vendredi 4 mars 2011

"Ne vous conformez pas au monde présent" (Romains 12,2)



Le cas de la Côte d’Ivoire au prisme du discours médiatique dominant…

« Quelque chose cloche à Abidjan ». C’est le titre d’un article de l’écrivain et journaliste Jean-Claude Guillebaud : « Les résultats électoraux ne sont pas si clairs que ça, affirme-t-il ; le jeu des grandes sociétés occidentales l'est encore moins. Quelque chose commence à se troubler dans le discours médiatique concernant la Côte d'Ivoire. »


D’autres expriment leur trouble de façon plus explicite encore.

Ainsi le célèbre écrivain béninois Olympe Bhêly-Quenum, citant le professeur de Droit Albert Bourgi : « Jamais dans l'histoire des relations franco-africaines, une crise n'aura soulevé autant de parti pris médiatico-politique en France que celle que vit la Côte d'Ivoire depuis bientôt une dizaine d'années. Aujourd'hui, comme hier en septembre 2002, lors du déclenchement d'une rébellion militaire ouvertement soutenue, voire totalement planifiée par un chef d'État voisin […] ».

Ou encore Gaston Kelman, auteur de plusieurs essais à succès : « Le désarmement de la rébellion [était le] préalable indispensable à la tenue d’élections fiables. La communauté internationale n’en a cure et [presse le président ivoirien] d’organiser les élections dans des conditions dont on sait qu’elles conduiront inévitablement vers une impasse. Les élections ont lieu. Au Nord, la rébellion est toujours armée. Le lendemain du deuxième tour [on s’accorde sur] la baisse de la participation par rapport au premier tour. On parle de 70%. Le même jour, un communiqué de […] la représentation armée des Nations Unies en Côte d’Ivoire fait état d’un taux de participation "avoisinant les 70%". Le jour après, miracle, le taux de participation fait un bond de sauteur à la perche et franchit la barre des 80%. La "communauté internationale" et l’ONUCI valident […]. [Les] élites françaises, la journaliste et l’intellectuelle, ne sont pas en reste. La presse tout entière [à de rares exceptions] relaie à l’envi [...] ».

Ce sont là les interrogations de trois écrivains, parmi tant d’autres. Sans écho ; comme sont tombées dans le silence ou ont été traitées par l’ironie celles de politiques français, à droite comme à gauche, de (entre autres) Philippe Évanno à Jean-François Probst ou à Roland Dumas, qui affirment avoir « les preuves » que le gagnant n’est pas celui qui a été proclamé tel par les médias de la « communauté internationale » !

Face à l’unanimité médiatique, le soupçon s’est alors fait jour. J.-C. Guillebaud cite le Talmud : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect »… Invitant à y voir de plus près… En deçà des raccourcis médiatiques : le président de la commission électorale, à quelques minutes de sa forclusion, annonçait à la Côte d’Ivoire n’avoir abouti à aucun résultat. Conduit le lendemain au QG d’un des deux candidats par les ambassadeurs de France et des États-Unis, il y annonce à une TV étrangère un chiffre qui sera repris en boucle par les médias… et validé par le représentant du secrétaire général de l’Onu, donnant ce candidat, A.D. Ouattara, vainqueur — avec un surplus de 10% de la participation par rapport à celle retenue la veille. Le chiffre annoncé ne sera pas ratifié par le conseil constitutionnel : l’organe suprême ivoirien proclame la victoire de l’autre candidat, L. Gbagbo… Mais le discours médiatique et politique dominant passe outre ou déconsidère, apparemment inaccessible au doute…

Sur cette base médiatique, pleuvent les menaces — militaires, économiques…, et les ultimatums, pour que Gbagbo se démette. Ce qui conduit… à discréditer son adversaire ! Déjà les oppositions du continent africain ont pris position en faveur de Gbagbo. Celui-ci en appelle à un recomptage des voix et à un examen des PV électoraux, démarche de plus en plus largement soutenue en Afrique… Mais que refusent obstinément ses antagonistes, jusqu’au secrétaire général de l’Onu qui juge qu’un recomptage serait… « injuste » (sic) !…

Des faits brouillés par une unanimité médiatique trop imperméable aux questions. Aux jours qui sont les nôtres, ceux des puissances médiatiques, nouvelles idoles, dans un monde trouble et confus, avec ses nombreux foyers d’instabilité —, l’exhortation de Paul, en vue de l’exercice de l’esprit critique face à tout discours ambiant trop unanime, revêt une criante actualité : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence » (Romains 12, 2).

R.P.
Paru dans Echanges n°359 mars 2011, p. 26


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