lundi 12 octobre 2015

L’Ecclésiaste et l'évanescence



Le terme hébraïque קהלת – Qoheleth – est construit sur la racine קהל – Qahal –, parlant d'assemblée, désignant le peuple de l'Exode au désert par ex. et, comme verbe, « rassembler », « convoquer » (le mot connotant l'appel au rassemblement). קהלת est donc un titre, référant à un « assembleur ». Selon le contexte, il s'agit soit de peuple pour l'instruire dans la sagesse, soit d'aphorismes dans le même but. קהלת peut aussi représenter la fonction d'éditeur, de compilateurs de textes (12,9) « Qohéleth a pesé, examiné et corrigé beaucoup de proverbes. » L'intitulé français du livre, Ecclésiaste, vient de la traduction de la Septante de Qohelet par Εκκλησιαστής. Ce mot tire ses origines du grec Εκκλησία, un « rassemblement » sans forcément de connotation religieuse, bien que plus tard utilisé pour cet usage en priorité, Église.

Le terme Qoheleth a cependant été également traduit en anglais par the Preacher (le prédicateur) dans la Bible King James (d'après le terme latin concionator de saint Jérôme, suivi également par der Prediger de Martin Luther) — rendant la notion d'appel. Le terme prédicateur ou prêcheur (qui est un synonyme plus ancien) impliquant une fonction religieuse, et le livre ne reflétant pas une telle fonction, elle est tombée en désuétude.

L'auteur se décrit lui-même comme fils de David et roi d'Israël à Jérusalem, un sage au sein d'une cour de gens brillants. Tant la tradition rabbinique que les premiers chrétiens attribuaient l'Ecclésiaste au roi Salomon.

Cette opinion a été abandonnée par les critiques modernes, qui pensent actuellement que Qoheleth est le fruit d'une tradition voulant se présenter comme propos d'un sage connu et respecté. Le point de vue le plus commun est que l'Ecclésiaste fut écrit aux alentours de 250 av. J.-C. par un intellectuel appartenant à la société juive de l'époque du Second Temple de Jérusalem. (Lignes ci-dessus : emprunt approximatif à Wiki.)

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Un livre de « philosophie », où le mot « Dieu » désigne et rassemble la globalité des aspects (non-exhaustifs) de l'idée que ce qui nous advient ne dépend, ultimement, pas de nous.

Il ne s'agit pas de « foi » (confiance en un Dieu favorable, qui intervient favorablement, voire miraculeusement), mais d'un « concept », qui ne désigne pas un objet, mais vise d'abord le fait que ce qui nous advient ne dépend au bout du compte, pas de nous... Notion relevant de la raison, pas de la foi. Concept qui en hébreu se conjugue au singulier mais se décline au pluriel ! – : le livre de l'Ecclésiaste utilise le mot pluriel Elohim, qui pourrait se traduire par « les puissances », ou, pour rendre le singulier : « lui, les puissances » !

Il s'agit d'une de prise de conscience suite à une réflexion sur ce qu'enseigne ce concept – « Dieu » –, prise de conscience propre à fonder le bonheur, puisque pour l'Ecclésiaste c'est de cela qu'il s'agit : le fait que tout soit « don de Dieu » – ce qui symbolise le fait que nous ne maîtrisons pas ce qui nous advient – invite à « la crainte », qui est en quelque sorte le versant négatif de l'admission de la possibilité que ce qui est don ne soit pas – ou n'ait pas été – octroyé, ou n'ait pas été reçu (car le bonheur – de manger et boire par ex. pour l'Ecclésiaste – suppose le don de ce qui le rend possible, les récoltes par ex., et la capacité d'en recevoir le produit pour le mieux, cela allant jusqu'à des dispositions digestives favorables ! Autant de choses qui au bout du compte, nous dépassent – un dépassement, une série de dépassements que rassemble le concept de Dieu). Crainte quant au versant négatif, donc – et en son versant positif, la reconnaissance, tout simplement, la reconnaissance de ce que la matérialité de la condition du bonheur, jusqu'à la disposition pour le recevoir, ne viennent, ultimement, pas de nous.

Précisons en outre que pour l'Ecclésiaste, la référence à Dieu n'a pas de rapport avec un prolongement post-mortem de l'existence. Précision utile en notre temps, où l'on lie automatiquement le concept de Dieu et une vie post-mortem. Ce que ne fait en aucun cas l'Ecclésiaste : pour lui notre vie est limitée au temps qui nous est donné « sous le soleil ».

De cette vie qui nous est donnée, nous ne sommes ni la source, ni le garant du bonheur que nous pourrions y cueillir : cela nous échappe largement, cela vient des puissances qui nous échappent et se résument à un nom, un concept : « Dieu » : la part qui ne nous échappe pas tout-à-fait est celle que l'Ecclésiaste nous invite à mettre en œuvre : un respect reconnaissant, une loyauté : « crains Dieu et observe ses préceptes »... Et tout ce que ta main trouve à faire, fais-le. Cueille le bonheur où il t'est donné : bois de bon cœur ton vin et jouis de la vie avec la femme que tu aimes. Tout cela est don de Elohim, « Dieu » en français. « Dieu » comme pluriel conjugué au singulier : ne pas faire de tel ou tel aspect de l'origine indiscernable de ce qui nous advient, un objet de culte particulier – une idole. Au fond, l'origine indiscernable est irreprésentable, sous quelque figure que ce soit. C'est donc ce que le français a traduit par « Dieu ».

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Parmi les quelques leitmotiv connus du livre de l'Ecclésiaste, le fameux « vanité des vanités » – évoquant une insoutenable légèreté selon le mot hébreu rendu par « vanité », à savoir « souffle fragile », « buée », « vapeur », bref, évanescence – ; ou encore la formule « rien de nouveau sous le soleil », indiquant que c'est bien « sous le soleil » – c'est-à-dire dans le provisoire dont il n'y a rien de très considérable à espérer – que se déroule le trajet vaporeux qui est le nôtre.

Y a-t-il là de quoi désespérer, sachant que « le plus heureux est encore celui qui n'a jamais vu le jour » (Ecc 4, 3) ? Ou y a-t-il là motif à s'abîmer dans un « à quoi bon » ou autre repli contemplatif vers les origines, vers le non-né ?

Eh bien, non, si l'on s'en tient à cet autre leitmotiv du livre ! – : l'invite à l'être humain de « jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’il fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui a donnés » (Ecc 5, 18), chose humble reprise à l'envi et reçue invariablement comme « don de Dieu »... Dieu qui ouvre à la disposition de recevoir ce qu'il offre à cette sagesse humble…

Puisque tout s'évapore en ce temps bref, « sous le soleil », qui seul nous est donné, puisqu'il n'y a rien de tout ce qui se fait sous le soleil « au séjour des morts où tu vas » (Ecc 9, 10), alors fais-le (ibid.).

C'est là le travail à accomplir, « fais ce que tu trouves à faire » – et à en cueillir le fruit (sans quoi le travail est plutôt malédiction !), fruit du plaisir de l'œuvre, et de son humble produit.


RP
L'Ecclésiaste

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2015-2016
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
1) 13 & 15 octobre 2015 – L’évanescence
(Introduction au livre puis entrée dans les ch. 1 à 2 v. 13)


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