mercredi 21 août 2024

“Des nains sur des épaules de géants”




On connaît la formule médiévale, "nous sommes des nains sur des épaules de géants", attribuée à Bernard de Chartres (XIIe siècle), enracinée dans un passé qui le précède, et revendiquée jusqu’à plusieurs modernes — sceau d’une certaine humilité comme quête pas toujours atteinte… Jusqu’à ce que l’humilité sombre dans l’oubli né de la certitude de certains des plus récents dépositaires du savoir d’être plus savants que celles et ceux qui les ont précédés, devenus témoins surannés d’un passé qu’il s'agit de “déconstruire”… Quitte à effacer, avec les travaux du passé, celles et ceux qui ne s'enthousiasment pas spontanément devant ce que les déconstructeurs ont posé : leur œuvre qui postule qu’eux seuls valent d’être écoutés, devenant les géants oblitérant ceux qu’ils décrètent “nains” naïfs d’un passé révolu…

Car nous sommes à l’époque issue de “l’invention de l'invention”, pour reprendre les mots de Michel Jas décelant une “mode historiographique : « l’invention des cathares », « l’invention des Cévennes », « l’invention des Pyrénées », « l’invention du tourisme », « l’invention du christianisme », « l’invention des droits de l’homme »… Cette mode, comme beaucoup de modes, présuppose que l’on n’a pas bien compris auparavant et que désormais on sait, que ce que l’on a dit a été inventé ou exagéré, ou reposait sur pas grand-chose et que maintenant l’auteur de l’essai a enfin décortiqué le déroulé maladroit et trompeur et que « la lumière a jailli » !”

Concernant le Moyen Âge, la mode en question ira s’il le lui faut pour établir sa vérité alternative, jusqu’à effacer même les sources, qui établissent la dimension religieuse et théologique de la pensée médiévale, hérétique incluse, comme le note l'historien Jacques Paul : « Le contenu religieux de l’hérésie est habituellement minoré comme si les doctrines ne comptaient pas (…) Il est clair que les controversistes orthodoxes (catholiques) savent parfaitement qu’ils attaquent des doctrines autant et même plus que des comportements (…) Ils s’emploient en général avec ardeur à réfuter des idées (hérétiques) et une argumentation. Peut-on croire que des ouvrages volumineux, minutieusement étayés à grand renfort de citations bibliques, aient été écrits en vain et sans but (…) Le mépris que certains historiens affichent pour les doctrines et l’ignorance dont ils créditent, sans preuve, les croyants ne sont pas sans conséquence (…). L’hérésie est d’abord un phénomène religieux ». (Jacques Paul, L'Église et la culture en occident IXe-XIIe siècles, PUF 1986, p. 768-769.)

Le cas médiéval n'est évidemment pas le seul…

À lire ICI, l'indispensable commentaire de Jean-Paul Sanfourche.

RP