lundi 12 décembre 2022

Préalable et brève synthèse des études bibliques (fin 2022)




Sur Violence et guerres : la Bible, l’Histoire et nous


Au cœur de ce qui se déploie dans la Bible hébraïque, la Révélation de l’Exode, celle d’une libération fondée sur un Nom donné comme imprononçable, fonde une transcendance absolue du fait même de cette imprononçabilité (transcendance absolue, à savoir — vocabulaire de V. Jankélévitch : “ce qui passe la pensée et nous surpasse”, à la différence de la transcendance relative, qui peut être universelle, mais comme clef de voûte du monde auquel elle n’est pas étrangère). De la Bible hébraïque relisant l'événement qu'elle donne comme fondateur, moment nodal de la Tora : l’Exode, à ses autres relectures, celle du monde hellénistique puis du monde chrétien, tout un cheminement dont un point d’orgue moderne mènera au XIXe siècle, où est forgé le terme "monothéisme” au sens où on l’entend aujourd’hui : à savoir concept d’un Dieu unique universel. Comme pour nombre d’autres concepts développés au XIXe s., cela se fait sur la base d’un tournant historique remontant au XVIIe s., où apparaît aussi, sous la plume du philosophe anglais Henry More, le mot “monothéisme”, mais en un sens très différent, voire opposé au sens reçu depuis le XIXe s. Pour More, il s’agit d’affirmer que le christianisme, étant trinitaire, n’est donc pas monothéiste, mais est universaliste contrairement au judaïsme, “monothéiste”, c’est-à-dire pour lui tenant de ce qu’on appelle aujourd'hui “monolâtrie”. More entendait donner un vis-à-vis au terme “polythéisme”, qui remonte, lui, à haute époque, forgé par Philon d’Alexandrie (Ier s. ap. JC) pour dire la différence entre monde gréco-romain, adorant plusieurs dieux, et monde juif en adorant un seul, monolâtre, donc — ce Dieu des juifs, seul adoré, correspondant pour l’hellénisme à la divinité universelle des philosophes.

Le tournant du XVIIe s., débouchant sur la vision du monde dont nous héritons, mise en place pour l’essentiel au XIXe siècle, est consécutif au moment Galilée, Galilée qui, bénéficiant le premier de la lunette astronomique, va voir bouleverser la vision séculaire de l’univers. La lunette de Galilée lui fait constater, début XVIIe s., en 1609, la disparition de “l’éther”, qui était réputé jusque là être la matière lumineuse des planètes visibles à l’oeil nu, comme cinquième essence — quintessence —, au delà des quatre autres que sont la terre, l’eau, l’air et le feu qui composent le monde sublunaire (en dessous de la Lune). La lunette astronomique fait apparaître au regard de Galilée que la matière des planètes n’est pas l’éther, mais quelque chose de similaire à la matière sublunaire. Radical bouleversement du monde, qui va obliger la philosophie à repenser l’univers. Le premier à poser systématiquement cette refondation est Descartes, qui emprunte la formule par laquelle saint Augustin répondait à ses doutes : “je pense donc je suis” (cogito ergo sum). Mais de facto, au sens où la reprend Descartes, cette formule ancienne date pourtant du XVIIe s. Jamais auparavant elle n’avait servi à fonder le monde, comme c’est le cas depuis Descartes. Le sujet devient le fondement alternatif de l'univers dont la structure, classique depuis au moins Aristote (IVe s. av. JC), vient de s’effondrer sous le regard de Galilée. Dorénavant, le sujet rationnel est au fondement de la lecture du monde, bientôt en vis-à-vis de son expérience de la nature (i.e. l’”empirisme” proposé par l’anglais Francis Bacon — XVIe-XVIIe s.). La synthèse entre le rationalisme de Descartes et l’empirisme trouve son point d’orgue au XIXe s., avec les philosophes Kant et Hegel. En théologie ce tournant philosophique trouve son équivalent entre le cartésien critique Spinoza (critique de ce que le philosophe Wolff appellera le ”dualisme” de Descartes, dualisme de l'âme et du corps, que refuse Spinoza) et la critique du XIXe s. Spinoza donne le premier temps, avec son Traité théologico-politique (XVIIe s.), d’une proposition de relecture de la Bible, relecture post-galiléenne. Sur cette base, apparaît au XIXe s., dans l’héritage de Hegel, le développement d’une critique biblique voyant dans la Bible un processus évolutif débouchant sur le “monothéisme”, mot qui en ce sens précis remonte à ce même XIXe s., à savoir le concept d'un Dieu unique universel. Le XXe s. et le XXIe s. s'inscrivent dans cette tradition, donnant la naissance du “monothéisme” (en ce sens récent) entre le Ve s. av. JC (Römer) et le IIe s. av. JC (Barc).

Rappelons que la Bible hébraique telle qu’elle se donne elle-même, date de bien avant le XIXe s. (et d’avant le XVIIe s.) ! L’a priori derrière le livre de l’Exode tel qu’il se donne dans la Bible hébraïque est proposé dans la Révélation du Nom en Exode 3, c’est-à-dire donné comme remontant, selon les chiffres bibliques, au XIIIe s. av. JC environ. Alors, dans la Révélation du Nom comme imprononçable, est donnée la transcendance absolue de ce Nom libérateur. Une libération qui ne se fait pas sans son refus, porté dans le texte biblique par le Pharaon, refus source de violence contre l'avènement d’un monde fondé sur des préceptes qui n’ont pas d’auteur humain, violence à laquelle les opprimés répondent dans un premier temps par la violence, présente dans le temps et l’histoire, mais refusée dans l'au-delà du temps.

Dans la même Tora qui révèle le Nom divin comme inaccessible à nos concepts, les origines de la violence sont données dès les débuts de son premier livre, le livre des commencements, la Genèse (traduction grecque de l’hébreu “au commencement”) — en l’occurrence en son ch. 4, dans le récit du meurtre d’Abel par Caïn. Selon Philon d’Alexandrie, suivi par l'Épître aux Hébreux (11, 4), la frustration de Caïn vient de sa perception de sa non-spontanéité dans son offrande donnée seulement “après quelques jours” (v. 3). La remarque n'intervient pas pour l’offrande d’Abel, marque de spontanéité (“par la foi” dit l'Épître aux Hébreux). Perception donc d’un non-agrément de son offrande par Caïn, commencement d’un processus de frustration qui débouchera sur le meurtre d’Abel — qui passe par une oblitération de la Parole originée dans l’oblitération de la subjectivité de sa mère Ève par Adam, qui débouche sur un vis-à-vis exclusif de celle-ci avec Caïn, possédé par elle, selon le sens du nom Caïn. (Cf. Les développements de Marie Balmary et ceux de René Girard.) Origine d’une violence liée à une oblitération de la parole et un sentiment de devoir être privilégié, propriétaire des bénéfices reçus…

Cela vaut dans le même livre de la Genèse pour les femmes, perçues, dans un cadre patriarcal, comme à disposition, comme vouées à être propriétés. A priori dramatique, qui trouve un moment culminant dans le viol de Dina, fille de Jacob, par le fils d’un roi local, Sichem. Revendiquant ensuite sa passion amoureuse, Sichem entend voir confirmer son désir via un mariage… Dina n’a pas la parole. On ne peut que penser à la sidération de celle que l’on n’entend pas, et qui devient simple objet de négociation pour une alliance qui s’avère impossible et qui, avant même d’avoir lieu, est rompue dans la violence… Débouché inéluctable, compensation et fruit de l'empathie de ses frères (même père-même mère) pour Dina.

Violence qui sera plus tard celle par laquelle passera la sortie de l’esclavage, de tout esclavage, avant de se poursuivre dans d’autres épidodes, des prophètes de la Bible hébraïque (cf. janvier à mars) au Nouveau Testament (avril à juin), et aux libérations modernes (au fur et à mesure)… Révolutions, puritaines puis française, avec Déclaration de Droits universels, “sous les auspices de l’Être suprême” (1789), au nom de la dignité inaliénable de tout être humain (Déclaration de 1948), le tout ayant passé, ou devant encore passer, par l'abolition de l’esclavage et la reconnaissance de l’égalité des femmes et des hommes…


RP, 12.12.22 (format imprimable)


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Étude biblique / catéchisme adultes 2022-2023

Violence et guerres : la Bible, l’Histoire et nous



Église protestante unie de France / 2022-2023
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