lundi 23 mars 2020

Pandémie et crise de culpabilité



En ce temps de retrait, carême / quarantaine, les lectures proposées au quotidien par la FPF correspondent ces jours-ci aux textes de nos études bibliques / catéchisme adultes de Poitiers et Châtellerault…

Méditation ci-dessous
PDF ici
Audio (avec en musique de fond : Vangelis - Blade Runner Blues, puis Reve) ici :



L’actualité épidémique, dans son effroyable extension mondiale, nous expose, comme pour d’autres cas similaires dans l’histoire — nous le savons —, à des risques de théories du complot inventant des coupables imaginaires, mais aussi à des mises en cible de comportements irresponsables (il y en a certes, hélas) ; cela risquant de nous faire perdre de vue la menace concrète et comment y faire face…

Matthieu 18, 15-22
15  "Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.
16  S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.
17  S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église, et s’il refuse d’écouter même l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts.
18  En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel.
19  "Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.
20  Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux."
21  Alors Pierre s’approcha et lui dit : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? »
22  Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »

*

Ce texte s’insère entre la parabole des 99 brebis plus une — où le berger laisse 99 brebis pour en récupérer une seule qui s'est égarée (Mt 18, 12-14) — et la parabole du débiteur impitoyable, où un homme qui vient d’être soulagé de sa dette refuse de remettre celle qu’un autre a contracté envers lui (Mt 18, 23-35). Notre texte a tout d’une sorte de commentaire de la parabole qui le précède : le « frère qui a péché » comme la centième brebis qui retient toute l’attention du berger.

Un texte qui serait donc presque un manifeste contre la fermeture au pardon (telle celle du débiteur impitoyable présenté juste après) et dès lors contre l’exclusion (fût-elle symbolique) de tel ou tel coupable (ou supposé tel) : à exclure du groupe, de l’entreprise,… de l’Église, de la société des gens fréquentables, etc. Avouons que c’est une tendance tout humaine que de déclarer tel ou tel infréquentable. La pratique est commode. Elle permet de se défausser sur autrui qui a quand même l’air d’avoir plus à se faire pardonner que moi-même. Surtout si manifestement il a vraiment péché, comme dans l’hypothèse proposée par ici Jésus.

Alors Jésus, pour qui la centième brebis a un prix infini au regard du Père, va proposer une autre voie. Contre la tentation de pointer du doigt le fautif (pratique devenue normale dans les réseaux sociaux comme dans les talk shows, où autant de « toutologues » dévoilent à tous des coupables), Jésus propose d’éviter au maximum de faire du bruit autour de l’affaire : reprends seul à seul « ton frère qui a péché ». Remarquons déjà la dimension exagérée, presque ironique peut-être, de l’exemple choisi par Jésus : il n’évoque pas un tort partagé, ce qui est presque toujours le cas. Il donne le cas hypothétique où celui qui accuse serait parfaitement intègre : « si ton frère a péché » — sous-entendu : contre toi qui es pur !?…

Eh bien, même dans ce cas-là, dit Jésus, ne l’accable pas — ce qui serait pourtant possible, et qui est plutôt fréquent : on l’a noté, c’est commode, ça a la vertu de faire apparaître en contraste la pureté irréprochable de l’offensé, ou de l’accusateur. Non : « reprends-le seul à seul ». Il s’agit bien de la centième brebis, précieuse au point que cette première étape bien négociée a de fortes chances de fonctionner : « tu auras gagné ton frère », indique Jésus.

Mais allons-y au pire, envisage-t-il cependant : ton frère se comporte comme une bourrique. Alors, on connaît dans ce cas la procédure de la Torah — que Jésus cite : deux ou trois témoins. À cette étape on n’a pas encore convoqué la presse ! Mais pourtant déjà, l’offensé hypothétique a commencé à se faire partie civile, c’est-à-dire victime collective, victime représentative — peut-être le porte-parole des 99 brebis qui n’ont pas que ça à faire qu’attendre le retour du berger sous la menace du loup, de la nuit qui approche, de la menace pandémique peut-être…

Avec deux ou trois témoins, on est bien passé à une autre étape. Mais on n'en est pas à l'exclusion — qui manifestement n’enthousiasme pas Jésus qui en évoque la coutume. Certes, celles et ceux à qui est adressée la vocation messianique n’ont pas à se dissoudre dans une société d’idolâtres et de collaborateurs (païens et collecteurs des impôts des Romains — puisque qu’il est question de cela parlant de pécheurs v. 17) ! Où Jésus, s’il a évoqué la possibilité réelle de l’exclusion, revient toutefois sur les deux ou trois témoins — pour rappeler le pouvoir de réconciliation, ce pouvoir qui est en son nom — le nom de l’exclu, Jésus, l’exclu par excellence (« là où deux ou trois »… sont réunis non plus pour juger l’égaré, mais pour en faire un réconcilié et être au milieu d’eux).

« Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel ». « Pouvoir des clefs » ?… Lier – délier. Mais Jésus n’invite en aucun cas à lier les gens ! — mais au contraire à les délier en liant le péché : « tout ce que vous lierez sur la terre (le péché) sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre (ses victimes) sera délié au ciel ». Nous voilà donc au cœur de l’Évangile, comme dans la parabole des cent brebis. Il est une puissance aimante du Père, qui délie. À l’époque des dénonciations via tweets et autres réseaux sociaux ou talk shows, il est devenu commun que l’on dise, devant des foules prises comme témoins potentiels, ce qui relève de l’intimité. Ce dont Jésus parlait et qui, hélas, arrive, le dévoilement d’un problème devant tous, semble devenu une panacée ; oubliant l'importance de la discrétion, voire du secret.

Jésus ne parle pas pour rien de lier et de délier. La connaissance de la faute, commise, ou subie, lie, crée un lien, et en l’occurrence très fort. Un lien qui s’apparente à une vulnérabilité partagée.

Sachant en outre qu’il est des fautes difficiles à pardonner, alors, a fortiori : seul à seul !… dit Jésus. Ou si la situation l'exige, risquant de devenir publique, deux ou trois tout au plus : « là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » ! Éviter à tout prix le recours ultime au dévoilement public, et que dire quand c’est sur la base de simples rumeurs (ou « fake news ») — Jésus revient donc aux deux ou trois — disant avec force le pouvoir de délier le pécheur et de lier le péché.

La suite du texte donne des indications sur ce pouvoir : jusqu’à combien de fois pardonnerai-je ? demandera Pierre juste après. 70 fois 7 fois, c’est-à-dire sans limite répond Jésus, qui ajoute la parabole du débiteur impitoyable signifiant : mettez-vous à la place de celui qui est en dette, notamment à votre égard. Se mettre à sa place. Ou, en bref : et si le frère qui a péché, c’était moi ?… quand celui qui me reprend seul à seul, celui qui a le pouvoir de me délier — n’est nul autre que Jésus.

*

Où tout le propos se retourne, en ces termes, ceux d’une prière :

Jésus, je suis ton frère, ta sœur, qui ai péché contre toi, je suis la centième brebis, et tu me reprends, seul à seul(e), me plaçant face au Père de tendresse et de pardon… qui redit à chacune et chacun : « quand bien même les montagnes s’effondreraient, mon alliance demeurera inébranlable, mon amour pour toi est éternel et je te garde toute ma tendresse » (Ésaïe 54, 10) ; Père de bonté auquel, ensemble, nous nous adressons en confiance — confessant notre sentiment d’impuissance pour qu’il n’induise pas en nous la tentation du découragement dans la lutte — lutte contre la menace selon les moyens de chacun, ne serait-ce que l’humble confinement.

Alors nous voici, forts de la promesse renouvelée, en solidarité avec toutes celles et tous ceux qui sont atteints et avec leurs proches, et particulièrement celles et ceux qui les soignent, au près : quand ici la maladie fragilise plus encore qu’habituellement pauvres et migrants — et au loin : tout spécialement avec celles et ceux qui vivent dans des pays en faiblesse plus profonde que le nôtre quant aux moyens et aux institutions de santé, et aussi face au risque de la faim quand choix économiques, monoculture, etc., les ont placés en dépendance alimentaire, notamment en Afrique, et autres pays, du sud, et ailleurs.

Priant que soient éclairées les pensées et dirigés les actes de celles et ceux qui exercent des responsabilités en ce monde et en notre pays,

Et te disant, comme Jésus nous l’a enseigné, Notre Père




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire