samedi 10 décembre 2016

Paul aux Corinthiens (ch. 5-6) - Mœurs et procès



Un des lieux d’articulation entre l'ancrage de l’enseignement de Paul dans la tradition juive et l'universalité du Royaume espéré est, quant à l’organisation concrète de la communauté ecclésiale, la « loi de Noé », rappelée en Actes 15, 19-21. Ses sept préceptes, adaptés, relus, articulés eux-mêmes pour ne pas interférer avec le salut par la foi seule prêché par Paul, se retrouvent en plusieurs aspects au long de la première épître aux Corinthiens… Aux chapitres 5 et 6, on touche à deux de ces préceptes adressés « aux fils de Noé », ceux concernant les unions sexuelles et les tribunaux…

*

Talmud de Babylone traité Sanhédrin 56a cité et commenté par le rabbin Philippe Haddad :

Nos sages ont enseigné : sept lois ont été données aux fils de Noé [à l’humanité] :
établir des tribunaux (1),
l’interdiction de blasphémer (2),
l’interdiction de l’idolâtrie (3),
l’interdiction des unions illicites (4),
l’interdiction de l’assassinat (5),
l’interdiction du vol (6),
l’interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant (7).

La liste de ces lois est déduite du verset : « Hachem-Eloqim donna ordre à l’homme, en disant (lémor) : de tous les arbres du jardin manger, tu mangeras » (Berechit 2, 16).

1 – « Hachem-Eloqim donna ordre à l’homme » : de là découle l’obligation d’établir des institutions judiciaires.

2 – « Hachem » : de là découle l’interdiction du blasphème du Nom divin.

3 – « Eloqim » : de là découle l’interdiction de l’idolâtrie, ainsi qu’il est écrit : « Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face » (Chemot 20, 3).

4 – « A l’homme » : de là découle l’interdiction du meurtre, ainsi qu’il est écrit : « Qui aura versé le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé ; car à l’image de Dieu, il a fait l’homme » (Berechit 9, 6).

5 – « En disant » : de là découle l’interdiction des unions interdites, ainsi qu’il est écrit : « Il est dit (lémor) : Si un homme renvoie sa femme, et qu’elle le quitte et soit à un autre homme, retournera-t-il vers elle ? ce pays-là n’en sera-t-il pas entièrement souillé ? Et toi, tu t’es prostituée à beaucoup d’amants ; toutefois retourne vers moi, dit Hachem » (Jérémie 3, 1).

6 – « De tous les arbres du jardin » : du vol. Car du moment qu’il est précisé : « de tous les arbres », ainsi que : « du jardin », cela implique que ce qui n’en fait pas partie lui est interdit (Rachi).

7 – « Manger, tu mangeras : de là découle l’interdiction de consommer de la viande arrachée à un animal vivant. Tu ne mangeras que ce qui n’est pas propre à la consommation (Rachi).

« Quiconque parmi les païens accomplit les sept lois fait partie des justes parmi les nations et a sa part au monde futur » (Rambam, Hilkhoth melakhim 8, 11).

(Source ici – d'après Philippe Haddad)

*

Tribunaux humains, inceste et interdit de l'inceste – 1 Co 5 et 6, où il est question de deux des sept préceptes noachides : tribunaux et interdits sexuels, 1 Co 5 s'inscrivant dans une définition de l'inceste, qui rejoint chez Paul à la fois une notion commune (« pire que les païens », dit-il aux Corinthiens – 1 Co 5, 1) et un enseignement biblique renvoyant à la « loi de Noé » posant des interdits sexuels (cf. Ac 15, 20) et donc à celle de Moïse, puisque c'est des livres de Moïse que se déduit la loi de Noé.

Où il s'agit chez Paul aux Corinthiens posant une réflexion éthique d'une mise en relation de la loi noachide et de la loi « naturelle » commune (stoïcienne aux temps de Paul).

En arrière plan du rapport entre loi « révélée » et loi « naturelle », on peut citer la fin de l'Ecclésiaste : « Écoutons la fin du discours : Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là tout l'homme » (Ecc 12, 13). Voilà un texte, le Qohéleth, dont a vu l'an dernier qu'il ne requiert pas de foi en Dieu comme Seigneur de l'Alliance (YHWH pas mentionné),… mais qui bute sur ce constat : la loi même trouve sa source dans cet infini des paramètres (résumé au mot Dieu) que nous ne maîtrisons pas, que notre raison, donc, ne maîtrise pas. Car il est un point de la loi, de toute loi, où apparaît l’articulation où elle se fonde dans une zone infra-rationnelle, celle où l'on finit par dire à un enfant qui discute ce qui lui est demandé : « parce que c'est comme ça ». Ça vaut aussi pour les adultes ! Et c'est plusieurs fois l'argument final de Paul (par ex. 1 Co 11, 16), qui, cela dit, recourt à l’argumentation rationnelle (1 Co 11, 14) – qui le rapproche des stoïciens – pour bâtir son éthique, mais toujours en référence, en arrière-plan, à… la Torah, à la Loi de Moïse où la tradition juive participée par l’Église primitive (cf. Ac 15, 19-21) trouve les sept préceptes de la loi de Noé.

Cela reste vrai, mutatis mutandis, jusque dans les modernes déclarations de droit, qui référant à une loi naturelle, communément lisible, retrouvent l'articulation avec l'indicible qui les ancre dans un ultime relevant d'une façon ou d'une autre d'une supra-rationalité transcendant ce qui nous est rationnellement déductible. Ex. :

« L'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen » (Préambule de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789).

« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme [...] »
(Préambule de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948).

Où il est invariablement question de dignité humaine. En hébreu b'tselem, qui veut dire littéralement « à l’image de ». Le terme apparaît deux fois au premier chapitre du premier livre de la Bible : Genèse 1, 27 : « Dieu créa l’homme à son image (littéralement : à l’image de lui), à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » En hébreu, le mot b'tselem est donc aussi utilisé pour « dignité humaine ».


RP
Première épître de Paul aux Corinthiens

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2016-2017
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3. 13 & 15 décembre – Chapitre 5-6 - Mœurs et procès (PDF ici)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire