Confrontés à la misère que nos villes ne parviennent plus à cacher, on comprend vite, pour peu qu’on la prenne au sérieux — pour ne pas parler de ses victimes les plus touchées — que ce n’est pas juste de quelques euros, ni de nourriture, vêtements, abri, ou visite qu’il est question.
Le développement d’un des propos fondateurs des organismes chrétiens de solidarité, le fameux propos de Jésus en Matthieu 25, 35-36, le laisse bien apparaître : « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi. »
On passe d’un besoin élémentaire : un sandwich (« j’ai eu faim »), à des zones plus inquiétantes encore — la maladie ou la prison : « vous êtes venus à moi » — visite dont le moment de la séparation laissera un goût inévitable de reviens-y ! Bref, on ne pourra pas en rester à des gestes de solidarité sans lendemain, on n’en sortira pas indemne.
On sait bien qu’à ce point perce cette réflexion : « même si certes, je dois en prendre ma part, je ne peux toutefois pas porter toute la misère du monde ». Et alors ces paroles de Jésus semblent devenir tout sauf libératrices.
Mes euros, mon sandwich et mes heures de visites n’ont rien résolu au fond — et quand on sait que ce qui est en jeu dans le « c’est à moi que vous l’avez fait » est l’établissement de chacun en sa dignité infinie… Quand on sait que c’est de cette dignité-là qu’il est question, non seulement mon sandwich et mes heures de visite n’ont évidemment rien résolu (ce qui ne les rend pas facultatifs) mais ils ont, plutôt, creusé une vaste question !
Car le terme des choses, pour autrui et pour moi, n’est pas dans mes soins et ma sollicitude, sous peine d’en faire un fardeau — cf. la deuxième partie du texte de Matthieu : « ce que vous n’avez pas fait, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait » ! Ces paroles portent aussi (avec ce qu’elles exigent) la marque de l’impossibilité de leur réel accomplissement. C’est ici qu’il faut d’abord parvenir, sous peine de s’échouer à la bonne conscience de qui penserait avoir assez fait ; ou au contraire de ployer sous le fardeau.
Si on a constaté ces impasses, le propos de Jésus a accompli un de ses offices : nous conduire au sens de la gratuité (en termes théologiques, la grâce).
Mais quand on en est là, on n’a pas résolu la question sociale sur laquelle débouche aussi ce dont il est question dans ce texte. Car avec son exigence de dignité, ce texte a creusé un abîme, et posé l’espérance d’un autre monde ! Il a alors posé des exigences qui requerront une Cité nouvelle et déjà, en signe pour les premiers disciples recueillant ces paroles de Jésus, dans les espaces de l’Empire romain. Une espérance qui est une des racines lointaines de notre bien imparfaite société.
Parce que l’exigence de dignité rend évidemment insuffisants dons et visites, vont naître ce que seront nos hôpitaux, notre sécurité sociale, mais aussi nos écoles laïques, gratuites et obligatoires, etc.
On sait que de l’organisation de la mise en œuvre de l’attention au prochain sont nées des institutions, jusqu’à l’école pour tous et la sécurité sociale, qui aujourd’hui semblent commencer parfois à ne plus fournir, bien que désormais inscrites dans les Déclarations des Droits de l’homme…
Quand ces acquis sociaux commencent à ne plus fournir, quand l’État est tenté de se désengager de ce que les Droits de l’homme ont mis sous sa responsabilité, c’est que les choses sont allées trop loin dans le délitement.
Et « trop loin », c’est par exemple les « Restaurants du Cœur » ! « Trop loin » c’est toutes les structures locales de solidarité face aux « nouveaux pauvres » ! Autant d’associations issues, on le sait, de l’émergence des « nouveaux pauvres ». Face auxquels les structures d’État ne fournissaient déjà plus ! Les choses sont déjà allées à un point sans doute inimaginable quelques décennies en arrière, on l’oublie trop.
Signe — que les « Restaurants du Cœur » et autres ONG de plus en plus sollicitées —, signe d’un manque croissant de la société, d’un déficit social, d’un déficit d’État ! C’est-à-dire : mauvais signe !
Pour revenir à Matthieu 25, qu’est ce que la dignité cachée en Christ sous le visage de chacun, et des plus pauvres, au jour où la défaillance de nos sociétés à promouvoir les conditions de cette dignité est voilée par les organismes associatifs de solidarité — qui portent en eux rien moins que le constat d’une défaillance générale, bien plus considérable.
Le texte de Matthieu nous dit alors qu’il ne saurait être question de nous installer dans nos organisations de la solidarité face à la pauvreté ! Si, certes, « vous aurez toujours les pauvres avec vous », ce dont il s’agit, c’est quand même d’une dignité perdue. C’est cela qu’il s’agit de ne pas perdre de vue, pour ne pas en venir à trouver normale la catastrophe sanitaire vers laquelle on glisse insensiblement.
Voilà qui revient à pointer un problème qui est celui de la Cité / polis — question politique, donc, d’organisation sociale, de répartition des biens — cela dit au risque d’avoir l’air d’enfoncer des portes ouvertes. Mais quand les associations ne fournissent plus à tenter de pallier un déficit social qui ne fait que croître, et dont elles ne sont pas censées avoir la charge !, elles sont devenues, par le fait même un signal d’alerte, un feu clignotant ; un signe prophétique pointant un manque. Serions-nous alors à une sorte de croisée des chemins ?
On passe d’un besoin élémentaire : un sandwich (« j’ai eu faim »), à des zones plus inquiétantes encore — la maladie ou la prison : « vous êtes venus à moi » — visite dont le moment de la séparation laissera un goût inévitable de reviens-y ! Bref, on ne pourra pas en rester à des gestes de solidarité sans lendemain, on n’en sortira pas indemne.
On sait bien qu’à ce point perce cette réflexion : « même si certes, je dois en prendre ma part, je ne peux toutefois pas porter toute la misère du monde ». Et alors ces paroles de Jésus semblent devenir tout sauf libératrices.
Mes euros, mon sandwich et mes heures de visites n’ont rien résolu au fond — et quand on sait que ce qui est en jeu dans le « c’est à moi que vous l’avez fait » est l’établissement de chacun en sa dignité infinie… Quand on sait que c’est de cette dignité-là qu’il est question, non seulement mon sandwich et mes heures de visite n’ont évidemment rien résolu (ce qui ne les rend pas facultatifs) mais ils ont, plutôt, creusé une vaste question !
Car le terme des choses, pour autrui et pour moi, n’est pas dans mes soins et ma sollicitude, sous peine d’en faire un fardeau — cf. la deuxième partie du texte de Matthieu : « ce que vous n’avez pas fait, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait » ! Ces paroles portent aussi (avec ce qu’elles exigent) la marque de l’impossibilité de leur réel accomplissement. C’est ici qu’il faut d’abord parvenir, sous peine de s’échouer à la bonne conscience de qui penserait avoir assez fait ; ou au contraire de ployer sous le fardeau.
Si on a constaté ces impasses, le propos de Jésus a accompli un de ses offices : nous conduire au sens de la gratuité (en termes théologiques, la grâce).
Mais quand on en est là, on n’a pas résolu la question sociale sur laquelle débouche aussi ce dont il est question dans ce texte. Car avec son exigence de dignité, ce texte a creusé un abîme, et posé l’espérance d’un autre monde ! Il a alors posé des exigences qui requerront une Cité nouvelle et déjà, en signe pour les premiers disciples recueillant ces paroles de Jésus, dans les espaces de l’Empire romain. Une espérance qui est une des racines lointaines de notre bien imparfaite société.
Parce que l’exigence de dignité rend évidemment insuffisants dons et visites, vont naître ce que seront nos hôpitaux, notre sécurité sociale, mais aussi nos écoles laïques, gratuites et obligatoires, etc.
On sait que de l’organisation de la mise en œuvre de l’attention au prochain sont nées des institutions, jusqu’à l’école pour tous et la sécurité sociale, qui aujourd’hui semblent commencer parfois à ne plus fournir, bien que désormais inscrites dans les Déclarations des Droits de l’homme…
Quand ces acquis sociaux commencent à ne plus fournir, quand l’État est tenté de se désengager de ce que les Droits de l’homme ont mis sous sa responsabilité, c’est que les choses sont allées trop loin dans le délitement.
Et « trop loin », c’est par exemple les « Restaurants du Cœur » ! « Trop loin » c’est toutes les structures locales de solidarité face aux « nouveaux pauvres » ! Autant d’associations issues, on le sait, de l’émergence des « nouveaux pauvres ». Face auxquels les structures d’État ne fournissaient déjà plus ! Les choses sont déjà allées à un point sans doute inimaginable quelques décennies en arrière, on l’oublie trop.
Signe — que les « Restaurants du Cœur » et autres ONG de plus en plus sollicitées —, signe d’un manque croissant de la société, d’un déficit social, d’un déficit d’État ! C’est-à-dire : mauvais signe !
Pour revenir à Matthieu 25, qu’est ce que la dignité cachée en Christ sous le visage de chacun, et des plus pauvres, au jour où la défaillance de nos sociétés à promouvoir les conditions de cette dignité est voilée par les organismes associatifs de solidarité — qui portent en eux rien moins que le constat d’une défaillance générale, bien plus considérable.
Le texte de Matthieu nous dit alors qu’il ne saurait être question de nous installer dans nos organisations de la solidarité face à la pauvreté ! Si, certes, « vous aurez toujours les pauvres avec vous », ce dont il s’agit, c’est quand même d’une dignité perdue. C’est cela qu’il s’agit de ne pas perdre de vue, pour ne pas en venir à trouver normale la catastrophe sanitaire vers laquelle on glisse insensiblement.
Voilà qui revient à pointer un problème qui est celui de la Cité / polis — question politique, donc, d’organisation sociale, de répartition des biens — cela dit au risque d’avoir l’air d’enfoncer des portes ouvertes. Mais quand les associations ne fournissent plus à tenter de pallier un déficit social qui ne fait que croître, et dont elles ne sont pas censées avoir la charge !, elles sont devenues, par le fait même un signal d’alerte, un feu clignotant ; un signe prophétique pointant un manque. Serions-nous alors à une sorte de croisée des chemins ?
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