samedi 19 juillet 2025

“Et l'astronome dit...”

“Et l'astronome dit, Maître, qu'en est-il du Temps ?
Et il répondit :
Vous voudriez mesurer le temps, qui est infini et incommensurable.
Vous voudriez ajuster votre conduite et même diriger la course de votre esprit en fonction des heures et des saisons.
Du temps vous voudriez faire un fleuve, sur la berge duquel vous seriez assis pour le regarder couler.
Pourtant, ce qui est éternel en vous connaît l'éternité de la vie,
Et il sait qu'hier n'est que le souvenir d'aujourd'hui et que demain est son rêve.”
(Khalil Gibran, Le Prophète § 20)

1 commentaire:

  1. Jean-Paul Sanfourche26 juillet 2025 à 18:44

    Là où une scientifique ne contredit pas « l’élan vital ».
    Belle méditation sur le temps du poète libanais. Le passé comme trace mentale du présent vécu, demain comme un rêve, un espoir peut-être. Une anticipation qui pourra être contrariée. Une intention peut-être jamais réalisée. Un rêve non accompli. Valeur pivot d’un présent, comme un seuil entre la mémoire et l’incertain. Au fond le passé comme le futur nous échappent. L’un soumis aux failles de la mémoire, l’autre sans assurance. Souveraineté du présent : le passé s’y reflète et l’avenir, fragile, s’y invente obstinément. Bien sûr on pense à Bergson, inévitablement : la continuité vivante que suggère le poète évoque la durée fluide du philosophe.
    Étrangement, ce que disait Nathalie Cabrol (astrobiologiste) invitée ce matin de l’émission De cause à effets (France Culture) m’a fait penser à la citation de Khalil Gibran, alors qu’elle remettait en cause une structure subjective du temps : « On ne peut pas prévoir le futur avec le présent. » La déclaration semble radicale et m’a d’abord étonné. Sinon posé problème. Là où nous voyons dans le présent une promesse d’avenir, la scientifique perçoit dans le devenir (avec une élégance de pensée évidente) une rupture ontologique. Appréciation objective qui évidemment appréhende le monde en dehors de nous. Mais à bien y réfléchir, il me semble que cette pensée n’est pas si étrangère que cela à Bergson pour qui le devenir est création. L’élan créateur du philosophe (le temps est un flux créatif et imprévisible) est contraire au déterminisme de la science classique. La scientifique confirme même « l’élan vital » ; le futur ne découle pas du présent selon une logique linéaire, prévisible. Il s’inscrit dans une sorte d’invention d’où le nouveau surgit, souvent en contradiction avec des prévisions apparemment rationnelles. Cette faille dans la ligne continue du temps est aussi bergsonienne. Inventer ce qui vient et non déduire. Non retenir mais penser. Rien ne dit d’ailleurs que le rêve du poète s’inscrit dans la réalité du présent. Et le seul temps que nous maîtrisons est le présent, c’est-à-dire cet espace de temps où nous devons rester maîtres de nos destins en étant responsables c’est-à-dire libres de mettre « en face de nous les choses qu’on doit rejeter. » dit Nathalie Cabrol. Dans une pensée du devenir, la vision objective de la scientifique confirme l’approche subjective du philosophe, sans écarter celle du poète.
    Des ponts seraient d’ailleurs à jeter entre la pensée de Bergson et la théologie du devenir. (Whitehead). Mais cela est une autre histoire !

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