Vous savez tous que Jésus est né dans une crèche. Vous savez ce qu’est une crèche : c’est une mangeoire pour les animaux : bœufs, ânes, moutons… Une mangeoire dans une étable, avec de la paille : c’est le premier berceau de Jésus. Jésus a trouvé ce berceau-là parce qu’il n’y avait pas de meilleure place pour lui. Pas de maternité, pas de place à l’hôtel, rien… Mais que d’honneur pour les gens de la ferme qui ont ouvert cette étable !
Mais, connaissez-vous l’origine de cette ferme avec son étable et sa crèche ?…
*
Sous le règne du sage roi Salomon, vivait dans une petite maison au bord de la mer, une pauvre veuve. Son mari était mort depuis longtemps, ses enfants s’étaient dispersés dans le monde, elle vivait seule. Du matin au soir, pour vivre, elle réparait les filets des pêcheurs. Elle ne gagnait pas beaucoup, juste assez pour n’avoir pas faim et mettre de côté un peu de farine pour l’hiver, lorsque la pluie et le vent empêchaient les pêcheurs de prendre la mer.
Une année, l’hiver fut plus long que d’habitude. D’immenses vagues agitaient la mer et les pêcheurs ne pouvaient s’embarquer. Aucun n’ayant donc besoin de faire recoudre ses filets, la réserve de farine de la pauvre femme diminuait de jour en jour. Lorsqu’il ne lui resta même plus assez pour se faire une galette, elle alla chez l’homme le plus riche du village.
– Que veux-tu ? demanda-t-il.
– J’ai faim, répondit la femme. Donne-moi s’il te plaît un peu de farine, pour que je survive à ce rude hiver.
– J’aimerais t’aider, fit le riche, mais je viens de vendre tous mes sacs. J’ai gardé juste ce dont j’ai besoin pour moi et pour ma famille. Mais si la farine qui reste sur le plancher du grenier peut te contenter, prends-la sans te gêner…
La femme le remercia, balaya soigneusement le grenier et, tout heureuse, rapporta chez elle un petit sac de farine. Elle alluma tout de suite le feu dans le four, elle pétrit la pâte, qu’elle mit au four, et en ressortit bientôt trois belles miches de pain bien dorées. Le jour s’achevait et, comme la femme n’avait pas mangé depuis le matin, elle avait grand faim.
Elle prit un pain, et allait le bénir et s’en couper une bonne tranche, lorsqu’un inconnu frappa à sa porte. Il était habillé de vieux vêtements troués et parlait avec peine, semblant épuisé.
– Brave femme, dit-il, donne-moi quelque chose à manger. Je suis un marchand, mais des brigands m’ont attaqué sur la route et m’ont pris toute ma fortune ; ce n’est que de justesse que j’ai pu sauver ma vie. Je n’ai pas mangé depuis longtemps, je suis à bout de forces.
À peine l’étranger eut-il fini de parler que la femme lui offrit son premier pain :
– Prends cette miche, lui dit-elle, et que Dieu soit avec toi.
L’homme la remercia et sortit. « Il avait plus besoin de pain que moi », pensa la femme. « D’ailleurs, il m’en reste encore deux. »
Elle alla chercher la seconde miche, mais à ce moment, quelqu’un frappa à la porte de nouveau. En ouvrant, la femme aperçut sur le seuil un autre voyageur encore plus pitoyable.
– Brave femme, dit l’étranger avec difficulté, ma maison vient de brûler entièrement. En une nuit, je suis devenu pauvre. J’ai échappé aux flammes, mais je meurs de faim. Comme tu le vois, je peux à peine marcher. Je t’en prie, ne me laisse pas partir sans nourriture.
Cette fois encore, la femme n’hésita pas. Elle donna à l’étranger le second pain, en lui souhaitant bonne chance, et retourna à la table pour se mettre elle-même à manger. « Ce pauvre aussi était plus affamé que moi », pensa-t-elle. « Heureusement que j’ai cuit trois miches. »
Sans plus attendre, elle prit le dernier pain, mais n’eut pas le temps de le bénir, qu’un vent violent se levait derrière les fenêtres. Il fit le tour de la maison, renversa brusquement la porte et, avant que la femme ait pu réagir, lui arracha le pain des mains, et l’emporta vers le large dans un tourbillon.
La malheureuse fondit en larmes : – Pourquoi, vilain vent, es-tu si cruel ? fit-elle pleine d’amertume. J’ai donné deux pains aux pauvres, et quand je veux manger moi-même, tu me prends le dernier morceau. Que veux-tu que la mer fasse de mon pain ?
La femme ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle essayait de se rappeler si elle n’avait pas fait de tort à quelqu’un, mais sa conscience ne lui reprochait rien et, quoiqu’elle réfléchît, elle ne trouvait pas la raison de ce châtiment. Lorsqu’à l’aube le soleil se leva, elle décida d’aller porter plainte contre le vent auprès du roi Salomon. « Salomon est l’homme le plus sage au monde, se dit-elle, nul autre ne peut juger cette querelle avec le vent. »
Salomon écouta la femme attentivement, réfléchit, puis, se laissant la journée pour prononcer son jugement, lui dit :
– Si tu veux demander justice au vent, il te faut patienter jusqu’au soir, où je l’appellerai. Il doit être présent au tribunal et je ne peux le déranger en ce moment, quand il enfle les voiles des navires marchands. Reste ici en attendant son retour, je vous jugerai ensuite.
Trois commerçants virent alors s’agenouiller devant le trône royal:
– Roi d’Israël, dirent-ils, permets-nous de te demander un geste de miséricorde. Accepte de nous sept mille pièces d’or et donne-les à un pauvre.
– Qu’est-ce qui vous amène à une telle action ? demanda Salomon.
– L’amour de Dieu pour nous et notre reconnaissance pour Ses bienfaits, répondit le marchand le plus âgé. Un instant, mon roi. Je vais t’expliquer.
Il se tourna vers un coffre plein d’or et dit :
– Les sept mille pièces d’or que voici représentent exactement le dixième de la valeur de notre cargaison. Alors que nous approchions de la côte de ton royaume, une tempête se déchaîna. Les vagues jetaient notre bateau de tout côté comme un petit morceau de bois, et nous perdîmes notre cap. Puis une fissure se fit sur le flanc du navire. Bien qu’elle ne fût pas grande, celui-ci prenait l’eau de plus en plus, et c’est sans résultat que nous cherchâmes, au milieu de ce cataclysme, quelque chose pour boucher le trou. Dans notre désespoir, nous priâmes Dieu en faisant le serment de donner aux pauvres un dixième de la valeur de notre chargement, si nous sortions vivants du danger. Et bientôt l’orage s’apaisa. Les vagues se calmèrent et nous abordâmes en toute sécurité. Lorsque nous fîmes le calcul du dixième de la valeur de notre cargaison, nous trouvâmes exactement sept mille pièces d’or. Voilà cette somme : partage-la entre les pauvres, comme tu le jugeras bon.
– Je ferai volontiers ce que vous demandez, répondit Salomon ; mais une chose n’est pas claire. Vous avez dit qu’une fissure était apparue sur le flanc de votre bateau. Or un navire qui fait eau coule à pic, même sur la mer la plus calme, alors que vous, vous n’avez pas sombré. Quelle explication donnez-vous à cela ?
À ces mots, le marchand fouilla dans son manteau et en ressortit un pain déformé, tout gonflé d’eau.
– Cet objet fut soudain apporté par un tourbillon de vent qui, d’un coup violent, le colla sur le flanc du bateau, bouchant la fissure : c’est cela qui nous a sauvés, expliqua-t-il.
Salomon sourit :
– Il me semble que ce pain qui vous a tant aidés vient de retrouver son propriétaire, fit-il. Et, se tournant vers la femme, il ajouta :
– Reconnais-tu cette miche de pain ?
Étonnée, elle répondit :
– Mais oui, c’est justement la miche que le vent m’a arrachée.
– Dans ce cas, les sept mille pièces d’or t’appartiennent, reprit Salomon. Dieu n’a pas oublié sa servante et il a ordonné au vent de ne plus te laisser dans la misère. Tu voulais accuser le vent, parce qu’il t’avait fait du tort, mais ce qui te semblait être un malheur est à présent une joie. Désormais, tu ne manqueras plus de rien.
La nouvelle de cette histoire se répandit dans tout le royaume, et chacun loua la justice de Dieu et la sagesse de Salomon, roi d’Israël. (D’après Contes juifs, éditions Gründ)
*
Mais… savez-vous ce que fit cette femme de ses sept mille pièces d’or ? Elle ne resta pas dans sa cabane au bord de la mer. Enrichie du fait de la sagesse de Salomon, elle se souvint que le père de Salomon, le roi David, de qui viendrait le Messie, venait du village de Bethléem, ce qui veut dire « la maison du pain ». Elle décida donc d’y acheter une ferme, où elle puisse élever des animaux, cultiver du blé pour faire du pain, en faire une auberge où accueillir tous ceux qui en manqueraient… Cette ferme subsista avec son étable, jusqu’au jour où Joseph et Marie y trouvèrent abri, au chaud, de sorte que c’est là que naquit Jésus, arrière arrière arrière… petit fils de Salomon.
RP, Veillée de Noël, Poitiers 24/12/17
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