lundi 13 janvier 2014

"L’aujourd’hui" de Dieu




Psaume 2, 7 : « Je publierai le décret ; Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. »
Psaume 95, 7 : « Car il est notre Dieu, Et nous sommes le peuple de son pâturage, Le troupeau que sa main conduit… Oh ! si vous pouviez écouter aujourd’hui sa voix ! »


Deux Psaumes, le Ps 2 et le Ps 95, soulignant une constante de la Parole de la foi : « aujourd’hui ». Deux Psaumes qui sont repris, bien plus tard, pour un autre « aujourd’hui », dans l’Épître aux Hébreux :

Hébreux 1, 5 : « Auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ? »
Hébreux 5, 5 : « Et Christ ne s’est pas […] attribué la gloire de devenir souverain sacrificateur, mais il la tient de celui qui lui a dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ! »

Aujourd’hui éternel !...

Hébreux 3, 7-8a : « C’est pourquoi, selon ce que dit le Saint-Esprit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs ».
Hébreux 3, 13 : « Mais exhortez-vous les uns les autres chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché. »
Hébreux 3, 15 : « pendant qu’il est dit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs, comme lors de la révolte. »
Hébreux 4, 7 : « Dieu fixe de nouveau un jour — aujourd’hui — en disant dans David si longtemps après, comme il est dit plus haut : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs. »


*

Un « aujourd’hui » qui vaut toujours… aujourd’hui


Cf. Kierkegaard et la contemporanéité avec l’Absolu — manifesté en Christ.


Sur Exercice en christianisme. Citation de Daniel Vidal, « Søren Kierkegaard, Exercice en christianisme », Archives de sciences sociales des religions, 140, 2007 (extraits) :

Le christianisme est « l’Absolu », et c’est à cet Absolu que le croyant est invité à se confronter. Par quelles voies, avec quelles armes ? En se portant contemporain du Christ : « Aucune parole de Christ, pas même une seule, tu n’as le droit de te les approprier, tu n’as pas la moindre part en lui, pas la plus éloignée des communautés avec lui, si tu n’es pas contemporain avec lui dans son abaissement ». Être du même « temps », ce temps de l’irruption du scandale [l'Incarnation], quand rien encore n’est avéré, ni accompli, mais que tout est déjà joué, que tout apparaît « absurde », et que cet « absurde » est marque d’ « extraordinaire » : « Que Dieu ait vécu ici sur terre comme un homme singulier, c’est infiniment extraordinaire. Si cela n’avait eu strictement aucune conséquence, ce serait la même chose, cela resterait parfaitement extraordinaire, infiniment extraordinaire ». Être en exacte contemporanéité avec cet événement au revers de tout ordre, conditionne une nouvelle, et à proprement parler, intransitive, conception du temps. « Par rapport à l’absolu, il n’y a qu’un seul temps, le présent ». Christ ? : « Une personne au plus haut point anhistorique » : si l’histoire dit « ce qui s’est réellement passé », et si l’on applique cette formule au christianisme, on rend impensable du même coup le temps de la pure présence, et donc sans cesse recommencée, de l’« événement christique ».

Si, comme il en va dans l’Exercice, ne peut véritablement comprendre que celui qui se fait « contemporain » de son « objet » — l’homme-Dieu ici, là cet autrui singulier, là encore tous les autruis —, alors cette exigence de contemporanéité induit un « rapport à la vérité où chacun “recommence à zéro” ».



Sur Miettes philosophiques. Citation de Hélène Politis, Le vocabulaire de Kierkegaard (extrait) :

C'est comme croyant que le disciple se rapporte « à ce maître-ci » (Mi, SV3 VI, p. 58-59/0C VII, p. 58). [...] Le contemporain et le non-contemporain rencontrent exactement la même difficulté. Nul n'a le moindre privilège comparé à l'autre ni le contemporain parce qu'il aurait vu personnellement l'événement, ni le non-contemporain parce qu'il pourrait être mieux documenté sur les circonstances et les conséquences historiques, ou encore parce qu'il serait meilleur théologien. On ne reçoit pas la foi de seconde main [ :] tout croyant est disciple de première main, tout croyant, en tant que tel, est contemporain de l'événement christique.


*

« Rachetez le temps » ( Ep 5:16 ; Col 4:5)

Une façon de comprendre le temps — celui qui passe — nous empêcherait d'en parler plus longtemps que cet autre temps — la pluie et le beau temps — : il s'agit de la façon de le comprendre comme un fleuve qui coule. Sous cet angle, le fameux « rachetez le temps », est tout simplement incompréhensible — ce rachat du temps devenant rattrapage de temps perdu : « on ne rattrape pas le temps perdu ».

Si cela a un sens, c’est qu’il y a un autre temps, où « mille ans sont comme un jour », d’où se « rachète » le temps, comme on sort quelqu’un d’un fleuve. « Béni soit celui qui vient » parmi nous… depuis le « plus haut des cieux » (Mt 21, 9), depuis hors du fleuve de ce temps.

Notre temps, notre maintenant, est appelé à être sauvé, racheté — car notre temps se corrompt, contrairement au temps éternel, inauguré ici-bas dans la résurrection du Christ, selon le temps céleste où un jour est comme mille ans et où mille ans sont comme un jour. L’Écriture nous invite à revêtir en Jésus Christ l’incorruptibilité où le temps cesse d’être perte.

Car si notre temps, nos moments qui se succèdent, qui perpétuent l’exil, sont signe de perte, de manquement, de déficience, de captivité sous une griffe diabolique, ils sont cependant rachetables : « rachetez le temps », le moment (« kairos »). Il s’agit d’imprégner ce temps du rythme du temps céleste du monde à venir, dans lequel on est entré par la résurrection du Christ. Ce « rachetez le temps » s’accompagne d’une citation d’Amos (5, 13) – « car les jours sont mauvais » – où le prophète recommande au peuple une conduite intelligente de silence et de recherche de Dieu, pour détourner sa colère contre la corruption d’un mauvais temps.

1 Jean 5, 19 & 20 : « Nous savons […] que le monde entier est sous la puissance du malin. Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. »

Il s’agit de racheter ce temps en vivant selon le temps céleste, s'ancrer dans le repos de Dieu — telle est la prière. C’est la brèche de l’irruption du salut du temps. C’est ainsi que se rachète le temps, cette mesure de notre déperdition.

Dans la foi qu’il est un temps céleste, celui du Royaume à venir, qui n’est pas marqué par le manque, un regard sur notre temps nous enseigne la confiance en Dieu, et l’espérance actuelle de ce temps total qui nous est donné d’En haut, irruption promise à notre foi, de l’éternité du Royaume.

Ainsi apparaît ce qu’il faut faire dans le présent pour « racheter le temps » : ne pas se soumettre à ses fluctuations, ne pas se conformer au siècle présent et à ses clameurs médiatiques, aux clameurs des foules trompées, mais s'ancrer par la prière, se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle à venir, incorruptible, pour racheter celui-ci. Et vivre dans le siècle à venir se manifeste en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant par la confiance à la loi du siècle à venir (Mt 6, 33-34).


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
4) Mardi 14 & jeudi 16 janvier 2014 : « L’aujourd’hui » de Dieu (PDF)


jeudi 9 janvier 2014

Desservant éternel




Jésus, Grand desservant éternel : 5,11 – 7,28.


Hébreux 5, 11 – 6, 8
11  Sur ce sujet, nous avons bien des choses à dire et leur explication s’avère difficile, car vous êtes devenus lents à comprendre.
12  Vous devriez être, depuis le temps, des maîtres et vous avez de nouveau besoin qu’on vous enseigne les tout premiers éléments des paroles de Dieu. Vous en êtes arrivés au point d’avoir besoin de lait, non de nourriture solide.
13  Quiconque en est encore au lait ne peut suivre un raisonnement sur ce qui est juste, car c’est un bébé.
14  Les adultes, par contre, prennent de la nourriture solide, eux qui, par la pratique, ont les sens exercés à discerner ce qui est bon et ce qui est mauvais.
1  Ainsi donc, laissons l’enseignement élémentaire sur le Christ pour nous élever à une perfection d’adulte, sans revenir sur les données fondamentales: repentir des œuvres mortes et foi en Dieu,
2  doctrine des baptêmes et imposition des mains, résurrection des morts et jugement définitif.
3  Voilà ce que nous allons faire, si du moins Dieu le permet.
4  Il est impossible, en effet, que des hommes qui un jour ont reçu la lumière, ont goûté au don céleste, ont eu part à l’Esprit Saint,
5  ont savouré la parole excellente de Dieu et les forces du monde à venir,
6  et qui pourtant sont retombés, - il est impossible qu’ils trouvent une seconde fois le renouveau, en remettant sur la croix le Fils de Dieu pour leur conversion et en l’exposant aux injures.
7  Lorsqu’une terre boit les fréquentes ondées qui tombent sur elle et produit une végétation utile à ceux qui la font cultiver, elle reçoit de Dieu sa part de bénédiction.
8  Mais produit-elle épines et chardons, elle est jugée sans valeur, bien près d’être maudite, et finira par être brûlée.


La foi ouvre l’accès à des réalités inaccessibles aux sens, inaccessibles à la vue. Hors la foi, ces réalités sont a priori incompréhensibles. Et voilà donc que les lecteurs ont de la difficulté à les comprendre (et on peut donc se mettre à leur place : ce qui ne se voit pas est difficilement accessible).

Voilà donc qu’ils n’ont pas assis — sur la foi — ce qu’ils auraient dû dès lors acquérir en compréhension. Bref, en termes imagés, ils n’ont pas assimilé une nourriture d’adultes dans la foi : ils en sont au lait, nourriture de bébés, facilement assimilable. Métaphore d’une incapacité à assimiler ce qui est au-delà des sens, au-delà du visible. Façon de dire « je crois ce que je vois », ou, à la limite, je veux bien croire ce qui ne demande pas trop d’efforts au-delà de ce qui se voit : les ablutions (le mot technique utilisé pour ce faire étant « baptême » – ici comme dans la traduction grecque de la Bible hébraïque dite des LXX, utilisée par l’Épître aux Hébreux. Le même mot pour « ablutions », « baptêmes », est employé par Luc, par ex.) ; les ablutions, donc, depuis les ablutions traditionnelles du judaïsme, voire celles de Qumran, jusqu’au baptême de Jean et au baptême chrétien (facile : cela se voit). On veut bien aller jusqu’à assimiler que cela symbolise le repentir et la foi en Dieu. Imposition des mains, de même : cela se voit. Mais dans tous les cas, on peine à en venir à la signification du rite concernant la dimension de l’Esprit Saint : la signification spirituelle.

On veut même aller jusqu’à admettre l’enseignement catéchétique sur la résurrection des morts et le jugement dernier (on n’est pas à une époque rationaliste : on peut admettre cette forme d’une fin de l’Histoire et d’un au-delà) ! On admet aussi les choses élémentaires de ce qu’ont dit les Apôtres sur le Christ. Là pourtant cela ne se voit pas ! On se contente de l’admettre : cet homme remarquable a existé ! Mais pas au point d’y voir un point de départ pour un approfondissement. Pas au point de réfléchir à la signification spirituelle que cela implique : il ne faut tout de même pas trop en demander ! Bref, rien en tout cela de suffisamment fermement cru pour que l’on bâtisse à partir de là.

Or c’est à cette réflexion, disons « métaphysique », ou « spirituelle », sur la base de la foi, que l’auteur se propose de conduire ses disciples. « Il faut croire lorsqu’on veut apprendre » enseigne le philosophe Aristote lui-même, ainsi que le rappellera Thomas d’Aquin ! « Il faut croire », préalable d’humilité pour tout disciple qui en sait au départ moins que son maître. Il faut donc accorder au maître un certain crédit. C’est l’équivalent de la foi aux réalités inaccessibles aux sens que requiert l’Épître aux Hébreux.

Et pourtant les lecteurs de l’Épître ont cru. Ils ont par là montré qu’ils ont reçu une part de la lumière céleste, bref qu’il ont participé au don de l’Esprit Saint. La chose est suffisante pour être cultivée, suffisante pour connaître un développement conséquent, suffisante pour que l’on ne se contente pas de vivre le rite sur ce qui se voit seulement, ou sur les rudiments catéchétiques comme simples éléments de répétition. Il y a pourtant là de quoi ancrer des convictions sur qui est vraiment Jésus, sur sa provenance céleste, et donc sur le sens de ce qu’il a accompli : sa mort comme œuvre sacerdotale par laquelle Dieu nous ouvre l’accès au Tabernacle céleste de sa grâce.

Sans quoi il n’y a là que crucifixion comme toutes les crucifixions qu’opèrent les Romains. Bref un Jésus cloué comme les autres cloués sans autre signification que cela, tragique. Sans sens rédempteur, sans sortie céleste pour notre rachat : bref le ramener sur la croix, le crucifier à nouveau. Où l’on en reste à ce que l’on voit : un crucifié !

Pour ne pas en rester là, une mort inutile comme l'on ressent toutes les morts, il faut cultiver le sens que la foi y dévoile, pour que la terre où elle a été semée ne reste pas en friche, qu’elle produise autre chose que des épines, qu'elle ne retourne pas au tohu-bohu, au chaos.


Hébreux 6, 9-20
9  Quoique nous parlions ainsi, bien-aimés, nous sommes convaincus que vous êtes dans des conditions meilleures et favorables au salut.
10  Car Dieu n’est pas injuste pour oublier votre action, ni l’amour que vous avez montré pour son nom par les services que vous avez rendus et que vous rendez encore aux saints.
11  Mais nous désirons que chacun de vous montre jusqu’à la fin le même empressement en vue d’une pleine espérance,
12  en sorte que vous ne soyez pas nonchalants, mais que vous imitiez ceux qui, par la foi et l’attente patiente, reçoivent l’héritage promis.
13  En effet, comme Dieu, en faisant la promesse à Abraham, ne pouvait jurer par un plus grand que lui, il jura par lui-même
14  en disant: Certainement, je te comblerai de bénédictions et je multiplierai ta descendance.
15  Et c’est ainsi qu’après avoir patiemment attendu, Abraham obtint ce qui lui avait été promis.
16  Car les hommes jurent par ce qui est plus grand qu’eux, et le serment, en confirmant leur parole, met un terme à toute contestation.
17  En ce sens, Dieu, voulant donner aux héritiers de la promesse une preuve supplémentaire du caractère immuable de sa décision, intervint par un serment,
18  afin que, par deux actes immuables, dans lesquels il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant encouragement, nous dont le seul refuge a été de saisir l’espérance qui nous était proposée.
19  Cette espérance, nous l’avons comme une ancre solide et ferme, pour notre âme; elle pénètre au-delà du voile,
20  là où Jésus est entré pour nous comme un précurseur, devenu souverain sacrificateur pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédek.


Ce qui est acquis fait office de fondement pour ce qui se construit. Ce qui s’est bâti sur la foi subsiste. Ce qui correspond à la réalité de la mémoire : ce que j’ai fait, dit, vécu, etc., me constitue aujourd’hui. Je ne suis pas seulement la part superficielle de moi-même. Mon être d’aujourd’hui est constitué de tout le passé qui m’a mené à être ce que je suis. C’est mon matériau de base, posé sur une mémoire assumée ou niée, mais présente de toute façon. Rien de désespérant en cela, même en regard d’un passé très lourd : on a parlé du phénomène de la résilience (Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur) : c’est-à-dire résister à ce qui blesse et construire cependant pour le mieux. Il est toujours temps de bâtir pour le mieux.

Cela dit, un passé établi sur la foi, et qui s’est traduit en services rendus et en amour, est un fondement déjà solide. On est appelé à l’affermir encore. À bâtir encore sur la foi, comme Abraham a bâti sur la foi en la promesse de Dieu, d’autant plus solide et fiable que c’est celle de Dieu lui-même, établie sur la vérité de Dieu-même. Ce que l’auteur de l'Épitre illustre de cette référence biblique voyant Dieu jurer fidélité par lui-même !

C’est de cette même certitude que relève l’espérance en laquelle l’auteur de l’Épître invite ses lecteurs à tenir ferme. Une espérance qui s’illustre comme une ancre plongée au Temple céleste — au-delà du voile c’est-à-dire dans le lieu très saint. Il s’agit du lieu où entre le grand desservant pour l’office de Yom Kippour, lieu séparé par un voile, et où, nous a dit l’auteur, est entré Jésus comme grand desservant à la façon de Melchisédek.

L’auteur rappelle donc, avant d’aller plus loin, le fondement sur lequel il va s’avancer : le pardon, l’accès auprès de Dieu, est acquis par l’œuvre et la mort de Jésus, comme par un Yom Kippour accompli dans le Temple céleste.


Hébreux 7, 1-10
1  Ce Melkisédeq, roi de Salem, desservant du Dieu Très-Haut, est allé à la rencontre d’Abraham, lorsque celui-ci revenait du combat contre les rois, et l’a béni.
2  C’est à lui qu’Abraham remit la dîme de tout. D’abord, il porte un nom qui se traduit "roi de justice", et ensuite, il est aussi roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix.
3  Lui qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de Dieu reste desservant à perpétuité.
4  Contemplez la grandeur de ce personnage, à qui Abraham a donné en dîme la meilleure part du butin, lui, le patriarche.
5  Or, ceux des fils de Lévi qui reçoivent le sacerdoce ont ordre, de par la loi, de prélever la dîme sur le peuple, c’est-à-dire sur leurs frères, qui sont pourtant des descendants d’Abraham.
6  Mais lui, qui ne figure pas dans leurs généalogies, a soumis Abraham à la dîme et a béni le titulaire des promesses.
7  Or sans aucune contestation, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur.
8  Et ici, ceux qui perçoivent la dîme sont des hommes qui meurent, là c’est quelqu’un dont on atteste qu’il vit.
9  Et pour tout dire, en la personne d’Abraham, même Lévi, qui perçoit la dîme, a été soumis à la dîme.
10  Car il était encore dans les reins de son ancêtre, lorsque eut lieu la rencontre avec Melkisédeq.


Retour sur le personnage de Melkisédeq dans la Genèse (ch. 14), ce personnage isolé auquel réfère le Psaume 110 pour y fonder la notion de sacerdoce royal messianique.

Melkisédeq, selon la Genèse, est roi de Salem, à laquelle on identifie Jérusalem, où régnera David, auquel est attribué et auquel renvoi le Psaume 110. Le sacerdoce mosaïque, institué par la Torah, est un sacerdoce légitimé dans la généalogie de Lévi, descendant d’Abraham « il était dans ses reins », dit l’Épître. Or, Abraham (et Lévi en lui) a reconnu symboliquement, à travers ses gestes envers lui, le sacerdoce de Melkisédeq, auquel renvoie le Psaume 110.

Et non seulement Melkisédeq n’est évidemment pas de la généalogie de Lévi, descendant d’Abraham, mais la Genèse ne lui attribue aucune généalogie précise. Voilà un personnage isolé, qui, pour l’Épître aux Hébreux, est, par là-même, chargé de signification. Cela en rapport avec la déclaration du Psaume 110 sur le sacerdoce messianique : compte tenu de l’identification de Salem, dont le nom signifie « paix » — comme le rappelle l’Épître — à Jérusalem, ville du roi messianique ; compte de tenu de cette autre signification, de son nom cette fois, Melkisédeq, « roi de justice », qui le fait préfigurer Jésus aux yeux de l’auteur de l’Épître ; compte de tenu de tout cela, il y a en ce personnage, via la déclaration du Psaume 110, un signe remarquable.

L’absence de généalogie précise du personnage de Melkisédeq, faisant que la Torah ne légitime pas son sacerdoce dans une succession temporelle comme le sacerdoce lévitique, devient signe de l’éternité et de l’unicité du sacerdoce de Jésus.


Hébreux 7, 11-28
11  Si on était parvenu à un parfait accomplissement par le sacerdoce lévitique, car il était la base de la législation donnée au peuple, quel besoin y aurait-il eu encore de susciter un autre desservant, dans la ligne de Melkisédeq, au lieu de le désigner dans la ligne d’Aaron?
12  Car un changement de sacerdoce entraîne forcément un changement de loi.
13  Et celui que vise le texte cité fait partie d’une tribu dont aucun membre n’a été affecté au service de l’autel.
14  Il est notoire, en effet, que notre Seigneur est issu de Juda, d’une tribu pour laquelle Moïse n’a rien dit dans ses textes sur les desservants.
15  Et l’évidence est plus grande encore si l’autre desservant suscité ressemble à Melkisédeq,
16  et ne devient pas desservant en vertu d’une loi de filiation humaine, mais en vertu de la puissance d’une vie indestructible.
17  Ce témoignage, en effet, lui est rendu: Tu es desservant pour l’éternité à la manière de Melkisédeq.
18  De fait, on a là, d’une part, l’abrogation du précepte antérieur en raison de sa déficience et de son manque d’utilité,
19  car la loi n’a rien mené à l’accomplissement, et, d’autre part, l’introduction d’une espérance meilleure, par laquelle nous approchons de Dieu.
20  Et dans la mesure où cela ne s’est pas réalisé sans prestation de serment-car s’il n’y a pas eu prestation de serment pour le sacerdoce des autres,
21  pour lui il y a eu le serment prononcé par celui qui a dit à son intention: Le Seigneur l’a juré et il ne reviendra pas sur cela: Tu es desservant pour l’éternité,
22  dans cette mesure, c’est d’une meilleure alliance que Jésus est devenu le garant.
23  De plus, les autres sont nombreux à être devenus desservants, puisque la mort les empêchait de rester;
24  mais lui, puisqu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce exclusif.
25  Et c’est pourquoi il est en mesure de sauver d’une manière définitive ceux qui, par lui, s’approchent de Dieu, puisqu’il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
26  Et tel est bien le grand desservant qui nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux.
27  Il n’a pas besoin, comme les autres grands desservants, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même.
28  Alors que la loi établit grands desservants des hommes qui restent déficients, la parole du serment qui intervient après la loi établit un Fils qui, pour l’éternité, est arrivé au parfait accomplissement.


Pas de supériorité du christianisme sur le judaïsme, pas de supériorité d’un rite sur autre, ou d’une loi sur une autre, pas de remplacement d’une alliance temporelle par une autre alliance ultérieure. Rien de tout cela dans ce texte que l’on a pourtant investi de ce genre de significations !

Le retour au contexte est donc indispensable. Une seule religion biblique, alors : le judaïsme, qui est la seule religion des lecteurs de l’Épître.

Un sacerdoce, celui d’Aaron, dans la tradition lévitique, dont l’office est menacé par la menace sur le Temple, sa destruction, avérée ou imminente. Face à cela, l’Épître est une épître de consolation, adressée aux juifs « hébreux », c’est-à-dire, dans le vocabulaire de la diaspora, la religion de ceux qui vivent en Palestine (cf. Actes 6, v. 1) ; Épître adressée, sa théologie n’en laisse pas de doute, par un juif « helléniste », ceux de la diaspora, vivant probablement en Italie (cf. ch. 13, v. 24) — Rome ?

La théologie des « hellénistes », la théologie judéo-hellénistique, est élaborée dans la mouvance de la ville grecque d’Alexandrie, en Égypte — on en connaît le maître : Philon d’Alexandrie. Cette théologie est fortement marquée par une tendance à transposer les données historiques d’un texte vers une signification spirituelle.

L'Épître aux Hébreux relève de cette théologie. Ici la transposition tourne autour de la signification du Tabernacle décrit dans la Torah. Le Tabernacle historique, devenu historiquement le Temple, est voué à présent à une destruction imminente, ou déjà avérée. La consolation face à cela proposée par l’Épître repose sur sa théologie de la transposition : le Temple historique est passager, comme tout ce qui est historique, serait-ce religion ou rite. Le rite du Temple repose sur une succession sacerdotale dans la lignée lévitique d’Aaron, signe s’il en est de la dimension passagère de cela-même !

Que l’on se rassure, ce rituel historique, à présent menacé, n’en a pas moins une signification éternelle : le Tabernacle visible, devenu le Temple, est l’image, le symbole du vrai Tabernacle, céleste. Vocabulaire symbolique lui aussi, on le comprend. La verticalité visible du regard se portant vers les cieux signifie une autre verticalité, vers les réalités spirituelles : évidemment le Tabernacle céleste n’est pas à chercher dans une géographie céleste — dans l’espace intersidéral ! De même que lorsque l’on parle des réalités spirituelles en termes de profondeur et d’intériorité — le cœur : évidemment, il ne s’agit pas d’une intériorité matérielle ! À l’intérieur physique, il n’y a que des organes physiques, le cœur est une pompe ! L’intériorité ainsi désignée est celle d’une épaisseur « métaphysique », pas « physique ». La comparaison la plus significative serait peut-être celle qui réfère à la mémoire : on perçoit bien qu’il y a un passé, que l’on a un passé, « présent » et agissant « quelque part » en nous, en « profondeur ». Il serait vain de le chercher corporellement ! Il en est de même, donc du Tabernacle céleste ; au-delà de tout ce qui nous est accessible, ou au cœur le plus intime de notre intimité, cœur de la présence de Dieu, au-delà des zones accessibles de notre mémoire. Cœur mystérieux de nos êtres… Origine de notre Création. Préexistence. C’est là que s’opère la rencontre de Dieu. C’est là le cœur très saint du Tabernacle. C’est de ce cœur mystérieux de toutes choses que vient le Christ, pour nous rencontrer dans notre humanité et notre mortalité.

Tel est le cœur de l’Alliance, le cœur de la signification du rite, symbolisé par la référence à Melkisédeq concernant le sacerdoce messianique annoncé par le Psaume 110 — Melkisédeq devenu symbole de la signification éternelle du rite. On n’est plus dans l’histoire où évoluent tant Aaron et ses descendants, que les lecteurs, et l’auteur, de l’Épître.

Tel est le sens de ce serment de Dieu : « Le Seigneur l’a juré et il ne reviendra pas sur cela : Tu es desservant pour l’éternité ». Voilà qui est appliqué à Jésus en fonction de la foi à sa résurrection qui signe son existence éternelle. En sa seule œuvre d’Incarnation s’est ainsi opérée une œuvre éternelle, signe d’Alliance éternelle, d’une grâce et d’un pouvoir d’intercession inaccessibles à l’usure du temps et de l’Histoire.


RP
Une lecture de l’Épître aux Hébreux

Étude biblique 2013-2014
Église protestante unie de France / Poitiers
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
4) Mardi 7 & jeudi 9 janvier 2014
III. Grand prêtre/desservant éternel : 5,11 – 7,28 (PDF)
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