"Aspirez aux dons les meilleurs.
Et je vais encore vous montrer une voie par excellence." (1 Corinthiens 12, 31)
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Rappelons le propos essentiel de la première épître aux Corinthiens, qui est donné par Paul au commencement de sa lettre, cela dans la perspective utopique d'une Église laboratoire d'un monde à venir — et tout proche pour la foi : “Je vous exhorte, frères [et sœurs], par le nom de notre Seigneur Jésus Christ, […] à ne point avoir de divisions parmi vous, mais à être parfaitement unis dans un même esprit et dans un même sentiment” (1 Co 1, 10). Et devenant concret, au ch. 11, v. 18 : “j'apprends que, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, et je le crois en partie”.
Façon de dire aux Corinthiens, par un trait d'ironie, que le problème concerne bien leur Église. Divisions en écarts sociaux non résolus, en clans, etc. Face au drame de divisions qui, derrière les sourires convenus, ne disent pas leur nom, mais transpirent de partout, Paul ira jusqu’à prôner l’abolition des repas d'Église à Corinthe, ces repas censés être fraternels, mais devenus de fait lieu d’hypocrisie. Mieux vaut arrêter, écrit-il : vous pouvez manger chez vous (1 Co 11, 22) !
Après quoi, ch. 12, reprenant une métaphore stoïcienne concernant le monde, il développe son propos sur le corps, qui ne peut qu’être un pour fonctionner, doté pour cela de plusieurs dons : l’ouïe, la vue, la marche, la digestion, etc., chose que l’Apôtre propose en illustration des dons de l’Église, le don le plus désirable étant la fraternité (3e terme rarement concret d'une magnifique devise ternaire), la fraternité/sororité/adelphité, concrètement l’amour fraternel : 1 Co 13, introduit par la formule : “Aspirez aux dons les meilleurs. Et je vais encore vous montrer une voie par excellence” (1 Co 12, 31).
On a là un écho et un point culminant des propos que l'Apôtre tient dans plusieurs épîtres. Je cite, petit florilège non exhaustif : “Soumettez-vous les uns aux autres” (Ep 5, 21). “Considérez les autres comme étant supérieur à vous-mêmes” (Ph 2, 3). “Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres” (Ga 5, 15). Etc.
Tout cela à vivre dans le cadre d’une structure donnée : Romains 12, 8-9 : “que celui qui préside le fasse avec zèle ; que celui qui pratique la miséricorde le fasse avec joie. Que l’amour soit sans hypocrisie.” Pierre dira la même chose : “soyez soumis aux anciens. Et tous, dans vos rapports mutuels, revêtez-vous d’humilité ; car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles” (1 P 5, 5-6).
Dans cette première épître aux Corinthiens, on a un développement plus complet, en un temps donné, celui du premier siècle, des différents dons qui permettent au corps de fonctionner : “premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont les dons de guérir, de secourir, de gouverner, de parler diverses langues”.
Des Églises croient que cela est permanent, pour tous les temps, voulant par exemple qu’il y ait encore des Apôtres, et même, pour certains, 12 apôtres, à renouveler pour obtenir tout le temps ce chiffre. D’autres ne vont pas aussi loin, mais tiennent à ce qu’il y ait une permanence du phénomène du parler en langues ou de l’accomplissement des miracles et des guérisons miraculeuses, au risque de donner de terribles faux espoirs quand on oublie qu’on ne maîtrise pas les dons de Dieu.
L'Épître aux Hébreux, ch. 2 v. 3-4, nous avertit que passé la génération des Apôtres, des signes miraculeux ne sont plus à attendre. Je cite : le salut, “annoncé d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’ont entendu, Dieu appuyant leur témoignage par des signes, des prodiges, et divers miracles”. Au passé. De même l'Épître aux Éphésiens ne parle plus de signes miraculeux, lorsqu'elle rappelle que le Seigneur “a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du ministère et de l’édification du corps de Christ.” Toujours le corps, mais plus les mêmes dons. Les épîtres à Timothée et Tite, elles, ne parlent plus d’Apôtres. Ne reste que ce qui est déjà mentionné en 1 Co 12, ceux qui président, ceux qui exercent la miséricorde, et ce qui reste du fondement dans les Apôtres désormais plus là, les pasteurs ou docteurs, dont la tâche et la formation (car il faut pour cela une formation sérieuse, comme pour tout métier) consiste à transmettre l'enseignement des Apôtres et des Prophètes bibliques.
Cela avec pour clef de voûte, après les derniers mots du chapitre 12 : “aspirez aux dons les meilleurs. Et je vais encore vous montrer une voie par excellence” (1 Co 12, 31), le seul don qui ne passera jamais, le don qui sous tend tous les autres et sans lequel tous les autres sont inopérants. Tous les autres dons passeront : “Les prophéties prendront fin, les langues cesseront, la connaissance disparaîtra. Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie, mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra” (1 Co 13, 8-10).
“Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour.” (1 Co 13, 13)
Maintenant (c’est à dire pour ce temps). Car lorsque ce que l’on croit sera réalisé, lorsque ce que l’on espère sera advenu, il n’y aura plus besoin de croire et d’espérer. Mais même alors, l’amour, qui fonde le monde, perdurera, éternellement, car “Dieu est amour” (1 Jn 4, 8 & 16).
Par l’amour fraternel, fondé en Dieu-amour qui demeure éternellement, “accueillez-vous donc les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis” (Ro 15, 7). Ils vous a donnés les uns aux autres comme vous êtes… “les uns comme apôtres, etc., les autres comme pasteurs et docteurs, tous pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du ministère et de l’édification du corps de Christ.” Sans unité honnête, qui ne passe pas son temps à faire des reproches, en imitation de Dieu qui “ne fait pas constamment des reproches” (Ps 103, 9) ; sans unité honnête, qui recherche les dons les meilleurs, sans cette unité-là le corps se disloque, l'Église est en déperdition, en risque de se détruire les uns par les autres.
Si ce n’est pas ce que nous voulons, “une voie par excellence” nous a été donnée, ancrage de tout œcuménisme. Tout le reste est vaine agitation en risque d’être non seulement stérile, mais nuisible.
R.P.
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