Galates 6, 1-10 | TOB 2010
1 Frères, s’il arrive à quelqu’un d’être pris en faute, c’est à vous, les spirituels, de le redresser dans un esprit de douceur ; prends garde à toi : ne peux-tu pas être tenté, toi aussi ?
2 Portez les fardeaux les uns des autres ; accomplissez ainsi la loi du Christ.
3 Car, si quelqu’un se prend pour un personnage, lui qui n’est rien, il est sa propre dupe.
4 Mais que chacun examine son œuvre à lui ; alors, s’il y trouve un motif de fierté, ce sera par rapport à lui-même et non par comparaison à un autre.
5 Car c’est sa propre charge que chacun portera.
6 Que celui qui reçoit l’enseignement de la Parole fasse une part dans tous ses biens en faveur de celui qui l’instruit.
7 Ne vous faites pas d’illusions : Dieu ne se laisse pas narguer ; car ce que l’homme sème, il le récoltera.
8 Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle.
9 Faisons le bien sans défaillance ; car, au temps voulu, nous récolterons si nous ne nous relâchons pas.
10 Donc, tant que nous disposons de temps, travaillons pour le bien de tous, surtout celui de nos proches dans la foi.
* * *
« Vous, les spirituels » (Ga 6, 1). Indice, après « si vous vous mordez les uns les autres » (Ga 5, 15), de ce que Paul use de l’ironie.
Cf. Ps 143 / Ga 2, 16. Personne n’étant juste devant Dieu, Paul, avec le Psalmiste, enseigne de s’en tenir à la seule fidélité de Dieu. Appliqué au Christ crucifié, le Psaume le révèle comme celui qui a traversé la violence de la croix dans cette seule confiance. Nous voilà donc sauvés, en lui, par sa seule confiance : sauvés par la foi du Christ, confiant en la foi/fidélité de Dieu. Est-ce à dire que sous cet angle « chacun fait fait fait, ce qui lui plaît… », selon la chanson ? C’est ce qui a été reproché à nombre de pauliniens, y compris à Luther et aux protestants en général…
Luther n’a pas manqué de s’en amuser : « Il y a des fois où il faut boire un bon coup et prendre ses ébats et s'amuser, bref, commettre quelques péchés, en haine et mépris du diable… Je boirai donc parce que tu le défends et même je boirai un bon coup ! Il faut toujours faire ce que Satan défend ! Oh ! Si je pouvais enfin imaginer quelque énorme péché pour décevoir le diable et qu'il comprenne que je ne reconnais aucun péché, que ma conscience ne m'en reproche aucun. » (Martin Luther, Correspondance) Apparemment loin de Paul décrivant « les œuvres de la chair » (Ga 5, 19-21) ! Luther marcionite (antinomiste / ennemi de la Loi) ? C’est ce dont on l’a accusé dans sa lecture de Paul. En fait une façon de dire (avec Paul !) que la loi n’a pas pour fonction de lier les consciences libérées par la foi de Dieu / du Christ, que ce soit au plan identitaire qu’elle induit, ou en regard de pratiques pénitentielles au XVIe siècle. La loi n’est pas rejetée pour autant. Chaque épître paulinienne, y compris Galates, se termine par des conseils de comportement renvoyant… à la loi (cf. Ga 5, 14).
Contradiction de Paul ? Car la question de l’observance de ce qu’enseigne la Bible en matière de comportement demeure ! (cf. Ga 6, 2-5.) Où apparaît le fameux et réformateur « 3e usage de la loi », formalisé par Calvin et dans sa lignée : trois usages de la loi — pédagogique, politique et normatif, selon une distinction appuyée sur la distinction de trois aspects de la loi : judiciaire, cérémoniel et moral.
L’aspect judiciaire est cet aspect de la loi qui, selon sa primauté par rapport aux pouvoirs, se concrétise dans une vie de la Cité gérée de façon jurisprudentielle, donc souple — correspondant à l’usage politique. Cet aspect est perçu, quant à la lettre de la loi, comme correspondant à des temps et à une culture donnée : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux (on n'est plus avant l’exil de 586 av. JC !). On en dira la même chose quant à l’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la loi) perçu lui aussi, quant à sa lettre, comme correspondant à un temps et/ou à une culture donnée. Où l’on retrouve le propos de Paul aux Galates : la pratique des rites varie selon les lieux, les temps et les circonstances. Ainsi, quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (on est après l'an 70) ; les sacrifices correspondant pourtant à des mitsvoth cérémonielles dont Israël demeure le témoin jusqu’à la fin du temps. Une perspective calvinienne considère que dans un cadre chrétien, la variabilité des rites vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié, à l’instar de l’aspect judiciaire, à des temps, lieux et traditions.
En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, propre à orienter une éthique — « portez les fardeaux les uns des autres » —, n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances — où l’on rejoint l’usage normatif. Sous cet angle — où l’on retrouve Paul en ses fins d’épîtres (Ga 5, 13 – 6, 10 //) —, la loi comme norme morale se déploie en vertus. À commencer par des vertus communes, que l’on retrouve chez les stoïciens, les aristotéliciens, etc. comme vertus dites naturelles — avec cependant cette caractéristique, dans la perspective chrétienne, qui est d’être enracinées dans une nature perçue en regard de la Bible. Ce que l’on retrouve chez Paul : son développement du fruit de l’Esprit (Ga 5, 22) rejoint précisément les enseignements des philosophes sur les vertus (ce que développera de la façon la plus précise Thomas d’Aquin)…
La loi naturelle est en quelque sorte « corrigée » — en regard de la loi biblique, donnée au Sinaï comme n’ayant pas d’auteur : signe de cela, le Décalogue écrit du doigt de Dieu.
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« La loi n’est pas contre ces choses » (Ga 5, 23 — toujours l’ironie de Paul). Le divin est irreprésentable, sans garant humain de sa présence comme l'était le pouvoir (de Pharaon ou autre) dont Dieu libérait son peuple — pouvoir humain qui n'est dès lors pas non plus source de la loi ; qui ne saurait donc, selon Paul, se réduire à un phénomène humain (« charnel ») identitaire, ou, selon Luther, à des rites pénitentiels, « charnels » aussi. D’où, aux jours de Paul, aux Galates : « c’est pour la liberté que Christ nous a libérés » (Ga 5, 1).
Ouverture contemporaine : Voilà une loi, exprimée dans la Torah, qui n'a pas d'auteur qui en serait le garant, qui y serait donc potentiellement ou actuellement supérieur. Moïse n'est pas donné comme un nouveau Pharaon (ou un nouvel Hammourabi). La loi dont il témoigne ne procède pas de lui : il y est lui-même soumis ! Cela restera vrai même après l'institution de la monarchie, avec la dynastie davidique qui se caractérise par l'exigence de soumission du roi à la loi. C'est à cette tradition que se référeront les révolutionnaires puritains anglais posant la supériorité de la loi par rapport à tous : personnes privées, rois, et même Églises ; la loi reçue dans une convention (Covenant) de tous, en analogie avec la loi biblique. Une loi morale qui fait de la loi naturelle moderne une relecture philosophique de la loi morale (l’aspect universel de la loi biblique) résumée dans le Décalogue. C'est, mutatis mutandis, ce modèle que reprendront les révolutions américaine et française. Pour la révolution américaine, voir aussi l’anticipation dès les années 1630 au Rhode Island fondé par le pasteur baptiste Roger Williams. Pour la France, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Proclamée « sous les auspices de l’Être suprême », elle est présentée sur l’image de tables semblables à celles qui représentent le Décalogue. Ce n’est pas par hasard : don de liberté, suivi d’une loi pour que l’acquis ne se perde pas. Là encore « sous les auspices de l’Être suprême », contre tout arbitraire comme celui auquel on vient d’échapper, celui d’une monarchie absolue, se retrouve la nécessité de la vertu comme fruit l’Esprit — en toute humilité selon Paul aux Galates, d’où son ironie : « si quelqu’un se prend pour un personnage… » (Ga 6, 3).
RP
Épître de Paul aux Galates
Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2018-2019
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
8) 14 & 16 mai — Éléments d’éthique. Ch. 6, 1-10
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