samedi 21 mars 2020

Libre confinement et poisson de Saint Pierre



Poisson appelé "Saint Pierre", étant comme marqué de chaque côté par un doigt de Pierre
peint par Nathalie Lemoine - Le Saint Pierre

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Audio (avec en musique de fond : Éric Serra - Le grand bleu) ici :



Matthieu 17, 24-27
24 Comme ils étaient arrivés à Capharnaüm, ceux qui perçoivent les didrachmes s’avancèrent vers Pierre et lui dirent : « Est-ce que votre maître ne paie pas les didrachmes ? » –
25 « Si », dit-il. Quand Pierre fut arrivé à la maison, Jésus, prenant les devants, lui dit : « Quel est ton avis, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôt ? De leurs fils, ou des étrangers ? »
26 Et comme il répondait : « Des étrangers », Jésus lui dit : « Par conséquent, les fils sont libres.
27 Toutefois, pour ne pas causer la chute de ces gens-là, va à la mer, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère. Prends-le et donne-le-leur, pour moi et pour toi. »

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Quelques chiffres d’abord : un statère égale deux didrachmes (soit deux doubles drachmes), prix de la taxe individuelle du Temple pour deux (l’équivalent, environ, d’un peu plus de 100 € par personne). Dans le poisson on trouve donc de quoi payer pile l’impôt de deux personnes, Jésus et Pierre.

Cette pratique remonte au livre de l’Exode (ch. 30, v. 13) : un demi-sicle pour la construction et l’entretien du Tabernacle. On la retrouve en 2 Chroniques 24, 6 et Néhémie 10, 32-33 pour la reconstruction du Temple.

Elle s’inscrit parmi les différentes pratiques financières de l’Israël biblique, dont la plus connue est la dîme, pratiquée scrupuleusement par les plus attentifs des fidèles : cf. Luc 18, 12 : « je paie la dîme de tout ce que je me procure », dit en silence devant Dieu le pharisien de la parabole. Matthieu 23, 23 mentionne « la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin » — cf. Lévitique ch. 27. Le prophète Malachie (ch. 3, v. 10) s’inscrit dans ce type de lecture de la Torah, alors unanime : « Apportez à la maison du trésor toutes les dîmes, Afin qu’il y ait de la nourriture dans ma maison ; Mettez-moi de la sorte à l’épreuve, dit le Seigneur Tsebaoth. Et vous verrez si je n’ouvre pas pour vous les écluses des cieux, Si je ne répands pas sur vous la bénédiction en abondance. »

*

Apparemment, Jésus estimerait qu’il n’y a pas lieu d’observer l’enseignement biblique sur ce point ?! Tirer du texte de Matthieu cette conclusion est aller un peu vite en besogne. Disons même qu’à y regarder de près le propos de Jésus relève précisément d’une exégèse stricte de la Torah et des Prophètes.

Le peuple à qui il est demandé des taxes est un peuple libre, et libéré politiquement par l’Exode : « je suis le Seigneur qui t’ai libéré du pays de l’esclavage » — première parole du Décalogue. Un peuple d’enfants du Roi, pour reprendre la formule utilisée par Jésus, et donc non soumis à l’impôt ! comme il le dit, dans une allusion, faite à travers son propos sur l’impôt du Temple, à la domination romaine.

Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit de ne pas contribuer à la vie cultuelle, et à la vie de la Cité en général. Au contraire. Mais pour les fils et les filles de la liberté octroyée par le Père, l’impôt est transformé en contribution pour laquelle le Père lui-même pourvoit (cf. supra Malachie et les écluses des cieux), comme en atteste le signe de la pièce dans le poisson, correspondant pile à la taxe du Temple. Libéré du pays de l’esclavage par l’Exode, on n’en n’est plus à une capitation, ou à un tribut imposé, selon la pratique de l’occupant romain aux non-citoyens que sont les peuples dominés.

Par son geste et ses paroles, Jésus témoigne donc de l’espérance du Royaume dont il est porteur, et dont les filles et fils du Roi, qui est le Seigneur lui-même, sont des hommes et des femmes libres, qui dans la liberté dont ils bénéficient, contribuent à la vie des institutions, passant peut-être aux yeux des « étrangers » à la liberté qu’ainsi ils ne scandalisent point pour de ces « étrangers » eux aussi. Ils n’en savent pas moins qu’ils sont libres et contribuent comme des hommes et des femmes libres. Peut-être est-ce la leçon de cet épisode qui fait dire à Paul : « payez les impôts. Car les magistrats sont des ministres de Dieu appliqués à cette fonction » (Romains 13, 6).

Ouverture universaliste d’une conviction enracinée dans l’Exode d’Israël, et élargie à toutes et tous : la citoyenneté universelle des hommes et des femmes libres, contribuant à la vie commune avec l’intelligence et la discrétion prônées ici par Jésus — comme s’il s’agissait d’un acte non-volontaire, pour ne pas les scandaliser.

En ces jours de quarantaine mondiale, le confinement peut ainsi devenir l’acte libre et citoyen de filles et fils du Seigneur qui nous libère de tous nos esclavages.





Éric Serra - Le grand bleu, Ouverture

2 commentaires:

  1. ne parlons pas de ma langue qui vit sans grammaire mais la tienne est très très belle et belle et bien libre. Merci et que ton propos vive longtemps.

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