont pas pénétrés par la foi.
3 Nous qui sommes venus à la foi, nous entrons dans le repos, dont il a dit: Car j’ai juré dans ma colère: On verra bien s’ils entreront dans mon repos! son ouvrage, assurément, ayant été réalisé dès la fondation du monde,
4 car on a dit du septième jour: Et Dieu se reposa le septième jour de tout son ouvrage,
5 et de nouveau dans notre texte: s’ils entreront dans mon repos.
6 Ainsi donc, puisqu’il reste décidé que certains y entrent, et que les premiers à avoir reçu la bonne nouvelle n’y entrèrent pas à cause de leur indocilité,
7 il fixe de nouveau un jour, aujourd’hui, disant beaucoup plus tard, dans le texte de David déjà cité: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs.
8 De fait, si Josué leur avait assuré le repos, il ne parlerait pas, après cela, d’un autre jour.
9 Un repos sabbatique reste donc en réserve pour le peuple de Dieu.
10 Car celui qui est entré dans son repos s’est mis, lui aussi, à se reposer de son ouvrage, comme Dieu s’est reposé du sien.
11 Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos, afin que le même exemple d’indocilité n’entraîne plus personne dans la chute.
12 Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur.
13 Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c’est à elle que nous devons rendre compte.
Retour de l’Épître aux Hébreux sur les lendemains de l’Exode. Méditation commune, traditionnelle : la génération du désert n’est pas entrée en Terre promise pour les raisons que rappelle la Torah. Bref, propos classique.
Classique encore le thème de l’exil qui se prolonge. On voit bien que l’on traîne, que la douleur et la misère persistent. On attend la délivrance.
L’Épître enchaîne là-dessus. La terre promise n’a bel et bien jamais été atteinte. Josué qui a guidé cette entrée n’a de fait pas procuré ce que l’on peut appeler un repos. Josué — c’est-à-dire un premier Jésus : même nom.
Josué, préfiguration de son homonyme Jésus qui, lui, procure le repos, repos qui n’est donc pas des combats de l’histoire, mais de l’entrée dans le repos de Dieu, dont le Christ préexistant, venant de ce repos même, est dès lors porteur.
C’est aujourd’hui, dans un aujourd’hui permanent, qu’est proposée l’entrée dans le repos. Il n’y a pas de demain pour cela, demain qui n’est que prolongation de l’histoire d’aujourd’hui et d’hier, qui engendre fatigues nouvelles et nostalgies d’hier irrémédiables.
Le repos de Shabbath symbolise et signifie dans le temps l’entrée dans le repos qui est au-delà du temps. C’est entre l’usure irrémédiable du temps et la vérité de l’éternité que tranche le glaive de la parole de Dieu : entre articulations et moëlles, entre psychè (« âme ») et souffle (« esprit ») d’éternité. De cette séparation, dès aujourd’hui, s’ouvre le repos.
Hébreux 4, 14 – 5, 10
14 Ayant donc un grand prêtre éminent, qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, tenons ferme la confession de foi.
15 Nous n’avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses; il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher.
16 Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu.
1 Tout grand prêtre, en effet, pris d’entre les hommes est établi en faveur des hommes pour leurs rapports avec Dieu. Son rôle est d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés.
2 Il est capable d’avoir de la compréhension pour ceux qui ne savent pas et s’égarent, car il est, lui aussi, atteint de tous côtés par la faiblesse
3 et, à cause d’elle, il doit offrir, pour lui-même aussi bien que pour le peuple, des sacrifices pour les péchés.
4 On ne s’attribue pas à soi-même cet honneur, on le reçoit par appel de Dieu, comme ce fut le cas pour Aaron.
5 C’est ainsi que le Christ non plus ne s’est pas attribué à lui-même la gloire de devenir grand prêtre; il l’a reçue de celui qui lui a dit: Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré,
6 conformément à cette autre parole: Tu es prêtre pour l’éternité à la manière de Melkisédeq.
7 C’est lui qui, au cours de sa vie terrestre, offrit prières et supplications avec grand cri et larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de sa soumission.
8 Tout Fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance,
9 et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éternel,
10 ayant été proclamé par Dieu grand prêtre à la manière de Melkisédeq.
On sait que les fêtes chrétiennes reprennent les fêtes juives. On a parfois remarqué qu’il y manquait Yom Kippour, le jour du pardon (littéralement dans la Torah : Yom Ha-kippourim, le jour des expiations). Pas de date d’un Yom Kippour chrétien en effet. Mais si l’on s’en tient à l’Épître aux Hébreux, le christianisme est en soi une reprise du Yom Kippour. Ce pourquoi Jésus est présenté comme le grand pontife — qui présidait la cérémonie de Kippour dans l’institution du culte au Tabernacle, selon la Torah, dont le culte au Temple était la reprise. Chose décisive pour l’Épître en regard de la destruction imminente, ou déjà avérée, du Temple par les Romains. Sous cet angle, l’Épître aux Hébreux est essentiellement une épître de consolation adressée à une communauté qui voit la destruction du cœur symbolique de son rite. Une autre proposition à côté de celle de la Synagogue, qui elle, réactualise la proposition cultuelle qui avait été celle mise en place lors de la destruction du premier Temple.
Concernant le Yom Kippour dans la Torah, il s’agit d’une entrée dans le lieu très saint du Tabernacle, entrée unique annuelle, réservée au seul grand-pontife, par laquelle était signifié le pardon des péchés. Le cœur du Tabernacle, ou du Temple, signifie le cœur de la présence de Dieu, le cœur de la Cité céleste. Or Jésus est présenté par l’Épître comme venant vers nous depuis la Cité céleste éternelle. Il vient de la préexistence éternelle, comme l’a manifesté sa résurrection.
Comme le grand pontife de façon symbolique dans le symbole du Tabernacle, ou du Temple, Jésus officie donc de façon actuelle et éternelle au cœur du sanctuaire céleste. Il est donc, pour l’Épître, le grand-pontife éternel, doté de toutes les qualités requises du grand-pontife : compassion, connaissance de la souffrance, humilité, humanité. Humanité qui a été pleinement sienne, sans qu’il n’ait cependant commis le péché commun aux êtres humains. Sa venue dans la faiblesse de la vie humaine, n’est pas la réduction à cette faiblesse, mais est elle-même acte de compassion, acte sacerdotal du Christ préexistant et éternel.
D’où l’application à Jésus de la Parole du Psaume 110 concernant le Messie : « Tu es pontife pour l’éternité, selon l’ordre de Melkisédeq ». On sait qui est Melkisédeq dans la Torah. C’est ce personnage dont Abraham reconnaît l’office sacerdotal (Genèse 14). C’est tout ce que l’on en sait. On verra que l’Épître y fonde (dans les chapitres suivants) la légitimité sacerdotale de Jésus, qui, dit-elle, n’était pas de lignée sacerdotale. Son absence de généalogie sacerdotale va être donc référée à l’absence de généalogie sacerdotale de Melkisédeq dans la Torah — qui devient du coup une sorte de préfiguration de Jésus.
Reste que le sacerdoce éternel est attribué à Jésus de par la foi à son origine éternelle, préexistante, qui le rend apte à officier auprès de Dieu, duquel il nous a obtenu le pardon. Application radicale de la déclaration du Psaume 110 concernant la fonction sacerdotale du Roi-Messie.
C’est le cœur de la confession de foi que l’auteur de l’Épître aux Hébreux demande à ses lecteurs de tenir fermement, et d’où procède la « pleine assurance de l’accès au trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu ».
R.P.
Une lecture de l’Épître aux Hébreux
Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3) 10 & 12 décembre 2013 - II. Grand prêtre fidèle et compatissant : 3,1 – 5,10 (PDF).
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