vendredi 27 juin 2025

À propos de la Confession de foi de La Rochelle




Introduction : de 1559 à 1571. De Calvin à Théodore de Bèze

La Confession de foi de La Rochelle nous situe entre 1559 – synode de Paris qui en propose le texte — et 1571 — synode de La Rochelle qui la ratifie et donne son nom à la Confessio gallicana. Entre ces deux dates, l'espérance de Calvin : l’adhésion de la France à la Réforme, et le constat de Théodore de Bèze : cela n’aura pas lieu…

On s'arrêtera sur cinq points de la Confessio gallicana, cinq points qui ont initié des questions qui valent jusqu’à aujourd’hui : la théologie naturelle, la prédestination, la Sainte Cène, les ministères, la relation aux pouvoirs.


1) Théologie naturelle (art. 1)

L’Article 1 adhère à la théologie naturelle. “Nous croyons et confessons qu’il y a un seul Dieu, qui est une seule et simple essence, spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible, ineffable, qui peut toutes choses, qui est toute sage, toute bonne, toute juste, et toute miséricordieuse.”
La légitimité calvinienne de cet article ne pose pas problème au temps de la Réforme et après, mais sera contestée par les barthiens en regard de l’usage dévoyé qu’a fait l’Allemagne nazie de la théologie naturelle. Les barthiens, dans le contexte nazi, considèrent que confesser Dieu de manière abstraite et universelle a permis à certaines Églises de se compromettre avec le nazisme. Ils plaident pour une confession centrée sur la révélation en Jésus-Christ, seule capable de résister à toute instrumentalisation politique de la foi.
Pour les barthiens, l’article 1 de la Confession de La Rochelle, en restant sur le terrain d’une théologie naturelle ou universelle, ne protège pas suffisamment l’Église contre la récupération politique du discours religieux.
Cette critique se manifeste dans la Déclaration de Barmen (1934), dont Barth est le principal rédacteur. Ce texte affirme que la Parole de Dieu en Jésus-Christ est l’unique autorité de l’Église, rejetant toute tentative de subordonner la foi à une idéologie ou à l’État.
Dans le contexte nazi, Dieu doit être reconnu comme le Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ, et qui se distingue radicalement de toute divinité nationale ou idéologique et ne doit pas être défini par des concepts philosophiques généraux. Seule une confession centrée sur la révélation biblique, et non sur des attributs abstraits, permet de résister à la tentation d’identifier Dieu avec une cause politique ou nationale.

Mais avant ces dérives ultérieures, datant du XXe s., au contraire le droit naturel de l'État de droit se fonde sur le lien qui est fait entre la nature (et la théologie naturelle) et la cité.
On est proche de la scolastique, et de Thomas d’Aquin.
La différence entre Calvin et Thomas d'Aquin tient dans le fait que Calvin n’utilise pas Aristote. Théodore de Bèze, lui, en reprend la logique. Les trois relisent la nature en regard de leur augustinisme commun.

Pensons aussi à Pascal, dont Les Provinciales ont été traduites en anglais par le puritain John Milton, secrétaire d'État de Cromwell, qui en espère une proche autonomie gallicane en France (il y aurait une réflexion à conduire sur le relai janséniste vers la Révolution française, souligné par Jacques Attali dans son Pascal ou le génie français) : “La Loi, écrit Pascal, n’a pas détruit la nature, mais elle l’a instruite. La grâce n’a pas détruit la Loi mais elle la fait exercer.” (Pensées, éd. Sellier, fragment 754.) En parallèle, Thomas d’Aquin : “gratia non tollit naturam sed perficit.”


2) Prédestination (cf. art. 12)

Pour poser la question de la prédestination, une citation :
« De même que la prédestination est une part de la providence à l’égard de ceux qui sont ordonnés par Dieu au salut éternel, la réprobation à son tour est une part de la providence à l’égard de ceux qui manquent cette fin. D’où l’on voit que la réprobation ne désigne pas une simple prescience ; elle y ajoute quelque chose selon la considération de la raison […]. Car de même que la prédestination inclut la volonté de conférer la grâce et la gloire, ainsi la réprobation inclut la volonté de permettre que tel homme tombe dans la faute, et d’infliger la peine de damnation pour cette faute. » (Thomas d’Aquin, Somme de théologie, I, qu 23, a 3, resp.)

Cette citation de Thomas d'Aquin pour dire que la prédestination, professée d’Augustin (et déjà Paul) à Luther et à Pascal, etc., n’est pas une originalité calvinienne !

La spécificité réformée est d’y fonder la certitudo salutis — la certitude du salut (cf. Confession art. 16-22. Art. 17 : “par le sacrifice unique que le Seigneur Jésus a offert en la croix, nous sommes réconciliés à Dieu pour être tenus et réputés justes devant lui ; parce que nous ne lui pouvons être agréables, ni être participants de son adoption, sinon d’autant qu’il nous pardonne nos fautes, et les ensevelit.”). Ce que la doctrine produit dans une perspective calvinienne, c’est une « libération théologique, psychique et politique » (termes d’Olivier Abel) : il y a en chacun de nous une réalité qui n’appartient qu’à Dieu, sur laquelle nul pouvoir humain ne peut agir. Cette doctrine, loin d’être oppressante, protège l’individu contre toute emprise extérieure, y compris ecclésiastique (contre la crainte du pouvoir ecclésial romain d’alors de priver du salut par l’excommunication) ou politique.

La prédestination ne conduit donc pas à l’indifférence ou à l’angoisse, mais à une attitude de confiance et de gratitude. La doctrine calvinienne (et déjà luthérienne) vise à délivrer de l’angoisse du salut personnel, pour se tourner vers la confiance (sola fide) en la grâce seule (sola gratia) et vers une vie active dans la reconnaissance. (Ce point a fait l’objet d’un contresens de Max Weber, relevé par nombre d’historiens et historiennes, comme Liliane Crété (Les Puritains : Quel héritage aujourd'hui ?, Olivétan, 2012, p. 54 & 57-58), qui précise que le capitalisme tel que le présente le sociologue se développe au contraire malgré le calvinisme ; ou Monique Cottret (cf. France culture, "Jansénisme, les racines du Tartuffe" - à 29 mn), qui parle d’une confusion à ne pas faire avec le jansénisme, qui lui peut produire l’angoisse en ne posant pas de certitudo salutis.)

Autre caractéristique de la fonction calvinienne de la prédestination, comme vis-à-vis du péché originel (cf. Confession art. 9-11) : fonder la nécessité de contre-pouvoirs, le péché originel soulignant l’incapacité de tous d’être sans faute, et la personne au pouvoir sans les fautes spécifiques au pouvoir, de la corruption à la tyrannie (cf. infra).


3) Sainte Cène (art. 36)

Concernant la sainte Cène, un des deux seuls sacrements (art. 35-38) avec le baptême (art. 35) : “Jésus-Christ nous [y] donne […] la propre substance de son corps et de son sang” (art. 36). Voilà une façon de dire qui pourrait nous sembler surprenante. On y lirait plutôt du Thomas d’Aquin, par ex. Eh bien c’est du Calvin, qui ne recule donc pas sur le mot “substance”, jugé par les modernes comme bien trop scolastique (comme le mot “essence” pour l’article 1 et l’art. 6 sur la Trinité) !

Le citation en entier : « Nous avons à confesser que si la représentation que Dieu nous fait en la Cène est véritable, la substance intérieure du sacrement est conjointe avec les signes visibles ; […] si avons-nous bien manière de nous contenter, quand nous entendons que Jésus-Christ nous donne en la Cène la propre substance de son corps et de son sang, afin que nous le possédions pleinement, et, le possédant, ayons compagnie à tous ses biens. […] Or nous ne saurions avoir aiguillon pour nous poindre plus au vif, que quand il nous fait, par manière de dire, voir à l'œil, toucher à la main, et sentir évidemment un bien tant inestimable : c'est de nous repaître de sa propre substance. » (Calvin, Petit traité de la sainte Cène — in Œuvres françaises de J. Calvin, Paris, Ch. Gosselin, 1842, p. 188-189)

La Confessio gallicana ne dit pas autre chose sur le fond, quand on y lit que Jésus-Christ “nous repaît et nous nourrit vraiment de sa chair et de son sang”, que, “par la vertu secrète et incompréhensible, il nous nourrit et vivifie de la substance de son corps et de son sang”. Cela alors que la Parole de Dieu s'incarnant en Jésus-Christ ne cesse pour autant de le déborder infiniment — ce qui, lors des controverses luthéro-réformées ultérieures, se verra taxé d’”extracalvinisticum”. C’est là une notion qui, de nos jours, prend un sens important dans le dialogue interreligieux : le logos divin n’est pas en la possession des chrétiens !


4) Les ministères

Triple ministère des “ordres majeurs” (art. 29-31) vs quadruple ministère (Calvin / Bucer).

La confession de la Rochelle, ne perdant pas de vue la visée d’une Église gallicane réformée, s’en tient au triple ministère des classiques “ordres majeurs” : évêques (intitulés surintendants - art. 32), prêtres, diacres. Simplement la Confessio gallicana, fidèle au constat mis en lumière par J.-J. von Allmen (Le saint ministère selon la conviction et la volonté des Réformés du XVIe siècle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968), d’une Église restituant aux prêtres la fonction pastorale trop souvent attribuée aux seuls évêques, met les pasteurs en premier, ce ministère attribué aux prêtres comme aux évêques (lesquels se distinguent pour une raison fonctionnelle, mais se retrouvant sans supériorité hiérarchique par rapport aux autres pasteurs), les diacres restant le troisième des ordres majeurs (et remis en place comme tels par le dernier synode de l’EPUdF tenu à Sète en mai 2025).

Le quadruple ministère, qui n'apparaît pas sous ces termes dans la Confession de la Rochelle mais qu'on peut y retrouver, parle de : pasteurs, enseignants, anciens, diacres, quadruple ministère que Calvin reprend à Bucer. Il se déploie dans une considération pratique qui se met en place dans une société réformée : les pasteurs sont chargés d’ouvrir sur la transcendance, par leur ministère de la parole, qui se concrétise par les sacrements ; les anciens sont responsables de la direction de l'Église dans la cité ; les docteurs de l'enseignement (pas uniquement théologique) ; les diacres des questions sociales. Ces ministères sont voués à se perpétuer au-delà de l'Église, dans la société. C’est ce qui est advenu via les révolutions puritaines et la laïcisation qui en est issue : la tâche des anciens, au-delà des conseils presbytéraux, est devenue celle de nos députés (dès la révolution anglaise) ; la tâche des docteurs/enseignants s’est déployée dans notre école laïque (connue, l’œuvre du protestant (libéral) Ferdinand Buisson) ; la fonction diaconale s’est déployée dans la sécurité sociale, les caisses de retraite, les hôpitaux (d'origine chrétienne et laïcisés). S’ouvre ici toute une mise en place de contre-pouvoirs.


5) Les pouvoirs (articles 39 & 40)

De Calvin (mort en 1564) à Théodore de Bèze : en 1561, Théodore de Bèze participe au colloque de Poissy, convoqué par Catherine de Medicis — et où la France a failli voir l’union ecclésiale se faire sur la base de la Confession d'Augsbourg (que Calvin comme Bèze avaient signée). Le colloque échoue. Théodore de Bèze en prend acte. Le vœu de Calvin de voir une Église gallicane réformée ne se concrétisera pas.

En 1574, Bèze rédigera Du droit des magistrats. On est après le synode de la Rochelle (1571) et après la Saint-Barthélemy (1572). Bèze développe alors une doctrine de la résistance légitime contre les autorités tyranniques. Il y affirme que, si une autorité civile outrepasse ses droits ou devient persécutrice, il peut être légitime pour les magistrats de s’opposer à elle, voire de la déposer.
Théodore de Bèze, tout en présidant à la ratification des articles 39 et 40 qui affirment l’obéissance à l’autorité civile, a aussi théorisé, dans Du droit des magistrats, la légitimité de la résistance à l’autorité lorsque celle-ci devient tyrannique ou persécutrice.

Cf. ici aussi Pascal (Second écrit sur la condition des Grands) : “Les grandeurs d’établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. […] Pourquoi cela ? Parce qu’il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l’établissement : après l’établissement elle devient juste, parce qu’il est injuste de la troubler”.

Bèze va plus loin que Calvin en admettant explicitement que le tyrannicide peut être justifié dans certains cas extrêmes (cf. plus tard Charles Ier d’Angleterre et la Révolution puritaine ; la forme de l’autorité, royale ou républicaine, est indifférente — art. 39. Plus significatif que la révolution puritaine quant à la résistance à l'oppression, on pense aussi, mutatis mutandis, à Bonhöffer se résolvant à joindre le complot contre Hitler). Mais Th. de Bèze rejette la possibilité d’un acte privé ou anarchique (comme ce sera le cas pour Henri III et Henri IV, assassinés parce que tolérant “l’hérésie” protestante). Le propos de Bèze est l’inverse ! Le tyran insupportable est l'intolérant, qu’il n’est de toute façon pas question d’assassiner. On a fait dire au Réformateur ce qu’il n’a pas dit, à savoir qu’il serait à l'origine de ce qui deviendra les assassinats politiques des rois Henri III et Henri IV. Total contresens, puisque s’il reconnaît aux magistrats le droit, voire le devoir, de s'opposer à un pouvoir oppresseur, fût-il le pouvoir du roi, il refuse catégoriquement aux personnes privées la possibilité de porter la main contre lui, parce qu’il est choisi par Dieu, il est l’oint de Dieu, cela par le biais du peuple : le prince n’est pas établi pour son propre intérêt, mais pour le bien de ses sujets. S’il abuse de son pouvoir, il n’est plus un prince mais un tyran. Si le roi agit en tyran, il perd son autorité légitime. Les sujets ont alors le droit, voire le devoir, de résister et de le déposer, mais pas comme personnes privées, et a fortiori pas de l’assassiner comme personnes privées. Et pour affirmer cela Bèze se fonde, comme Calvin, sur 1 Samuel 26, 10, où David refuse de tuer Saül pourtant à sa merci, disant : « c’est à l’Éternel seul à le frapper, soit que son jour vienne et qu’il meure, soit qu’il descende sur un champ de bataille et qu’il y périsse ».

RP, La Rochelle, 23 juin 2025

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