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samedi 9 juillet 2022

Des portes de la mort...




1 Rois 22, 29-37
‭Le roi d’Israël [Achab] et Josaphat, roi de Juda, montèrent à Ramoth en Galaad.‭
‭Le roi d’Israël dit à Josaphat : Je veux me déguiser pour aller au combat ; mais toi, revêts-toi de tes habits. Et le roi d’Israël se déguisa, et alla au combat.‭
‭Le roi de Syrie avait donné cet ordre aux trente-deux chefs de ses chars : Vous n’attaquerez ni petits ni grands, mais vous attaquerez seulement le roi d’Israël.‭
‭Quand les chefs des chars aperçurent Josaphat, ils dirent : Certainement, c’est le roi d’Israël. Et ils s’approchèrent de lui pour l’attaquer. Josaphat poussa un cri.‭
‭Les chefs des chars, voyant que ce n’était pas le roi d’Israël, s’éloignèrent de lui.‭
‭Alors un homme tira de son arc au hasard, et frappa le roi d’Israël au défaut de la cuirasse. Le roi dit à celui qui dirigeait son char : Tourne, et fais-moi sortir du champ de bataille, car je suis blessé.‭
‭Le combat devint acharné ce jour-là. Le roi fut retenu dans son char en face des Syriens, et il mourut le soir. Le sang de la blessure coula dans l’intérieur du char.‭
‭Au coucher du soleil, on cria par tout le camp : Chacun à sa ville et chacun dans son pays !‭
‭Ainsi mourut le roi, qui fut ramené à Samarie ; et on enterra le roi à Samarie.‭

Auparavant…

1 Rois 22, 19-23 & 28
‭Michée [avait] dit : Écoute donc la parole de l'Éternel ! J’ai vu l'Éternel assis sur son trône, et toute l’armée des cieux se tenant auprès de lui, à sa droite et à sa gauche.‭
‭Et l'Éternel dit : Qui séduira Achab, pour qu’il monte à Ramoth en Galaad et qu’il y périsse ? Ils répondirent l’un d’une manière, l’autre d’une autre.‭
‭Et un esprit vint se présenter devant l'Éternel, et dit : Moi, je le séduirai.‭
‭L’Éternel lui dit : Comment ?‭ Je sortirai, répondit-il, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. L’Éternel dit : Tu le séduiras, et tu en viendras à bout ; sors, et fais ainsi !‭
‭Et maintenant, voici, l’Éternel a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tous tes prophètes qui sont là. Et l'Éternel a prononcé du mal contre toi.‭ […]
‭Et Michée dit : Si tu reviens en paix, l'Éternel n’a point parlé par moi. Il dit encore : Vous tous, peuples, entendez !‭

Farid ud-Dîn Attar - 1140-1230 -, Ce soir à Samarcande :
Il y avait une fois, dans Bagdad, un Calife et son Vizir. Un jour, le Vizir arriva devant le Calife, pâle et tremblant :
« Pardonne mon épouvante, Lumière des Croyants, mais devant le Palais une femme m’a heurté dans la foule. Je me suis retourné : et cette femme au teint pâle, aux cheveux sombres, à la gorge voilée par une écharpe rouge était la Mort. En me voyant, elle a fait un geste vers moi. Puisque la mort me cherche ici, Seigneur, permets-moi de fuir me cacher loin d’ici, à Samarcande. En me hâtant, j’y serai avant ce soir. »
Sur quoi il s’éloigna au grand galop de son cheval et disparut dans un nuage de poussière vers Samarcande. Le Calife sortit alors de son Palais et lui aussi rencontra la Mort. Il lui demanda :
« Pourquoi avoir effrayé mon Vizir qui est jeune et bien-portant ? »
- Et la Mort répondit :
« Je n’ai pas voulu l’effrayer, mais en le voyant dans Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir à Samarcande. »

Ésaïe 38, 1-6
‭En ce temps-là, Ézéchias fut malade à la mort. Le prophète Ésaïe, fils d’Amots, vint auprès de lui, et lui dit : Ainsi parle l'Éternel : Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir, et tu ne vivras plus.‭
‭Ézéchias tourna son visage contre le mur, et fit cette prière à l'Éternel :‭
‭Ô Éternel ! souviens-toi que j’ai marché devant ta face avec fidélité et intégrité de cœur, et que j’ai fait ce qui est bien à tes yeux ! Et Ézéchias répandit d’abondantes larmes.‭
‭Puis la parole de l'Éternel fut adressée à Ésaïe, en ces mots :‭
‭Va, et dis à Ézéchias : Ainsi parle l'Éternel, le Dieu de David, ton père : J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes. Voici, j’ajouterai à tes jours quinze années.‭

Luc 22, 42
« Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne.‭ »

RP, Méditation cp Châtellerault, 9.07.2022

lundi 16 juin 2014

Le repos de la foi



Les mots grecs de la Bible des LXX traduisent souvent par cessation : κατάπαυσίς, ἀνάπαυσις / re-pos, plusieurs mots hébreux qualifiant le repos. La LXX viserait donc à qualifier comme cessation la notion — liturgique — de shabbat / cf. Genèse 2, v. 2 où le même mot - κατάπαυσίς - traduit en grec l'hébreu shabbat.

Psaume 92:1 (91:1) Cantique pour le jour du sabbat. — LXX : εἰς τὴν ἡμέραν τοῦ σαββάτου / shabbat.

Psaumes 55:6 (54:7) Je dis : Oh ! si j’avais les ailes de la colombe, Je m’envolerais, et je trouverais le repos ; κατάπαυσίς — שׁכן

Psaumes 95:11 (94:11) Aussi je jurai dans ma colère : Ils n’entreront pas dans mon repos ! κατάπαυσίς — מנוחה

Psaumes 116:7 (114:7) Mon âme, retourne à ton repos, Car l’Eternel t’a fait du bien. ἀνάπαυσις — מנוח

Psaumes 122:6 (121:6) Demandez la paix de Jérusalem. Que ceux qui t’aiment jouissent du repos ! ἀνάπαυσις — שׁלה

Psaumes 132:4 (131:4) Je ne donnerai ni sommeil à mes yeux, Ni assoupissement à mes paupières. ἀνάπαυσις — תנומה
Psaumes 132:8 (131:8) Lève-toi, Eternel, viens à ton lieu de repos, Toi et l’arche de ta majesté ! ἀνάπαυσις — מנוחה
Psaumes 132:14 (131:14) C’est mon lieu de repos à toujours ; J’y habiterai, car je l’ai désirée. κατάπαυσίς — מנוחה

*

Genèse 2, 2 Dieu acheva, le sixième jour, ses œuvres, les œuvres qu'il avait faites ; et il se reposa / cessa le septième jour de ses travaux, de tous les travaux qu'il avait accomplis. κατάπαυσίς — שׁבת / shabbat.

*

« En Marc 2, 27 Jésus est rapporté avoir dit: "Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat". Cette parole a une force peu commune. Jésus ne renverse-t-il pas toute la loi juive pour mettre l’être humain au centre ? Voilà qui est révolutionnaire ! Le passage semble justifier l’idée d’un Jésus qui dresse sa propre autorité contre celle de la Torah. Toutefois, il convient de noter que le dit de Jésus trouve un parallèle étroit dans le Midrash de la Mechilta, un commentaire juif sur les lois de l’Exode codifié peu après la rédaction du Nouveau Testament. Au cours d’une discussion des circonstances qui permettent la transgression du sabbat (p. ex., quand il s’agit de sauver une vie humaine), Rabbi Simon ben Menasya s’exprime ainsi : "C’est à vous que le sabbat est donné et non vous au sabbat". Le dit s’apparente étroitement à celui de Jésus, et sur le plan du style, et sur le plan du contenu. Or, le rabbin ne prétend certainement pas s’opposer à la Torah. Au contraire, il s’inspire de la loi. En effet, il tire son idée d’un verset de la Bible, Exode 31,14, où il est écrit : "Observez le sabbat, car il sera saint pour vous" ; le sabbat est donc "pour vous". Il est probable que Jésus aussi ait élaboré sa sentence sur le sabbat à partir de sa lecture de l’Ancien Testament. » Jan Joosten, Colloque FPF des 1er et 2 octobre 2010, "Foi protestante et judaïsme", in Foi et Vie déc. 2011, p. 5

*

Hébreux 3, 7 – 4, 11
7 C’est pourquoi, selon ce que dit le Saint-Esprit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix,
8 N’endurcissez pas vos cœurs, comme lors de la révolte, Le jour de la tentation dans le désert,
9 Où vos pères me tentèrent Pour m’éprouver, et ils virent mes œuvres Pendant quarante ans.
10 Aussi je fus irrité contre cette génération, et je dis : Ils ont toujours un cœur qui s’égare. Ils n’ont pas connu mes voies.
11 Je jurai donc dans ma colère: Ils n’entreront pas dans mon repos !
12 Prenez garde, frères, que quelqu’un de vous n’ait un cœur mauvais et incrédule, au point de se détourner du Dieu vivant.
13 Mais exhortez-vous les uns les autres chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché.
14 Car nous sommes devenus participants de Christ, pourvu que nous retenions fermement jusqu’à la fin l’assurance que nous avions au commencement,
15 pendant qu’il est dit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs, comme lors de la révolte.
16 Qui furent, en effet, ceux qui se révoltèrent après l’avoir entendue, sinon tous ceux qui étaient sortis d’Egypte sous la conduite de Moïse ?
17 Et contre qui Dieu fut-il irrité pendant quarante ans, sinon contre ceux qui péchaient, et dont les cadavres tombèrent dans le désert ?
18 Et à qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ceux qui avaient désobéi ?
19 Aussi voyons-nous qu’ils ne purent y entrer à cause de leur incrédulité.

1 Craignons donc, tandis que la promesse d’entrer dans son repos subsiste encore, qu’aucun de vous ne paraisse être venu trop tard.
2 Car cette bonne nouvelle nous a été annoncée aussi bien qu’à eux ; mais la parole qui leur fut annoncée ne leur servit de rien, parce qu’elle ne trouva pas de la foi chez ceux qui l’entendirent.
3 Pour nous qui avons cru, nous entrons dans le repos, selon qu’il dit: Je jurai dans ma colère : Ils n’entreront pas dans mon repos ! Il dit cela, quoique ses œuvres eussent été achevées depuis la création du monde.
4 Car il a parlé quelque part ainsi du septième jour : Et Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour.
5 Et ici encore : Ils n’entreront pas dans mon repos !
6 Or, puisqu’il est encore réservé à quelques-uns d’y entrer, et que ceux à qui d’abord la promesse a été faite n’y sont pas entrés à cause de leur désobéissance,
7 Dieu fixe de nouveau un jour - aujourd’hui - en disant dans David si longtemps après, comme il est dit plus haut : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs.
8 Car, si Josué leur eût donné le repos, il ne parlerait pas après cela d’un autre jour.
9 Il y a donc un repos de sabbat réservé au peuple de Dieu.
10 Car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé des siennes.
11 Efforçons-nous donc d’entrer dans ce repos, afin que personne ne tombe en donnant le même exemple de désobéissance.




Notre Père qui es aux cieux,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du Mal.
Car c’est à toi qu’appartiennent
le règne, la puissance et la gloire
aux siècles des siècles.
Amen.



RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
8) Mardi 17 & jeudi 19 juin 2014 - Le repos de la foi — « Qui dites-vous que je suis ? ». Ou : devant Dieu par la prière de Jésus (PDF)


lundi 19 mai 2014

Des Psaumes au « Notre Père »



Les cinq livres des Psaumes sont reçus dans le judaïsme comme correspondant aux cinq livres de la Torah — chacun des livres des Psaumes à un de ces livres d'enseignement de la liberté. Les Psaumes prient ainsi l'espérance de la délivrance de la captivité, de toutes les captivités, l'espérance de la Terre promise.

Le Notre Père en serait-il comme un condensé ? Le Notre Père aussi, comme en écho aux cinq livres de la délivrance de la captivité et de l'esclavage, et comme en écho aux cinq livres des Psaumes, se déploie en cinq demandes (chez Luc — dont deux sont dédoublées chez Mathieu : les cinq demandes en devenant donc sept, ou cinq dont deux dédoublées).

Le Notre Père est lui aussi une demande de délivrance adressée au Dieu dont la sainteté de son Nom (1ère demande / cf. Ézéchiel 36) sera ainsi dévoilée, par la venue de son Règne (2ème demande), jusqu'à la délivrance totale du mal (5ème demande / 7ème chez Mathieu).

« Que ton Règne vienne » peut ainsi rassembler l'espérance de l'Exode, deuxième livre des Psaumes (qui pour le judaïsme correspond au livre de l'Exode) — qui se clôt par le Psaume 72...


Psaume 72
1 De Salomon.
Dieu, confie tes jugements au roi,
ta justice à ce fils de roi.
2 Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
et tes humbles selon le droit.

3 Grâce à la justice, que montagnes et collines
portent la prospérité pour le peuple !
4 Qu’il fasse droit aux humbles du peuple,
qu’il soit le salut des pauvres, qu’il écrase l’exploiteur !

5 Que l’on te craigne,
tant que soleil et lune brilleront, jusqu’au dernier des siècles !

6 Qu’il descende comme l’averse sur les regains,
comme la pluie qui détrempe la terre !
7 Pendant son règne, que le juste soit florissant,
et grande la prospérité, jusqu’à la fin des lunaisons !

8 Qu’il domine d’une mer à l’autre,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !
9 Les nomades s’inclineront devant lui,
ses ennemis lécheront la poussière.
10 Les rois de Tarsis et des Îles enverront des présents ;
les rois de Saba et de Séva paieront le tribut.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui,
toutes les nations le serviront.

12 Oui, il délivrera le pauvre qui appelle,
et les humbles privés d’appui.
13 Il prendra souci du pauvre et du faible ;
aux pauvres, il sauvera la vie :
14 Il les défendra contre la brutalité et la violence,
il donnera cher de leur vie.

15 Qu’il vive ! On lui donnera l’or de Saba,
on priera pour lui sans relâche, on le bénira tous les jours !

16 Qu’il y ait dans le pays, au sommet des montagnes, des champs de blé
dont les épis ondulent comme le Liban, et de la ville, on ne verra qu’un pays de verdure.

17 Qu’il se fasse un nom éternel, qu’il le propage sous le soleil,
afin qu’on se bénisse l’un l’autre en le nommant et que toutes les nations le disent bienheureux.

18 Béni soit le SEIGNEUR Dieu, le Dieu d’Israël,
le seul qui fasse des miracles !
19 Béni soit à jamais son nom glorieux !
Que toute la terre soit remplie de sa gloire !
Amen et amen !

20 Fin des prières de David, fils de Jessé.

*

… Un Psaume, une prière, qui nous dit l’espérance universelle de la justice — et qui promet la justice universelle. Un Psaume qui nous rejoint au cœur de notre désespérance de ce que cette promesse semble ne jamais advenir.

Quand on sait que les Psaumes étaient les prières de Jésus, on ne peut s'empêcher de penser que Jésus pleurant sur Jérusalem le faisait en écho à ce Psaume — Jérusalem ville du Messie, roi de justice, qui semble ne voir jamais advenir la justice remise par Dieu pour la ville et pour la terre entière à ce roi de justice espéré.

Cette espérance dont on désespère, celle d'un règne universel de la justice, d'un règne où tout est repris de ce que font les empires et leur paix universelles imposées par la force et la violence, par le viol de la justice. Ici la paix universelle viendra par la justice. Lécheront la poussière, de honte, ceux qui s'y opposés par la violence, tandis que les ressources et les biens, les traditions et les richesses de tous les peuples serviront avec joie ce règne de justice, apportés comme pour une offrande, comme reconnaissance de ce qu'il ne peut y avoir de règne universel que dans la justice.

Au temps de Jésus, cela n'est jamais advenu en sa plénitude, Jésus en pleure sur Jérusalem ; depuis Jésus, ce n'est non plus jamais advenu au sein des nations, pas même celles sur lesquelles son nom pourtant a été invoqué. Mais celui qui a porté cette espérance et qui en donne la promesse est plus vrai que nos désespérances, puisqu'il a vaincu jusqu'à la mort même. Christ ressuscité ne meurt pas. Avec nous jusqu'à la fin du monde, il est celui qui nous envoie — nous nourrissant de sa promesse qui a vaincu toutes les désespérances.

*

« Enseigne-nous à prier », ont demandé les disciples. « Voici comment vous devez prier : quand vous priez, dites... Père... », répond Jésus. Voilà qui nous place dans l’intimité de Dieu — Père / « Abba », selon ce que rapportent de l’araméen Marc (14, 36 : Jésus au Gethsémané) et Paul (Romains 8, 15 ; Galates 4, 6). Intimité : souvenons-nous que Matthieu précise : « entre dans ta chambre, ferme la porte. » Où l’on reçoit du Père la loi clamée publiquement de la chaire, déjà au Sinaï, après en avoir reçu un nom. Et en écho la prière liturgique publique, le « Notre Père », donc. « Toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom du Père », rappelle l'Épître aux Éphésiens (3, 14-15).

« Que ton nom soit sanctifié », sanctifié c'est-à-dire mis à part, considéré avec un respect infini, jamais prononcé en vain, et donc, au fond, reconnu comme indicible. «Que ton nom soit sanctifié». D'autant plus que négliger le nom du Père, nous qu'il adopte comme ses enfants, c'est ne pas percevoir l’ouverture d'avenir qui s’y trouve. « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre » dit la Loi. D'emblée donc, la prière du Seigneur nous ouvre tout un programme, et un avenir, ce qui fait rejoindre un des thèmes de cette sanctification du Nom dans les livres prophétiques : cet aspect qui concerne l’avenir : la venue du Royaume — du Règne où Dieu sanctifie lui-même son nom en accomplissant sa promesse.

*

Et effectivement cette première demande est suivie de la demande de la venue du Règne de Dieu, par l’accomplissement de la volonté de Dieu jusque sur cette terre en désordre.

Les disciples ne savent pas qu'ils viennent de poser à Jésus une question très délicate, aux conséquences périlleuses pour eux-mêmes. Mais c'est par là, par cette prière, que viendra le Royaume, le Règne de Dieu. En cinq demandes. Sept chez Matthieu — la troisième et la septième de Matthieu étant une extension de la seconde et de la sixième demande («que ton règne vienne» s'y commente en « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » et « ne nous soumets pas à la tentation » s’y commente en « délivre-nous du mal »).

Cinq demandes donc, qui risquent fort si nous y prenons garde, de nous mener où nous ne voudrions pas, à savoir au Règne de Dieu dont nous demandons pourtant qu'il vienne. Aller où nous n'aurions pas prévu, ou du moins d'une façon que nous n'aurions pas prévue, comme Pierre à la fin de l'évangile de Jean (21, 18) : « un autre te mènera où tu ne voudras pas ».

*

« Donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour »… ? L'abondance à laquelle tous aspirent vient de Dieu seul. Lui seul est riche : des biens spirituels, du pain du ciel, et du pain qui nourrit le ventre de façon à ouvrir les oreilles. Cela dit, le pain de ce jour pour lequel nous prions est plus que la simple nourriture périssable. Le terme choisi l’indique clairement. Il est la manne. Il est la nourriture éternelle qui est d'être pardonné et accepté, d'avoir trouvé un père... Notre Père, disent les disciples.

Arrêtons-nous donc sur la plus troublante de ces cinq demandes : celle concernant le pardon : «pardonne-nous nos péchés, comme nous pardonnons aussi à qui nous offense».

Ce mot rendu dans Luc par « péché », ou « offense », ou « manquement » peut aussi être rendu par « dette », selon le parallèle de Matthieu — le sens « péché » étant une dimension spirituelle de la dette. En ce sens, le mot peut relever non pas tant de la faute que de la création : même sans faute, nous sommes en dette envers Dieu comme on l'est à l'égard d'un père (ou d’une mère) — «Notre Père» — sans lequel nous ne serions pas, celui par qui nous sommes, non pas tant parce qu'il a donné la semence qui nous origine, mais parce qu'il nous a donné un nom, son nom. Cette dette-là ne peut être payée : son prix est infini. Le reconnaître entraîne une attitude de pardon, de remise des dettes. La remise des dettes est donc effectivement incontournable ; elle est la condition de la prolongation de nos êtres jusqu'à la venue du Règne, en lien étroit avec la demande précédente, celle du don du pain de ce jour. Si le plus puissant, le Père, exige le remboursement de la dette, il en vient à terme à écraser l'enfant.

Mieux qu’un père, Dieu donne ce qui est bon à ses enfants. L'instauration de son Règne est une remise de dettes par Dieu à notre égard. D'autant plus, au fond, que la dette est donc trop infinie pour être remboursée.

C'est sur cela qu'est établie l'institution biblique de la loi du Jubilé, par lequel s'inaugure le Royaume. Rappelons-nous que le Jubilé est ce que prévoit la Torah : cette remise des dettes obligatoire tous les cinquante ans. Jésus (cf. Luc 4) inaugure son ministère messianique par la proclamation du Jubilé. Cette libération, remise des dettes par Dieu, se signifie dans nos remises de dettes. C’est le sens du « comme nous remettons ». Nous sommes appelés à la suite du Christ à faire un don gratuit de nous-mêmes, n’aurait-il en retour que de l'ingratitude.

*

Précédée de la demande du pain, lieu par excellence de la dette à Dieu, la prière pour la remise des dettes et le pardon des offenses est suivie de : «Ne nous laisse pas entrer en tentation» — «ne nous expose pas dans l'épreuve». Pourquoi Dieu se tait-il face aux prières de son peuple, pourquoi tarde-t-il à instaurer son Règne ?

Face au silence céleste, ce silence qui dure, où Dieu qui est censé être notre Père nous apparaît pourtant si dur, impitoyable, nous donnant essentiellement une Loi, alors qu'on ne voit pas venir de consolation, et à plus forte raison la consolation du Règne de Dieu — on sera tenté de dire : ces maux qui nous adviennent, fussent-ils de notre faute, ne sont-ils pas le signe que Dieu se désintéresse de nous ? Où l'épreuve dont nous demandons que nous n'y sombrions pas devient tentation de se dire que ce Dieu est finalement méchant. Et que de fois l'a-t-on entendu à propos du Dieu dit « de l'Ancien Testament », oubliant que c'est ce Dieu que Jésus appelle son Père ? Tentation de rejeter ce Dieu qui donne la Loi, et avec elle son silence. Or c'est là son rôle de Père : donner la Loi et nous apprendre à patienter, à recevoir le plaisir plus tard. Se séparer un jour du plaisir immédiat du sein maternel. Le père disant la loi et privant ainsi du plaisir immédiat.

C'est de la sorte que Dieu nous conduit au Règne qui lui appartient avec la puissance et la gloire, ce Règne qui vient pour nous à la mesure où nous recevons avec joie la volonté de Dieu, sa Loi.

C'est le temps d'un passage douloureux, celui de l'apprentissage, qui précède la liberté et la joie. C'est encore la leçon de Paul : comme pour la douleur d'un enfantement, Dieu a soumis la Création à la vanité et à la douleur, avec une espérance : sa libération, comme la naissance (Romains 8, 20-22). La tentation serait de se laisser abattre et de se dire que face à une telle situation, une telle douleur, celle qui est la nôtre, le Royaume ne viendra pas, la naissance n'aura pas lieu. C'est face à cette tentation que Jésus appelle à la persévérance dans la confiance en Dieu qui nous délivre du mal.

*

Face à ce présent lourd, accablant, ou face à notre mauvaise volonté, — il s’agit de persévérer, de requérir la justice de la foi, prête à se manifester, dans sa splendeur et sa liberté ; il n'est qu'à exiger ce que Dieu promet, exiger son Règne. Persévérer dans la prière, comme l'ami qui demande du pain. Dieu finira par répondre, autrement que prévu peut-être, par le don imprévu de l'Esprit saint, qui mène au Royaume par des chemins auxquels l’on ne s'attend pas. Persévérer dans la prière est dangereux : c'est risquer de se voir transformé, dépossédé de soi et de ses biens, de sa vision du monde — qui sait ? Persévérer dans la prière transforme.

Apprendre à regarder le monde par les yeux de Dieu. Et explorer tous les possibles des chemins de son Règne... Car c’est « à toi qu’appartiennent le Règne,… » dès aujourd'hui.


RP
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dimanche 16 mars 2014

Présence de Dieu et force de l’humilité



Psaume 8
2 SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique
par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
3 Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse
contre tes adversaires,
pour réduire au silence l'ennemi revanchard.
4 Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu as fixées,
5 qu'est donc l'homme pour que tu penses à lui,
l'être humain pour que tu t'en soucies ?
6 Tu en as presque fait un dieu :
tu le couronnes de gloire et d'éclat ;
7 tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ;
tu as tout mis sous ses pieds :
8 tout bétail, gros ou petit,
et même les bêtes sauvages,
9 les oiseaux du ciel, les poissons de la mer,
tout ce qui court les sentiers des mers.
10 SEIGNEUR, notre Seigneur,
que ton nom est magnifique
par toute la terre !


Une tout autre cosmologie que celle d’aujourd’hui, mais déjà l’intuition des infinis…

Cf. au début de l’ère moderne, post-galiléenne, Pascal (Pensées, Fragment 72) — non sans rapport probable avec sa méditation du Psaume :

« Disproportion de l'homme. — Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.
Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L'auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire.
Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle. C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu'à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature. […] »



A fortiori dans le cadre de l’astrophysique actuelle…

On estime aujourd’hui que l'Univers observable compte quelques centaines de milliards de galaxies de « masse significative », c’est-à-dire contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Ce nombre n’est toutefois pas limitatif, puisque le nombre d’étoiles des galaxies dites « naines », c’est-à-dire ne comptant « que » quelques millions d'étoiles, est difficile à déterminer du fait de leur masse et de leur luminosité « très faibles », et qu’en outre d’autres, trop lointaines, échappent à notre observation. L’Univers dans son ensemble, dont l'extension réelle n'est pas connue, est susceptible de compter un nombre immensément plus grand de galaxies.

Bref, quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative sans compter les galaxies moins grandes, et donc plus difficilement observables, et les autres qui nous échappent !

Notre galaxie, la Voie lactée, est une des centaines de milliards de galaxies observables, et de masse dite « significative ». La Voie lactée a une extension de l'ordre de 100 000 années-lumière. C’est-à-dire que l’on perçoit les étoiles lointaines de notre seule galaxie comme elles étaient il y a 100 000 ans. Et notre galaxie est donc une seule de ces galaxies de quelques centaines de milliards d'étoiles.

Le soleil est une des centaines de milliards d’étoiles de cette galaxie, elle-même une parmi quelques centaines de milliards de galaxies semblables observables. Le soleil est donc l’étoile de notre système solaire, autour duquel tourne la terre — sur laquelle nous nous questionnons sur tout cela aujourd’hui.

Voilà qui met les choses en perspective, et qui est fondé à nous donner le sens du vertigineux en regard de nos préoccupations !

Troublant en un sens, car on pourrait se dire, en considérant les choses que je viens d’essayer de résumer très brièvement, que tout ça est le fait du hasard, un mini-bouillon de culture hasardeux dans l’Univers.

Qu’est-ce que l’homme… ? (Psaume 8)


Un « Laboratoire » ?

Tsimtsoum

- Le tsimtsoum ou retrait (plutôt contraction) : retrait partiel de Dieu pour laisser place à un vide où par l'intermédiaire d'un rayon Il procédera à la création en alimentant dix réceptacles appelés sefirot qui seront à l'origine de la vie et de la création.
- La chevirat hakelim ou brisure des vases : à cette création parfaite initiale fut ajouté un rayon en ligne droite appelé homme primordial que ne purent contenir les réceptacles de la lumière divine. Ils se brisèrent donc libérant la lumière divine sous forme d'étincelles, de copeaux qui se répartirent dans le monde.
- Le tiqoun ou réparation : c'est à l'homme qu'incombe la tâche de réparer les vases. Pour ce faire, l'homme doit agir à l'intérieur de lui même pour faire le tri, rassembler les étincelles, et que le peuple d'Israël répare la brisure originelle.


Extrait du livre "L'Arbre de Vie" du Cabaliste le ARI (Isaac Luria) - traduction Nelly Baron © (Cf. aussi) :

« Sache qu'avant la création, seule existait la lumière supérieure
qui, simple et infinie,
emplissait l'univers dans son moindre espace.
Il n'y avait ni premier ni dernier, ni commencement, ni fin,
Tout était douce lumière harmonieusement et uniformément équilibrée
En une apparence et une affinité parfaites,
Quand par Sa volonté furent créés le monde et Ses créatures,
Dévoilant ainsi Sa perfection,
- source de la création du monde -,
Voici qu'Il se contracta en Son point central,
Il y eut alors restriction et retrait de la lumière,
Laissant autour du point central entouré de lumière
Un espace vide formé de cercles.
Après cette restriction, d'En-haut vers En-bas
Un rayon s'est étiré de la lumière infinie
Puis est descendu graduellement par évolution dans l'espace vide.
Épousant le rayon, la lumière infinie dans l'espace vide est alors descendue,
Et tous les mondes parfaits furent émanés.
Avant les mondes, il n'y avait que Lui,
Dans une Unité d'une telle perfection,
Que les créatures ne peuvent pas en saisir la beauté,
- car aucune intelligence ne peut Le concevoir,
Car en aucun lieu Il ne réside, Il est infini, Il a été, Il est et Il sera.
Et le rayon de lumière est descendu
Dans les mondes, dans la noire vacuité,
Chacun de ces mondes étant d'autant plus important
Qu'il est proche de la lumière,
Jusqu'à notre monde de matière, au centre situé,
A l'intérieur de tous les cercles, au centre de la vacuité scintillante,
Bien loin de Celui qui est Un, bien plus loin que tous les autres mondes,
Alourdi à l'extrême par sa matière,
Car à l'intérieur des cercles il est,
Au centre même de la vacuité scintillante... »



Tsimtsoum – Chevirat – Tiqoun // Création – Chute – Rédemption

Tsimtsoum (retrait de Dieu en vue de la Création) :
humilité de Dieu & Prière du vide –> un projet / sephirot (vases)
Chevirat (brisement des vases) :
// imaginaire : big-bang / galaxies / etc.
Tiqoun (réparation) :
prière vers la vie –> laboratoire –> / humilité (contre la frénésie)


… Et en regard de la microphysique contemporaine

L’objet infime de notre observation est modifié par l’observateur…

« Lorsque nous observons un objet, nous le percevons à travers notre regard. Le regard n’est pas neutre. Il agit comme un filtre et sélectionne les éléments en fonction de sa sensibilité. Il ne retient que ce qu’il peut percevoir à la manière d’une pellicule photographique qui s’imprègne d’une image en fonction de sa propre capacité réceptive. Ainsi, le monde entier passe au crible de nos sens. Que voyons-nous vraiment ? En fait, nous ne percevons que ce qui correspond à notre façon de voir. Et inversement, de quelle nature sont les phénomènes que nous ne saisissons pas ? À cela, il ne peut y avoir de réponse, puisque, par définition, nous n’en avons aucune idée. […]

Quid de la science objective ? Selon les termes mêmes du physicien allemand Werner Carl Heisenberg (1901-1976) : « ce que nous observons n’est pas la nature elle-même, mais la nature exposée à notre méthode d’investigation (…) L’objet de la recherche n’est donc plus la nature en soi, mais la nature livrée à l’interrogation humaine et dans cette mesure, l’homme ne rencontre ici que lui-même » (Werner Heisenberg, La Nature dans la Physique contemporaine, Folio essais, p. 137). D’une certaine façon, on serait tenté de dire que dans ses derniers chapitres consacrés à la microphysique, le livre de la nature se referme sur son lecteur. » (
Henri-Marc Becquart, L’épopée de l’univers, p. 12 & 17)

Où la science contemporaine bouscule jusqu’à la logique aristotélicienne, qui continue pourtant de fonctionner au plan quotidien, au plan du sens commun, tout comme la gravitation continue d’être à l’ordre du jour, et comme l’expérience sensorielle nous maintient dans le géocentrisme : nous voyons bien que « le soleil et lève et se couche » — … nous concevons même toujours, à l’instar des hommes de l’époque de l’invention de l’Écriture, la terre comme un espace d’accueil de la vie ! Nous comptons toujours nos jours, sept jours, en regard des sept planètes du monde ancien géocentrique et nos mois en douze cycles que les anciens retrouvaient en symboles dans la sphère des étoiles fixes… L’humain reste un être de signes et de symboles…

*

Humilité

La pensée de l’homme apparaît comme signe de la présence de Dieu. Pensée et étonnement comme mystère et signe personnel de Dieu.

Apparaît alors le rapport entre la figure messianique idéale et l’Homme comme figure primordiale, expression du Fils de l’Homme des Apocalypses.

Nous voilà au point où la grandeur de l’homme apparaît en ce qu’il pense — roseau pensant — son humilité radicale d’être du temps, où il se révèle fondé en éternité.

Pascal à nouveau (Pensées, Fragment 397) :

« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable.
C'est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. […]
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. »



… Où pour ne pas basculer à nouveau dans l’orgueil face à l’univers, l’on est mis face à la nécessité de l’oubli — où l’humilité se rappelle comme racine du mot « homme » : l’homme concret, au plus concret l’enfant (Ps 8, 3) ancrant la louange du Dieu présent dans la distance entre lui-même (tout petit) et l’idée éternelle de lui-même pensé par Dieu (Ps 8, 5), face à laquelle il est fondé. Force hors mesure face à toute adversité !


RP
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6) Mardi 18 & jeudi 20 mars 2014 - Présence de Dieu et force de l’humilité (PDF)


lundi 17 février 2014

Les prières bibliques et Jésus Christ



(Image ici)


I. Jésus priant les Psaumes récapitule l'humanité devant Dieu et ipso facto pose Israël peuple des Psaumes comme archétype de l’humanité réconciliée.
Le Christ priant les Psaumes nous rejoint au point que, lui qui n'a pas commis de péché, Paul en dira qu' « il a été fait péché pour nous » (1 Corinthiens 5, 21) ! Il nous rejoint jusqu'en ce que nous — voire nos prières — avons de plus trouble, il se repent de nos péchés ! Il se solidarise avec nous à ce point !

Voilà qui nous dit pourquoi des prières comme les Psaumes, emplies de paroles de repentance, sont vraiment et sérieusement les prières de Jésus : avec les Psaumes, Jésus, qui n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous : il a pris nos péchés à ce point-là !


II. Le Christ devient ainsi pour nous l'expression, le « visage » de Dieu comme Dieu personnel.

Hébreux 1 :
1 Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, 2 en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu'il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. 3 Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l'univers par la puissance de sa parole. Après avoir accompli la purification des péchés, il s'est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, 4 devenu d'autant supérieur aux anges qu'il a hérité d'un nom bien différent du leur.
5 Auquel des anges, en effet, a-t-il jamais dit :
Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré ? (Ps 2, 7)
et encore :
Moi, je serai pour lui un père et lui sera pour moi un fils ? (2 S 7, 14 ; 1 Ch 7, 13 //)
6 Par contre, lorsqu'il introduit le premier-né dans le monde, il dit :
Et que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. (LXX : Ps 96, 7 — cf. Ps 97, 7)
7 Pour les anges, il a cette parole :
Celui qui fait de ses anges des esprits et de ses serviteurs une flamme de feu. (Ps 104, 4 — LXX 103, 4)
8 Mais pour le Fils, celle-ci :
Ton trône, Dieu, est établi à tout jamais ! Et : Le sceptre de la droiture est sceptre de ton règne. (Ps 45, 6 — LXX 44, 7)
9 Tu aimas la justice et détestas l'iniquité, c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu te donna l'onction d'une huile d'allégresse, de préférence à tes compagnons. (Ps 45, 7 — LXX 44, 8)
10 Et encore :
C'est toi qui, aux origines, Seigneur, fondas la terre, et les cieux sont l'œuvre de tes mains.
11 Eux périront, mais toi, tu demeures.Oui, tous comme un vêtement vieilliront
12 et comme on fait d'un manteau, tu les enrouleras, comme un vêtement, oui, ils seront changés, mais toi, tu es le même et tes années ne tourneront pas court. (Ps 102, 25-27 — LXX 101, 25-27)
13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit :
Siège à ma droite, de tes ennemis, je vais faire ton marchepied ?" (Ps 110, 1 — LXX 109, 1)


De même dans les évangiles, citant le Psaume 110, v. 1. Marc 12, 36 :
Le Seigneur a dit à mon Seigneur Siège à ma droite, de tes ennemis, je vais faire ton marchepied.

*

Que dire d’un Dieu infini — et qui pourtant existe ?!

La théologie classique posait le questionnement de son propre discours. Son discours théologique s'articulait en termes de théologie affirmative d'une part et de théologie négative (ou "apophatique") d'autre part. La théologie affirmative, donnait une série de propositions sur Dieu, le dotait d'attributs (Dieu est sage, fort, miséricordieux, etc.). Ce faisant, la théologie mettait aussi en question ses propres affirmations, elle s'obligeait à se déposséder — voire contre ses propres tendances — de ses propres affirmations. C'était le moment négatif de sa parole sur le divin. Chacune de ses affirmations n'avait de sens qu'en relation avec la négation qui l'accompagnait (que veut-on dire quand on dit que Dieu est sage, fort, miséricordieux ? Quel sens ont de telles affirmations ?).

Ce questionnement qui vaut depuis l’Antiquité est très connu chez le moine du VIe siècle Denys l’Aréopagite ; il se retrouve dans la mystique de l’islam comme du Moyen Âge chrétien, et s’enracine dans la tradition juive. Dieu personnel et Dieu caché :

Ibn ‘Arabi (soufi musulman du XIIe-XIIe siècle), selon Henry Corbin, dans Le paradoxe du monothéisme : Sa pensée « est axée sur cette différenciation entre l’Absolu indéterminé et inconnaissable, l’Absconditum, et […] le seigneur personnel, le Deus revelatus, le seul dont l’homme puisse parler, parce qu’il en est le terme corrélatif. »

Ou, toujours selon Corbin, Maître Eckhart (dominicain du XIVe siècle) : « Pour un Maître Eckhart, la Deitas transcende le Dieu personnel, et c’est celui-ci qu’il faut dépasser, parce qu’il est corrélatif de l’âme humaine, du monde, de la créature. […] L’âme eckhartienne cherche donc à… s’échapper à elle-même pour se plonger dans l’abîme de la divinité, un Abgrund dont par essence elle ne pourra jamais atteindre le fond. »

Cf. Matthieu 18, 10-11 : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits ; car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux. Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu. »

Cf. M.-A. Ouaknin, Tsimtsoum – Introduction à la méditation hébraïque : « Tsimtsoum signifie originellement « concentration » ou « contraction ». Dans le langage cabaliste, il est mieux traduit par « retrait » ou « rétraction ». Rabbi Isaac Louria [XVIe siècle] se posa les questions suivantes : Comment peut-il y avoir un monde si Dieu est partout ? Si Dieu est « tout en tout », comment peut-il y avoir des choses qui ne soient pas Dieu ? Comment Dieu peut-il créer le monde, s’il n’y a pas de néant ? Rabbi Isaac Louria répondit en formulant la théorie du Tsimtsoum ou « retrait ». Selon cette théorie, le premier acte du Créateur ne fut pas de se révéler lui-même à quelque chose d’extérieur. Loin d’être un mouvement sur le dehors ou une sortie de son identité cachée, la première étape fut un repli, un retrait ; Dieu « se retira de Lui-même en lui-même » et, par cet acte, abandonna au vide une place en son sein, créa un espace pour le monde à venir. (…) Dieu ne put se manifester que parce qu’au préalable il se retira. » (p. 32.)

On peut rappeler ici les paraboles évangéliques du maître absent (le Dieu caché) :

Marc 13, 34-36 : « 34 Il en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, laisse sa maison, remet l’autorité à ses serviteurs, indique à chacun sa tâche, et ordonne au portier de veiller. 35 Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, ou le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin ; 36 craignez qu’il ne vous trouve endormis, à son arrivée soudaine. »

Autant de mises à distance qui renvoient au Dieu caché, inaccessible.


III. Or les Psaumes parlent aussi d’un Dieu personnel, on y prie un Dieu personnel, qui se dessine pour David comme « archétype » parfait (cf. Psaume 110, 1) de sa propre figure messianique, imparfaite, elle, à ses propres yeux — combien de fois ne se repend-il pas ?

Apparaît donc un figure archétypique, l’image éternelle et divine de lui-même, le Seigneur personnel de sa propre existence, et de là, de toute existence, l’Ange de l’Éternel, manifestation personnelle du Dieu qui est au-delà de toute compréhension. C’est là l’image éternelle de Dieu dont les premiers disciples du Ressuscité ont reconnu l’Incarnation et l’avènement en Jésus. D’où la lecture donnée par l’Épître aux Hébreux, qui permet de reprendre non seulement toutes les applications christologiques des Psaumes, — comme le Psaume 22 (entre autres) prononcé du haut de la croix —, mais d’autres textes prophétiques où Jésus ratifie lui-même cette lecture christologique.

Avec comme débouché une piété annoncée par ex. dans Actes 7, 55-59 : « Étienne, rempli du Saint-Esprit, et fixant les regards vers le ciel, vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Et il dit : Voici, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. […] Et ils lapidaient Étienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! »

On a là une prière à Jésus, où le « Dieu personnel » prend la figure concrète de celui qui est reçu comme son Incarnation, fondement des lectures christologiques des prières bibliques, notamment les Psaumes.


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lundi 13 janvier 2014

"L’aujourd’hui" de Dieu




Psaume 2, 7 : « Je publierai le décret ; Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. »
Psaume 95, 7 : « Car il est notre Dieu, Et nous sommes le peuple de son pâturage, Le troupeau que sa main conduit… Oh ! si vous pouviez écouter aujourd’hui sa voix ! »


Deux Psaumes, le Ps 2 et le Ps 95, soulignant une constante de la Parole de la foi : « aujourd’hui ». Deux Psaumes qui sont repris, bien plus tard, pour un autre « aujourd’hui », dans l’Épître aux Hébreux :

Hébreux 1, 5 : « Auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ? »
Hébreux 5, 5 : « Et Christ ne s’est pas […] attribué la gloire de devenir souverain sacrificateur, mais il la tient de celui qui lui a dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ! »

Aujourd’hui éternel !...

Hébreux 3, 7-8a : « C’est pourquoi, selon ce que dit le Saint-Esprit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs ».
Hébreux 3, 13 : « Mais exhortez-vous les uns les autres chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché. »
Hébreux 3, 15 : « pendant qu’il est dit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs, comme lors de la révolte. »
Hébreux 4, 7 : « Dieu fixe de nouveau un jour — aujourd’hui — en disant dans David si longtemps après, comme il est dit plus haut : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs. »


*

Un « aujourd’hui » qui vaut toujours… aujourd’hui


Cf. Kierkegaard et la contemporanéité avec l’Absolu — manifesté en Christ.


Sur Exercice en christianisme. Citation de Daniel Vidal, « Søren Kierkegaard, Exercice en christianisme », Archives de sciences sociales des religions, 140, 2007 (extraits) :

Le christianisme est « l’Absolu », et c’est à cet Absolu que le croyant est invité à se confronter. Par quelles voies, avec quelles armes ? En se portant contemporain du Christ : « Aucune parole de Christ, pas même une seule, tu n’as le droit de te les approprier, tu n’as pas la moindre part en lui, pas la plus éloignée des communautés avec lui, si tu n’es pas contemporain avec lui dans son abaissement ». Être du même « temps », ce temps de l’irruption du scandale [l'Incarnation], quand rien encore n’est avéré, ni accompli, mais que tout est déjà joué, que tout apparaît « absurde », et que cet « absurde » est marque d’ « extraordinaire » : « Que Dieu ait vécu ici sur terre comme un homme singulier, c’est infiniment extraordinaire. Si cela n’avait eu strictement aucune conséquence, ce serait la même chose, cela resterait parfaitement extraordinaire, infiniment extraordinaire ». Être en exacte contemporanéité avec cet événement au revers de tout ordre, conditionne une nouvelle, et à proprement parler, intransitive, conception du temps. « Par rapport à l’absolu, il n’y a qu’un seul temps, le présent ». Christ ? : « Une personne au plus haut point anhistorique » : si l’histoire dit « ce qui s’est réellement passé », et si l’on applique cette formule au christianisme, on rend impensable du même coup le temps de la pure présence, et donc sans cesse recommencée, de l’« événement christique ».

Si, comme il en va dans l’Exercice, ne peut véritablement comprendre que celui qui se fait « contemporain » de son « objet » — l’homme-Dieu ici, là cet autrui singulier, là encore tous les autruis —, alors cette exigence de contemporanéité induit un « rapport à la vérité où chacun “recommence à zéro” ».



Sur Miettes philosophiques. Citation de Hélène Politis, Le vocabulaire de Kierkegaard (extrait) :

C'est comme croyant que le disciple se rapporte « à ce maître-ci » (Mi, SV3 VI, p. 58-59/0C VII, p. 58). [...] Le contemporain et le non-contemporain rencontrent exactement la même difficulté. Nul n'a le moindre privilège comparé à l'autre ni le contemporain parce qu'il aurait vu personnellement l'événement, ni le non-contemporain parce qu'il pourrait être mieux documenté sur les circonstances et les conséquences historiques, ou encore parce qu'il serait meilleur théologien. On ne reçoit pas la foi de seconde main [ :] tout croyant est disciple de première main, tout croyant, en tant que tel, est contemporain de l'événement christique.


*

« Rachetez le temps » ( Ep 5:16 ; Col 4:5)

Une façon de comprendre le temps — celui qui passe — nous empêcherait d'en parler plus longtemps que cet autre temps — la pluie et le beau temps — : il s'agit de la façon de le comprendre comme un fleuve qui coule. Sous cet angle, le fameux « rachetez le temps », est tout simplement incompréhensible — ce rachat du temps devenant rattrapage de temps perdu : « on ne rattrape pas le temps perdu ».

Si cela a un sens, c’est qu’il y a un autre temps, où « mille ans sont comme un jour », d’où se « rachète » le temps, comme on sort quelqu’un d’un fleuve. « Béni soit celui qui vient » parmi nous… depuis le « plus haut des cieux » (Mt 21, 9), depuis hors du fleuve de ce temps.

Notre temps, notre maintenant, est appelé à être sauvé, racheté — car notre temps se corrompt, contrairement au temps éternel, inauguré ici-bas dans la résurrection du Christ, selon le temps céleste où un jour est comme mille ans et où mille ans sont comme un jour. L’Écriture nous invite à revêtir en Jésus Christ l’incorruptibilité où le temps cesse d’être perte.

Car si notre temps, nos moments qui se succèdent, qui perpétuent l’exil, sont signe de perte, de manquement, de déficience, de captivité sous une griffe diabolique, ils sont cependant rachetables : « rachetez le temps », le moment (« kairos »). Il s’agit d’imprégner ce temps du rythme du temps céleste du monde à venir, dans lequel on est entré par la résurrection du Christ. Ce « rachetez le temps » s’accompagne d’une citation d’Amos (5, 13) – « car les jours sont mauvais » – où le prophète recommande au peuple une conduite intelligente de silence et de recherche de Dieu, pour détourner sa colère contre la corruption d’un mauvais temps.

1 Jean 5, 19 & 20 : « Nous savons […] que le monde entier est sous la puissance du malin. Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. »

Il s’agit de racheter ce temps en vivant selon le temps céleste, s'ancrer dans le repos de Dieu — telle est la prière. C’est la brèche de l’irruption du salut du temps. C’est ainsi que se rachète le temps, cette mesure de notre déperdition.

Dans la foi qu’il est un temps céleste, celui du Royaume à venir, qui n’est pas marqué par le manque, un regard sur notre temps nous enseigne la confiance en Dieu, et l’espérance actuelle de ce temps total qui nous est donné d’En haut, irruption promise à notre foi, de l’éternité du Royaume.

Ainsi apparaît ce qu’il faut faire dans le présent pour « racheter le temps » : ne pas se soumettre à ses fluctuations, ne pas se conformer au siècle présent et à ses clameurs médiatiques, aux clameurs des foules trompées, mais s'ancrer par la prière, se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle à venir, incorruptible, pour racheter celui-ci. Et vivre dans le siècle à venir se manifeste en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant par la confiance à la loi du siècle à venir (Mt 6, 33-34).


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4) Mardi 14 & jeudi 16 janvier 2014 : « L’aujourd’hui » de Dieu (PDF)


lundi 16 décembre 2013

Les prières bibliques et nous




Ou : relectures et transpositions


I) Des relectures bibliques...

1

D’abord, il y a la sortie d’Égypte. Et un chant de triomphe à la gloire de Dieu…

Exode 15
1 Alors, avec les fils d'Israël, Moïse chanta ce cantique au SEIGNEUR. Ils dirent :
« Je veux chanter le SEIGNEUR,
il a fait un coup d'éclat.
Cheval et cavalier,
en mer il les jeta.
2 Ma force et mon chant, c'est le SEIGNEUR.
Il a été pour moi le salut.
C'est lui mon Dieu, je le louerai ;
le Dieu de mon père, je l'exalterai.
3 Le SEIGNEUR est un guerrier.
Le SEIGNEUR, c'est son nom.
4 Chars et forces du Pharaon,
à la mer il les lança.
La fleur de ses écuyers
sombra dans la mer des Joncs.
5 Les abîmes les recouvrent,
ils descendirent au gouffre comme une pierre.
6 Ta droite, SEIGNEUR,
éclatante de puissance,
ta droite, SEIGNEUR,
fracasse l'ennemi.
[…]

Un Psaume d’Exode — à l’inverse des Psaumes d’exil...

(cf. Ps 137 /
1 Auprès des fleuves de Babylone,
Là nous étions assis et nous pleurions En nous souvenant de Sion.
2 Aux saules de la contrée
Nous avions suspendu nos harpes.
3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des cantiques, Et nos bourreaux de la joie :
Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
4 Comment chanterions-nous le cantique du SEIGNEUR Sur un sol étranger ?
5 Si je t'oublie, Jérusalem, Que ma droite m'oublie ! […]).


Aucune institution des chantres au livre de l’Exode.

L’institution des chantres, parmi les lévites — relève du temps de la royauté :

1 Chroniques 6
31 Voici ceux que David établit pour la direction du chant dans la maison de l’Éternel, depuis que l’arche eut un lieu de repos:
32 ils remplirent les fonctions de chantres devant le tabernacle, devant la tente d’assignation, jusqu’à ce que Salomon eût bâti la maison de l’Éternel à Jérusalem, et ils faisaient leur service d’après la règle qui leur était prescrite.

1 Chroniques 15:16 Et David dit aux chefs des Lévites de disposer leurs frères les chantres avec des instruments de musique, des luths, des harpes et des cymbales, qu’ils devaient faire retentir de sons éclatants en signe de réjouissance.

Selon la tradition juive, le chant de triomphe de la sortie d’Égypte (Exode 15) est mal venu : Dieu le déplore : mes créatures viennent d’être englouties et vous chantez !

S’il y a musique, elle est portée à être aussi empreinte de nostalgie.

Aux temps modernes, cela se traduit du gospel au blues et inversement…


2

Royauté messianique et nostalgie

Si l’institution des chantres et le recueil des Psaumes relève de la royauté — les Psaumes de David —, on se trouve avec une royauté chargée d’une visée eschatologique — messianique.

Le roi est messie/oint et vise un roi à la fois juste et incontesté. Le Messie attendu. Où les Psaumes royaux sont aussi empreints de nostalgie.

Apparaît un autre sens des chants guerriers, des chants de triomphe, où du cœur de la faiblesse du roi jaillit la marque nostalgique d’un autre combat, d’autres victoires que celle qui engloutit les troupes de Pharaon…

*

« Dès le début, nous sommes placés en face d'un monde qui exclut l'indifférence. Il y a deux Voies. Non pas trois ou quatre ou autant que l'on voudra. Nous sommes avertis : le monde est cassé en deux. Le choix devient nécessaire ; il est l'exigence et le risque de cette brisure. La poésie n'est que la parure de l'enseignement : la Voie des Ténèbres et la Voie de la Lumière se partagent l'universalité du réel. Nous sommes au seuil d'une science qui se sait la plus vraie et se veut la plus exhaustive. Deux voies inégales et ennemies, mais qui coexistent dans le temps et dans l'espace où elles définissent la frontière d'une guerre ; sur cette ligne s'inscrivent les déchirements de l'Histoire. La plénitude des temps, la réalisation des promesses messianiques pourront seules faire cesser le meurtrier combat dont l'innocent demeure l'otage.
« Un Écrivain sublime anime ce drame dont l'enjeu est l'accomplissement et la libération de l'Homme. Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort et qui s'affrontent du commencement à la fin, sont l'Innocent et le Révolté. Tous deux disent non. L'un refuse la voie de la lumière ; l'autre les ténèbres. L'un dit non à l'iniquité du monde ; l'autre à l'éternité de Dieu. Ces refus se situent à la source de la tragédie. Le conflit de deux négations contradictoires, qu'une liberté permet, définit l'axe où l'horreur assaille et meurtrit la joie. »
(Chouraqui, « Liminaire pour Louanges »)


II) … À nos relectures...


… À travers une entrée dans le Psaume 40. Cf. aussi Ps 110 ; Ps 137 ; Ps 37.

Comment le priant s’approprie à juste titre le cri du Psalmiste, sa confession de péché et ses protestations de justice… En parallèle avec Job.

… La force du priant : selon une étymologie de prière — précaire !

Quelle prière du juste ? Où rejoint-elle ma prière ? Une prière sanctifiante.


Psaume 40 (TOB)
1 Du chef de chœur. De David, psaume.
2 J'ai attendu, attendu le SEIGNEUR :
il s'est penché vers moi, il a entendu mon cri,
3 il m'a tiré du gouffre tumultueux, de la vase des grands fonds.
Il m'a (re)mis debout, les pieds sur le rocher, il a assuré mes pas.
4 Il a mis dans ma bouche un chant nouveau, une louange pour notre Dieu.
Beaucoup verront, ils craindront et compteront sur le SEIGNEUR :
5 Heureux cet homme qui a mis sa confiance dans le SEIGNEUR,
et ne s'est pas tourné vers les hommes de Rahav (ou hautains)
ni vers les suppôts du mensonge !
6 Qu'ils sont grands, SEIGNEUR mon Dieu,
les projets et les miracles que tu as faits pour nous !
Tu n'as pas d'égal.
Je voudrais l'annoncer, le répéter, mais il y en a trop à dire.
7 Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande,
— tu m'as creusé des oreilles pour entendre — (cf. Hé 10, 5 / LXX)
tu n'as demandé ni holocauste ni expiation.
8 Alors j'ai dit : « Voici, je viens avec le rouleau d'un livre écrit pour moi.
9 Mon Dieu, je veux faire ce qui te plaît, et ta loi est tout au fond de moi. »
10 Dans la grande assemblée, j'ai annoncé ta justice ;
non, je ne retiens pas mes lèvres, SEIGNEUR, tu le sais !
11 Je n'ai pas caché ta justice au fond de mon cœur,
j'ai parlé de ta loyauté et de ton salut,
je n'ai pas dissimulé ta fidélité et ta vérité à la grande assemblée.
12 Toi, SEIGNEUR, tu ne retiendras pas loin de moi ta miséricorde,
ta fidélité et ta vérité me préserveront toujours.
13 Des malheurs sans nombre allaient me submerger,
mes fautes m'ont assailli, et j'en ai perdu la vue ;
j'en ai plus que de cheveux sur la tête, et le cœur me manque.
14 SEIGNEUR, daigne me délivrer !
SEIGNEUR, viens vite à mon aide !
15 Qu'ensemble ils rougissent de honte, Ceux qui cherchent à m'ôter la vie !
Qu'ils reculent déshonorés, ceux qui désirent mon malheur !
16 Qu'ils soient ravagés, talonnés par la honte, ceux qui font « Ah ! Ah ! »
17 Qu'ils exultent de joie à cause de toi, tous ceux qui te cherchent !
Qu'ils ne cessent de dire : « Le SEIGNEUR est grand »,
ceux qui aiment ton salut !
18 Je suis pauvre et humilié, le Seigneur pense à moi.
Tu es mon aide et mon libérateur ; mon Dieu, ne tarde pas !

Le même mouvement qui est passage du Dieu caché au Dieu personnel, et qui fondera la lecture christologique, fonde une relation personnelle avec Dieu via la figure de celui qui personnalise le règne de Dieu, le Messie David :


Ps 110 :
4 Le SEIGNEUR l'a juré, il ne le regrettera pas : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Malki-Tsédeq.
5 Le Seigneur est à ta droite, il brise des rois au jour de sa colère.
6 Il exerce le jugement parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise le chef (le « principe ») d'un vaste pays.
7 En chemin il boit au torrent : c'est pourquoi il relève la tête (« exalte le Principe »).


Ps 137 :
8 Babylone la belle, toi qui vas être ravagée, heureux qui te paiera de retour pour le mal que tu nous as fait !
9 Heureux qui saisira et dispersera ta progéniture face au roc !

// Ps 68, 22 : Dieu détruit la tête (le « principe ») de ses ennemis,
le poil (ce qui pousse) de celui qui vit dans ses crimes.



Lire « principe » au lieu de « tête » — c'est le même mot — ; entendre par « roc » le « roc » qu'est le Dieu protecteur au lieu de « roc de pierre » — cela est tout-à-fait possible : le texte ouvre lui-même à la transposition spirituelle au-delà d'une matérialité qui peut sembler croquante. Au fond c'est bien du satan qu'il s'agit (Chouraqui, « Liminaire pour Louanges », Les Psaumes, éd. du Rocher, p. 21sq.). Cela précisé, il y a dans les Psaumes la sincérité de l’épanchement d'une prière devant Dieu ; l'épanchement de tout ce que nous sommes, jusqu’à nos désirs de vengeance les plus « imbuvables » (où le contexte guerrier, la violence des persécuteurs, ne doivent pas non plus être négligés), fait partie intégrante de l'utilité des Psaumes : nous sommes invités à la même sincérité, fût-elle choquante (éventuellement, même, efficace substitut contre le passage à l’acte !), et à recevoir l'exaucement de Dieu seul (à la fois seul vengeur et consolateur qui permet de dépasser le désir de vengeance). S'en remettre à Dieu seul en toute chose...

Cf. la prédication du pasteur P. de Mareuil « Psaumes et Negro spirituals ».

*

Alors l’exaucement est inéluctable, qui vient sous une autre forme que celle escomptée au départ, sachant que Dieu même devient la demande du priant !

Psaume 37:4 : Fais du SEIGNEUR tes délices, Et il te donnera ce que ton cœur désire.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
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3) 17 & 19 décembre 2013 : Les prières bibliques et nous (PDF)


mardi 19 novembre 2013

Les Psaumes – prières communes et lutte avec Dieu



« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; d’où le titre que nous avons adopté : Louanges, mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (A. Chouraqui).

Un recueil liturgique communautaire — compilant sans doute d’autres recueils —, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs et les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique :

« Ambroise de Milan est dans une église avec ses fidèles, à la tête d’une manifestation contre la volonté impériale d’en faire un lieu de culte arien. Augustin relate cet événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, livre VII) : "Le peuple plein de zèle, résolut de mourir pour son évêque, passait les nuits entières à l'église. Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât d'un si long et pénible travail, on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l'Eglise d'Orient". Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356). »

Autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…

On a nommé le chant ambrosien (ou ambroisien), « nom sous lequel on désigne une sorte de plain-chant dont Ambroise fut l'auteur, en 386. Ce chant se divisait en chant rythmique ou psalmodique, et en chant métrique (Jumilhac). "St Ambroise adopta le genre chromatique, c'est-à-dire l'altération de certaines notes, comme l'ont enseigné plus tard les didacticiens du Moyen âge en parlant de la musique feinte ou colorée. Deux différences radicales existaient entre le chant d’Ambroise et celui de Grégoire. Dans l'un, abandon complet des règles de l'accentuation latine et adoption du genre diatonique; dans l'autre, genre chromatique, rythme, accentuation. Dans l'un, musique grave, sévère, adaptée aux durs gosiers des barbares du nord qui se convertissaient au catholicisme; dans l'autre, un art plus grec, plus souple, plus élégant, quelque chose de moins austère et de moins âpre." (Théodore Nisard) Ambroise emprunta aux Grecs leurs quatre modes principaux : le dorien, le phrygien, le lydien et le mixolydien; ces modes, nommés depuis authentiques ou impairs, sont le 1er, le 3e, le 5e et le 7e du plain-chant grégorien. Il adopta aussi le chant alternatif ou antiphonique, usité chez les Orientaux, et dont l'emploi se répandit ensuite dans l'Église latine. »

« Le chant grégorien, nommé aussi plain-chant ou chant romain, est le chant ecclésiastique en usage dans presque toutes les églises de l'Occident. Il fut réglé à la fin du VIe siècle par l’évêque de Rome Grégoire le Grand, qui, aux quatre modes authentiques établis par Ambroise, et formant la base du chant ambrosien, ajouta les quatre modes plagaux. »

Auparavant, « sources indirectes, les condamnations des gnostiques par les Pères de l'Eglise fournissent quelques indications sur leurs pratiques liturgiques. Critiquant Marcion, Hippolyte de Rome (début 3e) nous apprend que l'Église de Sinope, dans le Pont (sud de la Mer Noire), effectuait la prière vers l'orient, chantait des psaumes, et des hymnes composées par les chrétiens. Le latin Tertullien dénonce "la démence avec laquelle ces textes sont rédigés" (Adversus Marcionem) et attaque violemment Valentin : "Laissons les psaumes de Valentin qu'il introduit avec une impudence sans égale, comme s'ils étaient l'œuvre d'un auteur méritant (De Carne Christi) ; "Nous désirons qu'on chante, non cette sorte de psaume des hérétiques, des apostats, de Valentin le Platonicien, mais ceux du prophète David qui sont très saints et complètement admis, classiques." »

« Les ermites des déserts égyptiens jetèrent l'anathème sur l'art utilisé pour les jeux païens, indigne à la louange de Dieu. Mais sa capacité à souder une communauté et la réticence des hauts dirigeants de l'Eglise, (les hommes les plus cultivés de leur temps), à se séparer, se priver d'un art dont ils admiraient la beauté, lui permirent de rester indissociable de la louange divine. Augustin (354-430) s'en confesse (X, 33) : "Le plaisir de l'oreille, qui ne devrait pas affaiblir la vigueur de notre esprit, me trompe souvent lorsque le sens de l'ouïe n'accompagne pas la raison ; ainsi, je pèche sans y penser." »

Bref une grande réserve dans le christianisme latin, jusqu’à Ambroise, et même après, à l’égard d’une pratique, le chant — et a fortiori l'instrumentation —, qui n’est pas sans rejoindre une réserve à l’égard des sens en temps de deuil, en temps d’ « absence de l’époux » (cf. Marc 2, 20 – //) — « un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser » (Ecc 3, 4).

Une réticence que l’on trouve — comme un paradoxe — jusqu’au cœur de livre des Psaumes :

Psaume 137
1 Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion.
2 Aux saules de la contrée Nous avions suspendu nos harpes.
3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, Et nos oppresseurs de la joie: Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
4 Comment chanterions-nous les cantiques de l’Eternel Sur une terre étrangère ?
5 Si je t’oublie, Jérusalem, Que ma droite m’oublie !
6 Que ma langue s’attache à mon palais, Si je ne me souviens de toi, Si je ne fais de Jérusalem Le principal sujet de ma joie !

Un Psaume rendu célèbre par le reggae de Bob Marley, By the rivers of Babylon, repris jusque dans des versions disco ! — où éclate de la paradoxe ! — où éclate le chant de l’exil de Sion, selon la signification transposée de la Sion historique à sa signification métaphorique désignant l’Afrique dans la tradition « ras tafarienne » (de Ras Tafari, titre du négus d’Abyssinie) de Marcus Garvey (début XXe s.) , à laquelle se rattache Bob Marley.

Un Psaume célèbre, porteur de toute la mélancolie d’un chant tu dans des harpes accrochées aux saules devenus eux-mêmes symboles de mélancolie ! « Tout penseur, au début de sa carrière, opte malgré lui pour la dialectique ou pour les saules pleureurs » (Cioran, Syllogismes de l’amertume)…

On retrouve la réserve d’Augustin pour l’effet sensoriel de la musique jusque chez Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien plus sûr que les improvisations, à tout le moins extra-ecclésiales. Des hymnes allant au-delà des Psaumes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale…

C’est cette perspective qui sera celle de la tradition anglaise, de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur d’hymnes s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes.

Les Psaumes sont à la racine de traditions qui en reviennent toujours à ce recueil de prières et de louanges inspirées, fondée dans des « Sitz im leben » divers que les exégètes modernes se sont attachés à dégager — suite notamment à l’un des plus marquants pour les Psaumes, H. Gunkel (début XXe s.).

En-deçà de leur devenir comme livre de prières commune, les Psaumes expriment un combat avec Dieu, et contre le mal, qui de circonstances précises nous font déboucher sur des vérités archétypales. Par exemple, le Psaume 51, prière de repentance de David suite à son adultère doublé d’un meurtre, devenant une prière-type de confession de péché. Ou, face à l’oppression d’un ennemi du peuple ou du roi, on découvre qu’il est question de l’oppression du « mauvais », du « méchant » archétypique trouvant dans les Psaumes une expression concrète.

Autant de clefs de lecture, devant Dieu, de notre vie dans ses difficultés, via des psalmistes qui nous rejoignent, qui ont partagé des difficultés de tous ordres et dont les chants les élèvent devant Dieu dans l’attente espérée de son juste jugement, justifiant le juste face à toute oppression et tout oppresseur, Dieu seul vengeur. « Je trouverais moi-même très difficile de me faire l’écho de pareils sentiments. Non parce qu’ils seraient trop bas pour moi, mais bien plutôt parce qu’ils me dépassent… Je ne parvient pas à désirer le jugement divin sans une pensée vindicative ni affirmer ma propre droiture sans orgueil » (J. Stott).

Les Psaumes deviennent alors chemin de purification de nos désirs dans l’espérance de celui qui vient faire éclater la vérité, Dieu de l’univers — c’est le parcours des cinq livres des Psaumes depuis la confrontation du mal, le mal voie de perdition alternative à la voie de celui qui est heureux (Ps 1), jusqu’à la louange finale du cinquième livre, en passant par tout le cheminement de l’attente de Dieu.


RP
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samedi 12 octobre 2013

Prier - Quel vis-à-vis ? : "Qui dites-vous que je suis ?"



Pour commencer ce cycle de catéchisme d'adultes de l'année : Une prière qui engage, on peut reprendre la question du thème synodal de cette année, comme question du vis-à-vis de notre prière : « Qui dites-vous que je suis ? » Une précision en début du texte de Luc (9, 18) : Jésus était en prière à l'écart. Le point essentiel : on est soi-même dans l'intimité du regard de Dieu : en prière à l'écart, avec Jésus. Là est le fondement, le cœur secret de notre mission.

Alors il dit à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Luc 9. 24). On arrive là au cœur du propos de Jésus : il s’agit pour lui de situer ses disciples face à lui seul.

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? », c’est cela qui importe et non pas « que dit-on de moi ? » — Se situer face à lui sans tergiverser, malgré sa réputation déplorable pour des lendemains catastrophiques ; bref, quoique cela coûte.

À ce point, tout a changé. On est passé de ce que disent et pensent les hommes ou les foules, à ce que « vous, vous dites ». On passe de « on » à « toi », de l'admiration plus ou moins béate mais finalement pas dérangeante, à la mise en question.

Jésus refuse toute réponse anonyme ; Jésus n'a que faire d’une réponse admirative, mais qui, dans une heure, sera oubliée, et qui, finalement n'aura guère de conséquences dans les vies ; les foules bientôt crucifieuses rangeront par la suite ce « grand homme » dans leur mémoire comme on range des photos de grands hommes. Et dans la galerie des grands personnages, il y en aura un de plus...

Un tel engouement pour lui-même n’intéresse pas Jésus. Il veut une réponse personnelle (toi ! moi !) qui engage, qui compromet pour toujours. Une réponse où tout change dans la vie de celui qui la formule. Une réponse comme celle que va donner de Pierre : « tu es le Christ de Dieu », mais qui veuille dire concrètement : « tu es mon Seigneur ; tu es celui qui est au cœur de ma foi, celui qui donne un sens à ma vie et à mon histoire ; celui en dehors de qui je ne peux plus désormais trouver de raison de vivre. »

Jésus requiert aujourd’hui de nous une réponse qui joue toute notre vie. Celle de la foi, différente de l'admiration qui n'est jamais que sa mauvaise copie, d'autant plus dangereuse qu'elle permet d'esquiver Jésus et d'esquiver son salut.

Alors la foi étant arrivée, Jésus affirmera que l'heure est aussi arrivée de révéler quel sera le Christ et quel sera le signe de son règne : beaucoup souffrir ; être rejeté par les responsables en place ; être condamné et mis à mort (alors qu'il semblait devoir être porté aux nues) ; et être ressuscité ». « Et vous, qui dites-vous que je suis. » C’est la question qui nous est posée, à nous aussi aujourd’hui. La réponse correspond à rien moins qu’à un engagement : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »


PS : Parmi les livres à consulter pour cette saison de catéchisme, un en particulier :
Jacques Ellul, L'impossible prière, éd. Le centurion, 1970.


RP
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1) 17 & 22 octobre 2013 : Quel vis-à-vis ? : « Qui dites-vous que je suis ? » (PDF)