Dérive des continents...
Une anecdote pour commencer : le 1er avril dernier (ça ne s’invente pas), en pleine matinée, un ami très proche me téléphone apparemment affolé : il est en train de regarder les infos, zappant de BFM TV à France24, I-télé, etc., chaînes d’infos en continu. Il connaît mon approche des médias concernant la Côte d’Ivoire (je vais y venir) et me demande avec perplexité : « qu’est-ce que je dois croire de ce que je vois ». Ma réponse : qu’est-ce que tu dois croire ? Mais rien ! Il ne s’agit pas de croire, mais de faire des recoupements. S’il s’agit de croire, un conseil, autant ne pas écouter les médias que tu mentionnes (j’avais moi-même écouté ces télés auparavant le matin, puis j’avais eu contact avec l’information ivoirienne). Plutôt que croire, recoupe, recoupe les infos. Manifestement je le choquais (sic). C’est cependant un homme cultivé, vigilant, mais là c’est trop : ne rien croire de ce que disent nos médias, c’en est trop. Et je précise aujourd'hui que moi-même me suis laissé avoir ce jour-là par nos journaux qui annonçaient boucle la chute imminente de Gbagbo, d’une heure à l’autre (c’était 11 jours avant sa capture). Et voilà mon ami à insister : « mais je le vois, c’est là à l’écran ! ». Et moi : Oui mais qu’est-ce que tu vois ? De la fumée sur la ville, au loin (c’est ce qu’on nous montre régulièrement), des pillards (sans nous dire que la rébellion a fait évader tous les prisonniers de la prison d’Abidjan). Mais rien n’y fait : j’évoque les cadavres attribués au « camp Gbagbo » que nos télés nous ont montrés avant chaque sommet de l’UA ou de l’Onu et qui se relèvent après le film au vu (qu’ils ignorent) des caméras cachées ! Ce qui achève de le convaincre que j’en suis à lui dire que ce qu’il est en train de voir est un montage ! Et le voilà qui passe à Simone Gbagbo jugée hystérique par les télés qu’il est en train de regarder, étant évangélique, etc. (et du coup me voilà en soutien des hystériques et d’une théorie du complot ! Sic !). Il finit par préférer raccrocher sous un prétexte que j’accepte avec soulagement, fatigué moi-même par la situation…
C’était une illustration concrète de la dérive des continents médiatiques : deux discours complètement étrangers l’un à l’autre, celui qui prévaut en France et un autre qu'on reçoit en Afrique en général (pas seulement en Côte d'Ivoire) entre lesquels j’essaye, souvent en vain (je viens de l’illustrer) de faire la médiation.
Une dérive médiatique qui vaut pour les journaux français de droite comme de gauche. Le discours de Libération, par exemple, est reçu en Côte d'Ivoire comme nettement colonialiste, insupportablement colonialiste, à l'instar du Monde ou des journaux dits de droite et des magazines de gauche ou de droite qui se disputent le pompon du plus imbuvable des néo-colons. Cela à l'exception du Gri-Gri international, marginal, mais aussi, dans une moindre mesure de L'Humanité, et parfois du Canard enchaîné. Pour tous les autres c'est l'unanimité... (cf. R. Girard, citant Emmanuel Lévinas évoquant le Talmud : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect »… (Achever Clausewitz, p. 63.)
C’est sous cet angle, celui d'une dérive d'une profondeur qu'on ne perçoit que peu en France, que je vais essayer d’aborder le sujet pour lequel vous m’avez invité - et je vous en remercie - : la dérive est déjà sans doute fracture, d'une gravité telle qu'elle sera difficile à résoudre.
L’anecdote que j'ai relatée pour commencer date d’avant la capture de Gbagbo, qui, elle, remonte au 11 avril 2011.
Depuis… F. Fillon (entre autres) a déclaré sa fierté de ce qu'a fait la France, ce qui est totalement incompréhensible à un très grand nombre, non seulement d'Ivoiriens, mais d’Africains.
Une autre illustration de ce décalage : je viens de parler de la capture de Gbagbo. « Capture » : un mot que j'ai choisi à dessein, comme mot intermédiaire entre « arrestation », préféré par les autorités françaises et leurs alliés (alliés au moins objectifs, pour rester réservé) en Côte d’Ivoire, et « kidnapping », qui est celui qu'emploient non-seulement les pro-Gbagbo, mais nombre de sites africains, et pas seulement ivoiriens, faisant remarquer qu'il n'y a aucune base légale ou juridique pour une « arrestation » !
Voilà qui donne encore un aperçu de la dérive dans laquelle on se trouve. On pourrait multiplier les exemples de cet ordre, et on aura l'occasion de le faire.
Cette dérive vaut jusqu'au cœur des Églises. On en est à un point où la neutralité semble illusoire – ou bien, il faudra expliquer où elle se situe ! Que signifie la neutralité entre ceux qui sont perçus comme les agresseurs dotés de toute la puissance économique et militaire d'un côté, et qui en usent sans équivoque – et ceux qui se perçoivent comme des agressés, injustement attaqués – et il ne manquent pas d’arguments – ? C'est ainsi que quand les Églises et institutions ou journaux d’inspiration chrétienne en France reprochent aux Églises ivoiriennes d’avoir choisi un camp, les chrétiens ivoiriens (et pas uniquement ivoiriens) leur retournent le compliment. Qu'est-ce que cette neutralité qui prend parti pour l’agresseur et les élites ? C'est de la sorte que sont perçus Églises et institutions (ERF, FPF, Défap, Cévaa) et journaux (La Croix, Réforme, etc.) qui soutiennent « la communauté internationale » (expression que l'on met en Afrique entre guillemets), qui au regard d'un nombre considérable d’Africains, s'est clairement fourvoyée dans une agression illégale, commençant par la mise en place d'une rébellion instrumentalisée pour fomenter un coup d’État et couper la Côte d’Ivoire en deux, et finissant par une intervention directe avec bombardements d'une capitale à la clef !
Terme d’une dérive, qui s’enracine très loin dans l’histoire. Pour ne pas revenir à un passé plus lointain, remontons simplement à la décolonisation :
L' « indépendance » selon la constitution française de 1958 (cf. ex. titre XII)
Les données suivantes sont partie intégrante de la Constitution de la Ve République jusqu'en 1995 (où l'Ancien titre XII est retiré, mais n'est remplacé par rien ! Les choses demeurant concrètement en l’état, sur leur lancée) – où apparaît tout un aspect de la profondeur mimétique ! – :
« Au cours des mois d’octobre novembre et décembre 1958, rappelle en 2005 le président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Koulibaly, tous les territoires ayant approuvé la Constitution française ont formulé expressément leur volonté par des délibérations de leurs assemblées.
Douze d’entre eux, les plus importants par leur étendue géographique et le chiffre de leur population, ont choisi la situation d’État membre de la Communauté. Cette catégorie comprend notamment les sept territoires d’Afrique occidentale française.
La façon dont sont réglé les rapports entre la France et la communauté sont précisés notamment dans l’article 78 de la constitution de 1958. Il est ainsi rédigé :
« Le domaine de la compétence de la Communauté comprend la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière commune ainsi que la politique des matières premières stratégiques.
Il comprend en outre, sauf accord particulier, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, l’organisation générale des transports extérieurs et communs et des télécommunications.
Des accords particuliers peuvent créer d’autres compétences communes ou régler tout transfert de compétence de la Communauté à l’un de ses membres. »
Les transferts de compétence dont il est question devraient résulter suivant cet article 78, d’accords particuliers. Le mode d’établissement de ces derniers est fixé par l’article 87, aux termes duquel, les accords particuliers conclus pour l’application du titre XII « sont approuvés par le Parlement de la République et par l’Assemblée législative intéressée ». Les accords en question ont donc pour parties contractantes la République française et un autre État, non pas la Communauté et l’un de ses membres.
Dans l’ordre juridique de la République française, les conventions dont il s’agit sont mentionnées, sous le nom « d’accord de Communauté », dans deux articles du titre II relatif au Président de la République. D’après l’article 5, celui-ci est le garant du respect des accords de Communauté.
Dans l’ordre juridique de la Communauté, l’article 5 de l’ordonnance du 19 décembre 1958, portant loi organique sur le Conseil exécutif, dispose que le président de la Communauté veille au respect « des accords de Communauté prévus aux articles 78 et 87 de la Constitution.
Le président de la République française est donc, aux termes de la constitution de 1958, le véritable chef des États africains auxquels cette constitution a permis d’octroyer l’indépendance. Et la révision constitutionnelle française de août 1995 n’y a rien changé dans le fond comme dans la logique.. »
« Nous avons vécu quarante et quatre années d’illusions d’indépendance », conclut, en 2005 donc, Mamadou Koulibaly (Ivoire forum, avril 2005). Fin de citation.
Depuis lors le temps a passé, l'Afrique a fonctionné d’abord comme rempart occidental en forme de pré-carré français contre la menace soviétique.
C'est l'époque des partis uniques, avec des dirigeants placés ou estampillés conformes par la France...
… Jusqu’à la chute du mur de Berlin, où plus que le discours de Mitterrand à La Baule, c'est la mise en place de Premiers ministres qui continueront à garantir les intérêts français et occidentaux après la chute du mur, qui marque la nouveauté. Pour la Côte d'Ivoire ce sera Ouattara, imposé à Houphouët-Boigny pour mettre en place la nouvelle politique du FMI, les fameux PAS. Privatisation de toute l’économie ivoirienne, livrée aux groupes français et amis pour un franc symbolique. Une politique du FMI qui sera dénoncée comme un échec par le même FMI une quinzaine d’année après.
Au plan des politiques intérieures, il s'agira pour Paris de garantir que tout candidat éligible lors d'élections aux allures libres soit favorable au maintien du statu quo économique France-Afrique.
Wade ou Diouf au Sénégal, Bédié ou Ouattara en Côte d'Ivoire. Sans quoi soit les élections seront truquées, soit elles seront purement et simplement remplacées par des coups d'État, entérinés au final.
Mais il n'est pas envisageable qu'un candidat démocrate, risquant donc d'être démocratiquement élu, ne soit pas du sérail... Bref un Gbagbo est inenvisageable !... Il sera donc accusé de tous les maux, à l'appui de médias réputés neutres, et unanimes. (cf. R. Girard, Clausewitz, p. 63.)
Qui veut noyer son chien... ou : le bouc émissaire
Sitôt élu en 2000, dans des conditions qu'il juge déplorables, Gbagbo est confronté à une mise au pilori médiatique international, par la diffusion, initiée par RFI, d'une info passée en boucle à propos du désormais célèbre charnier de Yopougon.
Charnier de Yopougon
Mais quid de la vérité dans les massacres d’octobre 2000, et donc fameux le charnier de Yopougon ? Une commission indépendante avait été mise en place en 2000 par le ministère de la Justice de Gbagbo pour mener les enquêtes. Les travaux étaient fort avancés. Quand le RDR a pris le ministère de la Justice après Marcoussis et que Henriette Dagri Diabaté, SG du RDR et adjointe de Ouattara, a été nommée Garde des Sceaux, elle a automatiquement dissous la commission et interrompu les investigations. Elle n’a jamais mis sur pied une nouvelle commission ni réactivé les enquêtes. L’on saura plus tard par des sources judiciaires que les résultats partiels auxquels étaient parvenus les enquêteurs accablaient le RDR... http://www.notrevoie.com/develop.asp?id=36504
« Escadrons de la mort »
«Escadrons de la mort : la Cour d’appel de Paris blanchit le couple Gbagbo»
Le Courrier d’Abidjan — Parution N° 700 du Jeudi 27 Avril 2006 :
«Procès – Après une procédure longue de trois ans, Laurent et Simone Gbagbo ont gagné, en appel, malgré un premier verdict politisé en correctionnelle, leur procès contre Le Monde. Qui n’a pas pu établir qu’ils étaient les commanditaires de prétendus escadrons de la mort. Et qui est allé jusqu’à produire des documents considérés comme faux au tribunal. Détails.
Cela a pris plus de trois ans, mais le président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et son épouse, Simone Ehivet Gbagbo, ont enfin vu leur honneur entièrement lavé dans l’affaire des «escadrons de la mort», orchestrée par les services secrets français et diffusée par le grand quotidien français du soir, Le Monde. La Cour d’appel de Paris, par deux arrêts du 5 avril 2006, a établi de manière claire qu’en accusant le couple présidentiel ivoirien d’être à la tête de prétendus «escadrons de la mort», le quotidien Le Monde, le site Internet lemonde.fr et le magazine Le Monde 2, se sont rendus coupables de diffamation contre les deux plaignants. Ces supports médiatiques ont été condamnés au total à 3000 euros (environ 2 millions de F CFA) de dommages et intérêts. Le Monde et son site Internet devront rendre publique la publication judiciaire suivante : «Par arrêt en date du 5 avril 2006, la cour d’appel de Paris, 11è chambre, a condamné Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du journal Le Monde et du site Internet www .lemonde.fr pour avoir publiquement diffamé Laurent et Simone Gbagbo en publiant dans les numéros datés des 8 et 20 février 2003, en ligne depuis la veille, d’une part, sous le titre «Côte d’Ivoire : enquête sur les exactions des escadrons de la mort», un article intitulé «Le rôle clé des gardes du corps du couple présidentiel», les mettant en cause, d’autre part sous le titre «Le sommet à Paris d’une France-Afrique en crise», un article intitulé «La crise ivoirienne, un condensé des caractéristiques de tout un continent» les mettant également en cause.» Le magazine Le Monde 2 est condamné à financer la publication dans Le Monde mais aussi dans des supports du choix du couple Gbagbo, à hauteur de 3000 euros (un peu moins de 2 millions de F CFA), ce texte : «Par arrêt en date du 5 avril 2006, la cour d’appel de Paris, 11è chambre, a condamné Jean-Marie Colombani et la société Issy Presse pour avoir publiquement diffamé Laurent et Simone Gbagbo en publiant dans Le Monde daté du mois de février 2003 un article intitulé «Gbagbo, Simone, Dieu et le destin», les mettant en cause.» »
« Bombardement » de Bouaké
« Selon une information de France Inter (du vendredi 06 novembre 2009 à 0700 GMT – cf. http://www.abidjantalk.com/forum/viewtopic.php?p=172994), Maître Balan, avocat des victimes du bombardement de Bouaké, cite MAM à venir comparaître. Selon l’avocat parisien, la version officielle donnée par l’Élysée n’est que pur mensonge. L’ordre de tirer sur le camp militaire n’est pas venu de la Présidence ivoirienne. Aussi il demande au juge de cette affaire de convoquer l’ancienne ministre de la Défense afin qu’elle vienne témoigner. Il souligne par ailleurs que des enregistrements indiquent bien qu’une voix russe (avec un mauvais accent) a demandé aux pilotes de bombarder le collège Descartes, base de l’armée française à Bouaké. Pour Maître Balan cette voix serait celle du Français Robert Montoya, ancien de la cellule antiterroriste sous François Mitterrand, qui avait vendu les Sukhoi à l’armée ivoirienne. Il est de tout même étonnant que Robert Montoya ne soit pas convoqué, ni entendu par les juges français poursuit l’information France Inter. »
Ce sont quelques uns des éléments principaux – il y en a d'autres –, qui font décalage entre ce que croit, ou affirme le public occidental et ses élites d'un côté, et de l'autre ce qu'un nombre de plus en plus important d’Africains perçoit par un accès autre que les grands médias : Internet, la presse africaine qui ne suit pas les grands médias, souvent presse en ligne.
Les mieux informés ne sont pas ceux que l'on croit en Europe ! En Afrique, on ironise volontiers sur l'information dite libre des Occidentaux et les perceptions qu'elle induit...
La suite...
« [...] En gros, écrit en janvier 2011 Sylvie Kouamé dans Le Nouveau Courrier (d'Abidjan), il s’agit d’un pays où un roi nègre s’accroche au pouvoir. Alors qu’il a perdu des élections transparentes et validées par une «communauté internationale» forcément honnête, vertueuse et mue par sa mission civilisatrice et «démocratisante». Non violent, porteur d’espoir, son adversaire a appelé «le peuple» à descendre pacifiquement dans la rue, mais la soldatesque aux ordres du président sortant a sévi. Depuis, les puissances occidentales essaient de faire prévaloir les valeurs universelles…
Cette belle fable ne résiste ni à la réalité ivoirienne, bien plus complexe, ni à la froide logique de la diplomatie internationale. [...] ».
Ironisant amèrement autour des « élections » de 2010, un tel article connaîtrait des problèmes avec la censure en Côte d'Ivoire depuis le renversement de Gbagbo — sous lequel la presse était très plurielle, accessible dans les kiosques où les journaux d’opposition (pro-Ouattara) étaient très majoritaires. Depuis son renversement, la presse est étroitement surveillée (sujet sensible : les questions sur les élections de 2010). Il n'y a plus là qu'une seule voix (un peu comme en France ! mais en plus direct, puisque la divergence sur les points sensibles peut valoir emprisonnement, voire la mort).
Un état de fait qui est consécutif, donc, à l’abattement du régime sous les coups des bombardements français et onusiens ; et quand je dis cela, on mesure le décalage – au point que cela parait incroyable – et pourtant cela s'est passé il y a un mois, et c'est tout à fait perceptible sur nos journaux, au prix d'un petit effort de lecture, éventuellement entre les lignes.
Ces bombardements sur Abidjan, intervention directe, sont l'aboutissement d'un processus commencé en 2000-2002.
En 2000 : sitôt Gbagbo élu, et même déjà avant, les médias internationaux, relayés par leurs pendants ivoiriens l'on mis dans le collimateur. On lui prête notamment ce à quoi il s'est toujours opposé, comme l' « ivoirité » de Bédié, selon le nom donné à cette loi excluant de l'éligibilité à la présidentielle, un peu à la façon américaine, des candidats qui ne seraient pas nés ivoiriens. Cette loi vise évidement Ouattara. Gbagbo alors député a voté contre. Nombre de Français croient, de bonne foi, qu'il en est à l’origine ! Non content d’avoir voté contre, il octroie en 2000, lors du forum de réconciliation qu'il met en place avec un gouvernement d’union nationale, la nationalité ivoirienne à Ouattara, et il le rendra éligible par décret en 2005.
Cela n'empêche qu'en 2002, un coup d’État éclate, et échoue : des rebelles, dont nombre de déserteurs de l'armée régulière, venus de leur base-arrière du Burkina Faso descendent jusqu'à Abidjan où ils vont jusqu'à tuer le ministre l'Intérieur, mais ils sont repoussés par l'armée régulière jusqu'à Bouaké, où l'armée française s'interpose au motif de l'évacuation de ses ressortissants. Le gouvernement ivoirien demande alors l’activation des accords de défense, qui lui est refusée par le pouvoir français. Depuis le pays est coupé en deux. Des exactions épouvantables ont lieu au Nord, au point que la population d’Abidjan croît exponentiellement du fait du très grand nombre de réfugiés. Les médias français ne rendent jamais compte de ces exactions : le parti-pris est manifestement trop fort. Ex. : Libération qui trace un portrait élogieux des rebelles illustré d'une photo les présentant comme « gueules d'amour » (sic).
En 2003, cette partition est entérinée dans le stade rugby de Marcoussis, en région parisienne où sont réunis les partis politiques et les groupes rebelles qui sont multipliés en trois représentations. géographiques. Le pouvoir ivoirien n'est pas représenté, mais il est sommé d'accepter les accords de Marcoussis, qui ont pour propos de transformer, selon une expression devenue célèbre, Gbagbo en « reine d’Angleterre ». Tout Abidjan descend dans la rue pour s'opposer à ce qu'on y nomme « coup d’État constitutionnel ». C'est là qu’apparaît en boucle un mort célèbre, un ancien acteur, Camara H., dont le corps est exposé sur le terre-plein central d'une voie rapide d'Abidjan : est née la fameuse expression « escadrons de la mort de Gbagbo », diffusée par Le Monde, ce qui lui vaudra donc (cf. supra) condamnation par la justice française pour diffamation de Gabgbo et de son épouse. Mais on connaît la formule : calomniez calomniez, il en restera toujours quelque chose...
2004. 6 novembre : 9 soldats français sont tués au camp de Bouaké. Le Président Chirac déclare qu'il s'agit d'un bombardement intentionnel commandé par son homologue L. Gbagbo – en marge de l’opération aérienne de désarmement des rebelles qui était selon toute probabilité en train d'être achevée. Dans la foulée tourte la flotte aérienne ivoirienne est détruite au sol.
Quant à la mort des soldats français, on n'en connaît toujours pas la cause, la France ayant alors interdit toute enquête, française ou ivoirienne, sur les événements de Bouaké.
Depuis les familles de soldats tués ont requis un avocat, Me Balan, qui, avec l'aide de la juge aux armées Brigitte Raynaud, qui depuis a été dessaisie du dossier, est arrivé à la certitude que Gbagbo n'a rien à voir avec tout cela (cf. supra).
Il n’empêche que les conséquences considérables ont déjà pris place, avec les manifestations des patriotes menaçant les biens français (mais jamais les personnes : zéro mort), durement réprimées par l'armée française. Selon les Ong internationales 60 morts et des centaines de blessés suite aux tirs français – ce qui fait dire à un livre célèbre : la France a perdu l'Afrique à Abidjan en nov. 2004.
2007 : accord de Ouagadougou. Depuis 2002-2003, Gbagbo n'a pas réellement le pouvoir, mais il déploie des efforts pour gérer la transition, jusqu’à signer l'accord de Ouagadougou qui promet l’accession du leader rebelle Guillaume Soro au poste de Premier ministre. Clause centrale de l'accord : l'Onu assurera le désarmement des rebelles avant (au minimum trois mois avant) que des élections puissent être organisées. Cette clause ne sera jamais respectée. Malgré cela, les pressions se multiplieront sur Gbagbo pour qu'il vienne aux élections. Il finira, manifestement trop tôt, l’histoire l'a montré ces derniers mois, par céder.
2010 : les élections se déroulent dans ces conditions pour le moins surprenantes : plus de la moitié du territoire n'est pas contrôlée par l’État, étant aux mains de chefs de guerre célèbres pour leur violence. Résultat : dans la zone contrôlée par l’État, des élections « normales » en termes démocratique, de l'ordre de 60% - 40%. Dans les zones rebelles, des scores soviétiques pour Ouattara, dépassant (sic) parfois les 100% !
La commission électorale dite indépendante (Cei – composée à 80% de ouattaristes sur la base du quota de représentation de Marcoussis), prévue par les accords de Pretoria, ne parvient à aucun accord. Ce qu'annonce son Président, Y Bakayoko, un quart d’heure avant sa forclusion,
Le lendemain, il est requis et conduit au QG du candidat Ouattara par les ambassadeurs de France et des USA et annonce des chiffres qui donnent Ouattara vainqueur, au prix de augmentation de 10% de participation par rapport à celle officialisée par l'Onu, Le représentant du SG de l'Onu, J.Y. Choï valide toutefois ce qui est donné depuis comme résultat, invalidé pour fraude massive par le conseil constitutionnel, qui proclame l'élection de Gbagbo. Depuis, Gbagbo ne cesse demander que l'on recompte les voix, ce que refusent Ouattara, Sarkozy et le SG de l'Onu, lequel ira jusqu'à affirmer que recompter serait « injuste » (sic). Face à cette proposition ses adversaires, France, USA, UE, et une majorité de potentats africains via l'UA et la CEDEAO, requièrent l’option militaire pour déloger Gbagbo.
2011 : l’option militaire se met peu à peu en place. la rébellion est fortement appuyée (pour rester modéré) par la force française Licorne et par l'Onuci, qui finissent par défaire les forces régulières ivoiriennes et par renverser le Président Gbagbo. Cela au prix de très nombreuses victimes civiles des bombardements, et au prix de multiplications d’exactions des rebelles, tortures, viols, meurtres, jusqu’à ce qui s’apparente, pour de nombreux observateurs (dont le CIRC et Caritas) à une épuration ethnique.
Face à cela, la protestation, apparemment vaine, s'est pourtant auparavant étendue jusqu'aux anciens de la Françafrique et à la droite historique française, qui depuis 2010, a pris position... pour Gbagbo : de Jean-François Probst, ancien conseiller de J. Chirac, à Philippe Evanno, ex-collaborateur de Foccart, dont le nom est synonyme de Françafrique. La politique française actuelle sert au fond, pour eux, les intérêts des USA, qui seuls pourraient retirer les marrons du feu... C'est un des éléments premiers de la prise de position de ceux qui s’avèrent au bout du compte très nombreux : la droite historique, gaullienne et au-delà (ça va jusqu'au FN inclus) ainsi que la gauche mitterrandienne (mais aussi le Front de gauche) se démarquent nettement, à l’insu des Français, de la politique de Sarkozy en Côte d’Ivoire. Cette politique nuit nettement, à leurs yeux, aux intérêts de la France !
Il n'est pas jusqu'à cette ultime sonnette d'alarme qui n'interroge, n'ayant été entendue ni par le pouvoir, ni par l’opposition socialiste, ni, encore moins par les médias, ni même par les instances d'Églises : la dérive serait donc inéluctable...
Une anecdote pour commencer : le 1er avril dernier (ça ne s’invente pas), en pleine matinée, un ami très proche me téléphone apparemment affolé : il est en train de regarder les infos, zappant de BFM TV à France24, I-télé, etc., chaînes d’infos en continu. Il connaît mon approche des médias concernant la Côte d’Ivoire (je vais y venir) et me demande avec perplexité : « qu’est-ce que je dois croire de ce que je vois ». Ma réponse : qu’est-ce que tu dois croire ? Mais rien ! Il ne s’agit pas de croire, mais de faire des recoupements. S’il s’agit de croire, un conseil, autant ne pas écouter les médias que tu mentionnes (j’avais moi-même écouté ces télés auparavant le matin, puis j’avais eu contact avec l’information ivoirienne). Plutôt que croire, recoupe, recoupe les infos. Manifestement je le choquais (sic). C’est cependant un homme cultivé, vigilant, mais là c’est trop : ne rien croire de ce que disent nos médias, c’en est trop. Et je précise aujourd'hui que moi-même me suis laissé avoir ce jour-là par nos journaux qui annonçaient boucle la chute imminente de Gbagbo, d’une heure à l’autre (c’était 11 jours avant sa capture). Et voilà mon ami à insister : « mais je le vois, c’est là à l’écran ! ». Et moi : Oui mais qu’est-ce que tu vois ? De la fumée sur la ville, au loin (c’est ce qu’on nous montre régulièrement), des pillards (sans nous dire que la rébellion a fait évader tous les prisonniers de la prison d’Abidjan). Mais rien n’y fait : j’évoque les cadavres attribués au « camp Gbagbo » que nos télés nous ont montrés avant chaque sommet de l’UA ou de l’Onu et qui se relèvent après le film au vu (qu’ils ignorent) des caméras cachées ! Ce qui achève de le convaincre que j’en suis à lui dire que ce qu’il est en train de voir est un montage ! Et le voilà qui passe à Simone Gbagbo jugée hystérique par les télés qu’il est en train de regarder, étant évangélique, etc. (et du coup me voilà en soutien des hystériques et d’une théorie du complot ! Sic !). Il finit par préférer raccrocher sous un prétexte que j’accepte avec soulagement, fatigué moi-même par la situation…
C’était une illustration concrète de la dérive des continents médiatiques : deux discours complètement étrangers l’un à l’autre, celui qui prévaut en France et un autre qu'on reçoit en Afrique en général (pas seulement en Côte d'Ivoire) entre lesquels j’essaye, souvent en vain (je viens de l’illustrer) de faire la médiation.
Une dérive médiatique qui vaut pour les journaux français de droite comme de gauche. Le discours de Libération, par exemple, est reçu en Côte d'Ivoire comme nettement colonialiste, insupportablement colonialiste, à l'instar du Monde ou des journaux dits de droite et des magazines de gauche ou de droite qui se disputent le pompon du plus imbuvable des néo-colons. Cela à l'exception du Gri-Gri international, marginal, mais aussi, dans une moindre mesure de L'Humanité, et parfois du Canard enchaîné. Pour tous les autres c'est l'unanimité... (cf. R. Girard, citant Emmanuel Lévinas évoquant le Talmud : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect »… (Achever Clausewitz, p. 63.)
C’est sous cet angle, celui d'une dérive d'une profondeur qu'on ne perçoit que peu en France, que je vais essayer d’aborder le sujet pour lequel vous m’avez invité - et je vous en remercie - : la dérive est déjà sans doute fracture, d'une gravité telle qu'elle sera difficile à résoudre.
L’anecdote que j'ai relatée pour commencer date d’avant la capture de Gbagbo, qui, elle, remonte au 11 avril 2011.
Depuis… F. Fillon (entre autres) a déclaré sa fierté de ce qu'a fait la France, ce qui est totalement incompréhensible à un très grand nombre, non seulement d'Ivoiriens, mais d’Africains.
Une autre illustration de ce décalage : je viens de parler de la capture de Gbagbo. « Capture » : un mot que j'ai choisi à dessein, comme mot intermédiaire entre « arrestation », préféré par les autorités françaises et leurs alliés (alliés au moins objectifs, pour rester réservé) en Côte d’Ivoire, et « kidnapping », qui est celui qu'emploient non-seulement les pro-Gbagbo, mais nombre de sites africains, et pas seulement ivoiriens, faisant remarquer qu'il n'y a aucune base légale ou juridique pour une « arrestation » !
Voilà qui donne encore un aperçu de la dérive dans laquelle on se trouve. On pourrait multiplier les exemples de cet ordre, et on aura l'occasion de le faire.
Cette dérive vaut jusqu'au cœur des Églises. On en est à un point où la neutralité semble illusoire – ou bien, il faudra expliquer où elle se situe ! Que signifie la neutralité entre ceux qui sont perçus comme les agresseurs dotés de toute la puissance économique et militaire d'un côté, et qui en usent sans équivoque – et ceux qui se perçoivent comme des agressés, injustement attaqués – et il ne manquent pas d’arguments – ? C'est ainsi que quand les Églises et institutions ou journaux d’inspiration chrétienne en France reprochent aux Églises ivoiriennes d’avoir choisi un camp, les chrétiens ivoiriens (et pas uniquement ivoiriens) leur retournent le compliment. Qu'est-ce que cette neutralité qui prend parti pour l’agresseur et les élites ? C'est de la sorte que sont perçus Églises et institutions (ERF, FPF, Défap, Cévaa) et journaux (La Croix, Réforme, etc.) qui soutiennent « la communauté internationale » (expression que l'on met en Afrique entre guillemets), qui au regard d'un nombre considérable d’Africains, s'est clairement fourvoyée dans une agression illégale, commençant par la mise en place d'une rébellion instrumentalisée pour fomenter un coup d’État et couper la Côte d’Ivoire en deux, et finissant par une intervention directe avec bombardements d'une capitale à la clef !
Terme d’une dérive, qui s’enracine très loin dans l’histoire. Pour ne pas revenir à un passé plus lointain, remontons simplement à la décolonisation :
L' « indépendance » selon la constitution française de 1958 (cf. ex. titre XII)
Les données suivantes sont partie intégrante de la Constitution de la Ve République jusqu'en 1995 (où l'Ancien titre XII est retiré, mais n'est remplacé par rien ! Les choses demeurant concrètement en l’état, sur leur lancée) – où apparaît tout un aspect de la profondeur mimétique ! – :
« Au cours des mois d’octobre novembre et décembre 1958, rappelle en 2005 le président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Koulibaly, tous les territoires ayant approuvé la Constitution française ont formulé expressément leur volonté par des délibérations de leurs assemblées.
Douze d’entre eux, les plus importants par leur étendue géographique et le chiffre de leur population, ont choisi la situation d’État membre de la Communauté. Cette catégorie comprend notamment les sept territoires d’Afrique occidentale française.
La façon dont sont réglé les rapports entre la France et la communauté sont précisés notamment dans l’article 78 de la constitution de 1958. Il est ainsi rédigé :
« Le domaine de la compétence de la Communauté comprend la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière commune ainsi que la politique des matières premières stratégiques.
Il comprend en outre, sauf accord particulier, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, l’organisation générale des transports extérieurs et communs et des télécommunications.
Des accords particuliers peuvent créer d’autres compétences communes ou régler tout transfert de compétence de la Communauté à l’un de ses membres. »
Les transferts de compétence dont il est question devraient résulter suivant cet article 78, d’accords particuliers. Le mode d’établissement de ces derniers est fixé par l’article 87, aux termes duquel, les accords particuliers conclus pour l’application du titre XII « sont approuvés par le Parlement de la République et par l’Assemblée législative intéressée ». Les accords en question ont donc pour parties contractantes la République française et un autre État, non pas la Communauté et l’un de ses membres.
Dans l’ordre juridique de la République française, les conventions dont il s’agit sont mentionnées, sous le nom « d’accord de Communauté », dans deux articles du titre II relatif au Président de la République. D’après l’article 5, celui-ci est le garant du respect des accords de Communauté.
Dans l’ordre juridique de la Communauté, l’article 5 de l’ordonnance du 19 décembre 1958, portant loi organique sur le Conseil exécutif, dispose que le président de la Communauté veille au respect « des accords de Communauté prévus aux articles 78 et 87 de la Constitution.
Le président de la République française est donc, aux termes de la constitution de 1958, le véritable chef des États africains auxquels cette constitution a permis d’octroyer l’indépendance. Et la révision constitutionnelle française de août 1995 n’y a rien changé dans le fond comme dans la logique.. »
« Nous avons vécu quarante et quatre années d’illusions d’indépendance », conclut, en 2005 donc, Mamadou Koulibaly (Ivoire forum, avril 2005). Fin de citation.
*
Depuis lors le temps a passé, l'Afrique a fonctionné d’abord comme rempart occidental en forme de pré-carré français contre la menace soviétique.
C'est l'époque des partis uniques, avec des dirigeants placés ou estampillés conformes par la France...
… Jusqu’à la chute du mur de Berlin, où plus que le discours de Mitterrand à La Baule, c'est la mise en place de Premiers ministres qui continueront à garantir les intérêts français et occidentaux après la chute du mur, qui marque la nouveauté. Pour la Côte d'Ivoire ce sera Ouattara, imposé à Houphouët-Boigny pour mettre en place la nouvelle politique du FMI, les fameux PAS. Privatisation de toute l’économie ivoirienne, livrée aux groupes français et amis pour un franc symbolique. Une politique du FMI qui sera dénoncée comme un échec par le même FMI une quinzaine d’année après.
Au plan des politiques intérieures, il s'agira pour Paris de garantir que tout candidat éligible lors d'élections aux allures libres soit favorable au maintien du statu quo économique France-Afrique.
Wade ou Diouf au Sénégal, Bédié ou Ouattara en Côte d'Ivoire. Sans quoi soit les élections seront truquées, soit elles seront purement et simplement remplacées par des coups d'État, entérinés au final.
Mais il n'est pas envisageable qu'un candidat démocrate, risquant donc d'être démocratiquement élu, ne soit pas du sérail... Bref un Gbagbo est inenvisageable !... Il sera donc accusé de tous les maux, à l'appui de médias réputés neutres, et unanimes. (cf. R. Girard, Clausewitz, p. 63.)
Qui veut noyer son chien... ou : le bouc émissaire
Sitôt élu en 2000, dans des conditions qu'il juge déplorables, Gbagbo est confronté à une mise au pilori médiatique international, par la diffusion, initiée par RFI, d'une info passée en boucle à propos du désormais célèbre charnier de Yopougon.
Charnier de Yopougon
Mais quid de la vérité dans les massacres d’octobre 2000, et donc fameux le charnier de Yopougon ? Une commission indépendante avait été mise en place en 2000 par le ministère de la Justice de Gbagbo pour mener les enquêtes. Les travaux étaient fort avancés. Quand le RDR a pris le ministère de la Justice après Marcoussis et que Henriette Dagri Diabaté, SG du RDR et adjointe de Ouattara, a été nommée Garde des Sceaux, elle a automatiquement dissous la commission et interrompu les investigations. Elle n’a jamais mis sur pied une nouvelle commission ni réactivé les enquêtes. L’on saura plus tard par des sources judiciaires que les résultats partiels auxquels étaient parvenus les enquêteurs accablaient le RDR... http://www.notrevoie.com/develop.asp?id=36504
« Escadrons de la mort »
«Escadrons de la mort : la Cour d’appel de Paris blanchit le couple Gbagbo»
Le Courrier d’Abidjan — Parution N° 700 du Jeudi 27 Avril 2006 :
«Procès – Après une procédure longue de trois ans, Laurent et Simone Gbagbo ont gagné, en appel, malgré un premier verdict politisé en correctionnelle, leur procès contre Le Monde. Qui n’a pas pu établir qu’ils étaient les commanditaires de prétendus escadrons de la mort. Et qui est allé jusqu’à produire des documents considérés comme faux au tribunal. Détails.
Cela a pris plus de trois ans, mais le président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et son épouse, Simone Ehivet Gbagbo, ont enfin vu leur honneur entièrement lavé dans l’affaire des «escadrons de la mort», orchestrée par les services secrets français et diffusée par le grand quotidien français du soir, Le Monde. La Cour d’appel de Paris, par deux arrêts du 5 avril 2006, a établi de manière claire qu’en accusant le couple présidentiel ivoirien d’être à la tête de prétendus «escadrons de la mort», le quotidien Le Monde, le site Internet lemonde.fr et le magazine Le Monde 2, se sont rendus coupables de diffamation contre les deux plaignants. Ces supports médiatiques ont été condamnés au total à 3000 euros (environ 2 millions de F CFA) de dommages et intérêts. Le Monde et son site Internet devront rendre publique la publication judiciaire suivante : «Par arrêt en date du 5 avril 2006, la cour d’appel de Paris, 11è chambre, a condamné Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du journal Le Monde et du site Internet www .lemonde.fr pour avoir publiquement diffamé Laurent et Simone Gbagbo en publiant dans les numéros datés des 8 et 20 février 2003, en ligne depuis la veille, d’une part, sous le titre «Côte d’Ivoire : enquête sur les exactions des escadrons de la mort», un article intitulé «Le rôle clé des gardes du corps du couple présidentiel», les mettant en cause, d’autre part sous le titre «Le sommet à Paris d’une France-Afrique en crise», un article intitulé «La crise ivoirienne, un condensé des caractéristiques de tout un continent» les mettant également en cause.» Le magazine Le Monde 2 est condamné à financer la publication dans Le Monde mais aussi dans des supports du choix du couple Gbagbo, à hauteur de 3000 euros (un peu moins de 2 millions de F CFA), ce texte : «Par arrêt en date du 5 avril 2006, la cour d’appel de Paris, 11è chambre, a condamné Jean-Marie Colombani et la société Issy Presse pour avoir publiquement diffamé Laurent et Simone Gbagbo en publiant dans Le Monde daté du mois de février 2003 un article intitulé «Gbagbo, Simone, Dieu et le destin», les mettant en cause.» »
« Bombardement » de Bouaké
« Selon une information de France Inter (du vendredi 06 novembre 2009 à 0700 GMT – cf. http://www.abidjantalk.com/forum/viewtopic.php?p=172994), Maître Balan, avocat des victimes du bombardement de Bouaké, cite MAM à venir comparaître. Selon l’avocat parisien, la version officielle donnée par l’Élysée n’est que pur mensonge. L’ordre de tirer sur le camp militaire n’est pas venu de la Présidence ivoirienne. Aussi il demande au juge de cette affaire de convoquer l’ancienne ministre de la Défense afin qu’elle vienne témoigner. Il souligne par ailleurs que des enregistrements indiquent bien qu’une voix russe (avec un mauvais accent) a demandé aux pilotes de bombarder le collège Descartes, base de l’armée française à Bouaké. Pour Maître Balan cette voix serait celle du Français Robert Montoya, ancien de la cellule antiterroriste sous François Mitterrand, qui avait vendu les Sukhoi à l’armée ivoirienne. Il est de tout même étonnant que Robert Montoya ne soit pas convoqué, ni entendu par les juges français poursuit l’information France Inter. »
Ce sont quelques uns des éléments principaux – il y en a d'autres –, qui font décalage entre ce que croit, ou affirme le public occidental et ses élites d'un côté, et de l'autre ce qu'un nombre de plus en plus important d’Africains perçoit par un accès autre que les grands médias : Internet, la presse africaine qui ne suit pas les grands médias, souvent presse en ligne.
Les mieux informés ne sont pas ceux que l'on croit en Europe ! En Afrique, on ironise volontiers sur l'information dite libre des Occidentaux et les perceptions qu'elle induit...
La suite...
« [...] En gros, écrit en janvier 2011 Sylvie Kouamé dans Le Nouveau Courrier (d'Abidjan), il s’agit d’un pays où un roi nègre s’accroche au pouvoir. Alors qu’il a perdu des élections transparentes et validées par une «communauté internationale» forcément honnête, vertueuse et mue par sa mission civilisatrice et «démocratisante». Non violent, porteur d’espoir, son adversaire a appelé «le peuple» à descendre pacifiquement dans la rue, mais la soldatesque aux ordres du président sortant a sévi. Depuis, les puissances occidentales essaient de faire prévaloir les valeurs universelles…
Cette belle fable ne résiste ni à la réalité ivoirienne, bien plus complexe, ni à la froide logique de la diplomatie internationale. [...] ».
Ironisant amèrement autour des « élections » de 2010, un tel article connaîtrait des problèmes avec la censure en Côte d'Ivoire depuis le renversement de Gbagbo — sous lequel la presse était très plurielle, accessible dans les kiosques où les journaux d’opposition (pro-Ouattara) étaient très majoritaires. Depuis son renversement, la presse est étroitement surveillée (sujet sensible : les questions sur les élections de 2010). Il n'y a plus là qu'une seule voix (un peu comme en France ! mais en plus direct, puisque la divergence sur les points sensibles peut valoir emprisonnement, voire la mort).
Un état de fait qui est consécutif, donc, à l’abattement du régime sous les coups des bombardements français et onusiens ; et quand je dis cela, on mesure le décalage – au point que cela parait incroyable – et pourtant cela s'est passé il y a un mois, et c'est tout à fait perceptible sur nos journaux, au prix d'un petit effort de lecture, éventuellement entre les lignes.
Ces bombardements sur Abidjan, intervention directe, sont l'aboutissement d'un processus commencé en 2000-2002.
En 2000 : sitôt Gbagbo élu, et même déjà avant, les médias internationaux, relayés par leurs pendants ivoiriens l'on mis dans le collimateur. On lui prête notamment ce à quoi il s'est toujours opposé, comme l' « ivoirité » de Bédié, selon le nom donné à cette loi excluant de l'éligibilité à la présidentielle, un peu à la façon américaine, des candidats qui ne seraient pas nés ivoiriens. Cette loi vise évidement Ouattara. Gbagbo alors député a voté contre. Nombre de Français croient, de bonne foi, qu'il en est à l’origine ! Non content d’avoir voté contre, il octroie en 2000, lors du forum de réconciliation qu'il met en place avec un gouvernement d’union nationale, la nationalité ivoirienne à Ouattara, et il le rendra éligible par décret en 2005.
Cela n'empêche qu'en 2002, un coup d’État éclate, et échoue : des rebelles, dont nombre de déserteurs de l'armée régulière, venus de leur base-arrière du Burkina Faso descendent jusqu'à Abidjan où ils vont jusqu'à tuer le ministre l'Intérieur, mais ils sont repoussés par l'armée régulière jusqu'à Bouaké, où l'armée française s'interpose au motif de l'évacuation de ses ressortissants. Le gouvernement ivoirien demande alors l’activation des accords de défense, qui lui est refusée par le pouvoir français. Depuis le pays est coupé en deux. Des exactions épouvantables ont lieu au Nord, au point que la population d’Abidjan croît exponentiellement du fait du très grand nombre de réfugiés. Les médias français ne rendent jamais compte de ces exactions : le parti-pris est manifestement trop fort. Ex. : Libération qui trace un portrait élogieux des rebelles illustré d'une photo les présentant comme « gueules d'amour » (sic).
En 2003, cette partition est entérinée dans le stade rugby de Marcoussis, en région parisienne où sont réunis les partis politiques et les groupes rebelles qui sont multipliés en trois représentations. géographiques. Le pouvoir ivoirien n'est pas représenté, mais il est sommé d'accepter les accords de Marcoussis, qui ont pour propos de transformer, selon une expression devenue célèbre, Gbagbo en « reine d’Angleterre ». Tout Abidjan descend dans la rue pour s'opposer à ce qu'on y nomme « coup d’État constitutionnel ». C'est là qu’apparaît en boucle un mort célèbre, un ancien acteur, Camara H., dont le corps est exposé sur le terre-plein central d'une voie rapide d'Abidjan : est née la fameuse expression « escadrons de la mort de Gbagbo », diffusée par Le Monde, ce qui lui vaudra donc (cf. supra) condamnation par la justice française pour diffamation de Gabgbo et de son épouse. Mais on connaît la formule : calomniez calomniez, il en restera toujours quelque chose...
2004. 6 novembre : 9 soldats français sont tués au camp de Bouaké. Le Président Chirac déclare qu'il s'agit d'un bombardement intentionnel commandé par son homologue L. Gbagbo – en marge de l’opération aérienne de désarmement des rebelles qui était selon toute probabilité en train d'être achevée. Dans la foulée tourte la flotte aérienne ivoirienne est détruite au sol.
Quant à la mort des soldats français, on n'en connaît toujours pas la cause, la France ayant alors interdit toute enquête, française ou ivoirienne, sur les événements de Bouaké.
Depuis les familles de soldats tués ont requis un avocat, Me Balan, qui, avec l'aide de la juge aux armées Brigitte Raynaud, qui depuis a été dessaisie du dossier, est arrivé à la certitude que Gbagbo n'a rien à voir avec tout cela (cf. supra).
Il n’empêche que les conséquences considérables ont déjà pris place, avec les manifestations des patriotes menaçant les biens français (mais jamais les personnes : zéro mort), durement réprimées par l'armée française. Selon les Ong internationales 60 morts et des centaines de blessés suite aux tirs français – ce qui fait dire à un livre célèbre : la France a perdu l'Afrique à Abidjan en nov. 2004.
2007 : accord de Ouagadougou. Depuis 2002-2003, Gbagbo n'a pas réellement le pouvoir, mais il déploie des efforts pour gérer la transition, jusqu’à signer l'accord de Ouagadougou qui promet l’accession du leader rebelle Guillaume Soro au poste de Premier ministre. Clause centrale de l'accord : l'Onu assurera le désarmement des rebelles avant (au minimum trois mois avant) que des élections puissent être organisées. Cette clause ne sera jamais respectée. Malgré cela, les pressions se multiplieront sur Gbagbo pour qu'il vienne aux élections. Il finira, manifestement trop tôt, l’histoire l'a montré ces derniers mois, par céder.
2010 : les élections se déroulent dans ces conditions pour le moins surprenantes : plus de la moitié du territoire n'est pas contrôlée par l’État, étant aux mains de chefs de guerre célèbres pour leur violence. Résultat : dans la zone contrôlée par l’État, des élections « normales » en termes démocratique, de l'ordre de 60% - 40%. Dans les zones rebelles, des scores soviétiques pour Ouattara, dépassant (sic) parfois les 100% !
La commission électorale dite indépendante (Cei – composée à 80% de ouattaristes sur la base du quota de représentation de Marcoussis), prévue par les accords de Pretoria, ne parvient à aucun accord. Ce qu'annonce son Président, Y Bakayoko, un quart d’heure avant sa forclusion,
Le lendemain, il est requis et conduit au QG du candidat Ouattara par les ambassadeurs de France et des USA et annonce des chiffres qui donnent Ouattara vainqueur, au prix de augmentation de 10% de participation par rapport à celle officialisée par l'Onu, Le représentant du SG de l'Onu, J.Y. Choï valide toutefois ce qui est donné depuis comme résultat, invalidé pour fraude massive par le conseil constitutionnel, qui proclame l'élection de Gbagbo. Depuis, Gbagbo ne cesse demander que l'on recompte les voix, ce que refusent Ouattara, Sarkozy et le SG de l'Onu, lequel ira jusqu'à affirmer que recompter serait « injuste » (sic). Face à cette proposition ses adversaires, France, USA, UE, et une majorité de potentats africains via l'UA et la CEDEAO, requièrent l’option militaire pour déloger Gbagbo.
2011 : l’option militaire se met peu à peu en place. la rébellion est fortement appuyée (pour rester modéré) par la force française Licorne et par l'Onuci, qui finissent par défaire les forces régulières ivoiriennes et par renverser le Président Gbagbo. Cela au prix de très nombreuses victimes civiles des bombardements, et au prix de multiplications d’exactions des rebelles, tortures, viols, meurtres, jusqu’à ce qui s’apparente, pour de nombreux observateurs (dont le CIRC et Caritas) à une épuration ethnique.
Face à cela, la protestation, apparemment vaine, s'est pourtant auparavant étendue jusqu'aux anciens de la Françafrique et à la droite historique française, qui depuis 2010, a pris position... pour Gbagbo : de Jean-François Probst, ancien conseiller de J. Chirac, à Philippe Evanno, ex-collaborateur de Foccart, dont le nom est synonyme de Françafrique. La politique française actuelle sert au fond, pour eux, les intérêts des USA, qui seuls pourraient retirer les marrons du feu... C'est un des éléments premiers de la prise de position de ceux qui s’avèrent au bout du compte très nombreux : la droite historique, gaullienne et au-delà (ça va jusqu'au FN inclus) ainsi que la gauche mitterrandienne (mais aussi le Front de gauche) se démarquent nettement, à l’insu des Français, de la politique de Sarkozy en Côte d’Ivoire. Cette politique nuit nettement, à leurs yeux, aux intérêts de la France !
Il n'est pas jusqu'à cette ultime sonnette d'alarme qui n'interroge, n'ayant été entendue ni par le pouvoir, ni par l’opposition socialiste, ni, encore moins par les médias, ni même par les instances d'Églises : la dérive serait donc inéluctable...
RP,
Marseille, Parvis du protestantisme,
10 mai 2011
Marseille, Parvis du protestantisme,
10 mai 2011
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