lundi 15 décembre 2014

Jésus homme




Jean 1, 14 : « La parole est devenue chair [...]. »

Hébreux 2, 14-18
14 Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable,
15 et qu’il délivrât tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude.
16 Car assurément ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la postérité d’Abraham.
17 En conséquence, il a dû être rendu semblable en toutes choses à ses frères […].
18 car, ayant été tenté lui-même dans ce qu’il a souffert, il peut secourir ceux qui sont tentés.


2 Co 5, 21 : « Celui qui n'a point connu le péché, il l'a fait (devenir) péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. »

Voilà des versets scandaleusement troublants (le Christ tenté comme nous — Hé 2, 18), et une approche, celle de ce ch. 2 de l’Épître Aux Hébreux, qui dit toute la radicalité scandaleuse (comme la crucifixion est scandale — 1 Co 1 & 2) de la prière de Jésus au Gethsémané (Marc 14, 32-36 et parallèles). Insistant sur le fait que le Christ n'a en aucun cas péché ! (4, 15), des textes comme 2 Corinthiens ou l’Épître aux Hébreux souligne la radicale humanité du Christ.

Au point que l'on pourrait presque se demander si le ch. 2 ne contredit pas le v. 15 du ch. 4 (« sans pécher ») ! Que signifie cette « tentation » qui a été la sienne ? Aurait-il conçu l’intention de pécher — mais cela est déjà pécher ! (Cf. Mt. 6), même si finalement il a résisté à la tentation...

La prière de Jésus au Gethsémané — « que soit faite ta volonté et non la mienne » — qu'assume donc ici l’Épître aux Hébreux, va jusqu'à recevoir ce que l’orthodoxie entérinera en 681 (au IIIe concile de Constantinople) en utilisant ces mêmes versets du Gethsémané pour refuser le « monothélisme » (l'idée qu'il n'y aurait qu'une seule volonté en Christ) et pour poser le dogme (orthodoxe) qui donne deux volontés en Christ : le Christ est doté de sa volonté propre, qui n'est pas celle du Père, ni même celle de la divinité en Christ, mais celle du Christ homme.


Marc 14, 32-36
32 Ils allèrent ensuite dans un lieu appelé Gethsémané, et Jésus dit à ses disciples : Asseyez-vous ici, pendant que je prierai.
33 Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à éprouver de la frayeur et des angoisses.
34 Il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort ; restez ici, et veillez.
35 Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta contre terre, et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloignât de lui.
36 Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.


Luc 22, 41-44
41 Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’environ un jet de pierre, et, s’étant mis à genoux, il pria,
42 disant : Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne.
43 Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier.
44 Etant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre.


Ainsi, sachant qu'une part de ce monde est déchéance et fruit de déchéance, la participation du Christ à la Création — « pour notre salut » — est participation mystérieuse au monde de la déchéance, ce qui se signifie en ce que le Christ est doté, outre la volonté divine incréée, d'une volonté créée, forcément distincte de la volonté divine.

Une pleine humanité donc, qui le conduit à une prière dans laquelle apparaît une lutte jusqu’à l’obéissance à Dieu pour recevoir une mort à laquelle il voudrait toutefois échapper, et donc une volonté du Christ qui se sépare, quant à son souhait, de la volonté du Père !

Cela correspond, dans les termes les plus tragiques, vécus dans toute leur intensité, à ce que dit 2 Corinthiens 5, 21 : « il a été fait péché pour nous » — sans pour autant commettre le péché, pas même en intention, mais selon l'ordre de sa participation à cette Création de péché — participation dont la marque est une volonté propre, dans la chair, et dans la volonté. Au point que lui qui n'a pas péché, prie avec nous les Psaumes portant nos confessions de péché et le Notre Père, demandant notre pardon. Solidarité totale avec nous : laisse faire ce qui est juste dit-il à Jean le Baptiste (Mt 3, 15) auquel il vient pour recevoir un baptême de repentance !

C'est ainsi que selon l’Épître Aux Hébreux, Jésus Christ est « élevé à la perfection par les souffrances » et devient pour les hommes (inscrits ainsi dans la postérité d’Abraham — Hé 2, 16) « le Prince de leur salut » : en soumettant sa volonté distincte de celle du Père (« que soit faite ta volonté et non la mienne ») ; ayant « appris, bien qu’il fût Fils, l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Hé 5, 8).


RP
« Qui dites-vous que je suis ? »
Un parcours non-exhaustif de la perception de Jésus


Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2014-2015
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
3) 16 & 18 décembre 2014 - L'homme (PDF)


dimanche 14 décembre 2014

Quelle lumière ?




Matthieu 5, 14-16
14  « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15  Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16  De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »

*

« Que votre lumière brille devant les humains afin qu’ils voient vos œuvres bonnes ». Quel rapport entre cette parole de Jésus et celle qu’il donne quelques versets plus loin (ch. 6, v. 1 sq.) : « gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus, autrement vous n'aurez pas de bénéfice auprès de votre Père qui est dans les cieux » ?

Dans l’une, Jésus invite ses disciples au secret ! « Gardez-vous de pratiquer votre justice pour être vus » — dans l'autre : « Que votre lumière brille devant tous »… Y aurait-il contradiction ? Il faut plutôt voir que les deux paroles s'expliquent l'une par l'autre.

Dans les deux cas Jésus invite à prendre au sérieux le message de la Bible. Pensons à ce que dit le Psaume 119, v. 11 : « Je serre ta promesse / ta parole dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi ». Et alors seulement ce qu’il attend de nous se produira, et se verra, sans qu’on le sache ou qu’on le veuille.

Autrement dit, il ne s’agit pas de faire voir une pratique religieuse particulière, qui au fond ne change rien à la situation du monde.

Une lampe est faite pour éclairer, la chose est claire. On ne la cache pas. Et la lumière vient de l’intérieur de la lampe. Comme la lumière de la parole de Dieu rayonne depuis le cœur qui la reçoit : « Je serre ta parole dans mon cœur ».

Le but n'est pas d'être remarqué par telle ou telle pratique. Tout le monde a certes bien repéré qui est qui par la différence des pratiques, voire rites, signes et gestes religieux. Mais ce n’est pas là ce que Dieu attend de nous. Il attend de nous que nous écoutions sa Parole, ses commandements, ses promesses, pour que l’image du Christ, la Lumière du monde, apparaisse en nous, qu’une vraie différence se fasse jour.

1) Jean 8, 12 : « Jésus [...] dit : Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »
2) Jean 9, 5 : « Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
3) Matthieu 5, 14 : « Vous êtes la lumière du monde. »

Le disciple du Christ ne se différencie pas par ses pratiques — Jésus avait les mêmes que les autres en Israël de son temps —, il se caractérise par son écoute de la Parole de Dieu et par ce qui en découle. C'est ainsi que l'on peut accueillir cette parole : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes », pour qu’en voyant ce qui en transparaît, « ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux ».

RP, Poitiers, « Lumières de Bethléem », 14/12/14

lundi 8 décembre 2014

Mme Putiphar


Le Tintoret, Joseph et Mme Potiphar, 1555 env.


Genèse 39, 1- 20 (TOB)
1 Joseph étant descendu en Égypte, Putiphar, eunuque du Pharaon, le grand sommelier, un Égyptien, l'acquit des mains des Ismaélites qui l'y avaient amené.
2 Le Seigneur fut avec Joseph qui s'avéra un homme efficace. Il fut à demeure chez son maître l’Égyptien.
3 Celui-ci vit que le Seigneur était avec lui et qu'il faisait réussir entre ses mains tout ce qu'il entreprenait.
4 Joseph trouva grâce aux yeux de son maître qui l'attacha à son service. Il le prit pour majordome et lui mit tous ses biens entre les mains.
5 Or, dès qu'il l'eut préposé à sa maison et à tous ses biens, le Seigneur bénit la maison de l’Égyptien à cause de Joseph ; la bénédiction du Seigneur s'étendit à tous ses biens, dans sa maison comme dans ses champs.
6 Il laissa alors tous ses biens entre les mains de Joseph et, l'ayant près de lui, il ne s'occupait plus de rien sinon de la nourriture qu'il mangeait. Or Joseph était beau à voir et à regarder
7 et, après ces événements, la femme de son maître leva les yeux sur lui et lui dit : « Couche avec moi. »
8 Mais il refusa et dit à la femme de son maître : « Voici que mon maître m'a près de lui et ne s'occupe plus de rien dans la maison. Il a remis tous ses biens entre mes mains.
9 Dans cette maison même, il ne m'est pas supérieur et ne m'a privé de rien sinon de toi qui es sa femme. Comment pourrais-je commettre un si grand mal et pécher contre Dieu ? »
10 Chaque jour, elle parlait à Joseph de se coucher à côté d'elle et de s'unir à elle, mais il ne l'écoutait pas.
11 Or, le jour où il vint à la maison pour remplir son office sans qu'il s'y trouve aucun domestique,
12 elle le saisit par son vêtement en disant : « Couche avec moi ! » Il lui laissa son vêtement dans la main, prit la fuite et sortit de la maison.
13 Quand elle vit entre ses mains le vêtement qu'il lui avait laissé en s'enfuyant au-dehors,
14 elle appela ses domestiques et leur dit : « Ça ! On nous a amené un Hébreu pour s'amuser de nous ! Il est venu à moi pour coucher avec moi et j'ai appelé à grands cris.
15 Alors, dès qu'il m'a entendue élever la voix et appeler, il a laissé son vêtement à côté de moi, s'est enfui et est sorti de la maison. »
16 Elle déposa le vêtement de Joseph à côté d'elle jusqu'à ce que son mari revienne chez lui.
17 Elle lui tint le même langage en disant : « Il est venu à moi pour s'amuser de moi, cet esclave hébreu que tu nous as amené.
18 Dès que j'ai élevé la voix et appelé, il a laissé son vêtement à côté de moi et s'est enfui au-dehors. »
19 Quand le maître entendit ce que lui disait sa femme — « Voilà de quelle manière ton esclave a agi envers moi » —, il s'enflamma de colère.
20 Il fit saisir Joseph pour le mettre en forteresse, lieu de détention pour les prisonniers du roi.

*

L’épisode, dans un premier temps, ne vise en gros qu’à souligner que c’est malgré sa loyauté que Joseph se retrouvera emprisonné suite à la colère d’un maître ne considérant que la preuve que lui apporte sa femme, désormais animée d’un désir de vengeance envers l’esclave qui l’a éconduite, et qui ne correspond manifestement pas à celui de son désir rêvé. Preuve irréfutable donnée à son mari que le désir serait le fait de Joseph : il a oublié sa chemise…

Très tôt le thème a retenu les développements de toute une tradition concernant le désir de la dame. Ce donc, dès les commentaires juifs. C’est cela que reprendra l’islam, et notamment les courants qui ont développé la mystique amoureuse et la réflexion sur la mystique amoureuse : la lecture soufie (mystique musulmane) de ce thème issu de la Bible — tel que relu par la tradition talmudique et par la tradition juive apocryphe, héritées dans le Coran.

Il s’agit des tiraillements — disons — amoureux, de celle qui est dans la Bible Mme Putiphar, à l’égard de l’Hébreu Joseph. La Bible ne la nomme pas. La mystique arabe l’appelle Zoleïkhâ. Dans la Bible, cette dame, épouse du maître de Joseph devenu esclave, se met à le désirer, au point que pour ne pas succomber à ses avances, Joseph est contraint d’abandonner sa chemise entre les mains de la dame brûlant de désir. Joseph entend en effet rester loyal à l’égard de son maître.

*

(Ci-dessous, extrait de : L'autre rêvé, l'autre réel)

Un connaisseur du soufisme, Christian Jambet, explique un roman que développe en persan à partir du thème de Yusûf et Zoleikhâ le mystique Abd Ar-Rahmân Jâmî au XVème siècle (cf. Christian Jambet, Le caché et l’apparent, Paris, L’Herne, 2003, p. 101-122).

Zoleikhâ bénéficie des faveurs d’un homme brillant, le Putiphar de la Bible, qui peut même lui payer le luxe de l’achat d’esclaves, dont le bel adolescent Joseph — Yusûf dans le monde arabe. Esclave, Yusûf ne brille pas par son statut, contrairement au mari de Zoleikhâ ! Zoleikhâ veut autre chose : de meilleurs gènes pressentis peut-être, un désir de nouveauté, voire de vigueur, admettons, en alternative à un mari chez qui l’âge et la lassitude rendent « la sauterelle pesante et la câpre laborieuse » (pour le dire dans les termes de l’Ecclésiaste — ch. 11) — écho de la Bible présentant Putiphar comme un eunuque (Gn 39, v. 1) ?… (Rester prudent avec ce terme, qui dans la Bible ne désigne peut-être que la consécration à un service royal, et pas la castration... Sinon, pourquoi une épouse ?)

On sait que ce que demande Zoleikhâ à Yusûf correspond à un service qui était parfois demandé aux esclaves ; et que Joseph, dans la Bible, refuse par loyauté, mais aussi, ne se sentant pas esclave, par un sens aigu de sa dignité — conviction récurrente dans le cycle biblique le concernant.

Mais rien de tout cela dans le mythe musulman que développe Abd Ar-Rahmân Jâmî. Ici c’est en songe que Yusûf est apparu à Zoleikhâ, bien avant qu’il ne soit vendu comme esclave par ses frères. C’est en songe qu’il se présente alors à elle comme Premier ministre, ce qu’il deviendra, selon la Bible, mais bien plus tard. C’est sur la base de cette confusion onirique que Zoleikhâ épouse son mari Putiphar, alors effectivement Premier ministre. On reconnaît dans ces confusions oniriques, une thématique proche de celle de Tristan et Iseult. Où l’on trouve le désir d’un autre rêvé, ne correspondant évidemment pas à l’être réel.

Comme pour les amants celtiques Tristan et Iseult, l’amour pour le beau jeune homme, Yusûf, a un fondement dans l’éternité que sa beauté signifie avant qu’elle ne soit enfouie dans — j’allais dire — le lieu corporel qu’illustre sa descente dans la fameuse fosse où le déposent ses frères et qui annonce ses enfouissements ultérieurs dans l’esclavage et la prison.

C’est ce signe d’éternité préalable qu’a perçu Zoleikhâ : un signe d’éternité pointé par la beauté. Et sachant que le Premier ministre qu’elle a épousé n’est pas le bel adolescent de son rêve prophétique, elle commence à dépérir : « sa beauté se fane, son âme tombe dans le désespoir, elle maigrit, sa taille est près de se briser », écrit Christian Jambet (p. 105). Bref, elle vieillit. Où l’on perçoit bien, ici, l’insuffisance de la lecture triviale qui lui ferait préférer le jeune Yusûf à un mari vieillissant.

C’est sa beauté à elle qui s’estompe, pour une raison qu’ignore évidemment son raisonnable de mari (qui n’a donc, lui, aucune raison de perdre sa santé) ; sa beauté s’estompe parce qu’elle a perdu la source de cette beauté telle qu’elle en a eu la vision en songe : Yusûf comme fontaine de jouvence, et signe de Dieu.

Voilà qui nous transporte vers d’autres interprétations possibles du pouvoir de fascination des jeunes naïades et autres éphèbes publicitaires et télévisés. Fascination comme fruit d’une nostalgie d’une Beauté idéelle demeurée au ciel des Idées et perdue aux corps des naïades et des Joseph qui déjà donnent les signes du flétrissement annonciateur des maisons de retraite. Le beau fruit en plein mûrissement… Destin d’un fruit : il mûrit, pourrit et tombe.

« Zoleikhâ retrouve sa beauté, sa jeunesse, sa joie de vivre, au moment précis où elle pense succomber à la mort », nous dit Christian Jambet (p. 105), qui poursuit : « En l’union extatique, elle s’identifie à Joseph […]. On ne sait plus qui est Joseph, qui est Zoleikhâ, comme si c’était Joseph qui se sauvait lui-même dans l’épreuve de Zoleikhâ, et dans l’identité d’amour de l’amante et de l’aimé ».

Où l’on rejoint le soufi andalou du XIIème siècle, Ibn ‘Arabi de Murcie (1165-1240), musulman espagnol qui dans la lignée des fidèles d’Amour proclame qu’ « avant que le monde soit, Dieu est l’Amour, l’Amant et l’Aimé. » Mais qui a saisi ce dévoilement, dont la beauté de la jeunesse est le signe, ne s’arrêtera pas au fruit mûrissant, pourrissant déjà, qui en a recueilli les traces. La résurrection de Zoleikhâ n’est évidemment pas sans le dépouillement de ses oripeaux corporels.

La nostalgie de la splendeur perdue dont Joseph donnait le signe et dont le temps de l’oubli avait trempé ses oripeaux alors nouveaux, illustrés par sa chemise abandonnée, a vu cette chemise dégoûter lentement de la Beauté qui l’imprégnait antan, la constituait. Pour qui s’attache à la chemise, les lendemains déchantent, déchanteront toujours, accompagnant l’amer désir de capturer l’autre, de lui imposer mainmise.

*

Sous peine de n’être que larmes, la nostalgie devient alors signe. Aussi la nostalgie en question ne renvoie pas à un temps jadis de fraîcheur des chairs juvéniles, mais à un outre-temps, en constante déperdition en ce temps-ci.

Dans les interstices du flétrissement promis vers lequel nous sommes plongés dès la précipitation de la naissance, prend place ce discernement qui renaît du regard d’amour — à même de concevoir le paradoxe du pacte du quotidien ! Qui reconnaît à l’autre qu’il est autre, qu’il est libre de l’être, jusqu’en son quotidien le plus trivial et fatigué.

Quelque chose de la Beauté perdue qui l’a fondée demeure au cœur de l’être de Zoleikhâ.

Dans le miroir du regard de l’un vers l’autre — l’œil fenêtre de l’âme — a émergé irréfutablement quelque chose qui va bien au-delà des formes généreuses et des courbes harmonieuses d’antan, quelque chose qui demeure au-delà de l’oubli.

*

Revenons à la passion et à son sens réel, à savoir un sens de l’ordre du religieux ! L’idéal n’est pas dans le vis-à-vis mais dans l’inaccessible que le vis-à-vis de l’autre signifie et cache : il est en Dieu, qui est au-delà même de l’idéal.

« Celui qui aime, garde son secret, reste chaste, et meurt d’amour, celui-là meurt martyr », dit un hadith en lien avec ces mythes. Il est bien question, en effet, d’un rapprochement de l’amour mystique et de l’amour « humain ». Car l’amour pour Dieu, cet amour que souffrent les mystiques, rapproche de la souffrance de l’amour inabouti de l’amant pour l’aimée.

Tout le problème est précisément celui de la relation entre cet amour, humain, et l’amour porté à Dieu — les soufis parlent d’un dévoilement de Dieu à lui-même, le regard de Dieu sur lui-même, dans le regard de l’amant humain pour l’être humain objet de son amour.

C’est aussi dans cette tradition que se situe Ibn ‘Arabi quand il enseigne que c’est Dieu « qui se manifeste à tout être aimé et au regard de tout amant. Il n’y a ainsi qu’un seul Amant dans l’Existence universelle (et c’est Dieu) de telle sorte que le monde tout entier est amant et aimé ». (Ibn ‘Arabi, Traité de l’amour, trad. M. Gloton, Albin Michel, 1986, p. 59. Cf. aussi Rûzbehân Baqlî Shirazi, Jasmin des fidèles d’amour, trad. H. Corbin, Verdier, 1991.)

Voilà un dévoilement décisif pour ne pas tenter de posséder l’autre : ce n’est pas lui qui réalise l’idéal qu’il nous a permis d’entrevoir : lui, il faut donc le laisser être ce qu’il est.

Voilà une mystique de l’amour qui fleurissait chez les soufis, et qui est au moins une des sources de l’amour courtois. Le philosophe catalan des XIIIe-XIVe siècles Raymond Lulle n’hésitera pas à revendiquer l’influence soufie en exergue de son Livre de l’Ami et de l’Aimé.

Amour courtois en Occident, troubadours donc. Analysant le mythe courtois de Tristan et Iseult, Denis de Rougemont (L’amour et l’Occident, Paris, Plon/U.G.E. – coll. 10/18, 1972) remarque que l’amour de Tristan pour Iseult, et réciproquement, n’est jamais que recherche de l’impossible, recherche narcissique de soi à l’occasion de l’autre.

Dans l’étude de Denis de Rougemont, ce narcissisme, névrotique, débouche sur la rencontre de soi dans la mort, seule recherchée finalement dans l’autre rendu inaccessible. Par la passion, pour une sorte d’union mystique.

Dans ce carrefour de civilisation, qui va de l’Espagne musulmane à l’Europe courtoise, l’on est désormais au fait à la fois de la splendeur de Dieu et par là-même de son inaccessibilité, et de ce qu’elle renvoie finalement à celle de l’Autre, et de l’autre humain également, mais que l’autre ne se confond pas avec ce qu’il a permis de percevoir. L’Autre est dévoilement pour chacun de son propre infini en Dieu, et donc son propre abîme — intuition de ce que dira le freudisme quant à ce que le fantasme, moteur du désir, ne peut, pour cela-même, être assouvi.

*

Kierkegaard l’a exprimé au plus précis, concernant « le jeune homme » de La reprise : « la jeune fille n’était pas aimée ; elle était l’occasion, pour le poétique de s’éveiller en lui ». C’est pourquoi,… ment-il (en toute sincérité !) qu’ « il ne pouvait aimer qu’elle [...] ; et pourtant, il ne pouvait que languir auprès d’elle, continuellement » (Kierkegaard, La reprise, Paris, Flammarion, coll. GF, 1990, p.73-74). Auprès ou, sans doute mieux, au loin. Pensons ici au troubadour médiéval Jaufré Rudel, vouant un culte exalté, sur simple ouï-dire, à la Beauté d’une Dame syrienne, Dame qu’il n’a jamais vue !

L’amour s’adresse-t-il en effet à celle que l’on dit exaltée, à la dame concrète, quand son poète devine, au fond, désirer surtout éviter sa vraie rencontre ? L’amour ne se signifiera que dans un engagement concret, charnel, quotidien, qui précisément, est la ruine de la quête de l’inaccessible. Libérant de la tentation vaine de posséder l’autre inaccessible, il se traduit simplement en engagement concret propre à laisser l’autre libre d’être ce qu’il est.


RP (extrait de : source)
Du féminin et de quelques
figures féminines dans la Bible


Église protestante unie de France / Poitiers
Etude biblique 2014-2015
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
3) 9 & 11 décembre 2014 - Mme Putiphar (PDF)


lundi 17 novembre 2014

Le Préexistant




Le Christ, le Ressuscité — « premier né d'entre les morts » (Col 1, 18) — est reçu dans le Nouveau Testament comme préexistant, c'est-à-dire comme existant avant ce temps, avant la Création du monde — « tout a été créé par lui, dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles » (Col 1, 16).

Colossiens 1
15 Il est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute création ;
16 car c'est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, le visible et l'invisible, trônes, seigneuries, principats, autorités ; tout a été créé par lui et pour lui ;
17 lui, il est avant tout, et c'est en lui que tout se tient ;
18 lui, il est la tête du corps — qui est l’Église. Il est le commencement, le premier-né d'entre les morts, afin d'être en tout le premier.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude
20 et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix.



Le Prologue de Jean le reçoit comme la Parole créatrice de la Genèse en vis-à-vis de Dieu — parallèle à « l’image de Dieu » de l’épître aux Colossiens (v.1). Le grec reprend les mots de la Bible de LXX dans les Genèse : en arkhe — au commencement —, logos — parole, raison — pour parler de la précédence de cette parole par rapport au temps : « la Parole était Dieu », Le symbole de Nicée-Constantinople rendra cette affirmation par « de même essence » que le Père.

Jean 1
1 Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement auprès de Dieu.
3 Tout est venu à l'existence par elle, et rien n'est venu à l'existence sans elle. Ce qui est venu à l'existence
4 en elle était vie, et la vie était la lumière des humains.
5 La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres n'ont pas pu la saisir.
[...]
9 La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde.
10 Elle était dans le monde, et le monde est venu à l'existence par elle, mais le monde ne l'a jamais connue.
11 Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ;
12 mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu — à ceux qui mettent leur foi en son nom.
13 Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu.
14 La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.



Selon le même évangile de Jean, Jésus affirme sa propre éternité préexistante : « Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. » (Jean 8, 58)

Le « devenir chair » (Jn 1, 14) de cette parole rejoint la notion de préexistence du Ressuscité de l'épître aux Colossiens, le Ressuscité étant celui qui a pris chair dans le temps. Cela renvoie à l'idée de préexistence telle qu'elle est connue par ailleurs à l'époque du Nouveau Testament, relevant d'un enracinement de la créature dans la pensée de Dieu avant qu'elle ne soit produite dans notre temps. C'est ainsi que la parole éternelle et incréée, image éternelle de Dieu créatrice de toutes choses, est déjà manifestée avant le temps comme « premier-né de toute création » (Col 1, 15) : cela est dévoilé dans la résurrection, qui parle donc aussi, outre sa préexistence éternel, comme Dieu auprès de Dieu, d'une préexistence du Christ comme appelé à devenir chair, comme créature humaine donc.


Ce monde préexistant où il es question de Fils de l'Homme qui est dans les cieux — auquel le Christ est identifié dans le Nouveau Testament — apparaît dans la Bible hébraïque, notamment au livre de Daniel (cf. aussi Ezéchiel). (Cf. Daniel Boyarin, Le Christ juif, éd. du Cerf, 2013))

Daniel 10
5 Levant les yeux, je vis un homme vêtu de lin avec une ceinture d'or d'Ouphaz autour des reins.
6 Son corps était comme de chrysolithe, son visage comme l'aspect de l'éclair, ses yeux comme un feu flamboyant, ses bras et ses jambes comme l'éclat du bronze poli, et sa voix comme un tumulte.
7 Moi, Daniel, je vis seul la vision ; les hommes qui étaient avec moi ne virent pas la vision, mais ils furent saisis d'une grande frayeur et s'enfuirent pour se cacher.
8 Je restai, moi seul, et je vis cette grande vision ; les forces me manquèrent, mon visage pâlit et fut décomposé, et je n'eus plus aucune force.
9 J'entendis sa voix ; et comme j'entendais sa voix, je fus frappé de torpeur, face contre terre.
10 Alors une main me toucha et me mit, tout tremblant, sur mes genoux et sur mes mains.
11 Puis il me dit : Daniel, homme bien-aimé, sois attentif aux paroles que je vais te dire, et tiens-toi debout à la place où tu es ; car je suis maintenant envoyé vers toi. Lorsqu’il m’eut ainsi parlé, je me tins debout en tremblant.
12 Il me dit : Daniel, ne crains rien ; car dès le premier jour où tu as eu à cœur de comprendre, et de t’humilier devant ton Dieu, tes paroles ont été entendues, et c’est à cause de tes paroles que je viens.
13 Le chef du royaume de Perse m’a résisté vingt et un jours ; mais voici, Micaël, l’un des principaux chefs, est venu à mon secours, et je suis demeuré là auprès des rois de Perse.
14 Je viens maintenant pour te faire connaître ce qui doit arriver à ton peuple dans la suite des temps ; car la vision concerne encore ces temps-là.
15 Tandis qu’il m’adressait ces paroles, je dirigeai mes regards vers la terre, et je gardai le silence.
16 Et voici, quelqu’un qui avait l’apparence des fils de l’homme toucha mes lèvres. J’ouvris la bouche, je parlai, et je dis à celui qui se tenait devant moi : Mon seigneur, la vision m’a rempli d’effroi, et j’ai perdu toute vigueur.



Apparaît ici un monde préexistant... un monde angélique dont participe l'humain et notamment cette figure du Fils de l'Homme auquel Jésus s'identifie dans le Nouveau Testament. L’Apocalypse suggère cette préexistence jusqu'en toute la réalité de son vécu dans le temps, envisageant l'éternité de l'événement de la croix, proche de ce que l’apparition du Ressuscité à Thomas (Jean 20), nous en montre les plaies. Selon une lecture possible du texte, « l'agneau de Dieu » est « immolé depuis la fondation du monde ».

Apocalypse 13, 8
Tous les habitants de la terre, ceux dont le nom n'a pas été inscrit sur le livre de la vie de l'agneau immolé depuis la fondation du monde, se prosterneront devant elle [la bête].


La théologie chrétienne de l'Antiquité — avec notamment le théologien Origène (IIe IIIe s.) — , rejoignant une idée juive et grecque, considère que tous les êtres humains participent de cette préexistence comme créatures. Cette théologie trouve des enracinements possibles dans le Nouveau Testament.

Romains 8
29 Ceux qu'il a connus d'avance, il les a aussi destinés d'avance à être configurés à l'image de son Fils, pour qu'il soit le premier-né d'une multitude de frères.
30 Et ceux qu'il a destinés d'avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés.


Éphésiens 1
4 Avant la création du monde, Dieu nous a choisis dans le Christ pour que nous soyons saints et sans défaut devant ses yeux. Dieu nous aime
5 et, depuis toujours, il a voulu que nous devenions ses fils par Jésus-Christ. Il a voulu cela dans sa bonté.



Ici, le Christ préexistant auquel nous sommes assimilés par la foi nous fait accéder au statut de créatures préexistant avant la Création du monde dans la pensée de Dieu.


RP
« Qui dites-vous que je suis ? »
Un parcours non-exhaustif de la perception de Jésus


Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2014-2015
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
2) 18 et 20 novembre - Le Préexistant (PDF)


lundi 10 novembre 2014

Sarah ; Rébecca ; Léa et Rachel (vs Lilith)



Genèse 11
29 Abram et Nachor prirent des femmes: le nom de la femme d’Abram était Saraï, et le nom de la femme de Nachor était Milca, fille d’Haran, père de Milca et père de Jisca.
30 Saraï était stérile : elle n’avait point d’enfants.
31 Térach prit Abram, son fils, et Lot, fils d’Haran, fils de son fils, et Saraï, sa belle-fille, femme d’Abram, son fils. Ils sortirent ensemble d’Ur en Chaldée, pour aller au pays de Canaan. Ils vinrent jusqu’à Charan, et ils y habitèrent.

Genèse 12
5 Abram prit Saraï, sa femme, et Lot, fils de son frère, avec tous les biens qu’ils possédaient et les serviteurs qu’ils avaient acquis à Charan. Ils partirent pour aller dans le pays de Canaan, et ils arrivèrent au pays de Canaan. [...]
11 Comme il était près d’entrer en Égypte, il dit à Saraï, sa femme : Voici, je sais que tu es une femme belle de figure.
12 Quand les Égyptiens te verront, ils diront : C’est sa femme ! Et ils me tueront, et te laisseront la vie.
13 Dis, je te prie, que tu es ma sœur, afin que je sois bien traité à cause de toi, et que mon âme vive grâce à toi.
14 Lorsque Abram fut arrivé en Égypte, les Égyptiens virent que la femme était fort belle.
15 Les grands de Pharaon la virent aussi et la vantèrent à Pharaon ; et la femme fut emmenée dans la maison de Pharaon.
16 Il traita bien Abram à cause d’elle ; et Abram reçut des brebis, des bœufs, des ânes, des serviteurs et des servantes, des ânesses, et des chameaux.
17 Mais l’Éternel frappa de grandes plaies Pharaon et sa maison, au sujet de Saraï, femme d’Abram.

Genèse 16
1 Saraï, femme d’Abram, ne lui avait point donné d’enfants. Elle avait une servante Egyptienne, nommée Agar.
2 Et Saraï dit à Abram : Voici, l’Éternel m’a rendue stérile ; viens, je te prie, vers ma servante ; peut-être aurai-je par elle des enfants. Abram écouta la voix de Saraï.
3 Alors Saraï, femme d’Abram, prit Agar, l’Égyptienne, sa servante, et la donna pour femme à Abram, son mari, après qu’Abram eut habité dix années dans le pays de Canaan.
4 Il alla vers Agar, et elle devint enceinte. Quand elle se vit enceinte, elle regarda sa maîtresse avec mépris.
5 Et Saraï dit à Abram : L’outrage qui m’est fait retombe sur toi. J’ai mis ma servante dans ton sein ; et, quand elle a vu qu’elle était enceinte, elle m’a regardée avec mépris. Que l’Éternel soit juge entre moi et toi !
6 Abram répondit à Saraï : Voici, ta servante est en ton pouvoir, agis à son égard comme tu le trouveras bon. Alors Saraï la maltraita ; et Agar s’enfuit loin d’elle.

Genèse 17
15 Dieu dit à Abraham : Tu ne donneras plus à Saraï, ta femme, le nom de Saraï ; mais son nom sera Sara.
16 Je la bénirai, et je te donnerai d’elle un fils ; je la bénirai, et elle deviendra des nations ; des rois de peuples sortiront d’elle.
17 Abraham tomba sur sa face ; il rit, et dit en son cœur : Naîtrait-il un fils à un homme de cent ans ? et Sara, âgée de quatre-vingt-dix ans, enfanterait-elle ?
18 Et Abraham dit à Dieu : Oh ! qu’Ismaël vive devant ta face !
19 Dieu dit : Certainement Sara, ta femme, t’enfantera un fils ; et tu l’appelleras du nom d’Isaac. J’établirai mon alliance avec lui comme une alliance perpétuelle pour sa postérité après lui.

Genèse 18
1 L’Éternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour.
2 Il leva les yeux, et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente, et se prosterna en terre.
3 Et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton serviteur.
4 Permettez qu’on apporte un peu d’eau, pour vous laver les pieds ; et reposez-vous sous cet arbre.
[...]
9 Alors ils lui dirent : Où est Sara, ta femme ? Il répondit : Elle est là, dans la tente.
10 L’un d’entre eux dit : Je reviendrai vers toi à cette même époque ; et voici, Sara, ta femme, aura un fils. Sara écoutait à l’entrée de la tente, qui était derrière lui.
11 Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge : et Sara ne pouvait plus espérer avoir des enfants.
12 Elle rit en elle-même, en disant : Maintenant que je suis vieille, aurais-je encore des désirs ? Mon seigneur aussi est vieux.
13 L’Eternel dit à Abraham : Pourquoi donc Sara a-t-elle ri, en disant: Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, moi qui suis vieille ?
14 Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l’Éternel ? Au temps fixé je reviendrai vers toi, à cette même époque ; et Sara aura un fils.

Genèse 20
2 Abraham disait de Sara, sa femme : C’est ma sœur. Abimélec, roi de Guérar, fit enlever Sara. [...]
13 Lorsque Dieu me fit errer loin de la maison de mon père, je dis à Sara : Voici la grâce que tu me feras ; dans tous les lieux où nous irons, dis de moi : C’est mon frère.
14 Abimélec prit des brebis et des bœufs, des serviteurs et des servantes, et les donna à Abraham ; et il lui rendit Sara, sa femme. [...]
16 Et il dit à Sara : Voici, je donne à ton frère mille pièces d’argent ; cela te sera un voile sur les yeux pour tous ceux qui sont avec toi, et auprès de tous tu seras justifiée.
18 Car l’Éternel avait frappé de stérilité toute la maison d’Abimélec, à cause de Sara, femme d’Abraham.

Genèse 21
1 L’Éternel se souvint de ce qu’il avait dit à Sara, et l’Éternel accomplit pour Sara ce qu’il avait promis.
2 Sara devint enceinte, et elle enfanta un fils à Abraham dans sa vieillesse, au temps fixé dont Dieu lui avait parlé.
3 Abraham donna le nom d’Isaac au fils qui lui était né, que Sara lui avait enfanté. [...]
6 Et Sara dit : Dieu m’a fait un sujet de rire ; quiconque l’apprendra rira de moi.
7 Elle ajouta : Qui aurait dit à Abraham: Sara allaitera des enfants ? Cependant je lui ai enfanté un fils dans sa vieillesse. [...]
12 [...] Accorde à Sara tout ce qu’elle te demandera ; car c’est d’Isaac que sortira une postérité qui te sera propre.

Genèse 23
1 La vie de Sara fut de cent vingt-sept ans : telles sont les années de la vie de Sara.
2 Sara mourut à Kirjath-Arba, qui est Hébron, dans le pays de Canaan ; et Abraham vint pour mener deuil sur Sara et pour la pleurer.
19 Après cela, Abraham enterra Sara, sa femme, dans la caverne du champ de Macpéla, vis-à-vis de Mamré, qui est Hébron, dans le pays de Canaan.

Genèse 24
1 Abraham était vieux, avancé en âge ; et l’Éternel avait béni Abraham en toute chose.
2 Abraham dit à son serviteur, le plus ancien de sa maison, l’intendant de tous ses biens : Mets, je te prie, ta main sous ma cuisse ;
3 et je te ferai jurer par l’Éternel, le Dieu du ciel et le Dieu de la terre, de ne pas prendre pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens au milieu desquels j’habite,
4 mais d’aller dans mon pays et dans ma patrie prendre une femme pour mon fils Isaac.
[...]
59 Et ils laissèrent partir Rebecca, leur sœur, et sa nourrice, avec le serviteur d’Abraham et ses gens.
60 Ils bénirent Rebecca, et lui dirent: O notre sœur, puisses-tu devenir des milliers de myriades, et que ta postérité possède la porte de ses ennemis !
61 Rebecca se leva, avec ses servantes ; elles montèrent sur les chameaux, et suivirent l’homme. Et le serviteur emmena Rebecca, et partit. [...]
63 Un soir qu’Isaac était sorti pour méditer dans les champs, il leva les yeux, et regarda ; et voici, des chameaux arrivaient.
64 Rebecca leva aussi les yeux, vit Isaac, et descendit de son chameau.
65 Elle dit au serviteur : Qui est cet homme, qui vient dans les champs à notre rencontre ? Et le serviteur répondit: C’est mon seigneur. Alors elle prit son voile, et se couvrit.
66 Le serviteur raconta à Isaac toutes les choses qu’il avait faites.
67 Isaac conduisit Rebecca dans la tente de Sara, sa mère ; il prit Rebecca, qui devint sa femme, et il l’aima. Ainsi fut consolé Isaac, après avoir perdu sa mère.

Genèse 29
10 Lorsque Jacob vit Rachel, fille de Laban, frère de sa mère, et le troupeau de Laban, frère de sa mère, il s’approcha, roula la pierre de dessus l’ouverture du puits, et abreuva le troupeau de Laban, frère de sa mère.
11 Et Jacob embrassa Rachel, il éleva la voix et pleura. [...]
16 Or, Laban avait deux filles : l’aînée s’appelait Léa, et la cadette Rachel.
17 Léa avait les yeux délicats ; mais Rachel était belle de taille et belle de figure.
18 Jacob aimait Rachel, et il dit : Je te servirai sept ans pour Rachel, ta fille cadette.
19 Et Laban dit : J’aime mieux te la donner que de la donner à un autre homme. Reste chez moi !
20 Ainsi Jacob servit sept années pour Rachel : et elles furent à ses yeux comme quelques jours, parce qu’il l’aimait.
21 Ensuite Jacob dit à Laban : Donne-moi ma femme, car mon temps est accompli : et j’irai vers elle.
22 Laban réunit tous les gens du lieu, et fit un festin.
23 Le soir, il prit Léa, sa fille, et l’amena vers Jacob, qui s’approcha d’elle.
24 Et Laban donna pour servante à Léa, sa fille, Zilpa, sa servante.
25 Le lendemain matin, voilà que c’était Léa. Alors Jacob dit à Laban : Qu’est-ce que tu m’as fait ? N’est-ce pas pour Rachel que j’ai servi chez toi ? Pourquoi m’as-tu trompé ?
26 Laban dit : Ce n’est point la coutume dans ce lieu de donner la cadette avant l’aînée.
27 Achève la semaine avec celle-ci, et nous te donnerons aussi l’autre pour le service que tu feras encore chez moi pendant sept nouvelles années.
28 Jacob fit ainsi, et il acheva la semaine avec Léa ; puis Laban lui donna pour femme Rachel, sa fille.
29 Et Laban donna pour servante à Rachel, sa fille, Bilha, sa servante.
30 Jacob alla aussi vers Rachel, qu’il aimait plus que Léa ; et il servit encore chez Laban pendant sept nouvelles années.
31 L’Éternel vit que Léa n’était pas aimée ; et il la rendit féconde,

Genèse 49:31 Là [dans la caverne de Macpéla] on a enterré Abraham et Sara, sa femme ; là on a enterré Isaac et Rebecca, sa femme ; et là j’ai enterré Léa.

*

Au delà de la trivialité qui apparaît là, celle d'une vie matrimoniale chargée d'aléas, avec des femmes vouées à « servir leur seigneur » dans le cadre d'une réalité qui oblitère aisément désir et passion, désir et passion n'en transparaissent pas moins, notamment avec la figure de Rachel. Une autre réalité, qui travaille l’âme et l'inconscient, et qui donne naissance à une autre figure de la féminité, une féminité rêvée, mythique, où se rejoignent aspiration des femmes et crainte des hommes. Figure éminente, au nom ignoré de la Bible (sauf un verset d' Esaïe), Lilith...

Lilith, absente du récit de la Genèse, première femme d'Adam dans les traditions juives, est porteuse de ce qui fait le côté obscur de la féminité aux yeux de plusieurs : rébellion face à l'autorité, sexualité active, désir de liberté... "Je suis la première Eve. L’autre ne fut que l’ombre de toi-même, car tu pris peur homme !" (Alice Yvernat, "Reflets Éternels", in Lilith et ses sœurs)

Le nom de Lilith n’apparaît, désignant une figure de spectre nocturne, que dans un seul verset de la Bible hébraïque, au livre du prophète Esaïe (ch. 34, v. 14)...

Esaïe 34
9 Les oueds d'Edom seront changés en goudron et sa poussière en soufre ; sa terre sera comme du goudron qui brûle.
10 Elle ne s'éteindra ni la nuit, ni le jour, la fumée s'en élèvera toujours ; elle restera en ruine de génération en génération, à tout jamais personne n'y passera.
11 Le pélican et le hérisson en prendront possession. La chouette et le corbeau y demeureront. On y tendra le cordeau du chaos et le niveau du vide.
12 Ses notables ne seront plus là pour proclamer un roi, tous ses princes ne seront plus.
13 Les épines pousseront dans ses palais, les orties et les ajoncs dans ses forteresses ; ce sera le domaine des chacals, un emplacement pour les autruches.
14 Les habitants du désert y rencontreront les hyènes, et les boucs s'y appelleront les uns les autres ; là le spectre de la nuit [Lilith] séjournera tranquille, il trouvera son lieu de repos...

« Dans ce passage, Lilith fait partie des douze bêtes sauvages qui envahiront le pays dévasté d’Édom [...]. L’Encyclopédie du judaïsme nous la décrit comme "un démon femelle" qui serait le second personnage du trio démoniaque assyrien Lilu, Lilit et Ardat Lilit. »

Le décalage entre Genèse 1 et Genèse 2 originerait le mythe supposant Lilith comme première femme d'Adam, antérieure à Ève. Adam s’écrie à la découverte d'Eve : « Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! » (Gn 2, 23). Y a t-il eu une autre fois ?

« Lilith étoit, disent les rabbins, la première femme d’Adam qui se sépara de son mari ; et ne voulut plus retourner avec lui, quoique Dieu lui eût envoyé deux anges pour l’y contraindre. [...] Isaïe (XXXIV.14) fait mention de Lilith et saint Jérôme la traduit par Lamia, et les Septante par Onocentaure. Nous croyons que ce terme signifie un oiseau nocturne, et de mauvaise augure [...]. Lilith en hébreu signifie la nuit. » (Dictionnaire historique de la Bible d'Augustin Calmet, 1722).

Trace allusive au Psaume 91, v. 5-6 ? « Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, Ni la flèche qui vole de jour, Ni la peste qui marche dans les ténèbres, Ni la contagion qui frappe en plein midi ».

Ou en Proverbes 2, 16-19 ? « Pour te sauver de la femme étrangère, de l’étrangère qui use de paroles flatteuses, qui abandonne le guide de sa jeunesse, et qui a oublié l’alliance de son Dieu ; – car sa maison penche vers la mort, et ses chemins vers les trépassés : aucun de ceux qui entrent auprès d’elle ne revient ni n’atteint les sentiers de la vie ».

Au fond, « [...] Elle est l’incarnation de l’Éros perturbé, quand l’homme est séparé de sa partie féminine extériorisée, et qu’il voit devant lui. Avant elle faisait partie de lui, l’Adam androgyne. Donc à partir de là, la plainte de Lilith, dans la tradition, qui se défend parfaitement : qu’aviez-vous à me reprocher ? Je suis aussi divine qu’Adam. J’ai été créée en même temps. Je suis du Feu, et ce Feu m’a été donné à l’incarnation, à la naissance, au moment de la création humaine ». (A.D. Grad).

« Pourquoi devrais-je être sous toi ? » demanda-t-elle à Adam, « J’ai été créée de la poussière, et suis par conséquent ton égale. »

« C’est l’homme qui reçoit une tache à chaque nouvelle lune. Car Lilith ne le laisse jamais en paix, mais à chaque nouvelle lune elle vient visiter tous ceux qu’elle a emmenés et elle joue avec eux ; c’est à ce moment que l’homme reçoit la tache ». (Zohar)

« Au delà de l’image misogyne habituelle, on découvre en fait une femme libre, indépendante, refusant l’ordre établi [...], une révélatrice de nos pulsions les plus enfouies. »

(En italique ci-dessus, des extraits de l'article de Spartakus FreeMann, "Lilith au sein du mysticisme juif". Voir aussi l'article de Vanessa Rousseau, "Lilith, une androgynie oubliée".)


RP
Du féminin et de quelques
figures féminines dans la Bible


Église protestante unie de France / Poitiers
Etude biblique 2014-2015
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
2) 11 & 13 novembre 2014 - Sarah ; Rébecca ; Léa et Rachel (vs Lilith) (PDF)

lundi 20 octobre 2014

Le Ressuscité




Tout (re)commence là, autour d'un tombeau vide : Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre. [...]
Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit; venez voir l’endroit où il gisait. (Matt. 28)

Les informations sur Jésus et sur la communauté qu’il rassemble proviennent de ses disciples. Dans le milieu de ceux que Jésus appellera à être ses apôtres, certains consigneront leur témoignage par écrit. Jésus, par son message et ses actes, avait attiré à lui ceux qui l’ont vu comme un prophète, puis comme le Messie. Juifs, les disciples, qui voient en Jésus le Messie promis se tournent vers leurs Écritures (la Bible hébraïque, appelée par la suite « Ancien Testament » par les chrétiens) pour mieux comprendre ce qu’ils perçoivent comme accomplissement de ce qui avait été annoncé et rendre témoignage de ce qu'ils avaient vécu auprès de Jésus. Les souvenirs qu’ils gardent de ses paroles et de ses gestes, transmis à la postérité par ceux qui écriront les Évangiles, évoquent le passage de Jésus sur terre à la lumière de leur foi à son relèvement d'entre les morts le dimanche de Pâques. « Nous ne connaissons plus selon la chair », écrira Paul, qui lui, n’a pas connu Jésus « selon la chair ». Ceux qui l’ont connu présentent la vie terrestre de leur maître qui appelait Dieu son Père comme incarnation de celui qui est désormais pour eux d’abord le Ressuscité, le Fils de Dieu. Il serait donc vain de chercher à utiliser les données du Nouveau Testament pour en faire un compte rendu du déroulement des événements concernant Jésus à la façon d’une biographie.

Le christianisme, dont le nom désigne les croyances, convictions, courants de pensée, d’action, etc., se réclamant de la personne et/ou de l'enseignement de Jésus-Christ, trouve son fondement essentiel dans la conviction de sa résurrection d’entre les morts.


Matthieu 28, 1-10
1  Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2  Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.
3  Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4  Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5  Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : "Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6  Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit; venez voir l’endroit où il gisait.
7  Puis, vite, allez dire à ses disciples : Il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit."
8  Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9  Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : "Je vous salue." Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10  Alors Jésus leur dit : "Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront."


En Galilée, où, il a enseigné, c'est là qu'il s'agit de le retrouver, en ses paroles, pour ce commencement, toujours nouveau, de toutes choses, pour que s'y source cette communauté de Jésus qui naît à Jérusalem (Actes 1, 3).


La résurrection de la chair et nous

« Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi." Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu." » (Jean 20, 27-28)

Comme ici à Thomas, Jésus s’est adressé à chacun des disciples. Des mots similaires (Luc 24, 39) : « Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. »

Étrange invite que Jésus adresse aux disciples… Scandale pour la raison que cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os ». Scandale pour la raison.

Et pourtant la doctrine de la résurrection, qui choque les philosophes grecs d’Athènes (Actes 17, 31 sq.), a des antécédents (cf. 1 Corinthiens 15), antécédents eux-mêmes philosophiques dans la réflexion du judaïsme et dans le monde persan.

Scandale pour la raison pourtant, jusqu'à nous. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… C’est contre cela que Jésus invite Thomas à toucher ses plaies. Et il y invite aussi les douze et avec eux, par leur intermédiaire, nous tous : heureux ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Car, quel est l’enjeu ? L’enjeu est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie.

Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques. Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté. Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu. C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !

… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité !


RP
« Qui dites-vous que je suis ? »
Un parcours non-exhaustif de la perception de Jésus


Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2014-2015
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
1) 21 & 23 octobre 2014 - Le Ressuscité (PDF)


lundi 13 octobre 2014

Ève




Genèse ch. 1, v. 26-28 :
26 Elohîms dit : "Nous ferons Adâm ­ le Glébeux ­ à notre réplique, selon notre ressemblance. Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels, la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre".
27 Elohîms crée le glébeux à sa réplique, à la réplique d'Elohîms, il le crée, mâle et femelle, il les crée.
28 Elohîms les bénit. Elohîms leur dit : "Fructifiez, multipliez, emplissez la terre […]"


Genèse ch. 2, v. 18 & v. 21-24 :
18 IHVH-Adonaï Elohîms dit : "Il n'est pas bien pour le glébeux d'être seul ! Je ferai pour lui une aide contre lui".

21 IHVH-Adonaï Elohîms fait tomber une torpeur sur le glébeux. Il sommeille. Il prend un/e de ses côtes [/côtés], et ferme la chair dessous.
22 IHVH-Adonaï Elohîms bâtit la côte [/le côté], qu'il avait pris/e du glébeux, en femme. Il la fait venir vers le glébeux.
23 Le glébeux dit : "Celle-ci, cette fois, c'est l'os de mes os, la chair de ma chair, à celle-ci il sera crié femme ­ Isha ­ : oui, de l'homme ­ Ish ­ celle-ci est prise".
24 Sur quoi l'homme abandonne son père et sa mère : il colle à sa femme et ils sont une seule chair.


Genèse ch. 3 :
1 Le serpent était nu, plus que tout vivant du champ qu'avait fait IHVH-Adonaï Elohîms. Il dit à la femme : "Ainsi Elohîms l'a dit : 'Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin'..".
2 La femme dit au serpent : "Nous mangerons les fruits des arbres du jardin,
3 mais du fruit de l'arbre au milieu du jardin, Elohîms a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, afin de ne pas mourir'".
4 Le serpent dit à la femme : "Non, vous ne mourrez pas, vous ne mourrez pas,
5 car Elohîms sait que du jour où vous en mangerez vos yeux se dessilleront et vous serez comme Elohîms, connaissant le bien et le mal".
6 La femme voit que l'arbre est bien à manger, oui, appétissant pour les yeux, convoitable, l'arbre, pour rendre perspicace. Elle prend de son fruit et mange. Elle en donne aussi à son homme avec elle et il mange.
7 Les yeux des deux se dessillent, ils savent qu'ils sont nus. Ils cousent des feuilles de figuier et se font des ceintures.
8 Ils entendent la voix de IHVH-Adonaï Elohîms qui va dans le jardin au souffle du jour. Le glébeux et sa femme se cachent, face à IHVH-Adonaï Elohîms, au milieu de l'arbre du jardin.
9 IHVH-Adonaï Elohîms crie au glébeux, il lui dit : "Où es-tu ?
10 Il dit : "J'ai entendu ta voix dans le jardin et j'ai frémi ; oui, moi-même je suis nu et je me suis caché".
11 Il dit : "Qui t'a rapporté que tu es nu ? L'arbre dont je t'avais ordonné de ne pas manger, en as-tu mangé ?
12 Le glébeux dit : "La femme qu'avec moi tu as donnée m'a donné de l'arbre, elle, et j'ai mangé".
13 IHVH-Adonaï Elohîms dit à la femme : "Qu'est-ce que tu as fait ? La femme dit : "Le serpent m'a abusée et j'ai mangé".
14 IHVH-Adonaï Elohîms dit au serpent : "Puisque tu as fait cela, tu es honni parmi toute bête, parmi tout vivant du champ. Tu iras sur ton abdomen et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je placerai l'inimitié entre toi et entre la femme, entre ta semence et entre sa semence. Lui, il te visera la tête et toi tu lui viseras le talon".
16 À la femme, il a dit : "Je multiplierai, je multiplierai ta peine et ta grossesse, dans la peine tu enfanteras des fils. À ton homme, ta passion : lui, il te gouvernera".
17 Au glébeux, il dit : "Oui, tu as entendu la voix de ta femme et mangé de l'arbre, dont je t'avais ordonné pour dire : 'Tu n'en mangeras pas'. Honnie est la glèbe à cause de toi. Dans la peine tu en mangeras tous les jours de ta vie.
18 Elle fera germer pour toi carthame et chardon : mange l'herbe du champ.
19 À la sueur de tes narines, tu mangeras du pain jusqu'à ton retour à la glèbe dont tu as été pris. Oui, tu es poussière, à la poussière tu retourneras".
20 Le glébeux crie le nom de sa femme : Hava-Vivante. Oui, elle est la mère de tout vivant.
21 IHVH-Adonaï Elohîms fait au glébeux et à sa femme des aubes de peau et les en vêt.
22 IHVH-Adonaï Elohîms dit : "Voici, le glébeux est comme l'un de nous pour connaître le bien et le mal. Maintenant, qu'il ne lance pas sa main, ne prenne aussi de l'arbre de vie, ne mange et vive en pérennité "!
23 IHVH-Adonaï Elohîms le renvoie du jardin d''Édèn, pour servir la glèbe dont il fut pris.
24 Il expulse le glébeux et fait demeurer au levant du jardin d''Édèn les Keroubîm et la flamme de l'épée tournoyante pour garder la route de l'arbre de vie.



Nous sommes en chemin. Un chemin où l'on quitte ce d’où l'on vient, pour aller à la rencontre — de ce qui est différent de nous, différent de ce d’où on vient : l’autre sexe, l’autre lieu, l’autre temps, celui qui est Autre (Dieu).
Cette rencontre suppose un envoi — on n’y va pas spontanément : on a tendance à rester. Cet envoi est une parole de loi : quitte et va. Une loi en « quitte et va », qui se décline sous différents angles (ou commandements négatifs : ne pas — « tu ne resteras pas », et positifs — « tu iras »). Chaque accomplissement est un pas, un moment de coopération de chacun et chacune, sur la route du projet, donné comme grâce, de Dieu créant le monde.

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Adam et Ève comme deux moitiés d'un androgyne primitif. L'androgyne chez Platon

« Premièrement, il y avait trois catégories d'êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd'hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l'androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. Aujourd'hui, cette catégorie n'existe plus [...].

Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d'une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à l'opposé l'un de l'autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l'avenant [...].

Suite à leur prétention de concurrencer les dieux, « Zeus coupa les humains en deux, ou comme on coupe les oeufs avec un crin.

« Chacun d'entre nous est donc la moitié complémentaire d'un être humain, puisqu'il a été coupé, à la façon des soles, un seul être en produisant deux ; sans cesse donc chacun est en quête de sa moitié complémentaire. Aussi tous ceux des mâles qui sont une coupure de ce composé qui était alors appelé "androgyne" recherchent-ils l'amour des femmes et c'est de cette espèce que proviennent la plupart des maris qui trompent leur femme, et pareillement toutes les femmes qui recherchent l'amour des hommes et qui trompent leur mari. En revanche, toutes les femmes qui sont une coupure de femme ne prêtent pas la moindre attention aux hommes ; au contraire, c'est plutôt vers les femmes qu'elles sont tournées, et c'est de cette espèce que proviennent les lesbiennes. Tous ceux enfin qui sont une coupure de mâle recherchent aussi l'amour des mâles.

« Les mâles de cette espèce sont les seuls [...] qui, parvenus à maturité, s'engagent dans la politique. Lorsqu'ils sont devenus des hommes faits, ce sont de jeunes garçons qu'ils aiment et ils ne s'intéressent guère par nature au mariage et à la procréation d'enfants, mais la règle les y contraint ; ils trouveraient plutôt leur compte dans le fait de passer leur vie en célibataires, côte à côte, en renonçant au mariage. Ainsi donc, de manière générale, un homme de ce genre cherche à trouver un jeune garçon pour amant et il chérit son amant, parce que dans tous les cas il cherche à s'attacher à ce qui lui est apparenté. »
(Platon, Le Banquet, 190b – 193e : discours d'Aristophane.)

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"Batshéva était destinée à David depuis les six jours de la Genèse […]".
Si l’on est mis en présence de son âme sœur […], rien ne pourra alors s’opposer à l’élan qui nous portera vers elle, ni la loi, ni la morale, ni le regard des autres, ni même la parole de Dieu. […]
D’après [Joseph Gikatila (1248-1325)], David ne pouvait échapper à la force qui s’était emparée de lui car il avait reconnu Batshéva, sa jumelle, son épouse parfaite. Sitôt aperçue, son image était venue s’imbriquer exactement dans la forme laissée en creux par la partie manquante de lui-même. Ce que ressentit David ? À la fois une douleur, une tension et un élan, puisqu’il avait perçu dans le même temps son incomplétude intrinsèque et la promesse de la combler.


Tobie Nathan, Philtre d’amour, éd. Odile Jacob, 2013, p. 161-162 - commentant Joseph Gikatila (1248-1325), Le secret du mariage de David et Bethsabée, éd. de L’Éclat, 2003.

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Ève et la figure du féminin

C.G. Jung — Anima et animus

C.G. Jung parle du « besoin de retrouver son unité par le moyen d’un amour intégral pour un autre » (C.G. Jung, Problèmes de l’âme moderne.).

Une unité qui se symbolise par l'unité perdue du masculin et du féminin en nous.

« L'anima est féminine ; elle est uniquement une formation de la psyché masculine et elle est une figure qui compense le conscient masculin.

Chez la femme, à l'inverse, l'élément de compensation revêt un caractère masculin, et c'est pourquoi je l'ai appelé l'animus. Si, déjà, décrire ce qu'il faut entendre par anima ne constitue pas précisément une tâche aisée, il est certain que les difficultés augmentent quand il s'agit de décrire la psychologie de l'animus.

Le fait qu'un homme attribue naïvement à son Moi les réactions de son anima, sans même être effleuré par l'idée qu'il est impossible pour quiconque de s'identifier valablement à un complexe autonome, ce fait qui est un malentendu se retrouve dans la psychologie féminine dans une mesure, si faire se peut, plus grande encore. »

« Pour décrire en bref ce qui fait la différence entre l'homme et la femme à ce point de vue, donc ce qui caractérise l'animus en face de l'anima, disons : alors que l'anima est la source d'humeurs et de caprices, l'animus, lui, est la source d'opinions ; et de même que les sautes d'humeur de l'homme procèdent d'arrière-plans obscurs, les opinions acerbes et magistrales de la femme reposent tout autant sur des préjugés inconscients et des a priori. » (C.G. Jung, Dialectique du moi et de l'inconscient, Idées / Gallimard, 1973 p 179 et 181.)


RP
Du féminin et de quelques
figures féminines dans la Bible


Église protestante unie de France / Poitiers
Etude biblique 2014-2015
Chaque 2e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 2e mardi à 20 h 30
1) 14 & 16 octobre 2014 — Ève (PDF)