samedi 15 octobre 2016

Le Notre Père - priant les Psaumes




Le Notre Père comme un condensé des Psaumes. Les cinq livres des Psaumes sont reçus dans le judaïsme comme correspondant aux cinq livres de la Torah — chacun des livres des Psaumes à un de ces livres d'enseignement de la liberté. Les Psaumes prient ainsi l'espérance de la délivrance de la captivité, de toutes les captivités, l'espérance de la Terre promise.

Le Notre Père aussi, comme en écho aux cinq livres de la délivrance de la captivité et de l'esclavage, et comme en écho aux cinq livres des Psaumes, se déploie en cinq demandes (chez Luc — dont deux sont dédoublées chez Mathieu : les cinq demandes en devenant donc sept, ou cinq dont deux dédoublées).

Le Notre Père est lui aussi une demande de délivrance adressée au Dieu dont la sainteté de son Nom (1ère demande / cf. Ézéchiel 36) sera ainsi dévoilée, par la venue de son Règne (2ème demande), jusqu'à la délivrance totale du mal / du Mauvais (5ème demande / 7ème chez Mathieu). « Que ton Règne vienne » peut ainsi rassembler l'espérance de l'Exode et de la concrétisation de la libération comme accomplissement de la volonté de Dieu, qui explicite chez Matthieu la demande de la venue du Règne.

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Quand on sait que les Psaumes étaient les prières de Jésus, on ne peut s'empêcher de penser que Jésus priant, pleurant sur Jérusalem le faisait dans l'espérance d'une justice qui semble ne jamais advenir ni pour la ville ni, par elle, pour la terre entière au roi de justice attendu.

Cette espérance dont on désespère, celle d'un règne universel de la justice, d'un règne où tout est repris de ce que font les empires et leurs paix universelles imposées par la force et la violence, par le viol de la justice. Ici la paix universelle viendra par la justice.

Au temps de Jésus, cela n'est jamais advenu en sa plénitude, Jésus en pleure sur Jérusalem ; depuis Jésus, ce n'est jamais advenu ni à Jérusalem ni non plus au sein des nations, pas même celles sur lesquelles son nom pourtant a été invoqué. Mais celui qui a porté cette espérance et qui en donne la promesse est plus vrai que nos désespérances, puisqu'il a vaincu jusqu'à la mort même. Christ ressuscité ne meurt pas. Avec nous jusqu'à la fin du monde, il est celui qui nous envoie — nous nourrissant de sa promesse qui a vaincu toutes les désespérances.

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« Enseigne-nous à prier », ont demandé les disciples. « Voici comment vous devez prier : quand vous priez, dites... Père... », répond Jésus. Voilà qui nous place dans l’intimité de Dieu — Père / « Abba », selon ce que rapportent de l’araméen Marc (14, 36 : Jésus au Gethsémané) et Paul (Romains 8, 15 ; Galates 4, 6). Intimité : souvenons-nous que Matthieu précise : « entre dans ta chambre, ferme la porte. » Où l’on reçoit du Père la loi clamée publiquement de la chaire, déjà au Sinaï, après en avoir reçu un nom. Et en écho la prière devenue prière liturgique publique, le « Notre Père », donc. « Toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom du Père », rappelle l'Épître aux Éphésiens (3, 14-15).

« Que ton nom soit sanctifié », sanctifié c'est-à-dire mis à part, considéré avec un respect infini, jamais prononcé en vain, et donc, au fond, reconnu comme indicible. «Que ton nom soit sanctifié». D'autant plus que négliger le nom du Père, nous qu'il adopte comme ses enfants, c'est ne pas percevoir l’ouverture d'avenir qui s’y trouve. « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre » dit la Loi. D'emblée donc, la prière du Seigneur nous ouvre tout un programme, et un avenir, ce qui fait rejoindre un des thèmes de cette sanctification du Nom dans les livres prophétiques : cet aspect qui concerne l’avenir : la venue du Royaume — du Règne où Dieu sanctifie lui-même son nom en accomplissant sa promesse.

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Et effectivement cette première demande est suivie de la demande de la venue du Règne de Dieu, par l’accomplissement de la volonté de Dieu jusque sur cette terre en désordre.

Les disciples ne savent pas qu'ils viennent de poser à Jésus une question très délicate, aux conséquences périlleuses pour eux-mêmes. Mais c'est par là, par cette prière, que viendra le Royaume, le Règne de Dieu. En cinq demandes. Sept chez Matthieu — la troisième et la septième de Matthieu étant une extension de la seconde et de la sixième demande («que ton règne vienne» s'y commente en « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » et « ne nous soumets pas à la tentation » s’y commente en « délivre-nous du mal »).

Cinq demandes donc, qui risquent fort si nous y prenons garde, de nous mener où nous ne voudrions pas, à savoir au Règne de Dieu dont nous demandons pourtant qu'il vienne. Aller où nous n'aurions pas prévu, ou du moins d'une façon que nous n'aurions pas prévue, comme Pierre à la fin de l'évangile de Jean (21, 18) : « un autre te mènera où tu ne voudras pas ».

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« Donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour »… ? L'abondance à laquelle tous aspirent vient de Dieu seul. Lui seul est riche : des biens spirituels, du pain du ciel, et du pain qui nourrit le ventre de façon à ouvrir les oreilles. Cela dit, le pain de ce jour pour lequel nous prions est plus que la simple nourriture périssable. Le terme choisi l’indique clairement. Il est la manne. Il est la nourriture éternelle qui est d'être pardonné et accepté, d'avoir trouvé un père... Notre Père, disent les disciples.

Arrêtons-nous donc sur la plus troublante de ces cinq demandes : celle concernant le pardon : «pardonne-nous nos péchés, comme nous pardonnons aussi à qui nous offense».

Ce mot rendu dans Luc par « péché », ou « offense », ou « manquement » peut aussi être rendu par « dette », selon le parallèle de Matthieu — le sens « péché » étant une dimension spirituelle de la dette. En ce sens, le mot peut relever non pas tant de la faute que de la création : même sans faute, nous sommes en dette envers Dieu comme on l'est à l'égard d'un père (ou d’une mère) — «Notre Père» — sans lequel nous ne serions pas, celui par qui nous sommes, non pas tant parce qu'il a donné la semence qui nous origine, mais parce qu'il nous a donné un nom, son nom. Cette dette-là ne peut être payée : son prix est infini. Le reconnaître entraîne une attitude de pardon, de remise des dettes. La remise des dettes est donc effectivement incontournable ; elle est la condition de la prolongation de nos êtres jusqu'à la venue du Règne, en lien étroit avec la demande précédente, celle du don du pain de ce jour. Si le plus puissant, le Père, exige le remboursement de la dette, il en vient à terme à écraser l'enfant.

Mieux qu’un père, Dieu donne ce qui est bon à ses enfants. L'instauration de son Règne est une remise de dettes par Dieu à notre égard. D'autant plus, au fond, que la dette est donc trop infinie pour être remboursée.

C'est sur cela qu'est établie l'institution biblique de la loi du Jubilé, par lequel s'inaugure le Royaume. Rappelons-nous que le Jubilé est ce que prévoit la Torah : cette remise des dettes obligatoire tous les cinquante ans. Jésus (cf. Luc 4) inaugure son ministère messianique par la proclamation du Jubilé. Cette libération, remise des dettes par Dieu, se signifie dans nos remises de dettes. C’est le sens du « comme nous remettons ». Nous sommes appelés à la suite du Christ à faire un don gratuit de nous-mêmes, n’aurait-il en retour que de l'ingratitude.

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Précédée de la demande du pain, lieu par excellence de la dette à Dieu, la prière pour la remise des dettes et le pardon des offenses est suivie de : «Ne nous laisse pas entrer en tentation» — «ne nous expose pas dans l'épreuve». Pourquoi Dieu se tait-il face aux prières de son peuple, pourquoi tarde-t-il à instaurer son Règne ?

Face au silence céleste, ce silence qui dure, où Dieu qui est censé être notre Père nous apparaît pourtant si dur, impitoyable, nous donnant essentiellement une Loi, alors qu'on ne voit pas venir de consolation, et à plus forte raison la consolation du Règne de Dieu — on sera tenté de dire : ces maux qui nous adviennent, fussent-ils de notre faute, ne sont-ils pas le signe que Dieu se désintéresse de nous ? Où l'épreuve dont nous demandons que nous n'y sombrions pas devient tentation de se dire que ce Dieu est finalement méchant. Et que de fois l'a-t-on entendu à propos du Dieu dit « de l'Ancien Testament », oubliant que c'est ce Dieu que Jésus appelle son Père ? Tentation de rejeter ce Dieu qui donne la Loi, et avec elle son silence. Or c'est là son rôle de Père : donner la Loi et nous apprendre à patienter, à recevoir le plaisir plus tard. Se séparer un jour du plaisir immédiat du sein maternel. Le père disant la loi et privant ainsi du plaisir immédiat.

C'est de la sorte que Dieu nous conduit au Règne qui lui appartient avec la puissance et la gloire, ce Règne qui vient pour nous à la mesure où nous recevons avec joie la volonté de Dieu, sa Loi.

C'est le temps d'un passage douloureux, celui de l'apprentissage, qui précède la liberté et la joie. C'est encore la leçon de Paul : comme pour la douleur d'un enfantement, Dieu a soumis la Création à la vanité et à la douleur, avec une espérance : sa libération, comme la naissance (Romains 8, 20-22). La tentation serait de se laisser abattre et de se dire que face à une telle situation, une telle douleur, celle qui est la nôtre, le Royaume ne viendra pas, la naissance n'aura pas lieu. C'est face à cette tentation que Jésus appelle à la persévérance dans la confiance en Dieu qui nous délivre du mal.

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Face à ce présent lourd, accablant, ou face à notre mauvaise volonté, — il s’agit de persévérer, de requérir la justice de la foi, prête à se manifester, dans sa splendeur et sa liberté ; il n'est qu'à exiger ce que Dieu promet, exiger son Règne. Persévérer dans la prière, comme l'ami qui demande du pain. Dieu finira par répondre, autrement que prévu peut-être, par le don imprévu de l'Esprit saint, qui mène au Royaume par des chemins auxquels l’on ne s'attend pas. Persévérer dans la prière est dangereux : c'est risquer de se voir transformé, dépossédé de soi et de ses biens, de sa vision du monde — qui sait ? Persévérer dans la prière transforme.

Apprendre à regarder le monde par les yeux de Dieu. Et explorer tous les possibles des chemins de son Règne... Car c’est « à toi qu’appartiennent le Règne,… » dès aujourd'hui.


RP
Le Notre Père

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2016-2017
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1) 18 & 20 octobre 2016. Introduction – Le Notre Père (Mt 6, 9-13 ; Lc 11, 2-4) : cinq demandes comme lecture des cinq livres des Psaumes / cinq livres de la Torah (PDF)


vendredi 7 octobre 2016

À propos de Paul - l’Alliance universelle. Le cas corinthien



L’événement fondateur, celui de la manifestation du Crucifié ressuscité, du Ressuscité advenant au cœur de nos vies individuelles rejointes jusque dans la mort — qu’il a vécue et fait ainsi advenir en nous avant même la mort — ; le jaillissement de la nouveauté radicale de la résurrection fait éclater les cadres identitaires quant à leurs prétentions structurantes.

Paul vit cet événement à l'occasion du moment relaté par le livre des Actes des Apôtres : chargé par les autorités de Jérusalem d'un mandat de poursuite des disciples du Crucifié, perçus par les Romains comme un groupe subversif qui semble donc représenter une menace pour l'existence juive, Paul est saisi par la perception du Ressuscité pour un changement de perspective radical. L'irruption du Royaume universel espéré ici et maintenant

Dès lors, l’Alliance scellée dans la tradition juive est ouverte à son universalité, dévoilée et étendue aux nations.

Désormais, pour Paul, il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ (Galates 3, 28).

La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Car il est écrit : Il prend les sages à leur propre ruse.
Et encore : Le Seigneur connaît les raisonnements des sages, il sait qu'ils sont futiles.
Ainsi, que personne ne fonde son orgueil sur des hommes, car tout est à vous :
Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous […].
(1 Corinthiens 3, 19-22)

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Cela vaut du cultuel au moral et au culturel. La portée symbolique des traditions et des rites qui portent la parole qui s’y transmet, se dévoile comme symbolique. La vérité qu’ils visent ne s’y scelle pas.

La première épître aux Corinthiens est une des expressions concrètes de ce bouleversement qu'est l’adhésion massive des païens à la foi du Christ. Comment organiser la communauté naissante ?

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Les conséquences considérables, déjà au temps de Paul, qui auront tendance à être enfouies, valent jusqu’à nos jours. Pour ne donner qu’un exemple d’actualité criante, le mot « culture », dans une perspective paulinienne, n’a pas lieu de se conjuguer au pluriel.

Il y a « la culture », culture universelle, qui se reçoit dans le cadre de coutumes particulières : « Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous » (1 Co 3, 22) — et on peut y ajouter tout ce qu’on veut.

Cela se vérifie pour peu que l’on observe le fait que les coutumes sont mouvantes et s’enrichissent ou se corrigent les unes par les autres — et c’est cela même qui fait la culture. Ne dit-on pas, d’ailleurs, « être cultivé » pour parler précisément de l’ouverture aux richesses culturelles diverses ? Se cantonner à un « type culturel », ou pour mieux dire à une tradition, est précisément refuser d’être cultivé, refuser la culture. Où l’on peut élargir à l’envi le propos paulinien : « Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous » (1 Co 3, 22), sachant — c’est la parole qui suit (v. 23) — que « vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu. »

Une parole qui n’est pas la réintroduction d’une restriction, mais le rappel du cadre d’éclatement qu’est l’événement initial : Christ, à savoir le Crucifié-ressuscité, parole qui dévoile que toutes les coutumes sont transcendées dans l’ultime : « Christ est à Dieu ».

Pour situer la dimension concrète de la problématique, en regard de l’usage qui est souvent fait de Paul, une réflexion d’Alain Badiou (Saint Paul, La fondation de l’universalisme, PUF 1997) : Badiou décèle chez Paul de quoi transcender les différences, coutumes et opinions, en les saisissant du « travail postévénementiel d’une vérité » (en l’occurrence de la crucifixion-résurrection)… « Mais, remarque Badiou, pour les en saisir encore faut-il que l’universalité ne se présente pas elle-même sous les traits d’une particularité » (p. 106).

« Bien entendu, note-t-il aussi, les fidèles des noyaux chrétiens ne cessent de lui demander ce qu’il faut penser de la tenue de femmes, des rapports sexuels, des nourritures permises ou interdites, du calendrier, de l’astrologie, etc. Car il est de la nature de l’animal humain, défini par des réseaux de différences, d’aimer poser ce genre de questions, voire de penser qu’il n’y a qu’elles qui sont vraiment essentielles » (p. 107).

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Or, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

Cela ne revient pas à nier que les événements adviennent dans le concret des traditions qui les véhiculent en premier. C’est dans la tradition juive que l’événement fondateur est advenu. Cela a aussi des conséquences quant au déploiement libérateur : « l’Evangile est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec » (Romains 1, 16).

Le fondement originel reste un fait incontournable, ancré dans l’histoire, et cela d’autant plus qu’il est libération advenue dans le temps, dans l’histoire donc.

Le fondement originel ne scelle pas pour autant la rupture qu’il initie. D’où la relativisation des rites, des coutumes religieuses, culturelles ou autres, d’où l’appel à leur correction et à leur enrichissement réciproque.

D’où l’illégitimité de fixer par la suite un rite chrétien donné qui aurait valeur universelle ! Le rite même est relativisé par ce qu’il porte — non pas délégitimé, mais mis à distance, à commencer par le rite originel, juif, précisément puisqu’il est donné en premier.

Pour Paul et pour tous ceux qui en reçoivent la parole, qui en reçoivent l’Évangile, désormais l’événement fondateur de la création nouvelle, la crucifixion-résurrection du Christ, donne à accomplir la promesse prophétique d’un royaume universel (que la suite des temps sera tentée en permanence d’identifier à tel empire temporel et au véhicule de ses coutumes).

Un des lieux d’articulation entre l'ancrage dans la tradition juive et l'universalité du Royaume espéré est, quant à l’organisation concrète de la communauté ecclésiale, la loi noachide, rappelée en Actes 15, et dont de nombreux aspects, adaptés, relus, articulés eux-mêmes pour ne pas interférer avec le salut par la foi seule prêché par Paul, se retrouvent au long de la première épître aux Corinthiens...


RP
Première épître de Paul aux Corinthiens

Église protestante unie de France / Poitiers
Étude biblique 2016-2017
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1. 11 & 13 octobre 2016. Introduction – À propos de Paul - (PDF ici)


dimanche 19 juin 2016

Un monde globalisé



Luc 4, 5-6 : « Le diable, l’ayant élevé, montra à Jésus en un instant tous les royaumes de la terre, et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux. »

Jésus au désert précisément, pour confronter le diable, qui n'est donc pas à chercher où on s'attend trop à le trouver… Cf. saint Antoine et le diable en nous.

Voilà qui dit toute l'ambiguïté de notre rapport au monde dans lequel nous sommes — et qui est en nous ! — même si nous n'en sommes pas (« vous n'êtes pas du monde » mais « dans le monde » dit Jésus à ses disciples).

Ça vaut pour tout ce qui est prise en charge du monde, et dans un parcours qui débouche sur un monde globalisé. Un trajet qui concerne en premier lieu l'Occident « chrétien », puisque c'est de lui qu'est issue de facto la « mondialisation ». Un processus qui quant au temps de ce monde, peut s'initier avec la christianisation de l'Empire romain et son ambiguïté duelle, Pouvoir et Église, qui trouve un point d'orgue en Occident au tournant de l'an mil, avec en amont l'Empire carolingien, et aval la réforme grégorienne, et au cœur du processus la rencontre / confrontation avec l’islam. Moment ambigu de l’assomption du pouvoir qui voit bouleverser la philosophie — et la philosophie du pouvoir aux XIIIe-XIVe siècles, avec l'avènement de l’averroïsme politique, premier moment ce ce qui (mutatis mutandis !) deviendra la laïcité !

Il faudra encore un cheminement qui passant par la Réforme protestante, en vient dans la Révolution puritaine* anglaise à poser la souveraineté de la loi, en modèle analogique de la loi biblique dont aucun pouvoir n'est la source.

C'est ce modèle qui, via la Révolution américaine, débouche, mutatis mutandis, sur la Révolution française avec sa Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 « sous les auspices de l'Être suprême », avant d’inspirer la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 comme alternative à l'abîme, déclaration en forme donc de « plus jamais ça ».

En tout cela, toujours l'ambiguïté, qui est dans un progrès du droit toujours grévé par la réalité à laquelle il faut s'affronter, réalité incommensurablement tragique, dans un progrès parallèle du tragique (cf. le XXe siècle des génocides).

Confronter un réel affreux, y plonger, même, hélas, comme le notent plusieurs auteurs contre l' « idéalisme ». Ex. : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. » (Charles Péguy, Pensées, octobre 1910) — ou : « Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien, reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c'est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j'ai les mains sales. Jusqu'aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. » (Jean-Paul Sartre, Les mains sales)

*

Exactement ce que ne sont pas les mouvements puritains et révolutionnaires en général… Prenant à bras le corps le réel… pour déboucher sur le monde des déclarations de droits.

Révolutions ambiguës comme le reste par la violence dans laquelle elles plongent — pour avoir des mains ! Le pouvoir reste ambigu, comme pis-aller au chaos — fût-il pouvoir absolu ! — : le Léviathan de Hobbes, pouvoir fort souhaité après la violence de la guerre civile qui dévoile l'homme laissé à lui-même comme l'ennemi de son semblable. (Cf. dans la Bible, après le livre des Juges, le peuple demandant un roi.)

*

Nous voilà, depuis l'Europe, en un temps mondialisé, sous un ciel apparemment bouché, puisque l'absolu du pouvoir a débouché sur des mondes totalitaires, autre face, négative, de la face positive et rayonnante du droit et de la dignité.

Autre face : celle d'un ciel bouché, donc… mais qui semble bien s’être ouvert ailleurs, souvent grâce à la face rayonnante de la proclamation de la dignité de tous par la même pensée sous sa face positive ; ciel bouché qui est à même, peut-être, de s’ouvrir pour tous, y compris l’Europe, par le fait de notre espace commun désormais mondialisé. Ouvertures qu'ont permises les mouvements d’émancipation, et les relectures en théologies d'espérance et de libération des mêmes projets qui produisaient antécédemment l’impasse totalitaire. Mais les relectures théologiques peuvent aussi déboucher sur des cautions religieuses des pires totalitarismes — cf. les mouvements djihadistes

*

Lorsque le philosophe Nietzsche, fils de pasteur, prend acte de ce qu’il nous invite à percevoir comme les conséquences tragiques, au cœur de l’Europe de la fin du XIXe siècle, d’une histoire sans débouché, cela prend pour lui la forme d’un acte de décès : « Dieu est mort » !

Par cela, et par la façon d’annoncer ledit décès (c’est un « fou » qui, dans Le Gai savoir — livre III, § 125 —, se charge de l’annonce : « nous l’avons tous tué »), Nietzsche entendait sauver les « meurtriers », les sauver du désespoir, du « nihilisme », cet attrait du néant qu’implique la perte de ce qui, à force d’affadissement, est devenu, en guise de Dieu, une idole suprême… (ici aussi, cf. ce que connaît l’islam.)

Mais un acte de décès, aussi fracassante en soit l’annonce, a-t-il jamais sauvé quiconque de ses conséquences ? Nous voilà alors avec des reliquats d’idoles… Et les pires, faut-il sans doute ajouter — idoles constituées des restes composites d’un cadavre : façon de créature de Frankenstein. Bref : avoir « brisé ses idoles pour sacrifier à leur débris », comme le dit Cioran. C’est l’état religieux de l’Europe, aux yeux de beaucoup… Et de larges secteurs du reste du monde.

Où l’on doit peut-être en venir à ce constat bien connu : c’est, au fond, de l’acte de décès des héritiers-meurtriers dont il s’agit, via leur clochardisation d’orphelins désormais sans même un « RSA » religieux. Et non pas tant « mort de l’homme », comme on l’a dit — peut-être en confondant, par un certain ethnocentrisme européen, « homme » avec « occidental » —, que mort de la civilisation de Nietzsche, la nôtre — la civilisation globale.

Et si on (Dieu — et les humains) a semblé se porter bien mieux ailleurs que chez nous… Enfin…, tout au moins jusqu’à inoculation de notre revendication de « maîtrise et possession » cartésienne de la nature dont Nietzsche constatait les effets, le XXIe siècle commençant s'est déjà fait fort de nous détromper. Restons quand même optimistes : « vivre, c'est perdre du terrain » (Cioran encore).

Impasse du XXe siècle, totalitarismes éventuellement contagieux — mais peut-être pas forcément, impasse d'une Europe des XIXe et XXe siècles dont le même processus a produit quand même l’immense espoir de voir la dignité de tous reconnue contre tous les esclavages : « tous naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Que l'on puisse dépasser l'impasse contradictoire serait-il notre seul espoir ?… Rejoignant l'ancien espoir les prophètes : « des nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera » (Es 60).

Jusque là reste l'ambiguïté qui nous habite, effluves de nos inconscients personnels et collectifs produisant de leurs enracinements archétypaux rêves et mythes, entre espoirs et cauchemars.

« Le vrai Messie ne surgira, dit-on, qu'au milieu d'un monde "entièrement juste" ou "entièrement coupable" », dit un aphorisme du Talmud cité par Cioran. Il y aurait donc de l'espoir, de toute façon !…

(* Le puritanisme désigne une conception de la foi chrétienne développée en Angleterre par les protestants radicaux après la Réforme. Le mouvement est né à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle.
Comme tous ceux qui se voient désignés par un sobriquet, les puritains ne se sont pas donnés eux-mêmes ce nom. Une grande quantité de puritains se concentrait en Angleterre, où s’origine ce terme qui vise leur mise en question radicale de la superstructure hiérarchique de l’Église, en vue de la doter d’un système purement représentatif.
Le mot décrit, plutôt qu'une Église particulière, un type de pratique religieuse — avec fonctionnement représentatif —, à l’origine de tendance calviniste, qui déboucha notamment sur l'émergence d'Églises presbytériennes, puis congrégationalistes, baptistes, quakers, etc. L’Église dès Genève au XVIe siècle, était organisée selon un système représentatif, le consistoire, équivalent, mutatis mutandis, du conseil presbytéral actuel, composé de laïcs et de pasteurs. L’Église selon Calvin, reprenant le modèle de Strasbourg : une Église non-hiérarchique dotée de quatre ministères : pasteurs, docteurs, diacres, anciens. Une Église bâtie sur un modèle faisant jouer volontairement les contre-pouvoirs, ce qui aura des incidences considérables sur le développement des systèmes politiques modernes. Incidences politiques, qui débouchent, après la révolution puritaine anglaise, sur la révolution américaine avec l’indépendance des États-Unis, et sur l’instauration d’un système représentatif, renversement de la monarchie imposée d’en-haut… Avec comme retour d’effet en France — France qui a soutenu les Américains prenant leur indépendance face à l’Angleterre (cf. Lafayette) — la mise en place, lors de la Révolution, d’un système s’en rapprochant. Un système à vocation représentative, donc, qu’on a coutume d’intituler « démocratique », et dont le modèle initial est le conflit du parlement anglais contre la monarchie absolue débouchant sur la première révolution moderne.)



RP
Traditions religieuses et spiritualités

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9) 21 & 23 juin – Un monde globalisé (PDF)


vendredi 10 juin 2016

L’Ecclésiaste - reprise et fin du discours



Ecclésiaste 12, 1b-7
[...] 2 — avant que ne s’assombrissent le soleil et la lumière
et la lune et les étoiles,
et que les nuages ne reviennent, puis la pluie,
3 au jour où tremblent les gardiens de la maison,
où se courbent les hommes vigoureux,
où s’arrêtent celles qui meulent, trop peu nombreuses,
où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre,
4 quand les battants se ferment sur la rue,
tandis que tombe la voix de la meule,
quand on se lève au chant de l’oiseau
et que les vocalises s’éteignent ;
5 alors, on a peur de la montée,
on a des frayeurs en chemin,
tandis que l’amandier est en fleur,
que la sauterelle s’alourdit
et que le fruit du câprier éclate ;
alors que l’homme s’en va vers sa maison d’éternité,
et que déjà les pleureuses rôdent dans la rue ;
6 — avant que ne se détache le fil argenté
et que la coupe d’or ne se brise,
que la jarre ne se casse à la fontaine
et qu’à la citerne la poulie ne se brise,
7 — avant que la poussière ne retourne à la terre, selon ce qu’elle était,
et que le souffle ne retourne à Dieu qui l’avait donné.

13 Écoutons la conclusion de tout le discours :
Crains Dieu et observe ses commandements.
C'est là tout l'humain.
14 Car Dieu fera venir toute œuvre en jugement,
pour tout ce qui est caché
— que ce soit bien ou mal.

*

Vivre devant Dieu

Au terme du discours, terme qui s'annonce par un poème qui dit la brièveté de la vie, se prononce ce qui résume le tout de l'humain : « crains Dieu et observe ses commandements » (qui n'est donc pas un ajout qui viendrait corriger un livre et son constat sombre sur la vanité de toutes choses, mais qui en est au contraire la clé, par laquelle se reçoit cette vanité, sans que ce propos relève de la foi)…

Car « Dieu est au ciel et toi sur la terre » dit aussi l’Ecclésiaste (ch. 5, v. 1). « Que tes paroles soient donc peu nombreuses »… Là, sur la terre, plutôt qu’en de vagues arrières-mondes, faire ce que ta main trouve à faire dans le temps bref qui t’est imparti :

Sous le soleil, cela sous un ciel inaccessible, signe d’un Dieu qui nous envoie sur la terre : « les choses cachées sont au Seigneur notre Dieu, les choses révélées sont pour nous et nos enfants, pour toujours, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi. » (Deutéronome 29, 28) — où l’on retrouve la conclusion de l’Ecclésiaste : « Crains Dieu et observe ses commandements. C'est là tout l'humain. » (ch. 12, v. 13)

La loi dont la source n'est ni une royauté ni un sacerdoce, mais qui s'ancre dans le mystère qui est que nous ne sommes pas la source de ce qui nous advient — la source de la loi du bien-vivre nous échappe aussi, ses préceptes aussi viennent de Dieu —, la loi comme indication de ce qu’est le bonheur, en ce temps-ci : dans une certaine qualité de relation au prochain sachant que le temps est bref pour l’animal social qu’est l’être humain.

Philosophie qui est aussi celle enseignée par Jésus — philosophie que l’on spécifie souvent à juste titre par ces mots, tirés du Sermon sur la Montagne : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Alors vous serez enfants de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? » (Matthieu 5, 44-46)…

Ladite récompense devient alors une qualité de vie en lien avec la compréhension que cela nous est donné en ce temps-ci, sous le soleil, dans ce temps de vanité.

*

De cette vie qui nous est donnée, nous ne sommes ni la source, ni le garant du bonheur que nous pouvons y cueillir : cela nous échappe largement, cela vient des puissances qui nous échappent et se résument à un nom, un concept : « Dieu » : la part qui ne nous échappe pas tout-à-fait est celle que l'Ecclésiaste nous invite à mettre en œuvre : un respect reconnaissant, une loyauté : « crains Dieu et observe ses préceptes » — dont le fondement aussi nous échappe : il y aurait à s'interroger sur la notion de commandements/préceptes donnée ici : référence à la loi commune (commune ici en Israël), dont la visée universelle rejoint la conscience humaine…
Et tout ce que ta main trouve à faire, fais-le. Cueille le bonheur où il t'est donné : bois de bon cœur ton vin et jouis de la vie avec la femme que tu aimes. Tout cela est don de Elohim, « Dieu » en français. « Dieu » comme pluriel conjugué au singulier : ne pas faire de tel ou tel aspect de l'origine indiscernable de ce qui nous advient, un objet de culte particulier — une idole. Au fond, l'origine indiscernable est irreprésentable, sous quelque figure que ce soit. C'est donc ce que le français a traduit par « Dieu ».


RP
L'Ecclésiaste

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9. 14 & 16 juin (ch. 12) - Vivre devant Dieu - (PDF ici)


dimanche 15 mai 2016

Christianismes d'Occident et temps des réformes



Développement ICI

*

Jacques Ellul, La Subversion du christianisme (Seuil, 1984) : « La question que je voudrais esquisser dans ce livre est une de celles qui me troublent le plus profondément. Elle me paraît dans l'état de mes connaissances insolubles et revêt un caractère grave d'étrangeté historique. Elle peut se dire d'une façon très simple : comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l'Église ait donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul ? [...] Si bien que d'une part on a accusé le christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges qui ne sont en rien contenus, nulle part, dans le texte et l'inspiration d'origine, et d'autre part on a modelé progressivement, réinterprété la Révélation sur la pratique qu'en avaient la Chrétienté et l'Église. Les critiques n'ont voulu considérer que cette pratique, cette réalité concrète, se refusant absolument à se référer à la vérité de ce qui est dit. Or, il n'y a pas seulement dérive, il y a contradiction radicale, essentielle, dont véritable subversion. »

Le diagnostic d'Ellul, qui n'est pas sans rappeler Kierkegaard, qu'il cite, est globalement irréfutable, le constat imparable. Cela dit, c'est là le réel : faut-il déplorer le réel, cela seul qui est advenu, l'inéluctable ?
N'ayant pas d'autre réel, s'il doit y avoir déploration, c'est celle plus radicale de l'inconvénient d'être né... en un monde où tout est toujours ambivalent.
C'est face à cette subversion du christianisme que sont apparus les mouvements de réforme, inscrits eux aussi malgré tout dans cette réalité inéluctablement subvertie.


RP
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8) 17 & 19 ma1 – Christianismes d'Occident et temps des réformes (PDF)


lundi 2 mai 2016

Le terme des choses



Ecclésiaste 11
1 Jette ton pain sur l'eau,
car avec le temps tu le retrouveras ;
2 donne une part à sept, et même à huit,
car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur la terre.
3 Quand les nuages sont remplis de pluie,
ils la déversent sur la terre ;
si un arbre tombe, vers le sud ou vers le nord,
c'est au lieu où l'arbre est tombé qu'il restera.
4 Qui observe le vent ne sème pas ;
qui regarde les nuages ne moissonne pas.
5 De même que tu ne sais pas comment le souffle ou les os
se forment dans le ventre de la femme enceinte,
de même tu ne connais pas l'œuvre de Dieu qui fait tout.
6 Dès le matin sème ta semence,
le soir ne repose pas ta main ;
car tu ne sais pas ce qui réussira, ceci ou cela,
ou si l'un comme l'autre sont également bons.
7 La lumière est douce ;
il est bon pour les yeux de voir le soleil.
8 Si donc quelqu'un vit beaucoup d'années,
qu'il se réjouisse de chacune d'elles,
et qu'il se rappelle que les jours de ténèbres seront nombreux :
tout ce qui arrive n'est que futilité.
9 Jeune homme, réjouis-toi de tes jeunes années,
que ton cœur te rende heureux pendant les jours de ta jeunesse ;
suis les voies de ton cœur et les regards de tes yeux ;
sache que pour tout cela Dieu te fera venir en jugement.
10 Écarte donc de ton cœur la contrariété,
éloigne le malheur de ta chair ;
car jeunesse et fraîcheur ne sont que futilité.

*

« Comme tu ne sais pas quel est le chemin du vent, ni comment se forment les os dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait tout. » (11:5)

« Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, livre ton cœur à la joie pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux ; et sache que pour tout cela Dieu t’appellera en jugement. » (11:9)

« Sache que pour tout cela Dieu t’appellera en jugement » : pas de « mais » (« mais sache » ?!) en hébreu ! Le jugement n'est pas tant le prix de la joie que la mesure de la joie que l'on a reçue ! C'est aujourd'hui qu'il s'agit de cueillir la joie avant que ne tombe le jour où la matérialité, les conditions ou les dispositions ne sont plus là pour l'accueillir !... « Au jour où tremblent les gardiens de la maison, où se courbent les hommes vigoureux, où s'arrêtent celles qui meulent, trop peu nombreuses, où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre »... (ch. 12)…

« C'est une sale histoire de vieillir et je vous conseille de l'éviter si vous pouvez ! Vieillir ne présente aucun avantage. On ne devient pas plus sage, mais on a mal au dos, on ne voit plus très bien, on a besoin d’un appareil auditif pour entendre. Je vous déconseille de vieillir. » (Woody Allen, Cannes, mai 2010.)

*

Nous voilà quoiqu'il en soit, en regard de la brièveté de la vie et de la brièveté du temps et des circonstances favorables, en présence d'un appel à la générosité, à l'audace qu'elle suppose : les brèches de temps favorables prennent terme, plus vite qu'on n'a tendance à le croire, et ce qui n'aura pas été fait ou vécu ne pourra plus l'être quand il ne sera plus temps !

Entendre cela en sachant que le passé n'est plus, qu'il n'y a pas lieu de s'en morfondre, mais qu’aujourd’hui est le jour favorable pour répandre le bien qui profitera à tous, et quelque usage qu'il en soit fait. La parabole du semeur qui sème en tout temps et sur tout terrain n'est pas loin, dans l’observation que Dieu fait briller le soleil ou pleuvoir sans calculer sur qui le « mérite » ou pas. C'est aussi à une imitation de la générosité divine donnée dans les temps favorables que nous invite l'Ecclésiaste.


RP
L'Ecclésiaste

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8. 10 & 12 mai (ch. 11) - Le terme des choses - (PDF ici)