mardi 5 mai 2009

Pourquoi Calvin aujourd’hui?





Pourquoi Calvin, aujourd’hui ?
par Olivier Abel, Études Mai 2009


Abstract :
Comme il m’a été donné à moi-même l’occasion d’y contribuer de plusieurs façons, je voudrais montrer que la multiplication des publications, colloques et manifestations autour du cinq centième anniversaire de la naissance de Calvin dépasse le cadre d’une commémoration rituelle. Mon hypothèse est que Calvin peut être considéré comme l’emblème de tout ce qui est en train de s’effondrer dans l’éboulement de la modernité, et que le moment semble venu de mesurer les résultats de cette modernité aux superbes intentions qui la fondent. Calvin n’en était certes pas le seul auteur, mais il a donné très tôt une forme très accomplie au sujet moderne, à la modernité politique, à cette totale extériorité de Dieu qui caractérise le monde moderne. Son oeuvre a quelque chose de décisif au commencement d’une des périodes les plus intenses de notre histoire. Pour prendre un seul exemple, dans la ligne de la philosophie politique moderne qui va de Hobbes à Rousseau en passant par Milton, Grotius, Locke, Bayle, Montesquieu, et bien d’autres encore, Calvin est aussi important que Machiavel, et c’est bien davantage par rapport à lui qu’ils se déterminent.

Pourquoi alors ce refoulement, pourquoi cette réduction à des images caricaturales qui en font ce que j’oserai appeler l’auteur maudit de la modernité ? Pour bien des choses on a pu dire que « c’est la faute à Calvin », plus encore qu’à Descartes ou Rousseau. On lui attribue tout et son contraire, de l’individualisme bourgeois au collectivisme révolutionnaire. C’est peut-être justement qu’il a été trop important, qu’il a fait peur, et c’est pourquoi la polémique catholique mais aussi protestante (la tradition du protestantisme libéral notamment se sent bien plus proche de Castellion que de Calvin) a accumulé des siècles de calomnies. Jusqu’au début du 17ème siècle, on lui reproche sa vie dissolue, sa débauche, son amour du vin, et il faut mesurer que c’est à cette propagande que Genève a du répliquer, pour montrer que la Réforme ne conduisait pas à l’immoralité, etc. L’Institution de la religion chrétienne a été le livre le plus interdit, le plus pourchassé de l’histoire de France : mais désormais nous n’y pensons plus, nous avons refoulé le refoulement lui-même. Mon propos sera ici de défaire quelques unes de ces caricatures, non pour justifier Calvin par des arguments anachroniques, mais pour pointer deux ou trois de ces promesses dont les retombées aujourd’hui nous inquiètent, et comprendre cette toute autre modernité, encore inapprochable, que Calvin avait entrevue.

Entendons nous : mon propos n’est pas d’arrondir les angles, ni de brosser le portrait moderne, libéral, démocratique, et gentillet du Réformateur en pasteur végétarien. Calvin a parfois été d’une grande dureté, et tout dans son image le rapproche davantage de l’Ivan le terrible d’Eisenstein, jusqu’à sa barbe pointue, son bonnet, ses fourrures, son geste de rompre les encerclements ! Calvin a réussi à organiser une révolution plus ample, plus radicale, que celle de Lénine. Mais il faut resituer le contexte d’effrayante intolérance, et la puissance de l’étau qui cherche à étouffer la Réforme naissante. Les grandes œuvres ont de grands ennemis, et les grandes réponses soulèvent des grands problèmes, mais je voudrais que l’on sente ce qu’il y a d’épique dans cette histoire. Lui-même raconte qu’il aurait préféré se tenir à recoi et tranquillité auprès de ses livres, mais que d’autres n’ont cessé de l’appeler. « Calvin » est d’ailleurs le nom d’une aventure collective, celle de la ville de Genève portée par un enthousiasme commun, que renouvellent et renforcent d’année en année les exilés qui rejoignent la ville Refuge - au point que les autochtones aient parfois du mal à garder la main sur leur propre ville qui s’internationalise trop vite. Il a fallu des dogmes et des institutions très fortes pour canaliser cette énergie, et quand celle-ci fait défaut, on ne comprend pas comment on a pu avoir besoin de canalisations aussi contraignantes... Ces militants furent des étrangers dans le monde où ils se dressèrent, mais ils sont devenus non moins étrangers dans le monde qu’ils permirent, parce qu’on ne comprend plus l’énergie qu’il a fallu pour briser les liens de l’ancien monde.

Avant de commencer je voudrais encore expliciter mon intention : Calvin déborde de toute part le cadre parfois étroit des « calvinismes », c’est un héritage commun. Et je voudrais tout particulièrement le rapatrier dans le monde latin dont il est issu, et le rapatrier dans son pays. Lorsqu’à vingt-cinq ans, en 1534, dans les persécutions qui suivent l’affaire des Placards, il quitte le Royaume de France vers Strasbourg et Bâle, il était confiant et certain d’y revenir bientôt, et que le monde entier allait s’ouvrir aux idées humanistes de cette Renaissance évangélique qu’était encore la Réforme : il suffisait de s’expliquer calmement. Il emporte l’ébauche de l’Institution qu’il va finir de rédiger en quelques mois, et cette épître à François 1er qui atteste une telle confiance en Dieu qu’on est partout chez soi, et que l’on peut appareiller pour un autre monde sans que rien de grave ne puisse arriver - mais qui atteste aussi que la France est son port, son attache, son pays. Toute sa vie il gardera la mémoire de la cathédrale de Noyon où enfant il avait tant joué. Nous échappe l’idée que ce Picard, né à Noyon non loin de Paris, si tant est qu’il soit protestant, soit un protestant latin, formé au droit romain, penseur de l’institution et de la mesure, faisant rayonner une langue latine, et préparant Montaigne et Descartes. Calvin, c’est la France. On peut lire Calvin en écoutant Duruflé ou Brassens !

La suite dans Études.





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