mardi 24 novembre 2009

Le Qohéleth — et ‘‘l’inconvénient d’être né’’




« Le plus heureux est celui qui n'a pas encore été
et qui n'a pas vu l'œuvre mauvaise
qui se fait sous le soleil. »
(Qo 4, 3)



Qohéleth 3, 18 - 4, 3
18 Je me suis dit, au sujet des humains, que Dieu les éprouvait, pour qu'ils voient eux-mêmes qu'ils ne sont que des bêtes.
19 Car le sort des humains et le sort de la bête ne sont pas différents ; l'un meurt comme l'autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l'humain sur la bête est nulle : tout n'est que futilité.
20 Tout va dans un même lieu ;
tout vient de la poussière,
et tout retourne à la poussière.
21 Qui sait si le souffle des humains s'élève vers les hauteurs, et si le souffle des bêtes descend vers le bas, vers la terre ?
22 J'ai vu qu'il n'y a rien de mieux pour l'être humain que de se réjouir de ses œuvres : c'est là sa part. En effet, qui le fera revenir pour voir ce qui sera après lui ?

1 J'ai vu, d'autre part, toutes les oppressions qui se commettent sous le soleil ;
les larmes des opprimés — et personne pour les consoler !
la force du côté de leurs oppresseurs — et personne pour les consoler !
2 Moi, je déclare les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore en vie,
3 mais plus que les uns et les autres celui qui n'a pas encore été et qui n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se fait sous le soleil.


* * * *


Citations d'Emil Cioran
Extraits de De l'inconvénient d'être né :


Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne vois pas comment je pourrais éviter la canonisation. (Emil Cioran, De l'inconvénient d'être né, éd. Gallimard, 2006, partie II, p. 35.)

Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop tard.
Ibid., partie II, p. 43.

Toute forme de hâte, même vers le bien, traduit quelque dérangement mental.
Ibid., partie III, p. 65.



Et encore :

Avoir commis tous les crimes, hormis celui d'être père.

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.

Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à vingt. Quarante ans d'un long, d'un superflu travail de vérification...

Ce n'est pas la peur d'entreprendre, c'est la peur de réussir, qui explique plus d'un échec.

Le progrès est l'injustice que chaque génération commet à l'égard de celle qui l'a précédée.

L'interminable est la spécialité des indécis.

La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair.

Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus ils avancent dans la connaissance des religions.

Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.

N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi.




« Je pleurais quand je vins au monde,
et chaque jour me montre pourquoi.
»
(Proverbe espagnol)


* * * *


De Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal,
« Bénédiction » :

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le poète apparaît dans ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :

- "Ah ! Que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir la haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés !"

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un ange,
L'enfant déshérité s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l'esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques :
"Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer ;

Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins !

Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main ;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dédain !"

Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le poète serein lève ses bras pieux,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux :

- "Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés !

Je sais que vous gardez une place au poète
Dans les rangs bienheureux des saintes légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
Des trônes, des vertus, des dominations.

Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
À ce beau diadème éblouissant et clair ;

Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs !"


* * * *


Job 3, 2-26 :
2 Job prit la parole et dit :
3 Périsse le jour où j'allais être enfanté
et la nuit qui a dit : « Un homme a été conçu ! »
4 Ce jour-là, qu'il devienne ténèbres,
que, de là-haut, Dieu ne le convoque pas,
que ne resplendisse sur lui nulle clarté ;
5 que le revendiquent la ténèbre et l'ombre de mort,
que sur lui demeure une nuée,
que le terrifient les éclipses !
6 Cette nuit-là, que l'obscurité s'en empare,
qu'elle ne se joigne pas à la ronde des jours de l'année,
qu'elle n'entre pas dans le compte des mois !
7 Oui, cette nuit-là, qu'elle soit infécondée,
que nul cri de joie ne la pénètre ;
8 que l'exècrent les maudisseurs du jour,
ceux qui sont experts à éveiller le Tortueux ;
9 que s'enténèbrent les astres de son aube,
qu'elle espère la lumière — et rien !
Qu'elle ne voie pas les pupilles de l'aurore !
10 Car elle n'a pas clos les portes du ventre où j'étais,
ce qui eût dérobé la peine à mes yeux.
11 Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein ?
A peine sorti du ventre, j'aurais expiré.
12 Pourquoi donc deux genoux m'ont-ils accueilli,
pourquoi avais-je deux mamelles à téter ?
13 Désormais, gisant, je serais au calme,
endormi, je jouirais alors du repos,
14 avec les rois et les conseillers de la terre,
ceux qui rebâtissent pour eux des ruines,
15 ou je serais avec les princes qui détiennent l'or,
ceux qui gorgent d'argent leurs demeures,
16 ou comme un avorton enfoui je n'existerais pas,
comme les enfants qui ne virent pas la lumière.
17 Là, les méchants ont cessé de tourmenter,
là, trouvent repos les forces épuisées.
18 Prisonniers, tous sont à l'aise,
ils n'entendent plus la voix du garde-chiourme.
19 Petit et grand, là, c'est tout un,
et l'esclave y est affranchi de son maître.
20 Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine,
et la vie aux ulcérés ?
21 Ils sont dans l'attente de la mort, et elle ne vient pas,
ils fouillent à sa recherche plus que pour des trésors.
22 Ils seraient transportés de joie,
ils seraient en liesse s'ils trouvaient un tombeau.
23 Pourquoi ce don de la vie à l'homme dont la route se dérobe ?
Et c'est lui que Dieu protégeait d'un enclos !
24 Pour pain je n'ai que mes sanglots,
ils déferlent comme l'eau, mes rugissements.
25 La terreur qui me hantait, c'est elle qui m'atteint,
et ce que je redoutais m'arrive.
26 Pour moi, ni tranquillité, ni cesse, ni repos.
C'est le tourment qui vient.



* * * *


Jérémie 20, 14-18 :
14 Maudit, le jour
où je fus enfanté !
Le jour où ma mère m'enfanta,
qu'il ne devienne pas béni !
15 Maudit, l'homme qui annonça à mon père :
« Un fils t'est né ! »
— Et il le combla de joie !
16 Que cet homme devienne pareil aux villes
que, de façon irrévocable,
le Seigneur a renversées !
Qu'il entende au matin des appels au secours
et à midi des cris de guerre !
17 Et Lui, que ne m'a-t-il fait mourir dès le sein ?
Ma mère serait devenue ma tombe,
sa grossesse n'arrivant jamais à terme.
18 Pourquoi donc suis-je sorti du sein,
pour connaître peine et affliction,
pour être, chaque jour, miné par la honte ?



En compagnie de l’Ecclésiaste (2),
RP, KT Adultes 2009-2010, 26.11.09



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