La question du ressentiment, celle de sa dénonciation, est un élément incontournable de l'œuvre de Nietzsche. Une morale pervertie, masque d’amour d'une vraie haine cachée, est au cœur du ressentiment. En lieu et place de cette morale petite et triste, Nietzsche veut promouvoir un dépassement, une transvaluation des valeurs. Un autre type d’homme, qu’il nomme le Surhomme / littéralement le Surhumain, un homme nouveau et rayonnant qui succéderait à l’effondrement civilisationnel qu’il nomme nihilisme — et auquel un christianisme platonisant réfugié dans un ciel idéal niant la terre a à ses yeux contribué largement : un christianisme promoteur d’une morale d’abord conçue, écrit-il, par les juifs.
Nietzsche en veut à Paul, tout particulièrement, d’avoir universalisé la morale juive. Et pourtant, il hérite d’une lecture luthérienne de Paul, un Paul qui se serait posé en ennemi de la loi juive, pour espérer un homme nouveau (qui n’est peut-être pas sans avoir inspiré la notion nietzschéenne du surhomme !), débarrassé des mesquineries du vieil homme. Luther applique à l'accumulation des mérites, cérémonies, pèlerinages, indulgences du catholicisme en cours, la dénonciation paulinienne d’un usage auto-justifiant d’une loi dont ce n'est pas la fonction, mais que, pour un tout autre usage, Paul n’abandonne pas pour autant. Nietzsche a raison contre une certaine perception erronée qui verrait Luther comprendre Paul comme dénonçant la loi en soi. Nietzsche a raison : Paul est parfaitement juif quant à sa compréhension de la loi. Et sans le savoir Nietzsche rejoint Paul (et Luther), et l’héritage juif, quand il dénonce le ressentiment qui y voit un moyen de s'auto-justifier. On ne saurait se prévaloir de la morale biblique pour s’auto-justifier. Et à ce point il est héritier du cœur de l’enseignement luthérien (peut-être via son père, pasteur luthérien) : pas de (auto-)justification par la loi. Mais Paul n’a pas dit autre chose. Et l’exigence juive non plus ! Nietzsche dénonce un dévoiement, qu’en luthérien gauchi il attribue à un Paul dont il voit bien aussi, malgré un certain luthéranisme (suivant le Luther tardif, mais hélas conséquent !, ayant pété les plombs — peut-être littéralement après un avc ?! cf. le cas de Phineas Gage, étudié par Antonio Damasio, in L'erreur de Descartes), qu’il est resté juif — voir les affirmations de l'Apôtre sur la sainteté de la loi. Risque de glissement anti-loi faussement luthérien que Calvin a vu, et permis d'éviter.
Un dignostic nietzschéen d’une vraie complexité, peut-être un peu confus, à partir duquel Nietzsche dénoncera l’antisémitisme de Wagner ou de sa sœur Élisabeth, quand il déplorait aussi le rôle des juifs dans la décadence des « Aryens » — sic — (cf. sa Généalogie de la morale, 1ère dissertation). C’est qu’il en est venu à déceler chez les antisémites cette morale du ressentiment, d'origine juive, dit-il, devenue le fait de chrétiens antisémites, la retournant contre les juifs jalousés par eux. Antijudaïsme de Nietzsche tout de même, fondant dans le judaïsme cette morale d'esclaves, d’où sans doute la formule du poète juif provençal André Suarès, « je ne puis pardonner à Nietzsche » :
« Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Il semble clair et il est plein de nuit. […] Ses éclairs brouillent l’esprit au lieu d’y faire la lumière : il confond tout. Jamais forme ne fut plus contraire au fond. Son Antéchrist est bien celui de l’Apocalypse : Nietzsche a ressuscité le Barbare, et il l’appelle Apollon. La Bête selon le voyant de Pathmos est la Culture selon Nietzsche. Il est affreux de donner à ce qu’il y a de plus brutal et de plus noir dans l’homme le nom et les apparences de ce qui est le plus solaire et le plus humain. Nietzsche est dans le sac de chaque soldat d’Hitler, qui part, ivre de rage, pour le meurtre, la rapine et l’invasion. Qu’on ne dise pas que le hasard est seul coupable, que Nietzsche n’a pas été compris, qu’il est le héros de la pensée trahi par la sottise de ses fidèles. Non : en dépit de ses meilleures intentions, tout ce qu’on en a tiré de pis est bien dans Nietzsche, et même y est plus essentiel que le reste. D’ailleurs, sa vie et sa fin sont les plus cruels témoins contre lui. Il ne faut pas qu’une maladie, qui frappe toujours aux yeux et à la tête [en fait, on ne sait pas vraiment la nature de la maladie de Nietzsche], domine de bout en bout l’œuvre d’un homme et que la folie la couronne. L’esprit, qui prétend avoir enveloppé le monde et le temps à venir d’un vaste et profond regard, ne doit pas être aveugle ; et il n’est pas permis d’être fou à celui qui porte une loi nouvelle et une neuve raison à tous les hommes.
Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Dieu, qui pardonne tout, l’a puni en le condamnant à lui-même. Nabuchodonosor, cette fois, n’a pas été redressé sur ses deux pattes de derrière, fut-ce par la foudre. Il est resté sur les quatre, comme il a prétendu le vouloir ; et même il n’a pas cessé de se les sucer et il est mort en les léchant, tel Catoblépas docteur. Il ne fallait pas tant invoquer l’instinct. Nietzsche n’a pas voulu, certes, ni choisi sa misère ; mais il y a beaucoup aidé. Tant d’orgueil a eu sa récompense. Il valait bien la peine, en vérité, de se prendre pour le nouveau créateur du ciel et de la terre. » (André Suarès, Valeurs, 1936.)
Suarès et d’autres ont pu en effet être troublés, sachant ce qui a pu être fait de la méditation de certains textes de Nietzsche : « Nous avons exterminé une bactérie [les juifs] parce que nous ne voulions pas en fin de compte être infectés par la bactérie et en mourir. Je ne supporterai pas qu’apparaisse et que persiste la moindre zone d’infection ici. Partout où elle apparaîtra, nous la cautériserons. Dans l’ensemble, nous pouvons dire que nous avons accompli ce devoir des plus difficiles pour l’amour de notre peuple », écrit Heinrich Himmler, en 1943 (cité par Jeremy Noakes et Geoffrey Pridham, dir., Documents on Nazism l9l9-1945, New York, The Viking Press, 1975, p. 493). Or, pour les nazis, si la bactérie est juive, le moyen et la zone d’infection est le christianisme. La volonté revendiquée par les nazis d’éradiquer la bactérie vise à déboucher sur un assèchement de la zone d’infection, faisant du nazisme ipso facto une idéologie anti-chrétienne. Le « catholicisme » « baptismal » d’Hitler n’y change rien, quoiqu’en veuille par ex. un Onfray (et ceux qui le suivent), prélevant de Mein Kampf la célébration par Hitler de la « purification » du Temple par Jésus, dont il fait un acte antisémite ! (Sic !) Tentative pernicieuse de séduction des chrétiens qui ne percevraient pas que le christianisme ne peut qu’être étranger à cela. Cette opposition foncière est déjà là dans un certain germanisme antérieur au nazisme : ainsi Nietzsche expliquant dans la 1ère dissertation de sa Généalogie de la morale le processus par lequel le christianisme est juif, inoculant la morale juive d’esclaves à la race des seigneurs aryens (sic : ce sont les mots de Nietzsche). (Cf. aussi le livre d'Hermann Rauschning, Hitler m'a dit.)
Nietzsche a espéré l'avènement d'un Surhomme dans lequel les nazis se sont reconnus ; il a aussi annoncé l'avènement du dernier homme, moins enthousiasmant que le Surhumain.
Cioran ironise : si l’on n'a toujours pas vu le Surhomme, le dernier homme, lui, s’est réalisé historiquement, et littéralement !
Le philosophe américain Francis Fukuyama retrouve ce dernier homme en discernant pour sa part dans la chute du Mur de Berlin un tournant réactualisant la pensée de Hegel parlant de fin de l’Histoire, et en parallèle l'avènement proche du dernier homme (cf. son livre : La fin de l’Histoire et le dernier homme) : Fukuyama est plus nuancé qu’on l’a voulu, puisqu’il note que le débouché n’est pas si optimiste qu’il semble — le dernier homme, cette figure tragique annoncée par Nietzsche, se trouvant au terme de l’histoire.
Ma conviction est qu’au fond Nietzsche ne croit pas à la réelle possibilité de ce Surhumain qu’il tente de dessiner comme salut à venir, mais qu’il s’agit là chez lui du dernier rêve — tragique — du dernier homme. Mais pressent-il à quel point son rêve sera fourvoyé en biologisme, délirant, un Surhomme racial, et en antisémitisme ? — que lui-même dénoncera… après avoir contribué à le promouvoir… (Cf. l'intervention de François de Menthon, procureur général français, au procès de Nuremberg.)
Quant à l’exégèse de son oeuvre, Nietzsche est pris entre deux femmes — Élisabeth, sa sœur, antisémite, qui en a longtemps été la clé de lecture, et une autre figure, très importante pour lui, Lou Andreas-Salomé, la bien-aimée platonique, qui a perçu le tragique religieux de Nietzsche, mais a trop longtemps été ignorée (cf. son Nietzsche à travers ses œuvres : « De toutes les tendances fondamentales de Nietzsche, aucune n'était plus profondément ancrée en lui que son instinct religieux. »).
Élisabeth, hélas première clé de lecture, dont Nietzsche s'est défendu : « On en est maintenant au point où je dois me défendre bec et ongles contre la confusion avec la canaille antisémite ; après que ma propre sœur, mon ancienne sœur […], a donné l'impulsion à cette confusion, la plus malheureuse de toutes » (Friedrich Nietzsche, Lettre à sa sœur Élisabeth Förster-Nietzsche, 26 décembre 1887, trad. Dorian Astor, Nietzsche). Et c’est pourtant dans la compilation de l'œuvre de son frère qu’on lui doit que l'on trouve des propos comme celui-ci, sublime : « … Si notre âme a, comme une corde, une seule fois tressailli et résonné de bonheur […,] l'éternité tout entière était, dans cet instant unique de notre acquiescement, saluée, rachetée, justifiée et affirmée. » (Nietzsche - attribué à -, La Volonté de puissance, § 1032.)
Propos qui ouvre et justifie la lecture de Nietzsche qui est celle de Lou Andreas-Salomé, qui a su discerner chez celui qui a espéré en être aimé, un mystique tragique, faisant constater à l’Insensé du Gai savoir, sous le récit de la mort de Dieu, la fin de tout ce qui fut rêvé, transporté dans un outremonde nihiliste, et entremêlé de ressentiment. Elle écrit à Freud en 1931 ce qu’elle sait ; et elle comprend, me semble-t-il : « Voici la vérité que Nietzsche met à nu : l'homme d'hier ou d'aujourd'hui […], ne fait que commencer, lentement, à se rendre compte de l'acte qu'il a commis en "tuant Dieu" […]. » (Lou Andreas-Salomé, Lettre ouverte à Freud, Points-Essais, p. 93.)
Car ce n’est pas Nietzsche qui a « tué Dieu » ! Relisons son texte sur la « mort de Dieu » : « N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : “Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !” — Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. “Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? […]”
« — Ici l’insensé se tut et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Enfin il jeta à terre sa lanterne, en sorte qu’elle se brisa en morceaux et s’éteignit. “Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n’est pas encore accompli. Cet événement énorme est encore en route, il marche — et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, — et pourtant c’est eux qui l’ont accompli !” — On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : “A quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ?” » (Friedrich Nietzsche, “L’insensé”, Le gai savoir III, § 125.)
*
Cet acte tragique constaté, dénoncé, ici, dans Le Gai savoir en 1882 par cet Insensé, est évoqué à nouveau, dans le livre suivant de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, de 1883, un an après, annonçant, comme en remède, l’espérance d’un recours, l’avènement du Surhumain. Mais Nietzsche ne voit que le dernier homme pour entendre, ou ne pas entendre, le message de Zarathoustra, ou son rêve. Je cite :
« Voici, je suis un visionnaire de la foudre, une lourde goutte qui tombe de la nuée : mais cette foudre s’appelle le Surhumain. » […]
« Quand Zarathoustra eut dit ces mots, il considéra de nouveau le peuple et se tut. “Ils se tiennent là, dit-il à son cœur, les voilà qui rient ; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme des cymbales et des prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi qu’en les bègues ?
Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils l’appellent civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers.
C’est pourquoi ils n’aiment pas à entendre pour eux le mot de ‘mépris’. Je parlerai donc à leur fierté.
Je leur parlerai donc de ce qu’il y a de plus méprisable : c’est le dernier homme.”
Et ainsi Zarathoustra parlait au peuple :
“Il est temps que l’homme se détermine son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Son sol est encore assez riche pour cela. Mais ce sol un jour sera pauvre et vide et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc auront désappris de vibrer !
Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne peut plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.
‘Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ?’ — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
‘Nous avons inventé le bonheur’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
‘Autrefois tout le monde était fou’ — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
‘Nous avons inventé le bonheur,’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.” —
Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l’on appelle aussi le prologue : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. “Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, — s’écriaient-ils — rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te tiendrons quitte du Surhumain !” Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue.
Zarathoustra cependant devint triste et dit à son cœur !
“Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Trop longtemps sans doute j’ai vécu dans les montagnes, j’ai trop écouté les ruisseaux et les arbres : je leur parle maintenant comme à des chevriers.
Placide est mon âme et lumineuse comme la montagne au matin. Mais ils me tiennent pour un cœur froid et pour un bouffon aux railleries sinistres.
Et les voilà qui me regardent et qui rient : et tandis qu’ils rient ils me haïssent encore. Il y a de la glace dans leur rire.” » (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5.)
*
Comment ne pas voir là notre temps ?! Où trouver encore de l’humain vivant ? Écoutons encore Nietzsche, parlant du christianisme, et surtout, en contraste, du Christ :
« Le succès historique du christianisme, sa puissance, son endurance, sa durée historique, tout cela ne démontre heureusement rien, pour ce qui en est de la grandeur de son fondateur et serait, en somme, plutôt fait pour être invoqué contre lui. Entre lui et ce succès historique, se trouve une couche obscure et très terrestre de puissance, d’erreur, de soif de passions et d’honneurs, se trouvent les forces de l’empire romain qui continuent leur action, une couche qui a procuré au christianisme son goût de la terre, son reste terrestre. Ces forces qui rendirent possible la continuité du christianisme sur cette terre et lui donnèrent en quelque sorte sa stabilité. La grandeur ne doit pas dépendre du succès […]. » (Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles, II § 9.)
RP
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