Hier (21.09.23) sur France culture, L'invention des "cathares", avec pour seuls invités deux historiens célèbres dans les milieux de la recherche sur les hérésies médiévales pour le choix qu'ils ont fait de rejeter nombre de sources dont on dispose et de traiter les seules qu'ils prennent en compte de façon hypercritique (postulat de base : les "cathares" ne sont qu'une protestation "laïque" érigée en "hérésie" par Rome. Postulat affirmé en dépit des sources, dès lors soit rejetées soit "décontruites")… Étrange choix de France culture !
Étrange attitude tout au long de l'émission. Exemple parmi tant d'autres : Alessia Trivellone vient de dire qu'au Moyen-Âge personne dans le midi ne parle de cathares, puis elle cite Alain de Lille donnant son explication du terme "cathares"… en omettant de dire que (malgré son titre, "de Lille", qui fait illusion), c'est comme Alain de Montpellier (son autre titre) qu'il écrit depuis le midi pour le midi, nommant "cathares" les hérétiques du midi (cela dans un traité dédicacé à Guilhem VIII de Montpellier)… Et personne ne la reprend. Mauvaise foi ou gober sans aucune distance critique ?"
Outre cet exemple, il convient de rappeler quelques mentions médiévales du terme « cathares » désignant les hérétiques du midi curieusement omises au cours de l'émission.
Quelques mentions médiévales du terme "cathares"
(Ordre de « préséance », non-chronologique : 1 - concile ; 2 - pape ; 3 - consultant conciliaire ; 4 - abbé ; 5 - polémiste ; 6 - on mentionnera les sources cathares, qui, si elles, certes, n'usent pas de ce terme polémique adverse, auraient valu d'être signalées) :
1) Concile de Latran III. Il réunit environ 200 pères conciliaires. Il se tient en trois sessions, en mars 1179. Convoqué par le pape Alexandre III. Pour Rome, XIe concile œcuménique : les 200 pères viennent de toute la chrétienté occidentale (plus l’un d’eux qui est Grec) et sont co-auteurs des canons, témoins donc d’une large connaissance de ce qui y est affirmé sur l’hérésie que le concile (c. 27) nomme, entre autres, « cathare ».
Canon 27 :
« Comme dit saint Léon, bien que la discipline de l’Église devrait se suffire du jugement du prêtre et ne devrait pas causer d’effusion de sang, elle est cependant aidée par les lois des princes catholiques afin que les hommes cherchent un remède salutaire, craignant les châtiments corporels. Pour cette raison, puisque dans la Gascogne et les régions d’Albi et Toulouse et dans d’autres endroits l’infâme hérésie de ceux que certains appellent cathares, d’autres patarins, d’autres publicains et d’autres par des noms différents, a connu une croissance si forte qu’ils ne pratiquent plus leur perversité en secret, comme les autres, mais proclament publiquement leur erreur et en attirent les simples et faibles pour se joindre à eux, nous déclarons que eux et leurs défenseurs et ceux qui les reçoivent encourent la peine d'anathème, et nous interdisons, sous peine d'anathème que quiconque les protège ou les soutienne dans leurs maisons ou terres ou fasse commerce avec eux. […]. »
Mentionnant des termes privilégiés dans d'autres régions (patarins en Italie ; publicains dans le Nord ; voire cathares d'abord en Rhénanie), le concile, à vocation universelle mais visant les terres d'Oc, laisse percevoir que l'hérésie, si elle infeste particulièrement les régions d'Oc, a bien une dimension plus large.
2) Le 21 avril 1198, le pape Innocent III écrit aux archevêques d’Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone, Lyon, et à leurs suffragants : « Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares (catari), patarins… ». Texte dans Migne, Patrologie latine, t. 214, col. 82, et dans O. Hageneder et A. Haidacher, Die Register Innozens’III, vol. I, Graz/Cologne, 1964, bulle n° 94, p. 135-138. (Cit. Roquebert)
(L’historienne anglaise Rebecca Rist, relevant que les papes dénoncent en conciles et synodes clairement les cathares comme infestant la région de Toulouse, Carcassonne et Albi sans instrumentaliser cette menace dans leurs autres courriers, note que s'ils avaient inventé ce groupe comme une menace, ils auraient utilisé plus fréquemment et plus grossièrement la peur de cette hérésie.)
3) Alain de Lille, ou de L'Isle (en latin : Alanus ab Insulis), ou de Montpellier (Alanus de Montepessulano), né probablement en 1116 ou 1117 à Lille et mort entre le 14 avril 1202 et le 5 avril 1203 à l'abbaye de Cîteaux, est un théologien français, aussi connu comme poète.
Il assista au IIIe Concile du Latran en 1179. Il habita ensuite Montpellier, vécut quelque temps hors de la clôture monacale et prit finalement sa retraite à Cîteaux, où il mourut en 1202.
De fide catholica contra hereticos (1198-1202) et Liber Pœnitentialis (1184-1200)
« Au livre III du Liber Pœnitentialis paragraphe 29, allusion est faite à ceux qui favorisaient l'hérésie. C'est une reprise des prescriptions du 3e Concile de Latran (1179), c. 27 qui visait explicitement les Cathares, Patarins ou Poplicains, de la Gascogne, des environs d'Albi, de Toulouse, et «autres lieux ». Sous les noms divers que prennent les tenants de la secte, suivant les régions semble-t-il, se cache la même hérésie : le catharisme. Qu'Alain ait jugé bon de reprendre cette prescription du concile de 1179 laisse supposer qu'il se trouvait dans une province telle que la Narbonnaise où il pouvait constater les ravages causés par l'hérésie comme aussi les complicités qu'elle rencontrait. » (Jean Longère, Le Liber Pœnitentialis d’Alain de Lille, p. 217-218).
Cf. sa Somme quadripartite, Contre les hérétiques [i.e. pour Alain comme pour les autres polémistes, les cathares, distingués des vaudois], contre les vaudois, contre les juifs, contre les payens – in Patrologie latine t. 195. Cathares = « chatistes » (Jean Duvernoy) – Alain : « on les dit "cathares" de "catus", parce qu'ils embrassent le postérieur d'un chat en qui leur apparaît Lucifer ». (P. L., t. 210, c. 366).
4) En Rhénanie où le terme apparait en premier (Rhénanie mentionnée par l'émission pour nous dire que le terme n'a existé que là et s'est étendu tout au plus à l'Italie) l’on parle aussi d’ « hérétiques » = Ketter // Ketzer / Katze = chat (Duvernoy). Rhénanie où l’abbé bénédictin Eckbert de Schönau écrit ses Sermones contra catharos (1163) — in Patrologie latine, 195, col. 13-106. « Ce sont ceux qu'en langue vulgaire on appelle cathares »… écrit Eckbert, qui est le premier connu à mentionner le vocable « cathares ».
(Tout cela a été mis en lumière par Jean Duvernoy dès 1976. Jean Duvernoy n'est jamais mentionné dans l'émission !)
Christine Thouzellier faisait remonter le terme une dizaine d’années avant : « En l'état actuel de la documentation et jusqu'à preuve du contraire, un jugement tenu à Cologne par l'évêque Arnoul vers 1151/52-1156 et dont fait état une charte rédigée par Nicolas de Cambrai (1164/65-1167) condamne sous le nom de "Cathares" les tenants de l'erreur dualiste. Ainsi attribuée pour la première fois, l'expression réapparaît dans les actes conciliaires du Latran (1179) et sera souvent confondue avec le terme Pathare. » (In Annales du Midi, 87, n° 123, 1975, p. 347-348.)
Eckbert rattache le vocable aux « catharistes » de saint Augustin polémiquant en employant ce nom là contre une des mouvances du manichéisme (plutôt qu’aux « cathares » de l’époque du même Augustin qui renvoient plutôt aux « novatianistes »). Cathares i.e. ici, donc, « manichéens ». Selon Eckbert, ils ont « eux-mêmes assumé cette appellation de purs », selon le sens grec de catharos. Mais peut-être est-ce là aussi une reprise d’Augustin écrivant : « cathari, qui se ipsos isto nomine nominant » (De haeresibus, XXXVIII). Mais, avant Eckbert, en Rhénanie, le terme (ketzer) signifie d'abord "hérétiques", comme dans le Midi, et comme le note pour le Midi Alain de Lille/Montpellier (cf. supra).
Apparaît ainsi au milieu du XIIe siècle, un terme qui revient à classer l’hérésie dans le « manichéisme » / « catharisme » – où l’on peut noter que des hérétiques sont remarqués sous ce nom, « manichéens », dès l’an mil (chroniqueurs Raoul Glaber, Adhémar de Chabannes, Albéric des Trois Fontaines…). Depuis Arno Borst, on parle le plus souvent pour les hérétiques de l’an mil de pré-catharisme, et l’on fait débuter le catharisme proprement dit au milieu du XIIe siècle.
5) Présentant un « traité anonyme », reproduit pour réfutation (traité latin attribué à Barthélémy de Carcassonne, daté du début XIIIe ; redécouvert par A. Dondaine et édité en 1961 par Christine Thouzellier), le Liber contra Manicheos, attribué à Durand de Huesca (le « traité anonyme » y est cité avant d'être réfuté : cela se pratique depuis haute époque – pour ne donner qu'un seul autre exemple : on ne connaît Celse que par ses citations par Origène. Je précise que l’attribution à Durand de Huesca du Contra Manicheos a été contestée par Annie Cazenave lors du Colloque de Foix, en 2002).
Michel Roquebert : « le Liber contra Manicheos, le "Livre contre les Manichéens" attribué à Durand de Huesca. Chef de file des disciples de Valdès qui étaient venus en Languedoc y répandre l’hérésie des "Pauvres de Lyon", Durand revint au catholicisme romain à la faveur de la conférence contradictoire tenue à Pamiers en 1207 et se mit, dès lors, à écrire contre les autres hérétiques languedociens. Son ouvrage est peu ordinaire : c’est la réfutation d’un ouvrage hérétique que l’auteur du Liber prend soin de recopier et de réfuter chapitre après chapitre ; l’exposé, point par point, de la thèse hérétique est donc présenté, et immédiatement suivi de la responsio de Durand. Or le treizième chapitre du Liber est tout entier consacré à la façon dont les hérétiques traduisent, dans les Écritures, le mot latin nichil (nihil en latin classique) ; les catholiques y voient une simple négation : rien ne… Ainsi le prologue de l’évangile de Jean : Sine ipso factum est nichil, "sans lui [le Verbe], rien n’a été fait". Les hérétiques, en revanche, en font un substantif et traduisent : "Sans lui a été fait le néant", c’est-à-dire la création visible, matérielle et donc périssable. Preuve, au passage, de leur dualisme. Mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Laissons la parole à Durand : "Certains estiment que ce mot ‘nichil’ signifie quelque chose, à savoir quelque substance corporelle et incorporelle et toutes les créatures visibles ; ainsi les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… [Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.]" Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217. »
Voilà un document, le Liber contra Manicheos, où se croisent les cathares, ou manichéens, des polémistes qui les nomment ainsi, et les hérétiques du traité anonyme que le Liber contra Manicheos présente comme traité cathare à réfuter, et dont la théologie correspond à celle d'un autre texte hérétique connu comme le Livre des deux Principes ! Où le Liber contra Manicheos devient comme un pont entre leurs ennemis, qui seuls les nomment cathares, et les hérétiques, cathares, qui eux ne se nomment jamais ainsi mais développement dans le Livre des deux Principes, la même théologie que les polémistes catholiques nomment donc « cathare », ou (c’est ce que signifie pour eux « cathare ») « manichéenne ».
On pourrait ajouter aussi, entre autres, la Summa de Catharis de Rainier Sacconi, ancien dignitaire cathare repenti entré chez les Frères Prêcheurs, contenant un paragraphe intitulé « Des Cathares toulousains, albigeois et carcassonnais ».
6) Last but not least des sources omises par l'émission, les sources cathares (qui elles, n'utilisent pas le terme "cathares" dont se servent leurs ennemis pour les stigmatiser) :
— Une traduction en langue d’Oc du Nouveau Testament (conservée à Lyon — début XIVe ; redécouverte en 1883 et éditée en 1887 par Léon Clédat - auparavant, en 1785, l'abbé Sauvage d'Alès connaissait déjà le manuscrit appartenant à Jean-Julien Trélis - cf. Michel Jas, in Cathares et protestants) ; texte si évidemment chrétien qu’on pourrait hésiter à le considérer comme cathare, si ce n’était le Rituel occitan (dit de Lyon) qui l’accompagne, lui-même semblant si peu « dualiste » qu’on pourrait aussi s’interroger, si son équivalent liturgique en latin (dit de Florence, où il a été redécouvert) n’accompagnait un traité intitulé éloquemment Livre des deux Principes.
— Deux traités de théologie :
- Le Livre des deux Principes (XIIIe s. ; redécouvert et édité en 1939 par Antoine Dondaine, o.p., à Florence ; publié et traduit en Sources chrétiennes) (texte en latin, accompagné d’un rituel) ;
- Le « traité anonyme », reproduit pour réfutation.
— Trois Rituels, dits :
- de Lyon (occitan), annexé au Nouveau Testament occitan ;
- de Florence (latin), annexé au Livre des deux Principes ;
- de Dublin (conservé à Dublin, redécouvert et édité en 1960 par Théo Vanckeler) — avec éléments d’accompagnement, ou de préparation, en l’occurrence une glose du Pater, outre notamment une Apologie de la vraie Église de Dieu.
(Trois rituels auxquels on pourrait ajouter cet équivalent bogomile qu'est le Rituel bosniaque de Radoslav.)
Ces textes émanent, depuis différents lieux, de ceux que les sources catholiques appellent cathares : des rituels équivalents suite à un Nouveau Testament et suite à un traité soutenant le dualisme ontologique, tout comme le soutient aussi le traité cathare anonyme donné dans un texte catholique contre les cathares !… Textes suffisamment éloignés dans leur provenance (Occitanie, Italie), et dont la profondeur de l’élaboration implique un débat déjà nourri antécédemment au début XIIIe où apparaît le « traité anonyme ».
À quoi on pourrait ajouter :
— Deux versions latines de l’Interrogatio Iohannis, (XIIIe s.) texte bogomile présent dans les registres occidentaux de l’inquisition concernant les "hérétiques" / i.e. invariablement les cathares (avec fragments bulgares du XIIe s.),
- une conservée à Vienne (témoin le plus ancien, édité depuis 1890) annexée à un Nouveau Testament en latin,
- l’autre trouvée à Carcassonne (éditée dès 1691).
Ces textes sont édités (outre plusieurs éditions savantes, notamment aux Sources chrétiennes ou dans Archivum Fratrum Praedicatorum) en français in René Nelli – Anne Brenon, Écritures cathares, éd. du Rocher.
Voir aussi, dans le dernier livre d'Anne Brenon, Les cathares, éd. Ampelos, 2022, en traduction plus récente, p. 241 sq., "Les textes cathares originaux".
*
Le colloque de Carcassonne-Mazamet (2018) Aux sources du catharisme (jamais mentionné par l'émission) présidé par l’historien Peter Biller, qui marque une volonté de retour aux sources (au-delà de la phase hypercritique), débouche sur un accord pour considérer qu’un "catharisme" existe bien, au moins au XIIIe siècle pour l’Occitanie.
Cela dit, il convient de noter l’évolution terminologique : l’apologétique protestante, à partir du XVIe siècle, préfère le terme régional « albigeois », pour éviter la connotation manichéenne de « cathares » ; puis contre les protestants revendiquant cette ascendance, l’apologétique catholique (Bossuet, 1688) reprend le médiéval « cathares » en synonyme de l’équivalent « manichéens » ; puis l’historien protestant strasbourgeois Charles Schmidt concède la réalité dualiste de l’hérésie et emploie pour sa part comme synonymes les termes « cathares ou albigeois » (1849) – le fait qu’il enseigne à Strasbourg (à la faculté de théologie protestante) a induit depuis quelques années, de façon un peu rapide, l’idée que le terme « cathares » aurait été au Moyen Âge exclusivement rhénan. Le pasteur Napoléon Peyrat reprend le terme « albigeois » (1870).
Au XXe siècle, alors que la norme universitaire incontestée jusqu'à Nelli et Duvernoy (années 1960-1970) est que les cathares sont une secte importée d'Orient, remontant aux manichéens, ou à la gnose, ou au marcionisme, via une généalogie précise, passant par les pauliciens d'Arménie, etc., s’imposent, pour désigner ces chrétiens médiévaux-là, les termes « cathares », voire parfois simplement « manichéens » (par ex. Runciman) (ces termes sont par ailleurs revendiqués par les néo-cathares) ; cela jusque dans les années 1980-1990, où réapparaît le terme désignant souvent les cathares au Moyen Âge : « hérésie », qui tend à s’imposer en parallèle avec un retour d’ « albigeois ». Les deux dernières décennies renouent avec le mot médiéval cathares, fût-ce, usant de guillemets, en mettant en cause leur existence en ignorant nombre de sources, en "déconstruisant" d'autres de façon hypercritique, attitude correspondant au choix de l'émission de France culture.
RP, 22.09.23
La présentation de l’émission « Le cours de l’histoire » à propos des Cathares permet d’anticiper les points de vue de ses intervenants. (Conditionnel : « hérétiques qui auraient prospéré… » ; « L’histoire des cathares […] est avant tout un mythe. » ; « les mécanismes de cette invention » ; « naissance d’un mythe » ; « la fabrique des hérétiques… » ; « faire la part des choses », etc…).
RépondreSupprimerIl semble que cette mise au point scientifiquement informée, rédigée par un autre spécialiste reconnu des cathares, mériterait d’être envoyée à l’émission. Ou pas ?
J’ignore qui a dit qu’on reconnaissait comme mythe « la vérité des autres à laquelle on ne croit pas soi-même ». A laquelle on ne veut peut-être pas croire.
La « déconstruction » relève d’une manipulation intellectuelle – consciente ou inconsciente- qui ressemble à une opération de propagande. Au mieux, un auditeur peu curieux de vérité historique en tirera la conclusion qu’ « on ne peut rien vraiment savoir ». Au pire, il interpréterait cette mise au point scientifique, s’il la lisait, en propagande adverse, en contre-propagande ! Ainsi, dans l’incertitude, il se repliera sur l’énoncé de ce lieu commun : il faut « faire la part des choses ». Partant, le fait historique, en dépit et au mépris de multiples sources, se nimbera d’un caractère quasi fictif. L’exigence du savoir cède le pas à la prudence hésitante d’un doute (et non du doute). Le fait, devenu hypothétique, s’efface devant son éventualité. Et c’est ainsi que les savoirs se transforment en opinions, le doute méthodique en soupçon.
Jacques Ellul donne du mythe (« avec ses diverses tonalités ») une définition opératoire (L’illusion politique, La Table Ronde, collection La Petite Vermillon, 2018, p.274) : « …la construction d’un ensemble d’événements, ramenés à une histoire, à partir d’une structure et aboutissant à un absolu. »
- « Ensemble d’événements » attestés par les témoignages contemporains (sources) et les études de nombreux chercheurs (dont l’auteur de ce blog),
- « ramenés à une histoire » par la sélection apparemment arbitraire des sources et l’éviction de facto de certains chercheurs,
- « à partir d’une structure » selon la visée de cette sélection-éviction,
- « aboutissant à un absolu », c’est-à-dire à une assertion qui s’impose en excluant (ou en fragilisant d’avance) toute controverse.
Outre les appréciations qu’on peut porter sur une nouvelle forme d’ « éthique » épistémologique assez… déroutante, et l’interrogation sur les raisons qui la motivent, la question qui se pose est : « A qui profite le crime ? ».