On dit qu’au XVIe siècle, le rabbin Loew de Prague conçut une créature d’argile à laquelle il réussit à donner l’animation : le Golem. Il paraît même que le Golem du rabbin Loew aurait eu des prédécesseurs au Moyen Âge, au temps des Croisades et des persécutions des juifs qui les escortaient en Europe. Car le Golem avait pour fonction de protéger les juifs de leurs persécuteurs. Le Moyen Âge était en outre le temps du développement de la Cabale, et de l’essor parallèle de la certitude que les lettres de la Torah avaient un réel pouvoir créateur, qu’avait utilisé Dieu pour faire naître le monde.
Or il y a là, dans les lettres de la Torah, et plus particulièrement dans le Nom de Dieu, le Nom imprononçable, l’élément par lequel la matière reçoit la vie.
Où l’on retrouve le rabbin Loew : pour un rabbin, cela n’était-il pas confirmé par une parole des Psaumes ? Au Psaume 139 se trouve en effet le seul passage de la Bible où apparaît le mot Golem : “Mes os ne t'ont pas été cachés lorsque j'ai été fait dans le secret, tissé dans une terre profonde. Je n'étais qu'une ébauche et tes yeux m'ont vu. Dans ton livre ils étaient tous décrits, ces jours qui furent formés quand aucun d'eux n'existait.” (Psaume 139, 15-16.) Golem est ici traduit (dans la TOB) par “ébauche”. Apparaît aussi dans ce passage le livre de vie, écrit dans l’éternité. Or, voilà que c’est ainsi qu’a procédé Dieu avec Adam, le façonnant de la terre avant de lui donner un nom animé par le sien propre, porté dans le souffle divin…
Autant d’éléments d’une conviction qui aurait conduit le rabbin de Prague à concevoir le Golem. Car sa créature recevait la vie du Nom de Dieu que le rabbin insérait dans sa bouche [sous les lettres de Emeth = vérité].
Mais voilà que, dit-on, l’affaire tourna mal : le Golem se dérégla, en quelque sorte. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce dérèglement. Depuis une volonté, dans l’entourage du rabbin, de l’employer à autre chose que ce pourquoi il avait été conçu, jusqu’à celle qui lie le dérapage du Golem à un oubli redoutable : le rabbin devait retirer le Nom divin chaque shabbat. Un vendredi soir il oublia, et rapporte l’historien Gershom Scholem, le Golem se mit à crier avec une force extraordinaire, faisant trembler les maisons et menaçant de tout détruire. Le rabbin décida alors de lui enlever la vie définitivement, lui retira le Nom de Dieu [enlevant une lettre de Emeth, pour faire Moth = mort], et le Golem tomba à terre, inanimé.
On dit qu’alors on le déposa dans les combles de la synagogue de Prague, qui existe toujours. Depuis, le rabbin Loew est mort, on connaît sa tombe. Quant au Golem, on n’entendit plus parler que de la terreur qu’inspirent les combles de la synagogue, surtout à certains de ceux qui y sont montés, même si, semble-t-il, on n’y trouva pas le Golem : sa dépouille d’argile aurait été transportée ailleurs.
Il est vrai que si l’existence de ses prédécesseurs du Moyen Âge n’est pas avérée, le Golem a quand même certainement, semble-il, quelques successeurs depuis. Sautons quelques siècles : passons rapidement sur le docteur Frankenstein. Mary Shelley, qui nous conte son histoire, et celle du monstre qu’il créa, connaissait, certes, l’histoire du Golem.
Mais plus près de nous, n’oublions pas que c’est de Prague, où serait caché le Golem, que vient bel et bien le mot robot ! Or que ne voit-on pas de tentatives d’animations de créatures sous ce nouveau nom ? Nous en connaissons, de ces créatures, qui, nous assurent les informaticiens, sont aujourd’hui capables d’auto-évolution, c’est-à-dire de développer leur propre… j’allais dire intelligence. Peut-être jusqu’à des tentatives de Golems déréglés comme l’ordinateur d'une certaine année 2001, selon un titre célèbre : “2001, Odyssée de l’espace” ? Ou certains des robots du romancier Isaac Asimov qui s’interrogent sur l’existence de l’homme ? Ou, “rêvant de brebis électriques”, les “androïdes” dont on tombe amoureux, comme dans le roman de Philip K. Dick (Do Androids Dream Of Electric Sheep ? — adaptation cinématographique de Ridley Scott : Blade Runner) ? Ou plus modestement, comme l’anti-virus de mon ordinateur, qui (c’est authentique !), au moment où je rédigeais ces lignes, est venu bloquer tout mon système, à l’encontre de ce qu’il est censé faire.
Mais restons sérieux, comme nous y exhorte ce genre d’incidents : les structures d’alphabets numériques, demeurent, dans l’échelle de l’être, à un degré bien moindre que les lettres de la Torah… Sans parler du Nom divin. Le Nom divin reste hors de notre portée : le Golem s’échoue au seuil de l’humanisation, de la rencontre de Dieu symbolisée par le shabbat, ou par le souffle donné par Dieu seul dans la Genèse. Alors en lieu et place de cette matière désanimée — tandis qu’à l’heure de l’homme bionique, lettres, chiffres, ADN ou autres structures transparaissent comme en écho des lettres fondatrices qui précèdent le monde — allons-nous devenir notre propre Golem ?
Or il y a là, dans les lettres de la Torah, et plus particulièrement dans le Nom de Dieu, le Nom imprononçable, l’élément par lequel la matière reçoit la vie.
Où l’on retrouve le rabbin Loew : pour un rabbin, cela n’était-il pas confirmé par une parole des Psaumes ? Au Psaume 139 se trouve en effet le seul passage de la Bible où apparaît le mot Golem : “Mes os ne t'ont pas été cachés lorsque j'ai été fait dans le secret, tissé dans une terre profonde. Je n'étais qu'une ébauche et tes yeux m'ont vu. Dans ton livre ils étaient tous décrits, ces jours qui furent formés quand aucun d'eux n'existait.” (Psaume 139, 15-16.) Golem est ici traduit (dans la TOB) par “ébauche”. Apparaît aussi dans ce passage le livre de vie, écrit dans l’éternité. Or, voilà que c’est ainsi qu’a procédé Dieu avec Adam, le façonnant de la terre avant de lui donner un nom animé par le sien propre, porté dans le souffle divin…
Autant d’éléments d’une conviction qui aurait conduit le rabbin de Prague à concevoir le Golem. Car sa créature recevait la vie du Nom de Dieu que le rabbin insérait dans sa bouche [sous les lettres de Emeth = vérité].
Mais voilà que, dit-on, l’affaire tourna mal : le Golem se dérégla, en quelque sorte. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce dérèglement. Depuis une volonté, dans l’entourage du rabbin, de l’employer à autre chose que ce pourquoi il avait été conçu, jusqu’à celle qui lie le dérapage du Golem à un oubli redoutable : le rabbin devait retirer le Nom divin chaque shabbat. Un vendredi soir il oublia, et rapporte l’historien Gershom Scholem, le Golem se mit à crier avec une force extraordinaire, faisant trembler les maisons et menaçant de tout détruire. Le rabbin décida alors de lui enlever la vie définitivement, lui retira le Nom de Dieu [enlevant une lettre de Emeth, pour faire Moth = mort], et le Golem tomba à terre, inanimé.
On dit qu’alors on le déposa dans les combles de la synagogue de Prague, qui existe toujours. Depuis, le rabbin Loew est mort, on connaît sa tombe. Quant au Golem, on n’entendit plus parler que de la terreur qu’inspirent les combles de la synagogue, surtout à certains de ceux qui y sont montés, même si, semble-t-il, on n’y trouva pas le Golem : sa dépouille d’argile aurait été transportée ailleurs.
Il est vrai que si l’existence de ses prédécesseurs du Moyen Âge n’est pas avérée, le Golem a quand même certainement, semble-il, quelques successeurs depuis. Sautons quelques siècles : passons rapidement sur le docteur Frankenstein. Mary Shelley, qui nous conte son histoire, et celle du monstre qu’il créa, connaissait, certes, l’histoire du Golem.
Mais plus près de nous, n’oublions pas que c’est de Prague, où serait caché le Golem, que vient bel et bien le mot robot ! Or que ne voit-on pas de tentatives d’animations de créatures sous ce nouveau nom ? Nous en connaissons, de ces créatures, qui, nous assurent les informaticiens, sont aujourd’hui capables d’auto-évolution, c’est-à-dire de développer leur propre… j’allais dire intelligence. Peut-être jusqu’à des tentatives de Golems déréglés comme l’ordinateur d'une certaine année 2001, selon un titre célèbre : “2001, Odyssée de l’espace” ? Ou certains des robots du romancier Isaac Asimov qui s’interrogent sur l’existence de l’homme ? Ou, “rêvant de brebis électriques”, les “androïdes” dont on tombe amoureux, comme dans le roman de Philip K. Dick (Do Androids Dream Of Electric Sheep ? — adaptation cinématographique de Ridley Scott : Blade Runner) ? Ou plus modestement, comme l’anti-virus de mon ordinateur, qui (c’est authentique !), au moment où je rédigeais ces lignes, est venu bloquer tout mon système, à l’encontre de ce qu’il est censé faire.
Mais restons sérieux, comme nous y exhorte ce genre d’incidents : les structures d’alphabets numériques, demeurent, dans l’échelle de l’être, à un degré bien moindre que les lettres de la Torah… Sans parler du Nom divin. Le Nom divin reste hors de notre portée : le Golem s’échoue au seuil de l’humanisation, de la rencontre de Dieu symbolisée par le shabbat, ou par le souffle donné par Dieu seul dans la Genèse. Alors en lieu et place de cette matière désanimée — tandis qu’à l’heure de l’homme bionique, lettres, chiffres, ADN ou autres structures transparaissent comme en écho des lettres fondatrices qui précèdent le monde — allons-nous devenir notre propre Golem ?
R.P. - Article paru dans Le Cep, Mensuel
de l’Église réformée de France
en Cévennes Languedoc-Roussillon, n° d’avril 2002.
de l’Église réformée de France
en Cévennes Languedoc-Roussillon, n° d’avril 2002.
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