« Mystique », vocable suspect en protestantisme par ce qu’il semble évoquer :
- par exemple un particularisme dans la piété ; quelque chose de remarquable ou d’élitiste ; ou encore des exercices, voire avec usage d’objets visibles (genre chapelets, hosties, reliques ou autres) — autant d’évocations qui connotent aisément pour un protestant une religion d’œuvres et de calculs, dont précisément la Réforme a voulu libérer les croyants.
- Et plus fondamentalement : le vocable est suspect parce que, pour citer l’Évangile de Jean, « nul l’a jamais vu Dieu », ce qui, dans une perspective protestante, le rend inaccessible et donc interdit de concevoir quelque fusion essentielle (cf. Calvin vs Osiander, IC III, xi, 5). Des mots comme « divinisation » sont ainsi particulièrement mal perçus.
Cela dit, le cœur de la Réforme est justement dans l’Unio mystica (le terme est employé par Calvin en latin) au Christ (faisant connaître le Père), mais hors toute réalisation en soi d’une essence divine d’une part, et d’autre part au-delà de toute démonstration de piété.
Cette devise de la Réforme me semble résumer cela : « coram Deo sola fide vivere » — vivre devant Dieu par la foi seule. Cela fondant face à notre nécessaire humilité une justice qui nous est extérieure, étrangère (« forensique »), dévoilée en Christ qui a vécu devant Dieu, pour nous. Alors, ici se fait la jonction : par la communion au Christ, dans notre union à lui par l’Esprit de Dieu s’opère en nous cette vie nouvelle, naissance d’En haut par laquelle nous sommes dotés par adoption de ce que Jésus a vécu par nature.
On est alors au-delà des visions, et aussi des mots, qui ne sauraient atteindre Dieu : d’où la conviction que les dogmes, quelle que soit leur utilité — voire indispensable — ne sont pas une fin en soi. Au delà-des mots, on est aussi ipso facto au-delà des manifestations de piété.
Un Spener fondateur du « piétisme », était ainsi sans doute inévitable : auteur, en 1675, des Pia Desideria (d’où le nom « piétisme »), il a notamment écrit : « Il ne suffit pas, en somme, de s’occuper de l’homme extérieur seulement : cela, une éthique païenne peut le faire aussi. Mais nous devons poser les fondements dans les cœurs, solidement ; nous devons montrer que ce qui ne provient pas du cœur n’est qu’hypocrisie, et donc habituer les gens, premièrement à s’occuper de l’homme intérieur, à réveiller l’amour pour Dieu et pour le prochain par les moyens adéquats, et ensuite à agir sous l’impulsion de cela. »
« Le cœur », ou l’intimité indicible au fond de nous-même, indicible au point de nous y être comme étrangère. Quant aux manifestations extérieures, la seule qui vaille est le service du prochain. Toute spécification relevant de l’apparence est vécue comme hypocrisie. Ainsi un Kierkegaard, dans Crainte et tremblement, insistera sur le fait que ce qui caractérise le chrétien, c’est son apparence ordinaire justement, que rien ne permet de distinguer d’un autre, et cela parce qu’il tient son identité de Dieu seul : « coram Deo sola fide vivere ».
En cela Kierkegaard est dans la droite ligne de Luther, dont le traité De la liberté du chrétien prend soin d’entrée de distinguer l’homme intérieur et l’homme extérieur. Il est aussi dans la droite ligne de Calvin, et rejoint aussi le méthodisme et la tradition wesleyenne, cet héritage mondialement répandu du piétisme qui fondera tant d’œuvres sociales.
Ce qui est central est qu’un chrétien n’a rien à montrer ou à prouver, son identité vraie est devant Dieu. Et cela se traduit en un service qui, lui-même, ruine son sens s’il est ostentatoire. Ce service (ou diaconie) n’est pas facultatif. Il est le fruit que porte le sarment uni à son Cep, le Christ Fils de Dieu, et dont coule la sève. Mais s’il devient ostentatoire, il s’est réduit lui-même à une vanité, une forme d’hypocrisie.
C’est ainsi que les œuvres protestantes ont choisi de ne pas s’afficher. À titre d’exemple, les écoles protestantes sont devenues en 1905 des écoles laïques comme les autres. On pourrait en dire autant des fondations hospitalières protestantes diverses. On peut aussi, puisque c’est dans notre actualité penser à une œuvre comme la Cimade, dont la plupart ignorent qu’elle est protestante et que ses responsables sont en général des pasteurs.
Dans l’idéal, un protestant n’est pas original. Il adopte sans difficulté la culture dans laquelle il est placé — il tient son identité de Dieu seul, cela par son union au Christ, produite dans la communion, la vie partagée de l’Esprit saint.
Alors, si pour toutes ces raisons, le mot-même de « mystique » est suspect, c’est peut-être en soi un signe du fondement… « mystique » justement — étymologiquement « qui ne peut se dire » —, sous peine de n’être que vaine exhibition, — de la vie chrétienne protestante.
- par exemple un particularisme dans la piété ; quelque chose de remarquable ou d’élitiste ; ou encore des exercices, voire avec usage d’objets visibles (genre chapelets, hosties, reliques ou autres) — autant d’évocations qui connotent aisément pour un protestant une religion d’œuvres et de calculs, dont précisément la Réforme a voulu libérer les croyants.
- Et plus fondamentalement : le vocable est suspect parce que, pour citer l’Évangile de Jean, « nul l’a jamais vu Dieu », ce qui, dans une perspective protestante, le rend inaccessible et donc interdit de concevoir quelque fusion essentielle (cf. Calvin vs Osiander, IC III, xi, 5). Des mots comme « divinisation » sont ainsi particulièrement mal perçus.
Cela dit, le cœur de la Réforme est justement dans l’Unio mystica (le terme est employé par Calvin en latin) au Christ (faisant connaître le Père), mais hors toute réalisation en soi d’une essence divine d’une part, et d’autre part au-delà de toute démonstration de piété.
Cette devise de la Réforme me semble résumer cela : « coram Deo sola fide vivere » — vivre devant Dieu par la foi seule. Cela fondant face à notre nécessaire humilité une justice qui nous est extérieure, étrangère (« forensique »), dévoilée en Christ qui a vécu devant Dieu, pour nous. Alors, ici se fait la jonction : par la communion au Christ, dans notre union à lui par l’Esprit de Dieu s’opère en nous cette vie nouvelle, naissance d’En haut par laquelle nous sommes dotés par adoption de ce que Jésus a vécu par nature.
On est alors au-delà des visions, et aussi des mots, qui ne sauraient atteindre Dieu : d’où la conviction que les dogmes, quelle que soit leur utilité — voire indispensable — ne sont pas une fin en soi. Au delà-des mots, on est aussi ipso facto au-delà des manifestations de piété.
Un Spener fondateur du « piétisme », était ainsi sans doute inévitable : auteur, en 1675, des Pia Desideria (d’où le nom « piétisme »), il a notamment écrit : « Il ne suffit pas, en somme, de s’occuper de l’homme extérieur seulement : cela, une éthique païenne peut le faire aussi. Mais nous devons poser les fondements dans les cœurs, solidement ; nous devons montrer que ce qui ne provient pas du cœur n’est qu’hypocrisie, et donc habituer les gens, premièrement à s’occuper de l’homme intérieur, à réveiller l’amour pour Dieu et pour le prochain par les moyens adéquats, et ensuite à agir sous l’impulsion de cela. »
« Le cœur », ou l’intimité indicible au fond de nous-même, indicible au point de nous y être comme étrangère. Quant aux manifestations extérieures, la seule qui vaille est le service du prochain. Toute spécification relevant de l’apparence est vécue comme hypocrisie. Ainsi un Kierkegaard, dans Crainte et tremblement, insistera sur le fait que ce qui caractérise le chrétien, c’est son apparence ordinaire justement, que rien ne permet de distinguer d’un autre, et cela parce qu’il tient son identité de Dieu seul : « coram Deo sola fide vivere ».
En cela Kierkegaard est dans la droite ligne de Luther, dont le traité De la liberté du chrétien prend soin d’entrée de distinguer l’homme intérieur et l’homme extérieur. Il est aussi dans la droite ligne de Calvin, et rejoint aussi le méthodisme et la tradition wesleyenne, cet héritage mondialement répandu du piétisme qui fondera tant d’œuvres sociales.
Ce qui est central est qu’un chrétien n’a rien à montrer ou à prouver, son identité vraie est devant Dieu. Et cela se traduit en un service qui, lui-même, ruine son sens s’il est ostentatoire. Ce service (ou diaconie) n’est pas facultatif. Il est le fruit que porte le sarment uni à son Cep, le Christ Fils de Dieu, et dont coule la sève. Mais s’il devient ostentatoire, il s’est réduit lui-même à une vanité, une forme d’hypocrisie.
C’est ainsi que les œuvres protestantes ont choisi de ne pas s’afficher. À titre d’exemple, les écoles protestantes sont devenues en 1905 des écoles laïques comme les autres. On pourrait en dire autant des fondations hospitalières protestantes diverses. On peut aussi, puisque c’est dans notre actualité penser à une œuvre comme la Cimade, dont la plupart ignorent qu’elle est protestante et que ses responsables sont en général des pasteurs.
Dans l’idéal, un protestant n’est pas original. Il adopte sans difficulté la culture dans laquelle il est placé — il tient son identité de Dieu seul, cela par son union au Christ, produite dans la communion, la vie partagée de l’Esprit saint.
Alors, si pour toutes ces raisons, le mot-même de « mystique » est suspect, c’est peut-être en soi un signe du fondement… « mystique » justement — étymologiquement « qui ne peut se dire » —, sous peine de n’être que vaine exhibition, — de la vie chrétienne protestante.
RP, Réflexions préparatoires
en vue de la table ronde « Qui sont les mystiques ? »
organisée au Centre Universitaire Méditerranéen (CUM),
à Nice, le 4 juin 2009
en vue de la table ronde « Qui sont les mystiques ? »
organisée au Centre Universitaire Méditerranéen (CUM),
à Nice, le 4 juin 2009
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