« Je crois [...] la rémission des péchés »
« Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. »
Les formules brèves des credo sur ce point s’axent sur le mot « remissio ». Au premier sens le mot latin désigne le relâchement d’un captif, la libération, le renvoi libre. Au plan juridique le mot connote remise de peine, non-application de la peine.
La rémission des péchés peut donc être comprise comme non-application de la peine due aux péchés, aux fautes commises (ce qui n’est pas acquittement : ici la faute est bien réelle) et aussi la libération à l’égard de puissance asservissante de la captivité au péché comme source de la pratique des péchés (cf. Jean 20, 23 et l’annonce de la parole libératrice par laquelle : « ceux à qui vous remettrez les péchés ils leur ont été remis, ceux pour qui vous les soumettrez ils leur ont été soumis »).
Il y a là quelque chose de l’ordre de l’extraction d’un état (le péché), source d’actes coupables (les péchés) : la mention du baptême par Nicée-Constantinople connote la dimension de la grâce : une parole de grâce, celle donnée au baptême, induit la rémission des péchés. Une parole donnée dans un geste qui répercute un don qui le précède : le baptême ecclésial est le signe d’un baptême octroyé par Dieu seul, le baptême en Christ, le baptême dans l’Esprit saint.
Voilà qui pose la rémission des péchés comme extraction d’une captivité, comme renvoi libre ; et (avec la connotation juridique du mot) comme fruit d’une justification : justifiés par la foi, selon le mot de Paul reprenant la Bible, notamment les Psaumes.
« Être justifié » ne signifie pas « être rendu juste », mais « être déclaré juste ». C’est Luther et la Réforme qui mettent en lumière tout le sens de la justification, en parlant de justification « forensique », « étrangère », « extérieure », de ce mot qui a donné en français « forain », c'est-à-dire, extérieur, étranger, venu d'ailleurs. De même, la justification selon la Bible, expliquaient Luther et les Réformateurs, nous est étrangère, elle nous vient d'ailleurs, elle ne nous est pas « grâce infuse » : nous ne sommes pas justes en nous-mêmes. Dieu nous déclare juste, par grâce, par faveur, c'est-à-dire gratuitement. Cette justice qui n'est pas nôtre, qui est celle du Christ seul, est donnée gratuitement à notre seule foi. Nous sommes donc déclarés justes (ce que nous ne sommes pas en nous-mêmes mais en Christ seul) — et non pas rendus justes en nous-mêmes, ce qui serait désespérant, puisqu'il nous faudrait sans cesse mesurer notre justification à nos œuvres de justice pour savoir si nous sommes réellement justifiés.
La justification, pour déclarative, n’est pas pour autant fictive ! La justice du Christ nous est réellement donnée, avec ce qu’elle induit de pouvoir de libération réelle. La source n’en est pas moins en permanence extérieure à nous-même, en Christ seul. Nous sommes déclarés justes par la seule grâce de Dieu, sa faveur, et nous recevons cette grâce gratuite, par notre seule foi.
La réalité de la justification déclarative a été la source du malentendu entre Rome et la Réforme, Rome ayant entendu « déclaratif » comme fictif ! Comme si Dieu nous regardant comme justes ne bouleversait pas par là tout notre être. Simplement, cela ne conditionne pas l’acte de Dieu. Cette conviction est celle que Luther présente au pape Léon X (auquel il dédicace son Traité de la Liberté du chrétien), comme pour un appel face aux prédicateurs d’indulgences. Car à ce point l’histoire des indulgences n’est pas une caricature. La vente d’indulgences est bien un effet pervers de l’idée de « grâce infuse » — à l’inverse de « forensique ». Effet pervers, dont Luther dans un premier temps, attend du pape qu’il le condamne.
Les adversaires de Luther vont s’attacher à voir une opposition indue, un dilemme — qui n’aurait pas lieu de d’être —, entre la foi et les œuvres !
C’est là ne pas entendre que pour l’Évangile reçu par Luther, la foi et les œuvres sont incommensurables. Si la grâce, la faveur de Dieu, que reçoit la foi produit des œuvres comme l’arbre produit du fruit (Traité de liberté du chrétien), le fruit se situe à un tout autre niveau que la grâce qui le produit ! La grâce donne le salut à la foi seule, les œuvres ne relèvent pas de la question du salut, mais de l’effet gratuit et de la reconnaissance. Les deux, foi et œuvres sont incommensurables — au point que, déjà juste en Christ, le chrétien que l’Esprit saint sanctifie n’en reste pas moins pécheur en lui-même — à la fois juste et pécheur, simul iustus et peccator.
La difficulté avec la « grâce infuse » est qu’elle risque concrètement de réduire à rien cette incommensurabilité ! De voir mesurer à la qualité des fruits la « quantité » de salut reçu ! Ce qui revient à ruiner la liberté de la foi (sans parler de la gratuité des œuvres). La liberté du chrétien se transforme alors en une inquiétude permanente, à la mesure des œuvres produites, avec un seul recours : l’octroi hiérarchique de la surabondance de mérites en possession de l’Église, seule détentrice de la grâce infusée via ses sacrements. La Réforme voit un autre sens au rôle des sacrements, comme au baptême mentionné dans le Credo de Nicée : le baptême est la répercussion ecclésiale d’une parole libératrice qui nous précède en Christ.
À ce point la libération qui est dans l’Évangile, celle de la grâce seule par la foi seule — sola gratia / sola fide —, proclamée au XVIe siècle par Luther, met en question l’édifice hiérarchique de l’Église romaine comme détentrice du salut.
Le système de canalisation de la grâce devient accessoire, voire superflu : la grâce est donnée immédiatement à la seule foi, à la seule confiance de celui qui se confie en Dieu.
Du chemin œcuménique a été fait depuis pour un déblocage sur la question de la justification, qui débouchera en 1999 sur l’accord d’Augsbourg, accord luthéro-catholique sur la justification, qui ouvre sur la possibilité d’une réception commune de la foi à la rémission des péchés.
R.P.
Une lecture protestante des Credo.
Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
7) 21 mai 2013 — La rémission des péchés
« Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. »
*
Les formules brèves des credo sur ce point s’axent sur le mot « remissio ». Au premier sens le mot latin désigne le relâchement d’un captif, la libération, le renvoi libre. Au plan juridique le mot connote remise de peine, non-application de la peine.
La rémission des péchés peut donc être comprise comme non-application de la peine due aux péchés, aux fautes commises (ce qui n’est pas acquittement : ici la faute est bien réelle) et aussi la libération à l’égard de puissance asservissante de la captivité au péché comme source de la pratique des péchés (cf. Jean 20, 23 et l’annonce de la parole libératrice par laquelle : « ceux à qui vous remettrez les péchés ils leur ont été remis, ceux pour qui vous les soumettrez ils leur ont été soumis »).
Il y a là quelque chose de l’ordre de l’extraction d’un état (le péché), source d’actes coupables (les péchés) : la mention du baptême par Nicée-Constantinople connote la dimension de la grâce : une parole de grâce, celle donnée au baptême, induit la rémission des péchés. Une parole donnée dans un geste qui répercute un don qui le précède : le baptême ecclésial est le signe d’un baptême octroyé par Dieu seul, le baptême en Christ, le baptême dans l’Esprit saint.
Voilà qui pose la rémission des péchés comme extraction d’une captivité, comme renvoi libre ; et (avec la connotation juridique du mot) comme fruit d’une justification : justifiés par la foi, selon le mot de Paul reprenant la Bible, notamment les Psaumes.
« Être justifié » ne signifie pas « être rendu juste », mais « être déclaré juste ». C’est Luther et la Réforme qui mettent en lumière tout le sens de la justification, en parlant de justification « forensique », « étrangère », « extérieure », de ce mot qui a donné en français « forain », c'est-à-dire, extérieur, étranger, venu d'ailleurs. De même, la justification selon la Bible, expliquaient Luther et les Réformateurs, nous est étrangère, elle nous vient d'ailleurs, elle ne nous est pas « grâce infuse » : nous ne sommes pas justes en nous-mêmes. Dieu nous déclare juste, par grâce, par faveur, c'est-à-dire gratuitement. Cette justice qui n'est pas nôtre, qui est celle du Christ seul, est donnée gratuitement à notre seule foi. Nous sommes donc déclarés justes (ce que nous ne sommes pas en nous-mêmes mais en Christ seul) — et non pas rendus justes en nous-mêmes, ce qui serait désespérant, puisqu'il nous faudrait sans cesse mesurer notre justification à nos œuvres de justice pour savoir si nous sommes réellement justifiés.
La justification, pour déclarative, n’est pas pour autant fictive ! La justice du Christ nous est réellement donnée, avec ce qu’elle induit de pouvoir de libération réelle. La source n’en est pas moins en permanence extérieure à nous-même, en Christ seul. Nous sommes déclarés justes par la seule grâce de Dieu, sa faveur, et nous recevons cette grâce gratuite, par notre seule foi.
La réalité de la justification déclarative a été la source du malentendu entre Rome et la Réforme, Rome ayant entendu « déclaratif » comme fictif ! Comme si Dieu nous regardant comme justes ne bouleversait pas par là tout notre être. Simplement, cela ne conditionne pas l’acte de Dieu. Cette conviction est celle que Luther présente au pape Léon X (auquel il dédicace son Traité de la Liberté du chrétien), comme pour un appel face aux prédicateurs d’indulgences. Car à ce point l’histoire des indulgences n’est pas une caricature. La vente d’indulgences est bien un effet pervers de l’idée de « grâce infuse » — à l’inverse de « forensique ». Effet pervers, dont Luther dans un premier temps, attend du pape qu’il le condamne.
Les adversaires de Luther vont s’attacher à voir une opposition indue, un dilemme — qui n’aurait pas lieu de d’être —, entre la foi et les œuvres !
C’est là ne pas entendre que pour l’Évangile reçu par Luther, la foi et les œuvres sont incommensurables. Si la grâce, la faveur de Dieu, que reçoit la foi produit des œuvres comme l’arbre produit du fruit (Traité de liberté du chrétien), le fruit se situe à un tout autre niveau que la grâce qui le produit ! La grâce donne le salut à la foi seule, les œuvres ne relèvent pas de la question du salut, mais de l’effet gratuit et de la reconnaissance. Les deux, foi et œuvres sont incommensurables — au point que, déjà juste en Christ, le chrétien que l’Esprit saint sanctifie n’en reste pas moins pécheur en lui-même — à la fois juste et pécheur, simul iustus et peccator.
La difficulté avec la « grâce infuse » est qu’elle risque concrètement de réduire à rien cette incommensurabilité ! De voir mesurer à la qualité des fruits la « quantité » de salut reçu ! Ce qui revient à ruiner la liberté de la foi (sans parler de la gratuité des œuvres). La liberté du chrétien se transforme alors en une inquiétude permanente, à la mesure des œuvres produites, avec un seul recours : l’octroi hiérarchique de la surabondance de mérites en possession de l’Église, seule détentrice de la grâce infusée via ses sacrements. La Réforme voit un autre sens au rôle des sacrements, comme au baptême mentionné dans le Credo de Nicée : le baptême est la répercussion ecclésiale d’une parole libératrice qui nous précède en Christ.
À ce point la libération qui est dans l’Évangile, celle de la grâce seule par la foi seule — sola gratia / sola fide —, proclamée au XVIe siècle par Luther, met en question l’édifice hiérarchique de l’Église romaine comme détentrice du salut.
Le système de canalisation de la grâce devient accessoire, voire superflu : la grâce est donnée immédiatement à la seule foi, à la seule confiance de celui qui se confie en Dieu.
Du chemin œcuménique a été fait depuis pour un déblocage sur la question de la justification, qui débouchera en 1999 sur l’accord d’Augsbourg, accord luthéro-catholique sur la justification, qui ouvre sur la possibilité d’une réception commune de la foi à la rémission des péchés.
R.P.
Une lecture protestante des Credo.
Église réformée de Poitiers.
Catéchisme pour adultes.
2012-2013.
Chaque 3e mardi du mois à 20 h 30.
7) 21 mai 2013 — La rémission des péchés
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