Lire au livre des Juges les chapitres 4 et 5.
La figure de Déborah, qui y est présentée comme « prophétesse », est significative d'un en-deçà ou au-delà de l’institution, mâle en ce temps-là. L'Esprit (notion féminine en hébreu) investit ses portes-paroles indépendamment de toute qualification institutionnelle ou légitimation telle que la masculinité. Une « anomalie » vouée toutefois à faire ultérieurement institution, institution autre, incluant le ministère des femmes.
Car cela dit, il ne s'agit pas pour autant, avec Déborah prophète (comme avec les autres prophètes) d’auto-proclamation : dans le texte de Juges 4 et 5, la position de Barak en atteste (chef de guerre officiel) — qui confirme cependant la primauté de Déborah comme prophète.
Un mot sur la dimension guerrière, qu'il n'est pas à légitimer ou à délégitimer : elle est liée à un contexte, qui n'est pas forcément à reproduire ! La transposition à un plan de combat spirituel y est induite : comme pour tout moment historique, les combats se légitiment à un plan moral et spirituel, où la violence du temps devient symbole. Pour prendre un exemple : aujourd'hui, quand on parle en France en contexte politique de « couper des têtes », il ne s'agit plus, malgré la référence à la Révolution française, de décapitations littérales !... On a transposé à un autre plan. Il est tout aussi légitime d'opérer cette transposition pour notre texte, et donc de transposer la fonction prophétique à notre conception du ministère prophétique, jusque dans l’Église...
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Excursus : Ministère prophétique et ministère féminin
Le ministère féminin, y compris ministère de responsabilité, tel le ministère pastoral, s'avère n'être pas un phénomène récent. Seule son institutionnalisation officielle est récente dans le monde moderne. L'action missionnaire, par exemple, a été, et de longue date souvent dirigée par des femmes, remplissant ainsi, sans en avoir le titre, un rôle incontestablement pastoral, voire apostolique. Aussi, n'est-il pas acquis que ce soit les partisans du ministère pastoral féminin qui aient été les novateurs ; ce que pourrait s'avérer confirmer la pratique de l'Église primitive.
Toutefois, le ministère institutionnel féminin, lui, est inexistant depuis fort longtemps. L'inexistence du ministère pastoral féminin remonte à la nuit des temps ecclésiaux, l'inexistence du ministère diaconal féminin date du VIe siècle, pour l'Église latine, lors de sa suppression par les conciles d'Épaone (517) et d'Orléans (539). Les diaconesses ont survécu un peu plus longtemps en Orient. Les raisons de l'inexistence institutionnelle du ministère féminin, inexistence institutionnelle reprise longtemps par le protestantisme, qui connaissait pourtant des ministères féminins non officiels, ne sont pas aussi limpides que le soutiennent les adversaires de l'accession des femmes à des postes de responsabilité ecclésiastique. Ces derniers y voient volontiers une interdiction néo-testamentaire, et de citer à cet effet des textes forts impressionnants — tendant ainsi à l'abolition d'une pratique traditionnelle au profit d'une institution traditionnelle. Car la question doit être posée : est-ce vraiment là l'enseignement néo-testamentaire ?
Les Églises les plus attachées à l'exclusivité masculine de l'accession au ministère sont les Églises regardant explicitement le ministère comme d'ordre sacerdotal ; et qui, pour cela, arguent de la symbolique des sexes — ce qui est étranger au Nouveau Testament. On peut se demander si le refus du ministère féminin, dans la mesure où l'on sait — clairement pour le diaconat — qu'il a été abandonné, n'est pas à chercher dans ce type de décalage par rapport au Nouveau Testament, éventuellement projeté sur le Nouveau Testament, plutôt que dans l'enseignement du Nouveau Testament lui-même.
La « sacerdotalisation » du ministère, accompagnée à terme de sa masculinisation exclusive, remonte, il est vrai, à très haute époque, puisqu'on la trouve déjà en germe chez Clément de Rome (fin Ier siècle). Clément trace un parallèle entre le ministère ecclésiastique et l'institution lévitique, clairement sacerdotale et mâle — et héréditaire, ce qui distingue nettement cette institution de la vocation prophétique, et n'est pas sans importance. Pour Clément, les diacres représentent les lévites ; les presbytres (les desservants mosaïques) ; et l'évêque, le grand desservant (Clément, 1 Corinthiens 40:5).
La logique d'une telle vision fait déboucher l'Église sur l'exclusion du ministère féminin. On peut penser que ces raisons se sont pas sans rapport avec l'abolition du diaconat féminin : on sait que les diacres ont un rôle à jouer en ce domaine ; dans le livre des Actes on les voit « servir aux tables » (Ac 6:2), service qui vraisemblablement, à l'époque, n'est pas sans rapport avec la Sainte Cène. On les voit au moins décider de l'administration de baptêmes non urgents (Ac 8). Il ne faut cependant pas prêter ces développements ultérieurs à Clément, qui écrit dans un contexte de remise en question de l'autorité des ministres de l'Église de Corinthe, et qui use pour sa polémique du parallèle de l'institution mosaïque. La dérive n'en est pas moins amorcée, qui éloigne l'Église de la tradition des Apôtres, qui situait le ministère dans une perspective prophétique, et non sacerdotale, ministère de la Parole, de la libre Parole.
Il s'agit de ne pas perdre de vue cette perspective lorsqu'on lit les propos du Nouveau Testament. Il s'agit de tenter de redessiner le contexte historique qui est le leur, plutôt que de les lire à travers la projection d'un cadre institutionnel forgé par l'histoire ultérieure. Quant à l'Église primitive, il n'est point très mystérieux de savoir d'où elle hérite sa structure : non d'une institution sacerdotale, mais de la Synagogue ; en laquelle il faut naturellement chercher les fameuses coutumes universelles des Églises (1 Co 11:16, 14:33, Ac 15:21) - composées majoritairement de populations gravitant autour de la Synagogue (cf. Ac).
Exemple de ces coutumes : l'attitude des chrétiens à l'égard des viandes sacrifiées aux idoles. Jacques a dit (Ac 15:19-21), Paul raisonne (Ro 14, 1 Co 8, 10), la pratique commune demeure la coutume universelle, celle de la Synagogue : on s'abstient. Cette coutume est largement abandonnée depuis, malgré l'ordre de Jacques et le conseil de Paul : rares sont les chrétiens qui, aujourd'hui, mangent casher !
Quant au voile ou au silence des femmes - autres de ces coutumes, - nul besoin de chercher chez les païens des mœurs qu'ils n'avaient pas : la Synagogue, depuis des temps immémoriaux, sépare les hommes, qui animent le culte, des femmes nubiles, qui assistent aux cérémonies depuis des pièces adjacentes, ce pour des raisons dont il ne faut pas exclure le côté pratique. Les femmes, de cette façon, s'occupent de leurs enfants en bas âge, qu'elle peuvent nourrir, ou dont les pleurs ne dérangeront pas le déroulement du culte — on est dans une civilisation où ce rôle est strictement réservé aux femmes, responsables de la maternité (certaines grandes Églises américaines ont aujourd'hui, par le moyen de l'audiovisuel, introduit une pratique similaire pour les parents d'enfants jeunes : ils peuvent assister au culte tout en gardant leurs enfants, et sans être proprement dans le lieu du culte).
La simple prise en compte de cette coutume de l'Église primitive, fondée sur la structure architecturale des synagogues, éclaire les textes pauliniens sur le silence requis des femmes : les questions théologiques sont, en public, du fait des occupants de la partie centrale du bâtiment cultuel, les hommes — quoique, on y vient, pas nécessairement eux seuls... Pour paraphraser Paul : « que les femmes qui occupent les parties adjacentes écoutent, et obtiennent les éclaircissements, qu'éventuellement elles souhaitent, une fois à la maison, plutôt que d'entamer entre elles des discussions théologiques propres à perturber ce qui se déroule dans la partie centrale » (1 Co 14:34-35). « Qu'elles demeurent dans le silence et s'occupent de leur rôle par excellence, la maternité » (1 Ti 2:9-15).
C'est avec la question du ministère que l'on entre dans le domaine où, du fait de sa revendication prophétique, le Nouveau Testament se spécifie par rapport à l'habituel de la Synagogue dont il n'a aucune raison d'avoir abandonné la structure.On est dans le domaine prophétique, qui se construit institutionnellement avec la reconnaissance officielle, par la communauté, des vocations diverses. C'est ainsi que les listes de charismes ne distinguent pas ce qui relève du prophétique ou du miraculeux, de ce qui est de l'ordre institutionnel.
La structure presbytérale reprise de la Synagogue est investie de la liberté de l'Esprit d'une communauté naissante, la faisant se doubler très tôt (Ac 6) de la structure diaconale (dont la synagogue n'est d'ailleurs sans doute pas sans équivalent) dont l'Église ancienne a conservé l'aspect féminin jusqu'au VIe siècle et plus tard, pour l'Orient. On voit en outre cette structure se charger de prophètes (parmi lesquels on ne peut exclure qu'il y ait eu des femmes), placés au plus haut niveau dans la hiérarchie des vocations et ministères (1 Co 12:28-30, Ép 4:11). La Didaché (11-12) nous apprend qu'au IIe siècle, qui connaît encore ce ministère, il s'agit d'une fonction supra-locale, de type apostolique (Didaché 15:1-2). Et rien n'indique dans le N.T. qu'il faudrait distinguer un ministère prophétique d'une fonction portant le même nom et qui ne serait jamais reconnue dans l'institution (et qui serait réservée aux prophétesses ?).
L'institution néo-testamentaire se structure par la reconnaissance de vocations charismatiques dont tout indique qu'elles sont aussi le fait des femmes. Outre les prophétesses de 1 Co et des Actes, pensons à Phoebé, diaconesse, qui peut aussi se traduire par « ministresse », puisqu'on traduit le même mot par « ministre », pour Paul, sans nier que le ministère en question soit celui d'apôtre. Lorsque les prophétesses enseignaient, entrant dans la structure des ministères, elles n'en restaient pas moins femmes : officiant, elles sortaient de la salle des femmes avec la parure qui, alors, les distinguait : le voile... ou ce que peut signifier kaluma (dont les hommes portaient un équivalent : le châle de prière, le talith). C'est d'une façon semblable que le ministère spirituel pouvait s'inscrire de façon tout à fait libre dans la structure que l'Église a conservée tant qu'elle est restée majoritairement juive.
Il demeure que, même dans le cadre d'une structure synagogale, il est difficile, au regard des écrits apostoliques, de soutenir que le ministère féminin, ministère d'enseignement, prophétique, n'avait pas sa place. Prophétique, une telle fonction n'a pu disparaître que lorsque le ministère a été conçu comme sacerdotal, pour des raisons symboliques dont on peut douter du bien fondé.
… Ancêtre lointaine de cette dimension prophétique concernant aussi les femmes, la figure de Déborah.
RP
Du féminin et de quelques
figures féminines dans la Bible
Église protestante unie de France / Poitiers
Etude biblique 2014-2015
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
4) 13 & 15 janvier 2015 Déborah (PDF)
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