Animée par le Conseil régional ERF en PACCA
Quand on m’a proposé d’aborder la question qui nous est posée — « l’Église est-elle une entreprise comme les autres ? » — sous un angle ecclésiologique et théologique, j’ai été fort tenté d’inverser la proposition : « notre (petite) entreprise est-elle une Église comme les autres ? »…
Cet angle, ecclésiologique et théologique, renvoie à mon sens à un moment ou à un autre à la notion assez classique, mais importante en théologie réformée, d’Église invisible.
Dans son histoire, la tradition réformée a perçu cette notion-là d’une façon telle qu’elle relativise ipso facto l’Église historique, qui n’a en principe pas d’autre ambition que d’être une humble expression de l’Église invisible. Celle-là seule est au fond concrètement universelle — tandis que « notre communauté de… en est pour nous le visage immédiat », comme le dit une des prières d’intercession de nos liturgies, proposée à l’occasion des baptêmes.
C’est une Église comme les autres, du coup, que notre Église, avec cette caractéristique de se vouloir encore plus comme les autres qu’un certain nombre d'autres, qui semblent parfois laisser penser qu’elles sont un peu plus que les autres, expression, voire réalisation exclusive, de l’Église universelle !
Nous voilà donc avec comme revendication la participation à une communauté humaine, trop humaine sans doute, et du coup en proie à la tentation de se prendre pour une entreprise comme les autres !… Et comme les autres dotée du meilleur système de fonctionnement, que les autres devraient — tout de même — nous envier !
C’est ainsi que nous nous retrouvons d’emblée au cœur d’un paradoxe, où sous le prétexte de l’humilité de notre système d’Église, on est tenté de succomber à ce comble de l’humilité qui professe : en matière d’humilité, nous sommes imbattables, nous surpassons tout le monde !
Et du coup, nous voilà embarqués à défendre bec et ongles notre système, dit « presbytérien synodal », quand il est largement système « 1905 » de la République française, qui n’existait pas au XVIe siècle… ni même au temps du Nouveau Testament…
Notre système remarquable risque ainsi paradoxalement de devenir l’objet de notre proclamation, quand précisément, il est un système contingent, censé être le plus efficace pour proclamer une parole qui le précède infiniment, la parole qui fonde nos êtres…
Ne doutant pas de la pertinence du système presbytérien synodal, je propose cependant, et justement, qu’on essaie de ressaisir sa pertinence, qui est précisément de ne pas perdre son efficacité en s’auto-contemplant. C’est là que j’en viens au texte biblique, en regard duquel les réformateurs ont proposé la mise en perspective de l’Église historique en regard de l’Église invisible. Un thème souligné de façon saisissante par l’Épître aux Éphésiens.
Éphésiens 1
9 Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le projet bienveillant qu'il s'était proposé en lui,10 pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : récapituler tout dans le Christ, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre.
20 Il a mis en œuvre dans le Christ [l'opération souveraine de sa force], en le réveillant d'entre les morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes,
21 au-dessus de tout principat, de toute autorité, de toute puissance, de toute seigneurie, de tout nom qui puisse se prononcer, non seulement dans ce monde-ci, mais encore dans le monde à venir.
22 Il a tout mis sous ses pieds
et l'a donné comme tête, au-dessus de tout, à l'Église
23 qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous.
Éphésiens 2
12 Vous étiez [auparavant] sans Christ, sans droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde.
13 Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches, par le sang du Christ.
19 Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des exilés ; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la maison de Dieu.
20 Vous avez été construits sur les fondations constituées par les apôtres et prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l'angle.
21 C'est en lui que toute construction bien coordonnée s'élève pour être, dans le Seigneur, un sanctuaire saint.
22 C'est en lui que, vous aussi, vous êtes construits ensemble pour être une habitation de Dieu, dans l'Esprit.
Éphésiens 3
4 Vous pouvez comprendre l'intelligence que j'ai du mystère du Christ — poursuit Paul, donné comme l’auteur de l’Épître.
5 Ce mystère n'avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations comme il a été révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et prophètes :
6 à savoir que les nations, les non-Juifs, ont un même héritage, sont un même corps et participent à la même promesse, en Jésus-Christ, par la bonne nouvelle.
8 Cette grâce m’a été accordée d'annoncer aux nations, comme une bonne nouvelle, la richesse insondable du Christ
9 et de mettre en lumière pour tous la réalisation du mystère caché de tout temps en Dieu, le créateur de tout ;
10 afin que la sagesse de Dieu, dans sa grande diversité, soit maintenant portée, par l'Église, à la connaissance des principats et des autorités dans les lieux célestes
11 selon le projet éternel qu'il a réalisé en Jésus-Christ, notre Seigneur.
Ayant posé ces préalables, l’Épître poursuit en parlant de choses très concrètes par lesquels ces réalités de la foi se manifestent en ce temps-ci en termes d’éthique. En parlant aussi de choses qui indiquent que cet idéal reste différé quand persistent les modes de fonctionnement de la société du temps — avec des conseils malgré tout bien conventionnels, concernant la domesticité, par exemple.
L’Église historique en devient pierre d’attente du Royaume dont l’Église invisible figure les prémisses.
Pierre d’attente d’un jour du salut différé depuis l’énonciation de la promesse, donnée à Abraham, et allant dans l’histoire de rebondissements en rebondissements, dont celui que souligne l’Épître aux Éphésiens est l’élargissement de l’Alliance à toutes les nations — comme dévoilement d’un mystère dont l’origine précède la fondation du monde.
Rebondissement et pierre d’attente d’un Royaume différé, dont l’Épître aux Hébreux parle ainsi — Hébreux 4, citant le Psaume 95 :
7 Il institue encore un jour — « aujourd'hui » — en disant bien longtemps après [l’Exode, au Ps 95,] par David, comme il a été dit plus haut : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, ne vous obstinez pas.
8 En effet, si Josué leur avait donné le repos, il n'aurait pas, après, parlé d'un autre jour.
Le temps et l’histoire se déploient face à un mystère qui précède infiniment l’Église historique et toutes ses expressions, du livre de Josué à nos jours, et qui fonde la conviction des réformateurs selon laquelle l’organisation de l’Église relève de telle ou telle culture, et est vouée au service de la parole qui la précède et la fonde.
D’où le système presbytérien synodal qui s’est en général imposé pour sa souplesse et sa fonctionnalité. Où donc, il serait mal venu d’en faire une espèce d’organisation qui aurait toutes les caractéristiques d’un conseil administration d’entreprise, mais relevant de l’idéal tout de même.
Évidemment, cela va sans dire, mais bien sûr cela va mieux en le disant, pour ne pas le perdre de vue : cet organisme-là n’existe que pour délivrer en paroles et en actes un message qui le précède et le fonde, et qui est appelé à voir son véhicule historique — ses véhicules historiques, que sont les Églises et leurs organisations, disparaître pour laisser place à la plénitude du Règne de Dieu dont l’Église invisible est prémisse.
Et, il s’agit aussi de ne pas le perdre de vue non plus, ce jour est toujours en attente — on a entendu le rappel de l’Épître aux Hébreux : c’est toujours aujourd’hui, ce jour-là…
Où l’Église est toujours appelée à sa propre dépossession pour être fidèle à ce pourquoi elle est envoyée. C’est là que se fonde ce que revendique si haut l’Église réformée : être humaine, à la limite trop humaine, parce qu’elle et son humanité n’ont pas leur source en elle-mêmes.
Peut-être sommes-nous trop tentés de l’oublier, et d’oublier par là-même que notre renouveau toujours à l’ordre du jour n’a pas sa source en nous-mêmes.
RP
Sanary, 6.03.10
Sanary, 6.03.10